Apartheid

Apartheid
Page d'aide sur les redirections Pour la notion juridique d'apartheid, voir Crime d'apartheid.
Carte de l'Afrique du Sud des années 1981-1994 présentant les 4 provinces sud-africaines et les 4 bantoustans indépendants du Transkei, Ciskei, Venda et Bophuthatswana et les 6 bantoustans autonomes, constitués en vertu de la séparation spatiale du grand apartheid

L’apartheid (mot afrikaans dérivé du français[1], signifiant « séparation, mise à part »[2]) était une politique dite de « développement séparé » affectant des populations selon des critères raciaux ou ethniques dans des zones géographiques déterminées. Il fut conceptualisé et mis en place à partir de 1948 en Afrique du Sud (Union d'Afrique du Sud, puis République d'Afrique du Sud) par le Parti national, et aboli le 30 juin 1991. La politique d'apartheid se voulait l'aboutissement institutionnel d'une politique et d'une pratique jusque là empirique de ségrégation raciale (Pass-laws, baasskap et colour bar), élaborée en Afrique du Sud depuis la fondation de la colonie du Cap en 1652. Avec l'apartheid, le rattachement territorial (puis la nationalité) et le statut social dépendaient du statut racial de l'individu.

Le concept de l’apartheid s’articulait ainsi autour de la division politique, sociale, économique et géographique du territoire sud-africain et de sa population répartie en quatre groupes raciaux hiérarchiquement distincts :

  • les Blancs : ce sont principalement les descendants d’immigrants européens arrivés dans le pays à partir de 1652 parmi lesquels on distingue les Afrikaners (60 % de ce groupe racial), principalement de souche néerlandaise, mais aussi française, allemande ou scandinave, de locution afrikaans, et les anglophones (40 %), principalement d'origine britannique. Ils représentent un peu plus de 21 % de la population sud-africaine au moment de la mise en place de l'apartheid.
  • les Indiens : ce sont les descendants des coolies recrutés dans les régions de Madras et de Calcutta à partir de 1860 engagés dans les plantations de canne à sucre du Natal. Ils représentent un peu moins de 3 % de la population en 1950.
  • les Coloured (ou métis) : on distingue d'une part les populations issues du métissage entre les Blancs et les Hottentots aux XVIe et XVIIe siècles et les Malais du Cap. Ils représentent 9 % de la population sud-africaine en 1950.
  • les Noirs ou Bantous : ils représentent près de 67 % de la population sud-africaine au moment de la mise en place de l'apartheid mais sont les moins urbanisés des 4 groupes raciaux (80 % vivent alors en zone rurale). Ils se répartissent entre une dizaine d'ethnies dont les plus importantes sont les Xhosas et les Zoulous.

L'apartheid se distinguait en 2 catégories :

  • le petit apartheid ou apartheid mesquin qui protégeait l'intimité des Blancs dans leur vie quotidienne en limitant leur rapport avec les non-blancs,
  • le grand apartheid concernant la division spatiale du pays imposant des zones de résidence géographiquement séparées et racialement déterminées. Ce grand apartheid fut accompagné de mesures de déplacements et de regroupement des populations noires dans des foyers nationaux appelés bantoustans.

L'apartheid a également été appliqué de 1959 à 1979 dans le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), administré par l'Afrique du Sud.

La politique d'apartheid fut le « résultat de l'anxiété historique des Afrikaners obsédés par leur peur d'être engloutis par la masse des peuples noirs environnants »[3]. Les lois rigides qui en résultèrent, « dictées par une minorité dynamique obsédée par sa survie » en tant que nation distincte, furent ainsi le résultat d'une confrontation, sur une même aire géographique, d'une société sur-développée, intégrée au premier monde avec une société de subsistance, encore dans le tiers monde, manifestant le refus de l'intégration des premiers avec les seconds[4]. Avec la volonté manifeste de revaloriser les différentes ethnies du pays, l'Afrique du Sud fut aussi alors l'un des très rares états centralisateurs à prêcher le droit au séparatisme[5].

L'apartheid a été progressivement réformé en Afrique du Sud durant les années 1980 avec l'instauration de droits politiques aux indiens et aux métis avant d'être aboli en 1991.

Sommaire

Origines et mise en place de l’apartheid

Apartheid

Évènements

Massacre de Sharpeville
Émeutes de Soweto · Procès de la trahison · Procès de Rivonia · Attentat de Church Street (Pretoria) · Négociations sur le démantèlement de l'apartheid en Afrique du Sud · Massacre de Boipatong · Massacre de Bisho · St James Church massacre · Attentat d'Amanzimtoti

Organisations

ANC · IFP · AWB · Black Sash · Parti conservateur · Parti uni · Parti Progressiste · Parti Afrikaner · PFP · HNP · MK · PAC · Mouvement de Conscience noire · SACP · UDF · Broederbond ·
Parti national · COSATU · Vlakplaas

Personnes

P. W. Botha · Oupa Gqozo · Daniel François Malan
Nelson Mandela · Desmond Tutu
F. W. de Klerk · Walter Sisulu
Helen Suzman · Harry Schwarz
Andries Treurnicht · H. F. Verwoerd
Oliver Tambo · John Vorster
Kaiser Matanzima · Robert Sobukwe
Steve Biko · Mangosuthu Buthelezi
Joe Slovo · Lucas Mangope

Lieux

Bantoustan · District Six · Robben Island
Sophiatown · Sud-Ouest africain
Soweto · Transkei · Township · Ciskei · Venda · Bophuthatswana

Autres aspects

Afrikaners
Lois de l'Apartheid · Charte de la liberté
Principes de Sullivan · Kairos Document · Supplice du pneu · Test du crayon
Campagne de désinvestissement
ECC · Commission Goldstone · Commission vérité et réconciliation · CCB · SADF · SAP

Cette boîte : voir • Histoire de l'Afrique du Sud.

Si l'apartheid a été mis en place à partir de 1948, la ségrégation raciale en Afrique du Sud existait depuis près de trois siècles et s'était établie dans un contexte particulier à l'histoire complexe de ce pays.

L'apartheid est le produit de l'Histoire, des mythes et des singularités de l'Afrique du Sud. Cette singularité est marquée par le fait que d'anciens immigrants européens ont pris souche dans cette partie de l'Afrique dès le XVIIe siècle, ont récusé très tôt leurs racines européennes (néerlandaises, allemandes et françaises) et ont revendiqué leur africanité. Leur expression s'est effectuée notamment par opposition à la métropole coloniale néerlandaise mais aussi par rapport aux colons britanniques arrivés au XIXe siècle et attachés à leur mère patrie. Elle aboutit finalement à un nationalisme afrikaner exacerbé par la religion, la souffrance et la guerre contre l'impérialisme britannique et dont la politique d'apartheid ne sera que l'une des manifestations les plus notoires.

L'apartheid ne peut cependant être considéré comme une forme flétrie du calvinisme primitif, ni un bastion arriéré du colonialisme ni encore moins une variante tropicale du fascisme ou du nazisme européen[6]. Son idéologie prend bien racine à la fois dans la théologie et dans les doctrines de justification de la colonisation. C'est par la doctrine calviniste de la prédestination selon laquelle l'homme est prédestiné par Dieu et a créé des élites pour diriger le monde et des non élus pour obéir aux premiers que les concepts ségrégationnistes ont d'abord été avalisés par les prédicateurs de l'église réformée hollandaise. Les Boers, isolés dans le veld, s'étaient ainsi facilement assimilés au peuple élu et bon nombre d'entre-eux ont cru jusqu'à la fin des années d'apartheid, que Dieu leur avait donné l'Afrique du Sud comme il avait donné le pays de Canaan aux Hébreux, les Noirs étant assimilés aux Cananéens.

La victoire du parti national en 1948 a consacré celle du peuple afrikaans face à l'acculturation anglophone. Le thème récurrent n'est plus dès lors la défense de l'identité afrikaans mais celle du peuple blanc d'Afrique du Sud (3 millions de personnes en 1954, 21,4 % de la population totale)[7] menacé par la puissance de la démographie africaine (8 millions de personnes en 1950 soit 67 % de la population totale)[8].

C'est à la fois par idéalisme, par intérêt et par sécurité que les Afrikaners élaborent et maintiennent aussi longtemps le système d'apartheid, qui selon eux, est le seul moyen pour leur permettre non seulement de survivre en tant que groupe ethnique distinct mais aussi pour préserver leurs intérêts de classe au sein du groupe blanc[9]. L'apartheid est ainsi présenté comme un arsenal juridique destiné à assurer la survie du peuple afrikaner comme ethnie particulière mais aussi comme un « instrument de justice et d'égalité qui doit permettre à chacun des peuples qui constituent la société sud-africaine d'accomplir son destin et de s'épanouir en tant que nation distincte ». Ainsi, beaucoup de nationalistes afrikaners pensent sincèrement que l'apartheid ouvrira des carrières et laissera leurs chances aux Noirs, chances qu'ils n'auraient pu saisir s'ils avaient été obligés d'entrer en compétition avec les Blancs au sein d'une société intégrée[10]. Cependant, à aucun moment les propres aspirations des peuples noirs d'Afrique du Sud ne sont pris en considération. L'apartheid leur est imposé dans la plus pure tradition du baasskap.

À partir des années 1970, les Afrikaners n'ont plus la peur pathologique de perdre leur identité qui s'affirme d'ailleurs au travers de l'État sud-africain, un État militairement fort et économiquement puissant. La discrimination et la ségrégation raciale ne sont plus justifiées en termes idéologiques mais en termes économiques et politiques : la survie du capitalisme et la lutte contre le communisme. L'apartheid finit par représenter l'expression de désirs, d'angoisses et de complexes d'une population blanche, accrochée à une vision de l'histoire qui n'avait plus cours ailleurs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[11].

Le contexte sud-africain

Indiens arrivant en Afrique du Sud


L'Afrique du Sud est un territoire caractérisé par une grande diversité ethnique et culturelle, héritée d'un passé complexe.

Avant l'arrivée des Européens, les peuples africains qui vivent en Afrique australe sont divers par leur physique, leur langue et leur mode de vie. On distingue principalement les bantous, les Khoïkhoïs et les Bushmen.

Au XVIIe siècle, les Néerlandais fondent une colonie au Cap peuplée progressivement d'immigrés venant des Provinces-Unies, de France, des États allemands et de Scandinavie[12].

Les descendants de ces premiers colons sont les Boers (qui signifie « fermier » ou « éleveur »), appelés ensuite Afrikaners pour désigner l'ensemble de la communauté blanche de langue afrikaans et de religion calviniste. Ils forment le principal groupe blanc de l'Afrique du Sud et vivent de l'agriculture ou de l'élevage.

Pendant la période néerlandaise, la colonie importe des milliers d'esclaves venant de Madagascar et d’Indonésie[13]. Les Coloureds[14] sont issus du métissage entre les différents groupes de population.

C'est à la fin du XVIIIe siècle que les Anglais commencent à coloniser l'Afrique du Sud : entre 1815 et 1914, près de 900 000 Britanniques s’installent en Afrique du Sud[15]. En 1814, la colonie du Cap passe définitivement sous le contrôle du Royaume-Uni et l'anglais devient une langue officielle en 1822. L'esclavage est aboli en 1833 : c'est alors que débute le Grand Trek, l'émigration de milliers de Boers vers l'intérieur des terres.

Après la découverte des diamants et de l’or dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'immigration européenne et africaine augmente. Des dizaines de milliers d'ouvriers indiens et chinois sont encouragés à venir travailler dans les mines et l'agriculture. Deux tiers des Indiens restent en Afrique du Sud après la fin de leur contrat[16].

La construction du nationalisme afrikaner

Article détaillé : Afrikaner (peuple).
L'armée des Boers composé de commandos rassemblant parfois trois générations de fermiers

L'apartheid tire ses origines idéologiques dans le mouvement identitaire afrikaner. Celui-ci tire ses racines de la colonisation commencée en 1652 avec Jan van Riebeeck avant de se développer progressivement au XIXe siècle et de déboucher sur la mise en place de l'apartheid au milieu du XXe siècle.

La construction d'un groupe homogène afrikaner s'est globalement appuyée sur la langue afrikaans et sur la doctrine du calvinisme qui distinguait un peuple élu et les autres (voir calvinisme afrikaner). La désignation des Afrikaners comme peuple élu a constitué le paradigme central de l'histoire sud-africaine des Afrikaners. Cependant, ces deux facteurs culturels unificateurs qui les distinguaient des autres communautés du pays n'étaient pas suffisant pour effacer les différences abyssales entre les fermiers du Transvaal et les hommes d'affaires afrikaners du Cap[17].

Il fallait une trame commune du passé pour les unir vers une même destinée. Ainsi, l'histoire des Afrikaners s'est continuellement référée à une représentation quasi-religieuse, utilisant les comparaisons bibliques entre l'oppression des juifs dans l'Ancien Testament et l'exode des Afrikaners du Cap en 1835[18]. Le Grand Trek est ainsi devenu la racine historique du peuple afrikaner, l'évènement qui lui a donné son âme, le berceau de la nation[19].

Le mouvement identitaire afrikaner va être conforté par d'autres historiens comme George McCall Theal, un britannique natif du Canada. Influencé par le darwinisme social, Theal exaltait le colonialisme comme le triomphe du progrès sur les races moins avancées. Il est ainsi l'un des premiers historiens à avoir examiné l'Afrique du Sud comme une nation et non comme un ensemble hétérogène de colonies distinctes[20]. Il va également idéaliser l'épopée du Grand Trek en mettant l'accent sur la main de Dieu[21].

Le nationalisme afrikaner se construit d'abord contre la domination et l'oppression britannique quand, en 1815, la Grande-Bretagne remplace définitivement la tutelle néerlandaise sur la colonie du Cap et tente d'angliciser les Boers. Elle aboutit d'abord en 1835 à un vaste exode de 15 000 boers vers l'intérieur des terres d'Afrique du Sud.

Cette épopée, connue sous le nom de Grand Trek fut magnifiée par l'historiographie sud-africaine au travers notamment du récit du massacre de Piet Retief et des familles boers à Blaauwkraus et Boesmanspruit par les Zoulous puis par le récit de la bataille de Blood River contre les guerriers Zoulous et le serment d'allégeance à Dieu.

Cet exode aboutit à la fondation de plusieurs petites républiques boers dont certaines s'unifient pour devenir la république sud-africaine du Transvaal en 1852 et l'État libre d'Orange en 1854.

En 1875, au Cap, des historiens et des pasteurs de l'église réformée hollandaise comme Stephanus Jacobus Du Toit forment un mouvement de revendication culturel, (l'« Association des vrais Afrikaners », dont l'objectif est de donner à l'afrikaans, la langue parlée par les boers, ses lettres de noblesse et d'en faire un véritable outil de communication écrite[22]. En publiant le premier journal en langue afrikaans et le premier livre d'histoire sur le peuple afrikaner dans cette langue (L'histoire de notre pays dans la langue de son peuple[23]), Du Toit veut éveiller la conscience nationale des Afrikaners et les libérer de leur complexe d'infériorité culturelle face aux Anglais. Dès lors, la défense de la langue se confond avec celle de l'identité afrikaans[24].

Lizzie van Zyl, une enfant boer internée et morte dans le camp de concentration britannique de Bloemfontein en Afrique du Sud durant la Seconde Guerre des Boers

La Seconde Guerre des Boers (1899-1902) est le deuxième événement historique après celui du Grand Trek qui cristallise le sentiment national afrikaner. Le souvenir des camps de concentration où périrent plus de 26 000 civils boers, de la tactique de la terre brûlée par les troupes Britanniques et l'annexion des anciennes républiques boers, nourrissent leur rancœur contre les Anglais. La ponction démographique provoquée par la guerre, puis l'afflux de milliers de travailleurs africains et asiatiques alimentent l'idée d'un déclin afrikaner en Afrique du Sud. Les Boers se sentent menacés par les changements démographiques et politiques.

L'imposition de l'anglais dans les anciennes républiques boers, l'interdiction de l'enseignement de l'afrikaans et diverses mesures vexatoires vont avoir pour corolaire la création d'écoles privées gérées par les Afrikaners eux-mêmes qui fournissent alors un terrain propice à la création d'une identité commune fondée sur la langue afrikaans, la croyance calviniste et une interprétation quasi-religieuse de l'histoire[25].

En 1910 est créée l'Union d'Afrique du Sud qui rejoint les dominions du Commonwealth. Les premières lois ségrégationnistes au niveau national sont adoptées comme la Native Land Act (1913) ou la Native Urban Act (1923) mais ces mesures ne s'inscrivent pas dans un projet d'ensemble cohérent mais plutôt comme une réponse à l'interpénétration croissante entre Blancs et Noirs[26]. Pour Smuts ou Botha, la ségrégation raciale n'est pas envisagée comme une solution à long terme. Pour Smuts, il s'agit d'un expédient temporaire[27].

En 1914-1915, plusieurs anciens officiers boers tentent de s'opposer à la participation de l'Afrique du Sud à la Première Guerre mondiale, notamment quand le gouvernement lève un contingent pour envahir le Sud-Ouest africain[28]. Dans un manifeste, ils proclament le rétablissement des républiques boers. La mort d'un de ses chefs, le général Koos de la Rey alors que celui-ci tente de forcer un barrage de police, précipite une rébellion de près de 12 000 boers contre le gouvernement de Louis Botha. En quelques semaines la rébellion est écrasée. Politiquement, elle a suscité un réflexe nationaliste au sein des quatre provinces renforçant la position du tout jeune Parti national de James B. Hertzog.

Monument symbolique afrikaner des chariots en bronze de commémorant la bataille de Blood River
Statue symbolique de la femme Afrikaner et de ses enfants au Voortrekker Monument de Pretoria

Après la Première Guerre mondiale, les paysans afrikaners, chassés du platteland par une grave sécheresse et une crise économique, se retrouvent confrontés à un double phénomène d’urbanisation et d’acculturation, et entrent en compétition avec les ouvriers noirs au moindre coût. Les valeurs et l'ordre traditionnel des Afrikaners s'effondrant, ces derniers se sentent acculés face à la domination des anglophones, de leurs valeurs liées aux affaires et à l'argent et face au risque de submersion des Noirs qui affluent alors vers les villes[29].

Face à cette situation, les nationalistes afrikaners s'efforcent de réinventer des modèles culturels à partir de l'Afrikanerdom, concept forgé par Paul Kruger dans les années 1880. Destinée à arracher les Afrikaners pauvres à leur condition misérable et à les aligner sur la petite bourgeoisie anglophone, le concept ressuscite les rêves d'indépendance et d'auto-suffisance des Boers.

En 1918, l'Afrikaner Broederbond, une confrérie de type franc-maçonne, est fondée à Johannesburg par trois jeunes Afrikaners dont le but est la défense des membres de leur communauté afin de recouvrer les droits perdus en 1902 à la fin de la seconde guerre des Boers. D'abord baptisée Jong Suid-Afrika, puis Afrikaner Broederbond (Ligue des frères afrikaners), cette association qui rassemblait à son origine des pasteurs calvinistes, des employés des chemins de fer et des policiers, devient 6 ans plus tard une société secrète franc-maçonne, recrutant un nombre croissant d'instituteurs, de professeurs, d'universitaires et de politiciens. Le Bond va accroître son activisme et étendre son influence et son audience au sein de la communauté de langue afrikaans et définir l'identité de l'Afrikaner duquel il placera les intérêts au-dessus de toutes les autres communautés d'Afrique du Sud. Ainsi, le Broederbond repose sa doctrine sur le national-christianisme, inspiré du néocalvinisme, qui stipule que « les nations sont nées d'une volonté divine, que chacune d'elles est détentrice d'une spécificité et d'une mission à accomplir »[30]. La défense de l'identité afrikaner devient une mission sacrée dont le triomphe exige la mobilisation totale du peuple de langue afrikaans (le Volk). Le concept de l'apartheid va progressivement être élaboré sur cette base doctrinale.

En mars 1922, l’armée est envoyée pour faire cesser la grève insurrectionnelle des ouvriers afrikaners des mines d'or du Witwatersrand. Les mineurs afrikaners s'étaient mis en grève pour protester contre le recours accru aux travailleurs noirs, main-d’œuvre abondante et moins bien payée, par le patronat du secteur minier. Pour les mineurs afrikaners, le patronat remettait en cause le Colour Bar et les emplois réservés des mines[31],[32]. Le conflit avait commencé dans les mines de charbon, soutenu par les nationalistes de Tielman Roos et les communistes de Bill Andrews, puis s'était répandu à travers tout le bassin minier du Rand, regroupant 20 000 travailleurs blancs. La grève s'était ensuite transformée en insurrection, avec la proclamation de soviets alors que des affrontements violents ensanglantaient la région. Quelques jours après le déclenchement de la grève générale, deux mois après le début du conflit, le premier ministre Jan Smuts mena une sanglante répression. Pendant 5 jours les combats firent rages dans les quartiers ouvriers du rand pilonnés par l'aviation. Le mouvement fut brisé dans le sang (214 tués dont 76 grévistes, 78 soldats, 30 africains tués par les grévistes) et 5000 mineurs furent emprisonnés. C'est en chantant un hymne communiste que 4 des 18 condamnés à morts furent exécutés[33].

L'échec du mouvement ouvrier conduisit à une mobilisation insolite rassemblant travaillistes, socialistes, communistes, des mouvements politiques de couleurs[34] derrière les nationalistes du parti national qui remportèrent les élections générales de 1924.

En 1925, sous le nouveau gouvernement nationaliste de J.B. Hertzog, l'afrikaans se substitue au néerlandais et est reconnue comme langue officielle au côté de l’anglais en 1925[35]. En 1927, le pays se dote de son premier drapeau national, fruit d'un consensus entre afrikaners et anglophones et d'un hymne officiel « Die Stem van Suid Afrika ». La plus ancienne église du pays, l'Église réformée hollandaise, véritable Église du peuple afrikaner (Volkskerk), diffuse et généralise, dans le cadre d'une éducation nationale-chrétienne l'idée d'une élection collective des Afrikaners et élabore des justifications théologiques à la ségrégation[35].

Suite au rapprochement entre Smuts et Hertzog concrétisé par la formation du parti uni, le parti national se scinde en 1934 avant de se reformer en 1939 pour s'opposer à l'entrée dans la Seconde Guerre mondiale.

En 1938, les célébrations du centenaire de la bataille de Blood River unissent les Afrikaners autour du thème du Volkseenheid (l'unité du peuple afrikaans) avec la reconstitution du Grand Trek. Ainsi, le 8 août 1938, des centaines de chariots portant chacun le nom d'un des héros boers du Grand Trek ou célébrant la mémoire des femmes et des enfants partent du Cap en direction de Pretoria. À mesure que les convois progressent et traversent les communes et villages, une vague de patriotisme parcourt le pays. D'autres villes et villages organisent leur propre trek vers Pretoria. En chemin, les Afrikaners se mobilisent en masse : Les routes et rues sont rebaptisées Voortrekker Straat ou Pretorius Straat, les hommes se laissent pousser leurs barbes comme leurs ancêtres, les femmes mettent leur bonnet traditionnel et des tabliers de paysannes, des jeunes fiancés font bénir leur union en costume de Voortrekker et des enfants baptisés le long des chars à bœufs et les feux de joie illuminent les soirées. À l'approche de la destination finale, les thèmes nationalistes et républicains se précisent alors que le pays est pavoisé aux couleurs sud-africaines et le 16 décembre 1938, plus de 100 000 afrikaners (1/10e de la population afrikaner) assistent à Pretoria à la pose de la première pierre du Voortrekker Monument, symbole phare du nationalisme boer en présence des descendantes d'Andries Pretorius, de Piet Retief et d'Hendrik Potgieter[36],[37].

Plusieurs mouvements extrémistes non parlementaires, certains influencés par le nazisme, tentent à l'époque d'exploiter ce nationalisme ambiant comme l'Ossewa Brandwag, l'Active Citizen Force, les Chemises grises de Louis Weichardt, le SA Gentile National Socialist Movement ou le Boernasie de Manie Maritz[38].

De son côté, le Parti national se rescinde de nouveau en 1940 quand la minorité Hertzogienne, plus modérée et partisane d'un rapprochement avec les anglophones, fonde le Parti afrikaner.

En 1948, la victoire du parti national purifié de Daniel François Malan allié au parti afrikaner de Nicolaas Havenga, consacre la victoire du Broederbond. Le danger de domination anglophone est définitivement écarté et l'unité du peuple afrikaans réalisé. Cependant, la cohésion ethnique de celui-ci reste menacé par le « Swaartgevaar » (le péril noir)[39]. Le thème récurrent des nationalistes n'est plus dès lors la défense de l'identité afrikaans face aux anglophones mais celui du peuple blanc d'Afrique du Sud (anglophones, Afrikaners, lusophones) menacé par les masses africaines. L'apartheid est alors présenté comme un arsenal juridique destiné à assurer la survie du peuple boer mais aussi comme un « instrument de justice et d'égalité qui doit permettre à chacun des peuples qui constitue la société sud-africaine d'accomplir son destin et de s'épanouir en tant que nation distincte ».

La ségrégation avant 1948

La ségrégation raciale était une réalité bien avant l'établissement de l'Union d'Afrique du Sud. Pratiquée globalement de façon moins dogmatique et moins légaliste dès le XVIIe siècle, le confinement spatial des non-Blancs dans les zones rurales du Cap ou du Natal tout comme dans les centres industriels résultaient de la double volonté de réduire la dangerosité sociale (vagabondage, vol…) des Africains que de contrôler la disponibilité de la main-d’œuvre[40]. Le caractère généralisé de la ségrégation ne relevait encore que de règlements empiriques comme les Pass laws (laissez-passer)[41], adoptées dès 1809 dans la colonie du Cap. En 1894, l'assemblée législative du Cap vote la loi Glen Grey qui définit notamment les modalités de l'allocation obligatoire de délimitations géographiques pour les populations noires de la colonie du Cap[42]

La ségrégation à grande échelle date de l'époque d'Alfred Milner, haut commissaire en Afrique du Sud après la Seconde Guerre des Boers quand il met en place une commission intercoloniale des affaires indigènes sud-africaines composée exclusivement de Britanniques et dont le but était d'élaborer un plan pour les futures relations raciales du dominion en tenant compte de la législation disparate des quatre colonies. Les théories du darwinisme social et du racisme scientifique imprègnent alors un grand nombre d'intellectuels de l'époque et, prétextant de la supériorité des Blancs, l'une des recommandations de la commission présidée par Sir Geofrey Lagden préconise la création de réserves indigènes à travers toute l'Afrique du Sud[43].

Ces réserves n'avaient à l'origine qu'une fonction économique, subordonnées à l'ensemble sud-africain pour servir de réservoir de main-d'œuvre[44]. Elles n'avaient pas vocation à devenir indépendante. À partir de 1948, le gouvernement mené par le parti national, donna un contenu idéologique pour justifier et développer ces réserves qui, dans le cadre de la politique d'apartheid qui commença à être mis en place, prirent les noms successivement de bantoustans puis "homelands", "black states" et enfin "national states"[44].

Quant à l'origine du mot « apartheid », il est attribué au professeur P.van Biljoen qui, en 1935, propose à la ligue afrikaans pour les études raciales de définir ainsi les bases d'une nouvelle politique qui serait basée sur la séparation verticale entre les différents groupes de population et qui serait distincte de la ségrégation raciale mise en œuvre jusque là[45].

Le Colour Bar

Louis Botha (1862-1919), le 1er premier ministre sud-africain

Le tout premier gouvernement de l'Union d'Afrique du Sud, dirigé par le premier ministre afrikaner Louis Botha (1910-1919) et dominé par le parti sud-africain, appliqua et renforça les Pass-laws et les lois coloniales britanniques appliquées en fonction du code de couleur, le Colour Bar (« barrière de couleur »), qui réglementait les relations interraciales dans les anciennes colonies sud-africaines[46].

Dès 1911, le Native Labour Regulation Act réglemente le travail indigène en instaurant un laissez-passer au niveau national[47] alors que le Mines and work Acts institue les premières barrières raciales dans le travail[48].

En 1913, le Native Land Act (« loi sur la propriété foncière indigène ») interdit aux Africains d’être propriétaires de terres en dehors des « réserves » indigènes (seulement 7 % de la superficie totale de l’Union d'Afrique du Sud sont alors attribuées aux Noirs[49]). Cette loi provoque l’expropriation de nombreux paysans indépendants noirs et la constitution d’un prolétariat agricole.

En 1923, le Native Urban Areas Act (« loi sur les régions urbaines indigènes ») introduit la ségrégation résidentielle.

En 1936 est abrogé le Representation of Natives Act (loi sur la représentation des indigènes), ce qui remit alors en cause le droit de vote des Noirs dans la province du Cap[50]. Une liste électorale séparée est établie pour l'ensemble des métis d'Afrique du Sud. Ainsi, ces derniers peuvent élire quatre sénateurs, ceux du Cap trois députés qui seront obligatoirement blancs. Enfin, en 1942, les grèves des travailleurs noirs sont interdites[51].

Ces lois sont conformes à l'esprit pragmatique et conjoncturel du colour bar. La politique indigène et raciale des gouvernements d'alors n'est pas présentée comme immuable mais plutôt comme un expédient provisoire. Le premier ministre Jan Smuts d'ailleurs énonce le principe des « droits civils pour tous les peuples “devenus civilisés” sans distinction de race ». Cette expression est considérée comme le gage d'une ouverture à la citoyenneté pour tous les résidents de l'Union. Toutes les évolutions restaient donc alors possibles comme le prouve le rapport de la commission Fagan présenté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mandaté par le gouvernement de Jan Smuts, ce rapport préconisait une libéralisation du système racial en Afrique du Sud en commençant par l'abolition des réserves ethniques ainsi que la fin du contrôle rigoureux des travailleurs migrants. Le premier ministre Jan Smuts approuva les conclusions du rapport alors que de son côté, l'opposition représentée par le Parti National mandatait sa propre commission (la commission Sauer) dont les conclusions furent exactement inverses. En recommandant le durcissement des lois ségrégationnistes, le rapport de la commission Sauer se référa explicitement au nouveau concept d'apartheid. Celui-ci puisait principalement son inspiration dans les lois ségrégationnistes en vigueur dans le sud des États-Unis et dans les politiques de réserves mises en place pour les Indiens dans ce pays ainsi qu'au Canada et aussi dans les politiques indigènes menées alors en Australie à l'encontre des Aborigènes, en Nouvelle-Zélande pour les Maori.

Les généraux Louis Botha et Jan Smuts en 1917

En 1934, le Parti national (au pouvoir depuis 10 ans) fusionna avec le Parti sud-africain de Jan Smuts pour former un parti d'inspiration libérale, le parti uni. La minorité hostile du Parti National demeura au sein d'un parti radicalisé à droite, prônant la supériorité du nationalisme afrikaner sur toutes les autres nations d'Afrique du Sud. En fait, Daniel François Malan et les députés qui l'avaient suivi pour maintenir en vie le Parti national étaient essentiellement des membres du Broederbond, une ligue calviniste secrète et franc-maçonne de la communauté afrikaner. Débarrassé des modérés, le Parti national devenait la vitrine et l'outil politique du Broederbond.

Parallèlement, en 1946, le Parti travailliste sud-africain qui fut de toutes les coalitions gouvernementales entre les deux guerres mondiales, adoptait une « politique non-raciale » innovante dans le contexte de l'époque en réclamant la « reconnaissance de certains droits humains fondamentaux, le droit au travail, à la libre éducation, à la sécurité sociale, à un logement convenable, et l’abolition du travail sous contrat individuel », en préconisant l’octroi de « plus de terres aux indigènes, l’amélioration de leurs procédés de culture, une aide de l’État égale à celle accordée aux Blancs » et en proposant le remplacement des quartiers réservés aux indigènes par « des cités bien ordonnées et administrées démocratiquement par ses habitants ». Le parti va encore plus loin en s'opposant à la loi ségrégationniste sur les mines et les chantiers et en appelant à la « reconnaissance des syndicats africains, le salaire égal pour un travail égal, la possibilité d’une formation professionnelle ». Le parti se prononçait enfin pour un État fédéral octroyant l’exercice de tous les droits de citoyen à tous les individus résidant sur leur territoire. En dépit ou à cause de ce programme novateur, le parti travailliste sud-africain n'allait pas survivre aux élections générales de 1948.

En 1947, le Broederbond prit le contrôle du bureau sud-africain des affaires raciales (South African Bureau of Racial Affairs -SABRA). En son sein, le concept de ségrégation totale au travers du dogme de l'apartheid est finalisé. Par ailleurs, les circonscriptions électorales sont alors redécoupées favorisant les circonscriptions rurales.

Résistances

Marche de protestation organisée par Gandhi en 1913 (Transvaal)

La résistance à la ségrégation institutionnalisée et aux discriminations quotidiennes s'organise : Mohandas Karamchand Gandhi mène des actions de protestations non-violentes contre les vexations à l'égard de la classe moyenne indienne[52]. Plusieurs associations sont fondées : l’Organisation du peuple africain (African People’s Organisation, 1902), le Congrès national des Natifs sud-africains (South African Native National Congress, 1912) qui deviendra en 1923 le Congrès national africain (African National Congress ou ANC), la Youth League (1944).

Le syndicat de l’Industrial Commercial Union, fondé en 1919, organise des grèves pour la défense des travailleurs noirs, relayé par le Parti communiste d'Afrique du Sud, créé en 1921.

L'apartheid

En juin 1948, le Parti National et son allié du parti afrikaner arrivèrent au pouvoir avec le programme d'apartheid conceptualisé par la commission Sauer et qui allait être mis en place par l'un de ses concepteurs, le docteur Hendrik Verwoerd, sous l'autorité du nouveau premier ministre, le pasteur Daniel François Malan et de ses successeurs. L’apartheid, en bloquant le système, en figeant les rapports entre races, exclut dorénavant les évolutions simples et pacifiques et devient la pierre angulaire de la politique nationale sud-africaine en s'insérant dans une philosophie précise, fixe, permanente et immuable, bien éloignée de l'ancien concept du Colour Bar.

Concentrations raciales en Afs (1979)

Le but de cette politique raciale est d'officiellement et institutionnellement assurer le « développement séparé » des communautés, sans que l'une exploite une autre, selon les mots de son théoricien, le docteur Verwoerd. L'Afrique du Sud serait une « communauté de nations » distinctes. Tous les individus sont systématiquement catégorisés sur la base de leur appartenance à un groupe racial ou ethnique : blanc, bantous, indiens, métis ... (la différenciation entre afrikaners et autres Blancs a finalement été abandonnée). Le mariage est réglementé et interdit entre Blancs et Noirs.

L'apartheid procède alors d'un renversement de logique par rapport à la période précédente : il ne s'agissait plus de maintenir l'unité de la nation mais de sacrifier l'intégrité territoriale et les relations sociales au profit d'un ordre racial[53]. Toute la politique du gouvernement fut alors de recréer des états ethno-linguistiques homogènes à partir des réserves ethniques préexistantes. Il fallait alors pour le gouvernement d'abord distinguer et définir les différentes communautés ethno-linguistiques du pays. Ce texte fondamental, pilier de toutes les autres lois d'apartheid, fut la loi d'enregistrement de la population (Population Registration Act), adoptée en 1950 qui définit les 4 principaux groupes raciaux (Blancs, Coloureds, Noirs, asiatiques) et établit des critères d'appartenance raciale. Ce texte de référence allait être le support de tous les autres textes législatifs et réglementaires relatifs à l'apartheid. Ainsi en découlaient les textes sur l'habitat (Group aeras act), l'enseignement (Bantu Education Act), les mouvements des personnes, l'emploi et tout ce qui avait trait à la vie sociale.

Seuls les Blancs bénéficient alors des garanties d'un régime démocratique, puis dans une moindre mesure à partir de 1984, les Indiens et les métis. Le professeur américain Lyn Boyd Judson note que les sud-africains noirs se considèrent pour leur part, durant la période s'étalant de 1940 à 1990, comme des « esclaves dans leur propre pays », terme que les noirs sud-africains contemporains utilisent pour évoquer cette période[54].

Application du Grand Apartheid

Le ministre des affaires indigènes était de facto le chef des africains du pays. Tous les commissaires et tous les chefs de tribus, en zone rurale, étaient responsables devant lui. Son pouvoir était aussi total sur les africains urbanisés.

En 1950, Hendrik Verwoerd est appelé par le docteur Malan pour diriger ce ministère et organiser l'apartheid géographique. Considéré comme un visionnaire, et non comme le grand architecte de l'apartheid, Verwoerd donna une impulsion, une direction et un calendrier pour la mise en place du grand apartheid. Il nomma Max Eiselen, professeur d'anthropologie sociale à l'université de Stellenbosch avec qui il partageait les mêmes points de vues sur le tribalisme et le nationalisme noir, pour mettre en forme cette politique. L'obsession que les Afrikaners avaient pour définir leur propre identité est transposée dans les analyses faites pour définir ethno-linguistiquement les différents peuples bantous à travers leur histoire, leur langue, leur culture qui font l'objet d'une relecture et d'un réexamen pour coïncider avec la nouvelle politique raciale, quitte à exacerber les particularismes afin de créer des entités artificielles, proposées voire imposées à des peuples qui n'en veulent pas[55].

Des États ethniques, les Bantoustans (ou Homeland), sont ainsi créés à partir des 263 réserves indigènes déjà constituées sous l'ancienne législation. Économiquement peu viables, limités à seulement 13 % du territoire, ils enferment des populations entières sur des territoires dont la plupart sont privés de richesse naturelle et d'industrie, sans accès au commerce international. Si cette indépendance de façade satisfait parfois les potentats locaux, elle est essentiellement factice.

Les architectes de la division spatiale des terres dans le cadre de l'apartheid

Durant les 8 années de son mandat au ministère des affaires indigènes, sous les gouvernements Malan et Strijdom, Verwoerd rénove son département ministériel qu'il scinde en deux en 1955 pour former le département des affaires bantu et celui de l'éducation bantu.

La politique alors menée pour organiser le grand apartheid repose sur le renouveau des structures tribales, privilégiant l'aristocratie et les forces traditionnalistes africaines, alors en perte de vitesse sur tout le continent africain. La hiérarchie tribale fut rehaussée afin de recréer de nouvelles structures pour l'administration locale qui devaient dorénavant d'avantage reposer sur les chefferies et non plus sur les commissaires du gouvernement[56]. Le Bantu authorities act en 1951, abolissant le conseil représentatif indigène, instaura à la place des autorités tribales, régionales et territoriales, fondées sur des critères géographiques et ethniques. Leurs compétences relevaient du domaine administratif et judiciaire alors que le droit tribal coutumier était revalorisé. En l'absence de chefs reconnus, une autorité communautaire était instituée avec des conseillers traditionnels reconnus. Toutes ces autorités tribales, dont les fonctions étaient entre autres de maintenir l'ordre, de percevoir les impôts et de s'occuper des registres d'état civils, étaient salariées du gouvernement central sud-africain. Cette loi fut complétée en 1959 par la Bantu Self Government Act élargissant les compétences de ces autorités. L'application de la loi fut néanmoins lente car elle imposait au gouvernement de persuader l'aristocratie locale d'accepter les nouvelles structures. En dépit de l'hostilité des africains urbanisés, l'aristocratie tribale en zone rurale fut séduite et dès 1953, les premières autorités tribales furent établies dans les réserves indigènes du Transvaal, du Cap et du Natal. Il y eu cependant de fortes résistances, notamment au Zululand au Sekhukhuneland et au Transkei, d'autant plus que le système mis ainsi en place favorisait les nobles les plus dociles au pouvoir. En accordant aux chefs tribaux les responsabilités des commissaires aux affaires bantous, la nouvelle structure organisationnelle des réserves allait aussi favoriser la corruption au plus haut niveau des autorités régionales.

Alors que Verwoerd et les anthropologues du ministère des affaires indigènes mettaient en place ces structures tribales, le gouvernement avait mandaté le professeur Tomlinson pour faire un rapport sur la viabilité économique de ces réserves. Les conclusions du rapport Tomlinson allaient notamment amener le gouvernement à envisager la séparation territoriale de ces territoires. Alors que jusqu'en 1948, l'Afrique du Sud réclamait l'incorporation du Bechuanaland, du Basutoland et du Swaziland à son territoire, les gouvernements successifs de la période d'apartheid allaient mener une politique inverse souhaitant, en raison de leur lien ethno-linguistique, l'incorporation du Bophuthatswana avec le Botswana et le QwaQwa avec le Lesotho. Répondant ainsi à l'Afrique décolonisée par le biais de la création de ces états ethniques, le gouvernement de Pretoria pensait ainsi pouvoir créer une république sud-africaine constituée majoritairement de blancs (les métis et les indiens n'étant pas concernés par la politique des bantoustans)[57]. Dès le départ, il est envisagé à terme d'accorder l'autonomie interne aux futurs bantoustans sans pour autant leur accorder la pleine souveraineté[58].

Dénonçant la misère économique des réserves, le groupe d'études de Tomlison faisaient également un certain nombre de propositions pour assurer leur viabilité économique, notamment au niveau agricole, mais aussi envisageait une nouvelle carte géopolitique de toute la sous-région avec une redistribution spatiale des frontières à partir de critères ethno-linguistiques. En proposant un développement économique général de territoires africains, sur lesquels vivraient 10 millions de personnes et en critiquant certains des aspects de la politique des bantoustans, notamment leurs faibles ressources et superficies, le rapport Tomlison fixait aussi et surtout des objectifs qui étaient financièrement ambitieux et couteux, comme la création au sein de ces territoires non seulement d'industries mais aussi d'une centaine de villes équipées. À long terme, condamnant implicitement la politique des bantoustans, le rapport estimait que si toutes ses recommandations, notamment financières, étaient respectées, les bantoustans ne recevraient que 60% de la population noire d'Afrique du Sud à l'horizon 1981, laissant encore les blancs en minorité en zone blanche[59].

Les estimations financières demandées dans le rapport Tomlison ne furent pas mises en œuvre. Néanmoins, la politique des bantoustans continua.

En 1964, Verwoerd proclama officiellement que leur évolution naturelle était la partition effective du territoire sud-africain et leur indépendance. De 1956 à 1977, une dizaine d'autorités territoriales tribales furent établies et 4 d'entre eux à commencer par le Transkei devinrent indépendant mais non reconnus par la communauté internationale.

Les principales lois d'apartheid

Panneau bilingue (anglais / afrikaans) formalisant la ségrégation raciale au profit de la population blanche dans le cadre de la politique d'apartheid
1949
  • Loi sur l'interdiction des mariages mixtes (Prohibition of Mixed Marriages Act)
1950
1952
  • Loi sur les laissez-passer (Pass Laws Act) faisant obligation aux Noirs ayant plus de 16 ans d'avoir sur eux un laissez-passer en l'occurrence un document ressemblant à un passeport qui stipulait s'ils avaient une autorisation du gouvernement pour être dans certains quartiers qui leur étaient interdits par le Group Areas Act.
1953
  • Loi sur les commodités publiques distinctes (Reservation of Separate Amenities Act) ségrégant les toilettes, fontaines et tous les aménagements publics[63].
  • Loi d'éducation Bantoue (Bantu Education Act), concernant le programme scolaire des Noirs.
  • Retrait du droit de grève aux travailleurs noirs, interdiction de la résistance passive.
1954
  • Loi de relocalisation des indigènes (Native resettlement Act) : permet de déplacer les populations noires vivant en zones déclarées blanches.
1956
  • Loi sur le travail et les mines (Mines and Works Act) formalisant la discrimination raciale dans le monde du travail.
1959
  • Loi sur la promotion de gouvernements noirs autonomes (Promotion of Bantu Self-Government Act) créant les bantoustans sous administration des non Blancs.
1970
  • Loi de citoyenneté des Noirs des homelands (Black Homeland Citizenship Act) retirant la citoyenneté sud-africaine aux Noirs issus de communautés ethniques relevant de bantoustans déjà créés.
1974
  • Décret sur l'Afrikaans, obligeant toutes les écoles, mêmes noires, à dispenser en afrikaans tous les enseignements de maths, de sciences sociales, d'histoire et de géographie du niveau secondaire.
1976
  • Loi sur l'interdiction de l'accès à la formation professionnelle aux Noirs.

Évolution et condamnation internationale de l'apartheid

Le système génère des frustrations, bien sûr chez les Noirs et autres groupes désavantagés qui trouvent en l'ANC un de leurs principaux porte-parole, mais aussi chez certains Blancs libéraux, représentés notamment d'abord par le Parti Progressiste.

Le gouvernement réagit de manière souvent violente, au mépris des idéaux démocratiques qui sont censés le fonder. Les contestataires sont condamnés et emprisonnés.

À partir de 1953 et de l'entrée en vigueur de la loi concernant les accès aux services et aux lieux publics, les panneaux «Europeans Only»(Seulement pour Européens) «Native only» (Seulement pour Natifs)et «Coloured Only» (Seulement pour Métis)[7] devenus obligatoires se multiplient dans tous les lieux publics du pays[64].

Les premières campagnes d'oppositions à la mise en place de l'apartheid remontent à 1952 (« campagne de défiance »). En 1955, à Kliptown, l'ANC, le parti communiste sud-africain (clandestin), le Congrès des démocrates et plusieurs autres mouvements d'opposition à l'apartheid adoptent une charte de la liberté par laquelle ils adoptent le principe d'abrogation de toute discrimination raciale en Afrique du Sud, l'instauration d'un régime démocratique et un programme politique oscillant entre inspiration communiste (nationalisations, réforme agraire) et socialiste (salaire minimum, semaine des 44 heures, couverture sociale)[65]. À la suite de ce congrès de Kliptown, 156 personnes sont arrêtées et inculpées de haute trahison pour avoir prôné le renversement du gouvernement. Le 29 mars 1961, la justice sud-africaine acquitte l'ensemble des inculpés, admettant dans le verdict que l'ANC ne pouvait être reconnu coupable d'avoir défendu une politique visant à renverser l'état par la violence[66]. Ce « procès de la trahison » fut, selon Nelson Mandela, l'un des inculpés, l'une des dernières manifestations de l'état de droit dans le pays.

En 1956, le successeur de Malan, Johannes Strijdom, supprima le droit de vote résiduel des personnes de couleur (métis et Noirs) sur les listes électorales communes de la province du Cap.

Le mouvement anti-apartheid pourtant se divise notamment en 1959 quand les radicaux quittent l'ANC pour fonder le Congrès panafricain (PAC).

Après le massacre de Sharpeville, la destruction en place publique de leurs laissez-passer par plusieurs milliers de noirs sud-africains et la mise en place de l'état d'urgence décrété par le gouvernement le 8 avril 1960, l'ANC et le PAC sont à leur tour interdits en vertu de la loi de suppression du communisme. Sur le plan international, la situation de l'Afrique du Sud se détériore pour la première fois, ce qui se manifeste par son exclusion de l'Organisation mondiale de la santé, de l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture et du bureau international du travail.

En 1961, Umkhonto we Sizwe (MK), branche militaire de l'ANC est fondée et lance une campagne de sabotage. Les premières attaques concernent des bâtiments officiels mais, rapidement, les chefs de MK sont arrêtés en juin 1963 à Rivonia et en juin 1964 seront condamnés à la réclusion à perpétuité. Parmi, eux, on trouve Nelson Mandela - lui-même arrêté en août 1962 - , qui est aussi condamné avec 8 des 9 autres prévenus à la réclusion à perpétuité.

En fait, à partir des évènements de 1960 et 1961, le régime se replie dans un réflexe de camp défensif (le « laager » propre à l'imaginaire politique sud-africain)[67] destiné à empêcher l'intrusion du communisme dans le pays. Ce repli se manifeste d'abord lors de la proclamation de la république le 31 mai 1961 (adopté par référendum par 52 % des électeurs dont les 3/4 des électeurs du Tranvaal, de l'état libre d'Orange et du Cap), jour symbolique de la défaite des Boers en 1902.

Ce repli s'accompagne d'une modernisation des concepts surtout après la mort d'Hendrik Verwoerd en 1966 et jusqu'au gouvernement de Pieter Willem Botha (fin des années 1980). L'idéologie de l'apartheid se modernise alors constamment[68].

Cette modernisation est complexe. D'une part, suite à la proclamation de la république, les discours de la classe dirigeante afrikaner ne se focalisent plus sur la défense de l'identité afrikaans mais sur les concepts de nation sud-africaine dont celle de la nation blanche d'Afrique du Sud regroupant anglophones, afrikaners et lusophones, dans un effort d'incorporation des groupes européens du pays. Ceux-ci, au travers de leur expression politique qu'est le parti national, n'en revendiquent pas moins « le droit historique et le devoir de maintenir leur souveraineté sur l'Afrique du Sud », alors que les Noirs ne sont plus présentés comme inférieurs mais comme différents[69]. Elle s'accompagne d'une stratégie politique d'alliance intérieure progressive avec les groupes métis, indien et asiatique du pays qui se caractérise, sous Pieter Botha, par la création en 1984 de chambres parlementaires pour chacun de ces groupes définis racialement.

D'autre part, le régime d'apartheid qui argumente sur le plan diplomatique sur la base de sa mission de défense des valeurs occidentales en Afrique et de bastion contre le communisme athée, engage une déstabilisation extérieure de ses voisins (avec le soutien du bloc occidental) pour contrer la progression des régimes marxistes en Afrique, soutenus par Cuba, la Chine ou l'Union soviétique (principalement l'Angola et le Mozambique à partir de 1975).

Si dans les années 1970, les Afrikaners n'ont plus la crainte pathologique de perdre leur identité nationale qui s'affirme d'ailleurs au travers de l'État sud-africain, militairement fort et économiquement puissant, ils sont néanmoins ébranlés dans les années 1980, par trois facteurs qui remettent en cause leur foi dans la suprématie naturelle des Afrikaans: les condamnations internationales dont l'Afrique du Sud fait l'objet pour sa politique d'apartheid (en 1973, une convention internationale votée par l'assemblée générale des Nations Unies qualifie l'apartheid de crime contre l'humanité[70] ); la montée de la contestation interne des Noirs à partir de 1976; l'opposition grandissante des pasteurs afrikaans, issus de l'église réformée hollandaise (qui condamne l'apartheid en 1986).

Boycott Apartheid Bus, Lonodn, UK. 1989.jpg

Le gouvernement sud-africain, soumis progressivement à des embargos depuis les années 1970, développe tout un système permettant de contourner les sanctions économiques et industrielles en s'appuyant notamment sur l'internationalisation des grands groupes financiers ou industriels, d'investissements dits off shore et sur des partenaires politico-militaires (Israël et Taïwan en particulier). Le capital afrikaans (majoritaire dans les groupes SANLAM, ABSA, la manufacture d'armes Armscor et le métallurgiste Iskor) contribue notamment à cette stratégie économique et politique destinée à préserver la domination politique de la communauté blanche, conduite par la realpolitik afrikaans[71].

Cette double stratégie des gouvernements sud-africains fut particulièrement rude, sur le plan économique (en traitant la main d'œuvre noire comme une force de travail à bon marché) et politique (état d'urgence en 1976 et de 1984 à 1986, recours à la force policière, dissolution des organisations politiques hostiles) notamment sous les mandats de John Vorster et de son successeur réformiste Pieter Willem Botha (théorie du total onslaught - assaut total en 1979). Les forces légalistes opposées à l'apartheid représentés au parlement sont alors le Parti uni et le parti progressiste, soutenu par Harry Oppenheimer, le magnat de l'or et du diamant et dont la figure de proue au parlement est Helen Suzman[72].

À partir de 1976 et des émeutes de Soweto, le pays est en proie à la montée de la violence politique et de la répression policière dans les townships. Au bout de plusieurs mois d'émeutes, le bilan est de 600 morts. Le mouvement de la Conscience noire, à l'origine des troubles de Soweto, est décapité avec la mort de son chef charismatique, Steve Biko. L'émotion causée par la mort de ce dernier conduit le conseil de sécurité de l'ONU à imposer pour la première fois des sanctions obligatoires contre l'Afrique du Sud en décrétant un embargo sur les ventes d'armes[73]. À partir de 1984, des sanctions financières et économiques sont adoptées.

Des scientifiques sont chargés par les services secrets de travailler sur un programme de diminution du taux de fertilité des femmes noires par le biais d'une substance répandue dans l'eau ou les produits de consommation courante[74]. D'autres procédés sont testés comme l'imprégnation de poison sur des T-shirts portés par des militants de l'ANC. De son côté, Umkhonto we Sizwe, la branche militaire de l'ANC, organise sa guérilla dans des camps d'entrainement en Angola, en Tanzanie ou en Zambie où des actes de torture ou des exécutions sont pratiqués contre les militants accusés d'espionnage. À partir de 1977, elle organise des sabotages et des attentats au sein même de l'Afrique du Sud. Parfois, ces actions restent symboliques (attentat contre des postes de police des townships, contre la centrale nucléaire de Koeberg) mais parfois ce sont de véritables attentats terroristes (attentat de Church Street à Pretoria en 1983, attentat d'Amanzimtoti en 1985, meurtres de fermiers blancs dans le nord et l'est du Transvaal ou de conseillers municipaux ou de policiers noirs accusés de collaboration dans les townships…).

Une famille coloured sur trois générations

Sous la pression de l'opinion occidentale (accompagnée de pressions économiques, notamment en provenance des États-Unis), de la contestation interne, de l'agitation de plus en plus incontrôlable dans les cités noires (les townships), et également de la pression démographique, l'apartheid est assoupli sous le gouvernement de Pieter Willem Botha.

Après avoir autorisé la formation de syndicats noirs (en 1979), Botha entame en 1984 la réduction graduelle des inégalités de salaires entre Blancs et Noirs dans les mines et en 1985, autorise la formation de syndicat inter-raciaux et de partis non exclusivement blancs, du moment qu'ils n'aient pas été interdits par le passé. Ainsi se constituent le Front démocratique uni (en fait vitrine interne de l'ANC interdite) et la COSATU qui en deux ans allaient confédérer 33 syndicats et revendiquer 220 000 adhérents.

En 1985, la loi portant interdiction des mariages mixtes est abrogée.

En 1986, la loi sur les laissez-passer ('Pass Laws Act') de 1952 est abolie, permettant aux Noirs sud-africains pauvres de se déplacer librement en ville, voire de s'y installer. Plus généralement, le gouvernement annonce la suppression des mesures vexatoires de discrimination dans les lieux publics (aussi appelé « petty apartheid »). En 1987, après les élections municipales favorables au parti conservateur, celui-ci fait réinstaller dans les municipalités qu'il dirige les panneaux de ségrégation.

En 1987, la loi de 1922 fixant la liste des emplois réservés aux Blancs est abrogée.

Bien que des négociations secrètes directes entre l'ANC et des membres du parti national soient organisées depuis 1985 avec l'accord du gouvernement, Botha refuse d'aller plus loin dans ses réformes, soucieux de la scission de plus en plus importante entre afrikaners modérés et conservateurs. Ainsi, la répression policière l'emporte durant les dernières années de son mandat alors que le front démocratique uni est à son tour interdit.

L'arrivée au pouvoir en 1989 de Frederik de Klerk modifie la donne politique. C'est au bout de 6 mois de délibération au sein du parti national que cet Afrikaner, jusque là réputé pour ses positions conservatrices, avait accédé au poste de dirigeant du parti avec pour mandat de réformer le système afin de répondre à l'aspiration du vote égalitaire des Noirs et de poser dans un cycle de négociations constitutionnelles, l'intangibilité de certains principes comme l'inviolabilité de la propriété privée et la mise en place de dates butoirs pour bloquer de possibles revendications foncières.

Les partis politiques autrefois interdits sont légalisés et les négociations officiellement entamées dès mars 1990 entre l'ANC et le gouvernement. La majeure partie des lois d'apartheid sont abolies entre 1989 et juin 1991 et un forum constitutionnel est mis en place en avril 1992, suite au mandat spécifique pour négocier avec les partis comme l'ANC, accordé par près de 70 % des électeurs blancs au président sud-africain le 17 mars 1992 lors d'un référendum. Si certains des Afrikaners conservateurs se réfugient dans des utopies communautaristes (Volkstaat), d'autres, qui considèrent aussi qu'ils sont le cœur de la nation blanche d'Afrique du Sud, réinventent le slogan « s'adapter ou mourir » pour conduire l'ouverture politique envers la majorité noire du pays.

Après 4 années de négociations constitutionnelles, les premières élections multiraciales se déroulent en avril 1994, débouchant sur l'élection de Nelson Mandela, premier président noir de la République d'Afrique du Sud.

De 1996 à 1998, une Commission de la vérité et de la réconciliation sillonne le pays pour récolter les témoignages des victimes et des oppresseurs, des partisans ou des opposants à l'apartheid[75], afin de recenser toutes les violations des droits de l'homme commis de 1960 à 1993 et d'éclaircir les crimes et exactions politiques commis au nom du gouvernement sud-africain mais également les crimes et exactions commis au nom des mouvements de libération nationales.

Le rapport final de cette commission a épinglé l'absence de remords ou d'explication de certains anciens responsables politiques du régime d'apartheid (Pieter Botha, Frederik de Klerk, Magnus Malan) mais aussi le comportement de certains chefs de l'ANC, notamment dans les camps d'entrainements d'Angola et de Tanzanie. Des poursuites judiciaires ou des amnisties ont été recommandées (quand les motivations d'auteurs de crimes ou de délits étaient essentiellement politiques), d'autres ont été refusées. La plupart de ceux qui avaient été inculpés devant les tribunaux comme Magnus Malan ou Wouter Basson ont été acquittés pour insuffisance de preuves, ou parce qu'ils avaient obéi aux ordres.

Représentation dans les arts et les lettres

Le musée de l'apartheid à Johannesburg relate depuis 2001 cette période historique de l'Afrique du Sud

Livres et romans dont le contexte est relatif à l’apartheid en Afrique du Sud

  • L'Alliance (The covenant) de James A. Michener : roman historique consacré à l'histoire de l'Afrique du Sud et des Afrikaners, de la préhistoire à la mise en place de l'apartheid.
  • Le Serpent vert, Le dernier safari et la piste du Renard, de Wilbur Smith : romans ayant pour cadre les luttes politiques au sein de la communauté blanche (Afrikaners/Anglophones) et entre Blancs et Noirs en Union puis république sud-africaine.
  • Une saison blanche et sèche : roman d'André Brink consacré à la prise de conscience d'un Afrikaner de la situation sociale et politique des Noirs sous la période d'apartheid
  • Un long chemin vers la liberté : Autobiographie de Nelson Mandela
  • Les amants de l'apartheid, Madge Swindells : histoire d'amour et d'amitié entre trois amis (l'un blanc, l'autre noir et la dernière métis) durant l'apartheid
  • Het Huis van Mama Pondo de Aster Berkhof : histoire d'une famille noire dans les années 1950-60 lors des mouvements pacifiques contre les lois ségrégationnistes.
  • Asking for Trouble et Biko (1978) : livre du journaliste Donald Woods
  • La lionne blanche (1993) : Roman policier d'Henning Mankell
  • Un arc-en-ciel dans la nuit (2008) par Dominique Lapierre, épopée romano-historique consacré à l'histoire de l'Afrique du Sud, de l'arrivée des Blancs au Cap en 1652 à l'élection de Nelson Mandela comme premier Président noir de l'Afrique du Sud en 1994.

Films à propos de l’apartheid

Groupe musicaux et œuvres à propos de l'apartheid

Notes et références

  1. Le mot « à part » fut transposé en néerlandais pour devenir "apart" auquel fut ajouté le suffixe "heid" - « le fait de » ou « la situation de »
  2. TD de l'UFR de géographie de Paris 1 sur l'organisation des espaces urbains
  3. Antoine Bullier, Université Paris 1, Apartheid:l'écriture d'une histoire 1940-1990, Palabres Vol. V,n°1, 2003, p 62
  4. Antoine Bullier, ibid, p 57-58
  5. Antoine Bullier, ibid
  6. François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Univers historique, Seuil, 2006, p 359
  7. a et b http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/AFE85005523/probleme-des-races-en-afrique-du-sud.fr.html
  8. La crainte que 8 millions de Noirs ne se soulèvent et balayent les Afrikaners et leur culture de toute la surface de l'Afrique du Sud définissent le swaartgevaar ou « péril noir »
  9. Hermann Giliomée, professeur de sciences politiques à l'université du Cap, Une histoire en mosaïque dans l'Afrique du Sud, riche, dure, déchirée", HS n° 15, novembre 1985, Collection Autrement, p 76
  10. Hermann Giliomée, ibid, p 76
  11. Jacques Suant, Afrique du Sud, du principe à la nécessité, Point de vue, l'Harmattan, 1996, p. 34
  12. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.142-143
  13. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.54
  14. Coloureds : terme qui désigne les personnes qui ne sont ni blanches, ni noires. Le mot ne peut être traduit en français, même par « métis » : lire F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.55
  15. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.154
  16. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.155
  17. William Bellamy, Une identité nouvelle pour l'Afrique du Sud, publications de la Sorbonne, 1996, p 112 et s.
  18. Floris Van Jaarsveld, the afrikaner's interpretation of South African history, Simondium, Le Cap, 1964, p 9-10
  19. déclaration de Daniel François Malan en 1938 lors du centenaire du Grand Trek
  20. William Bellamy, ibid.
  21. George McCall Theal, History of the Boers in South Africa (1887), History of South Africa (5 volumes, 1889-1900)
  22. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, p. 296-297, 2006, Seuil
  23. Emprunt de mysticisme, Du Toit compare l'histoire des Afrikaners à celui d'un peuple élu et le Grand Trek à l’exode des Hébreux tel que relaté dans la Bible - Die Geskiedenis van Ons Land van Ons Volk, Le Cap, Genootskaap van Regte Afrikaners, 1877
  24. Paul Coquerel, L'Afrique du Sud des Afrikaners, 1992, éditions complexe, p. 72
  25. William Bellamy, ibid, p 113-114
  26. Paul Coquerel, p. 101
  27. Paul Coquerel, ibid
  28. Paul Coquerel, ibid, p. 96-97
  29. P. Coquerel, p 65 et s.
  30. P. Coquerel, p 66
  31. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.343
  32. Paul Coquerel, p. 99
  33. Georges Lory, L'Afrique du Sud, Kartala, 1998, p 59-60
  34. Le mouvement métis Afrikaner Nasionale Bond de W.H. Le Grange apporta son soutien au parti national d'Hertzog - Paul Coquerel, p. 101
  35. a et b F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.347
  36. Adriaan van Dis, La terre promise, Actes Sud, 1993, p 84
  37. Paul Coquerel, p 123-124
  38. Paul Coquerel, p. 125 et 135-136
  39. P. Coquerel, p 67
  40. F.X. Fauvelle-Aymar, p 350
  41. HIS 311 Lecture on Southern Africa 1800-1875, Jim Jones, West Chester University of Pennsylvania, 2002]
  42. Frank Genin, Afrique du Sud, le pari, p 22, L'Harmattan, 1995, (ISBN 2-7384-3797-4)
  43. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p. 350
  44. a et b Antoine Bullier, ibid, p 59
  45. P.Coquerel, L'Afrique du Sud des Afrikaners, Complexes, 1992, p 163-164
  46. Histoire de l'apartheid, L'Internaute Histoire. Consulté le 31-08-2007
  47. François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Paris, Seuil, 2006, (ISBN 2020480034), p.342
  48. Frank Genin, ibid, p 22
  49. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.350
  50. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.345
  51. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.357
  52. F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.57
  53. F-X. Fauvelle-Aymard, p 359-360
  54. A medal of good Hope, Mandela, Qaddafi and the Lockerbie negotiations, Lyn Boyd Judson, Université de Californie du Sud, 2004, p 6
  55. Antoine Bullier, ibid, p 62
  56. Antoine Bullier, ibid, p 63
  57. Antoine Bullier, ibid, p 59-60
  58. Antoine Bullier, ibid, p 60-62
  59. Antoine Bullier, ibid, p 66-68
  60. Cette loi fut abolie en 1985 sous la présidence de PW Botha
  61. Cette loi fut abolie le 17 juin 1991
  62. Cette loi fut abolie le 5 juin 1991
  63. Cette loi fut abolie le 16 novembre 1989 par le président FW de Klerk
  64. F-X. Fauvelle-Aymard, p 360
  65. F-X. Fauvelle-Aymard, p.  369
  66. F-X. Fauvelle-Aymard, p.  370
  67. F-X. Fauvelle-Aymard, p.  373 et s.
  68. Philippe-Joseph Salazar, L'intrigue raciale, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989.
  69. Paul Coquerel,L'Afrique du Sud des Afrikaners, Complexe, p 66
  70. Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid
  71. L'une des conséquences de cette politique est que les gouvernements sud-africains post-apartheid des années 1990 et 2000 pourront tirer profit des investissements réalisés dans ses secteurs stratégiques, afin de financer leurs nouvelles orientations économiques et sociales.
  72. F-X. Fauvelle-Aymard, p 374-375
  73. F-X. Fauvelle-Aymard, p 385
  74. Docteur La mort, éditions Favre, page 20, par Tristan Mendès France
  75. [réf. incomplète] Philippe-Joseph Salazar (dir.), Amnistier l’Apartheid, Paris, Le Seuil, coll. "L’Ordre Philosophique", 2004, Introduction

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