Tchouang-tseu

Tchouang-tseu

Tchouang-tseu ou Zhuangzi (trad : 莊子 ; simp : 庄子 ; pinyin: zhuāng zǐ, EFEO: tchouang-tseu, « Maître Zhuang »), de son vrai nom Zhuāng Zhōu (莊周/庄周), est un penseur chinois du IVe siècle av. J.-C. à qui l'on attribue la paternité d'un texte essentiel du taoïsme appelé de son nom - le Zhuangzi – ou encore le « Classique véritable du Sud de la Chine », Nánhuá zhēnjīng (南華眞經/南华真经).

Sommaire

Le personnage

Si Zhuāng Zhōu a réellement existé, on ne sait en tout cas que très peu de choses sur la personne de ce philosophe qui vécut à l'époque des Royaumes Combattants. Les Annales Historiques de Sima Qian rapportent qu'il était originaire du district de Meng (蒙)[1], probablement situé au Sud du fleuve Jaune, à proximité de la capitale de l’État de Sòng (宋國/宋国, Sòngguó), près de l’actuelle Shangqiu au Henan. Elles placent sa vie à l'époque des rois Huì de Wèi (魏惠王, Wèihuìwáng) (389-319 av. J.-C.) et Xuān de (齊宣王/齐宣王, Qíxuānwáng) (350-301 av. J.-C.), ce qui en ferait un contemporain de Mencius, mais ils semblent s’être ignorés. Le Zhuangzi présente le logicien Hui Shi (惠施) ou Huizi (惠子) (380-305 av. J.-C.) comme un ami de l’auteur.

Zhuāng Zhōu aurait occupé une charge administrative subalterne[2]et refusé un poste de Premier ministre offert par le roi Wei de Chu (楚威王)[3]. Il aurait terminé sa vie complètement retiré du monde, menant une vie nomade et proche du peuple.

Il est encore appelé « Zhuāng de Meng » (蒙莊), « le fonctionnaire de Meng » (蒙吏) ou « le vieillard de Meng (蒙叟) ».

L'ouvrage

La pensée de Zhuāng Zhōu nous est parvenue à travers le Zhuāngzǐ, un texte écrit en prose d'une grande qualité littéraire. La version actuelle, à laquelle ont contribué divers auteurs contemporains ou postérieurs, doit beaucoup à son principal éditeur, Guo Xiang, taoïste ayant vécu au IIIe siècle, et peut-être à un autre lettré, Xiàng Xiu (向秀). Guo Xiang n' a conservé que trente-trois chapitres sur les cinquante-deux de l’époque Han, ayant écarté ceux qu’ils jugeait de mauvaise qualité ou d’origine douteuse. Il en a mis en tête sept qu’il considérait comme particulièrement importants, attribués à Zhuāng Zhōu en personne, qui constituent les « chapitres internes » nèipiān (內篇/内篇). Suivent quinze « chapitres externes » wàipiān (外篇) puis onze « chapitres divers » zápiān (雜篇/杂篇) d’auteurs divers. On pense qu’il a remplacé le style poétique d’origine par sa prose. Dans les gloses qui consistent essentiellement en interpolations, il expose sa lecture de l’ouvrage.

Le livre est aussi connu comme « Vrai Classique du sud de la Chine » (Nánhuá zhēnjīng 南華眞經/南华真经), nom attribué en 742 lorsque l’empereur Xuanzong des Tang titra Zhuāng Zhōu « Immortel du Sud de la Chine » (南華真人), du nom des monts du Hunan où l'on disait qu’il s’était réfugié à la fin de sa vie.

La pensée

On présente traditionnellement Zhuāng Zhōu comme un successeur de Laozi. Cependant, certains chercheurs n'hésitent pas aujourd'hui à affirmer l'antériorité du Zhuāngzǐ, au moins des chapitres « internes » qui lui sont attribués. Le terme dao y apparait en effet moins fréquemment que chez Confucius ou Mencius, et on n’y trouve aucune référence à Laozi ni à son texte, contrairement aux chapitres « externes » et « divers ». « Zhuangzi ignorait qu’il était taoïste.», est allé jusqu’à dire A. C. Graham. Les différents courants représentés dans l'ouvrage ont en tout cas en commun l'opposition aux confucéens, la promotion de l’individualisme et d'un certain anarchisme. Les spécialistes s’accordent en général pour voir dans les chapitres 8 à 10 et une partie du chapitre 11 une école proche du Laozi. Liú Xiàogǎn (劉笑敢/刘笑敢) rattache les chapitres 12 à 16 et le chapitre 33 au courant huanglao. Les chapitres 28 à 31 se démarquent nettement du reste et offrent une grande ressemblance avec des passages connus des Annales de Lü. Graham considère qu’ils proviennent de l'école de Yang Zhu, philosophe du IVe siècle av. J.-C.

Le Zhuāngzǐ a été classé sous les Han dans le même courant que le Laozi et y a rapidement pris une place déterminante. Le terme Laozhuang (老莊) est rapidement devenu un synonyme de taoïsme. Si le Laozi a la prééminence sous les Han, ayant été semble-t-il une référence jusque pour certains confucéens, le Zhuāngzǐ, plus mystique, individualiste et anarchiste, croît en influence avec la désagrégation de l’empire et influencera le bouddhisme chinois, en particulier le Chan.

Les nombreux philosophes occidentaux qui se sont intéressés au XXe siècle à la philosophie du Zhuāngzǐ l'ont souvent qualifiée de scepticisme, de perspectivisme ou de relativisme.

Le concept central du Dao () peut être défini comme le cours naturel et spontané des choses. Zhuāngzǐ se moque de l'Homme, seul être à tenter de se détacher du Dao en imposant son action et son discours. Or, toutes les tentatives pour discourir sur la réalité visant à acquérir les bases de la connaissance fondatrice de l'action sont vaines étant donné que le discours ne fait qu'opérer des découpages partisans de cette réalité.

La question posée par Zhuāngzǐ est donc la suivante : si le discours n'est pas un instrument approprié permettant d'acquérir des connaissances certaines, que reste-t-il à l'Homme et comment doit-il envisager sa position dans l'univers ? La réponse se situe dans le non-agir (wuwei 無為) qui, loin d'être synonyme d'indolence, de passivité ou de repli, définit l'action en tant qu'elle est conforme à la nature des choses et des êtres. L'Homme est ainsi invité à se débarrasser de son égocentrisme et de sa volonté de plier la réalité à ses fantasmes. Le "Wu" est peut-être pris ici dans son sens étymologique de "dépouillement", plus que de "vide" au sens moderne. Dans une autre optique, le non-agir permet l'action, à l'image de l'immobilité de l'essieu condition sine-qua-non du mouvement de la roue.

Cette recherche d'une position cosmique s'incarne dans la figure du sage qui ne s'embarrasse d'aucune question métaphysique ni d'aucun conflit d'aucune sorte. Retournant à l'origine, il puise directement sa force et sa vitalité dans le Dao. Épousant les métamorphoses des dix mille êtres, il est libéré de toute contrainte et n'est plus soumis qu'aux nécessités.

Le non-agir tel que le conçoit Zhuāngzǐ est une démarche strictement individuelle, sans prétention politique, à la différence de la conception de Laozi pour qui le politique est le lieu emblématique où devrait s'exercer toute l'efficacité du non-agir.

Le Zhuāngzǐ contient de nombreuses paraboles courtes souvent teintées d’humour, dont la notoriété dans la culture chinoise s’étend largement au-delà des cercles taoïstes ou lettrés, et qui sont à l’origine de proverbes. Certaines sont mondialement connues, comme Le rêve du papillon : le sage y rêve qu'il est un papillon, et se réveillant, se demande s’il n'est pas plutôt un papillon qui rêve qu'il est Zhuāngzǐ. La question de la nature profonde de la réalité est posée, et fait écho à certains développements des écoles mystiques indiennes (tradition vijñanavada du bouddhisme, tantrisme Kashmirien ou encore Védanta).

Citation

  • Qui s’attache, n’est pas bienveillant. Qui choisit le moment, n’est pas sage. Qui ne sait que pertes et profits sont corrélatifs, n’est pas un homme de bien. Qui agit par renom et se perd, n’est pas un gentilhomme.
  • Mort et vie, conservation et destruction, succès et échec, pauvreté et richesse, compétence et incompétence, calomnie et apologie, faim et soif. Ce sont toutes les alternances du destin. Elles opèrent jour et nuit et on ne peut connaître leurs sources. A quoi bon donc, les laisser troubler notre paix.
  • Nous rêvons que nous festoyons ; l’aube venue, nous pleurons. Au soir, nous pleurons, le lendemain matin, nous partons à la chasse. Pendant que nous rêvons nous ne savons pas que c’est un rêve. Dans notre rêve nous expliquons un autre rêve, et ce n’est qu’au réveil que nous savons que c’était un rêve. Et ce ne sera qu’au moment du grand réveil que nous saurons que c’était un grand rêve. Il n’y a que les sots qui se croient éveillés, ils en sont même parfaitement certains. Princes, bergers, tous uns dans cette même certitude ! Confucius et vous ne faites que rêver ; et moi qui dis que vous rêvez, je suis aussi en rêve.

Voir aussi

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Liens internes

Œuvres du taoïsme :

Liens externes

Références et notes

  1. encore appelé Xiāomeng (蕭蒙/萧蒙 ou 小蒙)
  2. Littéralement « Fonctionnaire de la plantation de sumacs », arbres à laque (qiyuan li 漆園吏) ; les avis sont partagés entre ceux qui considèrent le sens littéral comme représentant sa fonction et ceux qui estiment que Qiyuan est le nom d’un district.
  3. selon le chapitre Qiushui (秋水) du ‘‘Zhuangzi’’

Bibliographie

Traductions

  • Les œuvres de Maître Tchouang, Traduction de Jean Levi, éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2006. Édition revue et augmentée en 2010.
  • Tchouang-tseu - Œuvre complète, traduction de Liou Kia-hway, Gallimard, Paris, 1969, ISBN 2-07-070529-3.
  • Le Rêve du papillon - Tchouang-Tseu, traduction de Jean-Jacques Lafitte, Albin Michel (Spiritualités vivantes), Paris, 1994 / Albin Michel (Spiritualités vivantes poche), Paris, 2008.
  • Aphorismes et paraboles, Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, 2005

Essais sur Zhuāng Zǐ

  • Jean Levi, Propos intempestifs sur le Tchouang-tseu, Allia (Petite collection), Paris, 2004.
  • Jean-François Billeter
    • Leçons sur Tchouang-tseu, Allia (Petite collection), Paris, 2002. (extrait en ligne)
    • Études sur Tchouang-tseu, Allia, Paris, 2004.
  • Kim Soun-Gui, Montagne c'est la mer : Tchouang-tseu et Wittgenstein, La Souterraine/Main courante, 2003.
  • Romain Graziani, Fictions philosophiques du "Tchouang-tseu", Gallimard (L'Infini), Paris,2006.


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Tchouang-tseu de Wikipédia en français (auteurs)

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