Révolution d'Août

Révolution d'Août

Le nom de révolution d’Août (vietnamien: Cách mạng tháng Tám) désigne les événements faisant suite au coup de force japonais du 9 mars 1945 et allant jusqu'à la déclaration d’indépendance de la République démocratique du Viêt Nam, au matin du 2 septembre 1945. Ils se sont déroulés principalement dans le Nord du Việt Nam, de la frontière de la Chine (Cao Bằng et Lạng Sơn) à Hanoï et Hải Phòng.

La révolution d'août voit la prise du pouvoir de fait par le Việt Minh, après près d’un siècle de colonisation française sur le territoire vietnamien. Cet épisode est l'un des préludes à la guerre d'Indochine.

Sommaire

Contexte

Invasion japonaise

Article détaillé : Invasion japonaise de l'Indochine.

En septembre 1940, l'Empire du Japon avait imposé à la France la présence de ses troupes en Indochine française. Il semble que cet accord entre le gouvernement de Vichy et le Japon ait provoqué l’embargo sur les métaux ferreux et les produits pétroliers décrété par Franklin Delano Roosevelt contre le Japon, ce qui a été l'une des causes de l'entrée de l'Empire dans la Seconde Guerre mondiale.

Le commandement japonais n’avait ni le désir ni les moyens d’assurer lui-même l’administration du pays qu’il occupait seulement comme base de départ pour l’offensive contre les Philippines, la Malaisie et la Birmanie à travers la Thaïlande et pour priver la Chine méridionale de la voie de ravitaillement par le chemin de fer du Yunnan.

Dans les villes, l’agitation nationaliste prend de l'ampleur, une rivalité opposant le parti Dai Viêt (nationaliste pro-japonais) au VNQDĐ (Việt Nam Quốc Dân Đảng, nationaliste prochinois, lié au Kuomintang). Le Parti communiste indochinois (PCI), créé en Chine par Nguyèn Ai Quoc, le futur Hô Chi Minh, s'est reconstitué, ses militants se regroupaient autour de leaders, comme Võ Nguyên Giáp, Phạm Văn Đồng, Hoang Van Hoang, Vu Anh et Phung Chi Kien. En mai 1941, le PCI crée la ligue Việt Minh. Dans les "hautes régions", Võ Nguyên Giáp prépare l'Armée populaire vietnamienne à partir de la brigade de propagande armée, avec l'aide du détachement 101 de l'OSS.

Coup de force de mars 1945

Article détaillé : Combats en Indochine (1945).

Après plus de quatre ans de cette coexistence franco-japonaise en Indochine, les Japonais, craignant une invasion des Alliés sur le territoire indochinois, réalisent le 9 mars 1945 un coup de force, en éliminant l’administration et l’armée coloniales françaises de toute l’Indochine.

Au matin du 10 mars 1945 l’Indochine s’est retrouvée sans les Français. Les Japonais ont réussi militairement en une nuit ce que les indépendantistes vietnamiens avaient vainement tenté de faire depuis des décennies. La situation est exceptionnelle pour les nationalistes vietnamiens - qui, pour beaucoup, sont dans la clandestinité ou bien réfugiés en Chine et en Thaïlande - et leur permet d'espérer accéder au pouvoir. L’Empereur Bao Daï, après avoir reçu la visite de l'ambassadeur japonais Yokoyama, proclame le 11 mars l'indépendance de l'Annam et du Tonkin sous le nom d'Empire du Việt Nam, s'engageant dans la collaboration avec le Japon. Dès avril 1945, alors que les militaires rescapés du coup de force et les commandos français parachutés pour rejoindre les Britanniques de la Force 136 manquent de moyens pour mener des actions d'envergure, le Việt Minh reçoit l'aide des services secrets américains.

La révolution d'août 1945

Le 13 août, Hô Chi Minh décrète le soulèvement général contre les Japonais pour prendre le contrôle du pays et désarmer les Japonais avant le retour des Français : le Việt Minh réalise une série d'attaques. Le 14, les indépendantistes ont réussi à prendre un certain nombre de postes japonais dans des provinces comme Cao Bằng, Thái Nguyên ou Tuyên Quang. Le 15 août, l'Empereur Hirohito annonce officiellement la capitulation du Japon. Bao Daï tente de garder la main en déclarant vouloir maintenir l'indépendance[1], mais le Việt Minh est déjà en train de prendre le contrôle de la situation. Le 17 août, les indépendantistes commencent à prendre le contrôle de Hanoi : le drapeau rouge est accroché à la fenêtre de l'opéra. Le 19, les troupes japonaises en Indochine présentent leur reddition, non pas aux Français dont les officiels sont maintenus en détention, mais au Việt Minh, livrant le lendemain aux indépendantistes les bâtiments officiels de Hanoi. Le même jour, Bao Daï lance à Charles de Gaulle « l'appel d'un ami et non d'un chef » en lui demandant de reconnaître l'indépendance; le 20, il adresse un message à Harry Truman[1]. Une importante manifestation manoeuvrée par le Việt Minh a lieu le 19, et la population prend d'assaut le palais du gouverneur royal du Tonkin. Dirigeant une foule de 2000 à 25000 personnes, les indépendantistes parviennent à occuper les bâtiments publics, obtenant des Japonais la libération de 400 détenus et la remise des armes confisquées aux Français en mars[1]. En laissant au Việt Minh la maîtrise du nord du Việt Nam, les Japonais contribuent délibérément à créer une situation impossible pour la France. Des « comités populaires » indépendantistes prennent le contrôle de nombreux villages. Au sud du pays, les communistes disposent de moins d'hommes et doivent composer avec les autres partis nationalistes; les Japonais sont également plus présents militairement. Pierre Messmer et Jean Cédile sont parachutés en Indochine pour y représenter le Gouvernement provisoire de la République française, mais ils sont capturés, l'un par le Việt Minh, l'autre par les Japonais. Le 22 août, le général Leclerc, arrivé à Kandy pour préparer le débarquement de ses troupes, s'entend dire par Lord Mountbatten que Britanniques et Chinois pénètreront les premiers en Indochine[2]. Le même jour, le Việt Minh organise une manifestation à Saïgon, et obtient la création d'un comité provisoire exécutif du Sud Viêt Nam, où il détient sept postes sur neuf. Jean Sainteny, désigné par le GPRF pour remplacer Messmer, arrive de Chine fin août, transporté par un avion américain. Il parvient à débarquer à Hanoï, mais est rapidement isolé par les Japonais, qui pactisent avec les indépendantistes[3].

Le 25 août, Bao Daï abdique et transmet le sceau impérial à un agent Việt Minh. Vo Nguyen Giap proclame la République le même jour[4]. Le 29 août, Hô Chi Minh fait une apparition publique à Hanoi, prenant un bain de foule et décrétant la formation d'un gouvernement dont il s'arroge la présidence et le ministère des affaires étrangères[5].

Dans le courant des mois d'août et de septembre, le Việt Minh s'emploie à liquider la concurrence politique et commet de multiples assassinats, visant notamment le Parti Constitutionnaliste Indochinois, dont le chef Bùi Quang Chiêu est tué, et la secte néo-bouddhique Hoa Hao. La répression vise particulièrement les trotskistes vietnamiens, dont des dizaines sont traqués et abattus. Le 25 août, un service de Sécurité d'État est organisé à Saïgon, sur le modèle soviétique, et multiplie les arrestations. Le Việt Minh crée également un « Comité d'assassinat d'assaut », en grande partie recruté dans les rangs de la pègre, qui pratique intimidations et assassinats. Les exactions commises par des indépendantistes vietnamiens sont souvent d'initiative locale, mais l'appareil du mouvement pousse à la violence[6].

Le 2 septembre, Hô Chi Minh proclame l'indépendance du pays au nom du Gouvernement provisoire de la République démocratique du Viêt Nam.

Après-coup

La situation demeure extrêmement tendue dans les mois qui suivent tandis que les troupes japonaises, encore présentes sur le territoire, demeurent l'arme au pied. Les troupes de la République de Chine investissent le Tonkin, le Việt Minh s'abstenant de résister à leur incursion. Hô Chi Minh tente sans succès de faire reconnaître son gouvernement par les États-Unis[7]. Une division de l'Armée des Indes britanniques pénètre fin septembre dans Saïgon et autorise ensuite les Français du 5e régiment d'infanterie coloniale à y entrer. Les Français, encore peu nombreux, ne reprennent que progressivement et imparfaitement le contrôle du pays. Des négociations complexes débutent entre Français et indépendantistes, dans un contexte de très grande tension politique. A Saïgon, le Việt Minh impose son autorité par la terreur : des personnes arrêtées sont jugées par des tribunaux populaires et exécutées d'une balle dans la nuque, ou bien ligotées en brochettes et jetées dans le Mékong[8]. Le général britannique Gracey tente de ramener l'ordre à Saïgon, décrétant un couvre-feu, suspendant les journaux en langue locale, ordonnant aux troupes vietnamiennes de rendre leurs fusils, et faisant réarmer les prisonniers français à l'instigation de Jean Cédile[9]. Dans la nuit du 22 au 23 septembre, Cédile fait reprendre manu militari les bâtiments administratifs, mettant en fuite les comités révolutionnaires. Le Việt Minh réagit en ordonnant une grêve générale.

Massacres de Saïgon

Les 24, 25 et 26 septembre, des émeutes anti-françaises ont lieu à Saïgon, des élements se réclamant du Việt Minh traquant les Blancs et les métis Eurasiens[10]. Des dizaines de cadavres mutilés sont retrouvés dans les rues de la ville[11]. A la Cité Hérault, résidence habitée par de petits fonctionnaires français, environ 150 personnes sont massacrées dans la nuit du 24 au 25 septembre : l'implication directe du Việt Minh n'est pas certaine, d'aucuns incriminant des criminels de droit commun libérés par les Japonais, ou bien des membres du Binh Xuyen, une secte liée au Việt Minh. Environ 200 personnes sont enlevées[12]; seuls quelques dizaines d'otages seront retrouvés, grâce à une opération commando du Corps Léger d'Intervention[13]. Les Britanniques s'efforcent ensuite de ramener le calme en augmentant leurs effectifs militaires, contraignant également les troupes japonaises à sortir de leur inactivité et à reprendre leurs patrouilles. Avec l'aide de volontaires, l'administration française et ses forces de police recommencent progressivement à fonctionner[14].

Les accrochages se poursuivent avec le Việt Minh, jusqu'à ce que Gracey obtienne une trêve le 2 octobre. Leclerc et le gros des troupes du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient ne débarquent en Indochine que début octobre[15].

Selon Jacqueline Denier, « le nombre des victimes de ces journées des 24-25-26 septembre a pu être estimé à près de 300 Français et à peu près autant de Vietnamiens »[10]. Un monument dédié aux victimes des 24-25-26 septembre 1945 "Morts pour la France" à Saïgon est érigé au cimetière de Nogent-sur-Marne.

Les accords Hô-Sainteny

Un coup de force communiste est redouté par les autres partis politiques vietnamiens, mais le PCI les prend de court en annonçant son auto-dissolution le 11 novembre 1945, tout en demeurant actif dans les faits sous les traits de la ligue Việt Minh. Hô Chi Minh garde ainsi la maîtrise du jeu, en évitant momentanément un conflit ouvert avec ses adversaires politiques. En mars 1946, les accords Hô-Sainteny reconnaissent le Việt Nam indépendant, au sein de l'Union française; mais ils sont rendus caducs dès le mois de juin, par la proclamation de la République de Cochinchine, sur l'instigation de l'amiral d'Argenlieu. A l'été 1946, la conférence de Fontainebleau échoue à régler le contentieux entre le gouvernement français et le Việt Minh. La situation politique débouche à l'hiver 1946 sur la guerre d'Indochine.

Références bibliographiques

  • Jean Lacouture, Hô Chi Minh, Seuil, col. Politique, Paris, 1967
  • Charles Fourniau, Viêt Nam, domination coloniale et résistance nationale, Les Indes Savantes, février 2002 [1]
  • Paul Mus, Viêt Nam. Sociologie d’une guerre, Seuil, Paris, 1952.
  • Viêt Nam . Histoire de la Révolution d'août, Ed. en langues étrangères, Hanoi 1972

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. a, b et c Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 20
  2. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 79
  3. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 204 et 225
  4. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 21
  5. Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, p. 128-129
  6. Jean-Louis Margolin, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 2002, pp. 619-620
  7. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 31
  8. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 44
  9. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, pages 81-82
  10. a et b Les massacres de septembre 1945 à Saïgon
  11. Jean-Louis Margolin, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 2002, pp. 620
  12. Christiane d'Ainval, Les Belles heures de l'Indochine française, Perrin, 2001, p. 291
  13. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 45
  14. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 243
  15. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 85

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