Droit à mourir dans la dignité

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À l'origine, l'euthanasie (gr: ευθανασία - ευ, bonne, θανατος, mort) désigne l'acte mettant fin à la vie d'une autre personne pour lui éviter l'agonie[1].

Dans une acception plus contemporaine et plus restreinte[2], l'euthanasie est décrite comme une pratique (action ou omission) visant à provoquer le décès d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables, particulièrement par un médecin ou sous son contrôle[3].

Sommaire

Définitions actuelles

L'espérance de vie ayant augmenté dans les pays industrialisés de pair avec une modernisation scientifique et technologique de la médecine, la part jouée par la décision médicale dans les décès a augmenté corrélativement à cette hausse. L'accélération de la fin de vie peut englober des formes très différentes, de l'interruption du traitement médical à l'injection de produits létaux, en passant par l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation ou l'administration de sédatifs en dose importante. On estime ainsi que, en Europe, la part de la décision médicale dans les décès concerne 40 à 50% des décès [4]. Mais ces pratiques ne sauraient toutes être regroupées sous le terme « euthanasie », dans la mesure où le but visé n'est pas la fin de vie elle-même. Par ailleurs, certaines pratiques sont acceptées par la législation, d'autres non.

On emploie le mot aide au suicide pour désigner le fait de fournir un environnement et des moyens nécessaires à une personne pour qu'elle se suicide, quelles qu'en soient les motivations. Dans ce cas, c'est le « patient » lui-même qui déclenche sa mort et non un tiers. L'aide au suicide demande une manifestation claire et libre de la volonté de mourir, ce qui la distingue de l'incitation au suicide.

Un autre usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou d'antalgiques risquant de rapprocher le moment du décès.

L'acharnement thérapeutique désigne « une obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté de reconnaître qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable »[5].

L'« euthanasie » animale

Article détaillé : euthanasie animale.

Longtemps appliqué à des pratiques destinées aux seuls humains, le mot est désormais employé pour les autres espèces, et l'on parle alors d'euthanasie animale, effectuée dans l'intérêt supposé d'un animal ou d'un groupe d'animaux, par opposition à l'abattage, effectué dans l'intérêt des humains[6].

Typologie

Classification par les moyens employés

Il est d'usage de séparer l' euthanasie active, qui désigne un acte volontaire en vue d'abréger la vie du patient de l' euthanasie passive, qui consiste à cesser un traitement curatif ou à arrêter l'usage d'instruments ou de produits maintenant un patient en vie. Dans ce dernier cas, on n'utilise aucun moyen hâtant la mort du patient.

Plusieurs associations ou commentateurs récusent la distinction entre euthanasie active et passive, qui leur semble inessentielle. Ils l'accusent de masquer la question fondamentale de l'objectif visé, qui caractérise l'euthanasie, au détriment de la question des moyens, qui se pose purement en termes d'opportunité pratique [7]. L'insistance sur la distinction entre euthanasie active et passive pourrait également entraîner une confusion quant au statut des soins palliatifs [8].

Classification par type de consentement

  1. Euthanasie volontaire : lorsqu'un individu a la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir et qu'il le demande ;
  2. Euthanasie non volontaire, acception 1 : lorsqu'un individu n'a plus la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir mais a précédemment exprimé une telle volonté ;
  3. Euthanasie non volontaire, acception 2 : lorsqu'un individu n'a plus la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir ou de s'y opposer et qu'on ignore quelle aurait été sa volonté.

Étymologie et histoire du terme

Le mot euthanasie est formé de deux éléments tirés du grec, le préfixe eu, « bien », et le mot thanatos, « mort » ; il signifie donc littéralement bonne mort, c'est-à-dire mort dans de bonnes conditions.

Le mot a été inventé par le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), et apparaît dans un texte de 1605:

« L'office du médecin n'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu'il n'y a plus d'espérance, une mort douce et paisible ; car ce n'est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie [...]. Mais de notre temps les médecins [...], s'ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à fond, ils n'épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité[9]. »

Il est défini comme « mort heureuse » dans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), ce qui atteste son emploi en français dès ce siècle. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, il a cet emploi d'« adoucissement de la mort » (« Euthanasie ou Traitement médical pour procurer une mort facile et sans douleur »; William Munk 1888, traduction 1889).

Au XIXe siècle le sens s'infléchit, d'abord, sous l'influence de l'eugénisme dans le sens d'une élimination « douce » de populations « non désirables », puis d'élimination de ces populations sans que le sens de « bonne mort » soit retenu. À ce titre elle intègre l'ensemble des moyens envisagés par les eugénismes scientifiques ou idéologiques pour empêcher ou limiter l'existence de ces populations : stérilisations et avortements forcés, enfermement, déportation, séparation des sexes, etc. Le point culminant de ces pratiques dites d'euthanasie, et leur première réalisation à grande échelle, est le programme Aktion T4 mis en place par le national-socialisme du Troisième Reich en 1939, et qui s'inscrit dans le programme plus large d'hygiène raciale des nazis, dont l'achèvement est la « solution finale », l'élimination planifiée des juifs au premier chef, mais aussi des tsiganes et autres populations considérées indésirables. Selon certains, ce dévoiement du terme (le programme ne visait pas à adoucir la mort ni à épargner des souffrances, et ses victimes n'avaient rien demandé) a parasité les débats sur l'euthanasie pendant toute la seconde moitié du XXe siècle[10].

Après la Seconde Guerre mondiale, le mot est principalement associé à son emploi euphémique et fallacieux de la première moitié du siècle, et à ce titre connoté négativement. Ce n'est que dans la décennie 1970, et dans le cadre de la lutte contre ce qu'on commence à nommer acharnement thérapeutique, que l'on revient à un emploi plus proche du sens initial, tout en lui ajoutant des acceptions nouvelles.

Dès lors que les progrès de la médecine dans la préservation et le prolongement de la vie ont connu des progrès décisifs, s'est posée la question des limites à poser aux pratiques de «maintien de la vie». Le débat public sur ce sujet amena la profession médicale, les philosophes et les théologiens à débattre du sujet de la qualité de la vie, et des droits pour un être humain de déterminer le moment où cette qualité s’est dégradée tant qu'il devient acceptable et licite de mettre un terme à son agonie et sa souffrance, et in fine a amené les États à légiférer en ces matières, dans le cadre de l'arsenal législatif connu en France comme lois de bioéthique.

Un autre élément majeur qui a fait émerger le débat politique sur l'euthanasie est l'abandon graduel du paternalisme médical (où le médecin savait ce qui était bon pour le patient, et donc prenait seul les décisions médicales) pour le respect de l'autonomie du citoyen, qui décide de son propre sort.

L'euthanasie comme pratique et concept

La pratique de l'euthanasie n'est pas un problème nouveau. Il suffit en effet d'être gravement malade pour que se pose cette question. L'euthanasie est donc un problème persistant dans lequel s'affrontent des idéologies de différents horizons.

En Grèce antique, le principe ne posait généralement pas de problèmes moraux : la conception dominante était qu'une mauvaise vie n'est pas digne d'être vécue, c'est pourquoi eugénisme (par exposition) et euthanasie pouvaient, en général, ne pas choquer.

Cependant certains, tel Hippocrate, avaient une conception autre des choses et, dans le Serment d'Hippocrate, il est interdit aux médecins toutes les formes d'aide au suicide:

« je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion »

En France, ce serment a été réactualisé en 1996 par le professeur Bernard Hoerni pour tenir compte des évolutions de la technique, notamment en ce qui concerne le concept d'acharnement thérapeutique :

« Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »

L'euthanasie a en outre été pratiquée par les Celtes. Chez les Gaulois, c'est "le dieu au maillet", Sucellos qui était, selon les croyances, le patron de ces pratiques. En Bretagne armoricaine, surtout dans le Vannetais, un « maillet bénit » (Mel Béniguet) a été utilisé jusqu'au début du XXe siècle pour achever ceux dont la mort s'éternisait sur la demande de la famille et sous l'autorité du prêtre et de quelques notables de la paroisse. L'utilisation du "Mel Béniguet" a été attestée à Guénin, Locmariaquer, Carnac, Guern ou encore Brec'h.

Le concept est défendu par Thomas More, dans son Utopie (Utopia, 1516), où il parle de volontary death, lorsque, à des maux incurables se joignent d'atroces souffrances que rien ne peut suspendre ou adoucir.[11]

Législation et pratique judiciaire

État des législations nationales

La majorité des États ne reconnaît pas ou interdit l'euthanasie et les autres formes d'aide à la fin de vie, mais dans beaucoup d'entre eux, notamment en Europe et en Amérique du Nord, il existe une tolérance implicite ou explicite à l'encontre de ces pratiques, pour autant qu'elles se déroulent dans un cadre réglementé.

  • L'euthanasie est autorisée, sous conditions, dans certains pays européens, comme la Belgique. Aux Pays-Bas, si l'euthanasie reste un crime, une loi du 1er avril 2002 dégage de toutes poursuites les médecins qui auraient (ou auront) pratiqué un suicide assisté sous des conditions extrêmement précises : le Ministère de la Santé déclare que cette pratique "autorise une personne à terminer sa vie dans la dignité après avoir reçu tous les soins palliatifs disponibles". Lire la discussion sur l'euthanasie (en anglais) sur le site du Ministère Néérlandais de la Santé, du Bien-Être et des Sports.
  • Au Luxembourg, après une gestation sinueuse, le projet de loi sur l'euthanasie a été approuvé en voie définitive le 17 mars 2009. L'euthanasie et l'assistance au suicide sont désormais totalement légaux.
  • En Suisse, si l'euthanasie reste interdite, le suicide assisté est en revanche autorisé dans les mêmes conditions que pour les deux pays mentionnés, par le biais de l'association Exit Suisse. (Autres Associations : Exit International, Dignitas, La Chrysalide ...)
  • En France, il s'agit d'un assassinat ou d'un empoisonnement prémédité punissable théoriquement de la réclusion criminelle à perpétuité[12]. Si la loi réprime formellement l'euthanasie et le suicide assisté, entre 1998 et 2005 les textes règlementaires et législatifs ont cependant élargi les possibilités de cessation de l'acharnement thérapeutique et étendu les droits du malade « à une fin digne » ; et dans la pratique judiciaire, la plupart des affaires ressortissant à ces questions donnent le plus souvent lieu, depuis le début de la décennie 2000, à des non-lieux ou à des peines symboliques. Dans le cas d'une personne n'étant pas gravement malade, la simple connaissance du projet suicidaire sans porter secours peut justifier des poursuites pour "abstention délictueuse de porter secours à personne en danger.[13]
Selon un sondage de 2000, 70% du corps médical français se déclarent favorables ou très favorables à l'exception d'euthanasie (acte voulu par le patient ou son représentant, en accord avec l'équipe de soins)[14]. Au cours d'une autre enquête, réalisée par l'INSERM, 45% des médecins généralistes français sont favorables à une légalisation de l’euthanasie comparable à celle des Pays-Bas.
  • Aux États-Unis, par le référendum du 4 novembre 2008, le district de Columbia (Washington DC) a autorisé le recours à l’euthanasie pour les malades en phase terminale[15].
  • Au Canada, où l'euthanasie est un acte condamnable, le 12 décembre 2008, un jury d'Alma dans le Saguenay-Lac-Saint-Jean acquitta Stéphan Dufour, accusé d'avoir aidé son oncle malade à s'enlever la vie.[16]

Affaires ayant trait à l'euthanasie

La justice étant soumise au secret de l'instruction et la définition de l'euthanasie étant difficile, il s'agira ici, de personnes se réclamant auteurs de cette pratique et inquiétées par la justice pour cette raison.

  • En 2009, en Italie, l'affaire Eluana Englaro, dans un coma depuis dix-sept ans, la justice a approuvé sa non-alimentation afin de l'aider à mourir.
  • En 2008, en France, le suicide de Rémy Salvat, agé de 24 ans, relance le débat sur l'euthanasie. Le jeune homme était atteint d'une maladie dégénérative incurable. Il s'est donné la mort le 10 août 2008. Tout comme Chantal Sébire, il avait adressé un courrier au président de la République. Il l'a lu devant la caméra de la réalisatrice Marie-Pierre Raimbault pour l'émission "Cellule de crise" qui a été diffusée sur France 2 en septembre 2008.
  • En 2008, en France, le cas de Chantal Sébire, âgée de 52 ans, défigurée par un esthésioneuroblastome et qui demande au président de la république, Nicolas Sarkozy, le droit de mourir dans la dignité sans avoir à se rendre dans un pays étranger acceptant l'euthanasie. Elle n'a pu obtenir satisfaction.
  • Le 15 mars 2007 en France, le jury des assises de la Dordogne a condamné la docteur Laurence Tramois à un an de prison avec sursis, et a acquitté l'infirmière Chantal Chanel. En 2003, le médecin avait prescrit et l'infirmière avait administré une injection mortelle de potassium à Mme Druais, 65 ans, une patiente atteinte d'un cancer du pancréas en phase terminale. Elles étaient depuis accusées d'empoisonnement. Les juges et les jurés n'ont donc pas suivi totalement l'avocat général Yves Squercioni qui demandait des peines de principes plus lourdes : un an de prison avec sursis contre l'infirmière et deux ans de prison avec sursis contre le médecin. La défense avait plaidé l'acquittement en demandant aux jurés de mettre fin à "l'hypocrisie" entourant selon elle ce débat de société. Le ministère public souhaitait quant à lui des peines symboliques pour que soit rappelé le principe de droit qui interdit à un médecin de donner la mort.
  • En 2006, Piergiorgio Welby avait été, à sa demande, débranché du respirateur qui le faisait survivre. Le médecin a été relaxé par la justice italienne après que l'Ordre des médecins italiens eut approuvé son attitude.
  • En 2005, le cas de Christine Malèvre, infirmière française condamnée;
  • En 2003, l'affaire Vincent Humbert, décédé en France (qui a d'ailleurs accéléré en France le processus de législation sur la fin de vie et les soins palliatifs).
  • L'affaire Terri Schiavo aux États-Unis, au terme de laquelle, les médecins décident de ne pas la réintuber et de la laisser mourir de déshydratation, seule alternative légale en accord avec la loi de l'État.
  • L'affaire Karen Ann Quinlan aux États-Unis.
  • Au niveau européen, la Cour Européenne des Droits de l'Homme se montre très réticente à l'égard de l'euthanasie. On peut notamment le constater dans l'affaire Diane Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, dans laquelle la Cour a refusé de reconnaître un quelconque "droit à la mort" par le biais de l'art.2 CEDH, consacrant le droit à la vie. En effet, pour la Cour, celui-ci ne saurait être interprété sans distorsion de langage de manière négative, c'est-à-dire comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir. Il ne saurait davantage conférer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie. En conséquence, il n'est pas possible de déduire de l'art. 2 CEDH un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique.
  • Affaires Yves le Bonniec, l'un des auteurs du livre Suicide, mode d'emploi, condamné à 2 reprises pour "abstention délictueuse de porter secours à personne en danger" pour n'avoir pas porté secours à des lecteurs désespérés qui lui ont écrit avant de se suicider. Dans l'une des affaires, le délit a été constitué par la simple connaissance du projet de suicide du malheureux sans lui porter secours, la réponse au lecteur établissant qu'Yves le Bonniec connaissait l'intention suicidaire de cette personne.

Arguments pour et contre l'euthanasie

Arguments invoqués pour la dépénalisation ou la légalisation

  • Fin de la souffrance : si les douleurs sont actuellement bien prises en compte et souvent calmées de manière efficace, en particulier dans les services de soins palliatifs, il persiste des souffrances importantes qui ne sont pas des douleurs. Ainsi :
    • la perte progressive du contrôle sur son propre corps, comme dans le cas de maladies neurodégénératives,
    • la sensation d'étouffement,
    • la déformation de son corps, et surtout de son visage,
    • la perte définitive de son autonomie.

Même s'ils s'efforcent de prendre également en compte la souffrance, les soins palliatifs ne peuvent pas toujours l'apaiser complètement, et l'euthanasie reste une porte de sortie.

Très souvent, dans les pays où la pratique est possible, le simple fait que le médecin réponde à un patient qu'il accepterait, le cas échéant, de discuter d'une éventuelle euthanasie diminue les angoisses du malade.[réf. nécessaire]

  • Effectuer une euthanasie dans un cadre médicalisé évite la clandestinité du geste et permet de limiter certaines dérives.
  • Vision de la dignité humaine (comme le remarque le philosophe Simon Blackburn, cet argument est souvent invoqué par les militants « pro-vie » et opposés à l'euthanasie, mais peut tout aussi bien être retourné contre eux  : selon lui, il est impossible de « fonder l'interdiction [de l'euthanasie] sur le respect de la vie (sans parler du respect de la dignité), puisque ce qu'elle [l'interdiction] requiert réellement ce n'est pas le respect envers la vie mais le respect envers l'acte de mourir - c'est-à-dire, le fait de traiter comme sacro-sainte la procédure souvent intolérable, sans aucune dignité, cruelle et douloureuse de notre dissolution naturelle » [17])
    • la maladie est perçue comme une dégradation inacceptable par le patient;
    • la maladie peut entraîner des altérations des facultés psychiques (raison et volonté en particulier) sur lesquelles reposent les valeurs morales de l'Occident ;
    • dépendance très importante ou totale de l'aide d'autrui.
    • sentiment d'inutilité sociale.
  • Vision de la liberté de l'Homme
    • l'Homme est seul titulaire des droits associé à son corps, seul maître de sa vie ; c'est la simple application de la liberté individuelle. Il doit être le seul à décider de ce qu'il veut faire de son corps mais aussi de son esprit, c’est-à-dire de ce qui fait qu'il existe en tant qu'Homme[18].
    • liberté de choix du malade, qui sait mieux que quiconque ce qu'il désire.
  • Conception utilitariste de la morale : l'utilitarisme permet, et éventuellement promeut, le sacrifice de certains au profit du plus grand nombre. Dans cette optique, il est considéré comme légitime d'optimiser l'utilisation des ressources médicales en privilégiant les patients dont la vie peut être sauvée, et de considérer comme un fardeau les ressources destinées à maintenir en vie des gens qui ne peuvent plus rien apporter à la société.

Arguments contre la dépénalisation

  • Raisons d'ordre moral : pour de nombreuses personnes, il existe un interdit général du meurtre voire du suicide qui s'applique à l'euthanasie. Il est basé sur l'idée d'inviolabilité de la vie humaine, qui peut s'appuyer sur des références religieuses. Par exemple, les fidèles des trois monothéismes considèrent la vie humaine comme un don de Dieu, dont l'homme n'a pas la libre disposition. Pour les Chrétiens ou les Juifs l'homme étant en outre créé à l'image de Dieu, sa vie est sacrée et ne diminue pas en dignité en cas d'incapacité.
  • Incompatibilité avec une certaine vision de la pratique des personnels soignants, telle qu'elle apparaît dans les différentes versions du serment d'Hippocrate.
  • Inutilité : une partie des médecins estime que les progrès en matière de traitement de la douleur et de la souffrance (soins palliatifs) rendent l'euthanasie inutile. Ainsi la forte baisse des cas d'euthanasie aux Pays-Bas entre 2001 et 2005 est attribuée par la majorité des médecins à l'amélioration des soins palliatifs[19].
  • En cas d'incapacité de décider (inconscience, lourd handicap mental, démence etc.), la décision doit être prise par quelqu'un d'autre.
  • Risque de dérapage :
    • pressions financières sur le malade à cause du coût élevé des soins pour les proches ;
    • pressions financières pour les plus pauvres, qui risquent de « préférer » mourir rapidement ;
    • pressions morales de la part des proches ;
    • difficulté de changer d'avis à partir d'un certain point (inconscience) ;
    • interférence fréquente entre les notions de souffrance du patient et de souffrance de l'entourage ;
  • Risque de dérive :
    • eugénisme, sélection des individus par rapport à une conception de la vie bonne ;
    • par suite, peut devenir un instrument de domination sociale ;
    • mobile pécuniaire (les héritiers peuvent en profiter pour accélérer un héritage) ;

Euthanasie et religion

Religion catholique

Pour le catholicisme, dont la doctrine à ce sujet a été rappelée par la lettre encyclique Evangelium vitae (L'Évangile de la vie) du pape Jean-Paul II en 1995, l'euthanasie est en opposition directe avec le 5e commandement : « Tu ne tueras point » (Exode XX/13). En conséquence, toute forme d'euthanasie est prohibée.

« (...) l’euthanasie est donc un crime qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience ». Evangelium vitae, n°73[20].

Cette interdiction entre dans le cadre plus général de la dénonciation d'une « culture de mort » des sociétés occidentales pour lesquelles « une incapacité irréversible prive une vie de toute valeur ». Au contraire, pour les catholiques, la profondeur de la vocation surnaturelle de l'Homme révèle la grandeur et le prix de sa vie humaine, même dans sa phase temporelle[21].

Par ailleurs, les soins palliatifs sont acceptés, il est notamment « licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d'amoindrir la conscience et d'abréger la vie » (affirmation de Pie XII rappelée dans Evangelium Vitae, 65). Le Vatican a réaffirmé en septembre 2007 que l'alimentation des patients dans un "état végétatif" était "obligatoire", à propos du cas de Terri Schiavo, une Américaine dans le coma pendant 15 ans et décédée en 2005 après que son alimentation eut été interrompue[22].

Islam

Dans l'islam, l’homme représente l’œuvre divine la plus importante et la plus complexe. Il est la créature qui porte l’empreinte divine et qui représente son pouvoir sur la terre.

L’euthanasie active est interdite juridiquement (shar’an), car elle est vue comme un meurtre, même lorsqu’il agit à selon le souhait du demandeur, en ayant l’intention d’abréger sa souffrance. Le médecin ne pourrait pas être plus miséricordieux envers le patient que Dieu qui lui a donné la vie et qui la lui reprend dans les conditions qu’il veut. La seule chose permise est de laisser la personne mourir naturellement.

L’euthanasie passive ne peut pas être interdite, dans ces cas précis, du fait que la majorité des juristes musulmans n’impose pas les soins médicaux même dans des cas où l’on espère la guérison. Ils considèrent que se soigner fait partie du permis (mubâh), et nullement de l’obligatoire.

Bouddhisme

Pour le bouddhisme, la mort n'est pas la fin du continuum de l'esprit d'une personne et, en conséquence, le suicide est déconseillé. D'une manière générale, le bouddhisme considère la suppression de la vie comme un acte négatif. Par contre, du point de vue du médecin, l'euthanasie peut être un acte de compassion, et son analyse devient délicate et complexe; la condamnation d'une euthanasie n'est pas automatique.[23],[24]

De grands maîtres du bouddhisme tibétain comme Kalou Rinpoché ou Dilgo Khyentse Rinpoché ne sont pas défavorables à l’euthanasie passive. Par contre, le 14e Dalaï Lama met en garde contre l’euthanasie active, expliquant qu’en essayant d’échapper aux souffrances de cette vie, nous pourrions être confronté à ces mêmes souffrances dans une vie future dans des conditions plus difficiles.[25]

Le bouddhisme theravada a une position semblable : selon le code monastique (Vinaya), l'euthanasie active ou le suicide assisté sont des fautes graves, alors que l'euthanasie passive est une faute légère[26].

Œuvres traitant de l'euthanasie

Notes et références

Notes

  1. Le Trésor de la langue française (TLF) la définit comme une « mort douce, de laquelle la souffrance est absente, soit naturellement, soit par l'effet d'une thérapeutique dans un sommeil provoqué » et, presque dans les mêmes termes, le Grand Robert de la langue française (GRLF) comme une «mort douce et sans souffrance, survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes»; l’Encyclopédie Hachette multimedia (EHM) rappelle que le mot « a été créé par le philosophe anglais Francis Bacon, qui estimait que le rôle du médecin était non seulement de guérir, mais d'atténuer les souffrances liées à la maladie et, lorsque la guérison était impossible, de procurer au malade une «mort douce et paisible »; Le Petit Larousse 2007 (PL07) enfin, s'attachant plutôt à une définition légale, la donne comme l’«acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie», et précise qu'il est « illégal dans la plupart des pays ».
  2. Celle retenue par le Petit Larousse
  3. TLF : « Fait de donner délibérément la mort à un malade (généralement incurable ou qui souffre atrocement). Euthanasie agonique»; EHM: « Avec le développement des techniques médicales, il a pris à partir du dernier tiers du XXe siècle un sens nouveau: celui de mettre fin à la vie du patient pour lui épargner des souffrances. On distingue alors l'euthanasie active de l'euthanasie passive, selon que la mort résulte d'un acte positif du médecin ou de l'absence de recours à des thérapeutiques qui auraient pu prolonger la vie » ; PL07 : « Euthanasie passive : acte d'un médecin qui laisse venir la mort d'un malade incurable sans acharnement thérapeutique » ; GRLF : « Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes, ou pour tout motif d'ordre éthique ».
  4. Jablonka, Ivan (2009), L’euthanasie en débat, La Vie des idées, 7 avril 2009.
  5. Avis du comité consultatif national d'éthique.
  6. GRLF: « Le mot ne s'est employé qu'à propos des humains. Il s'est étendu aux animaux que l'on s'applique à faire mourir sans souffrance, ce qu'autorise l'étymologie »; PL07: «Acte comparable pratiqué par un vétérinaire sur un chien, un chat, etc. ».
  7. (en) Stanford Encyclopedia of philosophy, Voluntary euthanasia (voir objection 4)
  8. Par exemple sur le portail Généthique de la fondation Jérôme-Lejeune.
  9. Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, livre II, partie 3, p. 150, Gallimard, 1991.
  10. EHM: « L'exercice d'un “bio-pouvoir” eugénique par le régime nazi a entraîné l'élimination de milliers d'enfants malformés ou handicapés. Cet événement et la condamnation unanime qu'il a suscitée après la Seconde Guerre mondiale ont renforcé les attitudes de rejet de toute forme d'euthanasie »
  11. Thomas More, L'Utopie, Paris, Librio, p 91.
  12. V. not. l'article de Aline Cheynet de Beaupré :Vivre et laisser mourir (D.2003.2980).
  13. voir Suicide, mode d'emploi
  14. enquête d'opinion auprès du corps médical, sur le site de l'association pour le droit de mourir dans la dignité
  15. (en) National ballot questions, Boston.com. Consulté le 5 novembre 2008
  16. http://www.radio-canada.ca/regions/saguenay-lac/2008/12/12/002-stephan_dufour_non_coupable_n.shtml
  17. Simon Blackburn, Review from Times Literary Supplement, 30 septembre 2005.
  18. Juridiquement, le corps humain, considéré comme une "chose sacrée", est un élément extrapatrimonial. Il ne peut donc être question de propriété de celui-ci. Ceci résulte des principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes contenus dans le Code Civil (art. 16 et s.)
  19. Conclusions d'un rapport officiel cité par la Libre Belgique.
  20. Evangelium Vitae, troisième chapitre : tu ne tueras pas - la loi sainte de Dieu.
  21. Evangelium Vitae, Introduction.
  22. Visible sur le site de l'agence de presse Apic.
  23. La santé face aux droits de l'homme, à l'éthique et aux morales, Editions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1996.
  24. Nouvelle Encyclopédie de bioéthique, sous la direction de Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, DeBoeck Université, Bruxelles, 2001.
  25. Sogyal Rinpoché, Le livre tibétain de la vie et de la mort, Editeur Lgf, 2005, ISBN 2-253-06771-7
  26. Educating Compassion, by Thanissaro Bhikkhu

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