Nucléosynthèse stellaire

Nucléosynthèse stellaire

Dans le domaine de l'astrophysique, la nucléosynthèse stellaire est le terme qui désigne l'ensemble des réactions de fusion nucléaire qui ont lieu à l'intérieur des étoiles et dont le résultat est la production de la plupart des noyaux atomiques.

Sommaire

Origine des éléments : un peu d'histoire

L'origine des éléments a posé un problème difficile aux astronomes pendant longtemps. Il a fallu attendre le début du XXe siècle, et l'avènement de la mécanique quantique et de la physique nucléaire, pour qu'une explication satisfaisante soit apportée. Avant cela, aucune explication n'était fournie quant à la genèse des éléments.

Dès l'invention du spectromètre, les astrophysiciens ont commencé à déterminer la composition chimique du Soleil pour la comparer à ce qu'on connaissait à l'époque : la Terre et les météorites.

Une constatation simple s'est imposée : plus la masse atomique d'un atome est grande, moins il est présent dans la nature. Avec trois exceptions notables : le lithium, le béryllium et le bore ne suivent pas cette règle et se trouvent être extrêmement rares dans le Soleil et les météorites.

La compréhension des équations d'Einstein menant à l'idée que l'Univers avait eu un passé extrêmement chaud, George Gamow eut le premier l'idée (en 1942) que tous les éléments pouvaient avoir été formés au tout début de la vie de l'univers, lors du Big Bang. Selon lui, les éléments se formaient par additions successives de neutrons sur les éléments déjà existants suivies de désintégrations béta. Malheureusement pour cette idée élégante il est vite apparu que l'univers se refroidissait alors beaucoup trop vite pour pouvoir fabriquer des éléments plus lourds que le lithium-7 (7Li).

Il fallait donc trouver un autre moyen de les produire.

Les avancées théoriques

En 1919, Jean Perrin puis Arthur Eddington, sur la base de mesures précises effectuées par F. W. Aston, furent les premiers à suggérer que les étoiles produisaient leur énergie par la fusion nucléaire de noyaux d'hydrogène en hélium.

En 1928, George Gamow dériva ce qui est maintenant appelé le facteur de Gamow ; une formule de mécanique quantique qui donne la probabilité que deux noyaux s'approchent suffisamment l'un de l'autre pour que la force nucléaire forte puisse surpasser la barrière coulombienne. Le facteur de Gamow fut ensuite utilisé par Robert Atkinson et Fritz Houtermans, puis par Edward Teller et Gamow lui-même, pour déduire la vitesse des réactions nucléaires aux températures élevées que l'on supposait exister à l'intérieur des étoiles.

En 1939, dans un article intitulé Energy production in stars (Production d'énergie dans les étoiles), Hans Bethe analysa les différentes réactions possibles par lesquelles de l'hydrogène peut se fusionner en hélium. Il y sélectionna deux mécanismes dont il pensait qu'ils étaient la source d'énergie des étoiles.

Dès 1946, Fred Hoyle avait suggéré que les étoiles pourraient être le lieu de formation des éléments. En 1952, on découvre dans le spectre d'une étoile l'élément technétium, dont tous les isotopes sont radioactifs. De plus, la plus grande demi-vie de ses isotopes est de l'ordre de quelques millions d'années, prouvant que ce technétium a été formé dans l'étoile.

Toutes les pièces du puzzle étaient là, il ne restait plus qu'a les assembler de manière cohérente.

1957 : la percée théorique

Quasiment de manière simultanée, deux articles paraissent cette année-là, qui vont révolutionner l'astrophysique. Le premier, signé par Alistair Cameron[1] est publié peu avant celui de Geoffrey Burbidge, Margaret Burbidge, William Fowler et Fred Hoyle[2]. C'est dans ce second article qu'est présentée une théorie complète de la nucléosynthèse stellaire. Cet article est devenu tellement célèbre qu'il est le plus souvent cité dans la littérature par les initiales de ses auteurs : B2FH.

Dans ces deux articles, les auteurs recherchent quelles sont les conditions qui permettent de fabriquer les éléments en les synthétisant, et montrent que ces conditions sont réunies au cœur des étoiles. L'article B2FH brosse un panorama complet de l'origine des éléments, depuis la fusion de l'hydrogène jusqu'à la production des éléments les plus lourds lors des supernovae.

Nucléosynthèse calme

Dans les étoiles se succèdent des phases de fusion (qui peuvent avoir lieu dans le cœur même de l'étoile, ou dans les couches adjacentes à celui-ci) et de contraction. Ces fusions successives vont produire tous les éléments que l'on connaît, jusqu'au fer.

Au début de la vie d'une étoile se trouve un nuage de gaz (principalement de l'hydrogène), qui, pour une raison ou une autre[3], va commencer à se contracter. Avec la contraction, la température augmente progressivement. Quand elle dépasse 10 millions de kelvins la température est suffisante pour que les noyaux d'hydrogène aient assez d'énergie pour vaincre la barrière coulombienne et ainsi fusionner. L'énergie libérée va contrebalancer l'effet de la gravité, et l'étoile atteint un premier équilibre.

L'hydrogène disponible à ce moment-là a été synthétisé lors du Big Bang.

Fusion de l'hydrogène

L'hydrogène est le carburant majeur des étoiles et sa fusion est le premier maillon de la chaîne de nucléosynthèse. Il y a deux manières de transformer l'hydrogène en hélium :

  1. le cycle proton-proton permet de transformer de l'hydrogène en 4He. Ce cycle est divisé en plusieurs réactions. La première réaction de ce cycle permet la transformation d'un proton et d'un neutron en deutérium. Ensuite, selon ce qui est disponible au cœur de l'étoile (donc selon le moment de son évolution auquel se produit cette réaction), par l'intermédiaire du tritium ou de l'hélium-3 avec lesquels les atomes de deutérium vont fusionner, l'étoile va fabriquer de l'hélium-4 ;
  2. le cycle CNO lui se produit à plus haute température, car les atomes qui vont fusionner lors de ce cycles ont des masses atomiques beaucoup plus élevées que l'hydrogène. Une autre condition pour que ce cycle puisse participer à la synthèse d'éléments, c'est que les éléments carbone, oxygène et azote soient présents dans le cœur de l'étoile. La figure détails du cycle CNO précise le cycle CNO. Comme on peut le voir ce cycle est décomposé en trois sous cycles (I, II et III), qui vont chacun produire différents isotopes qui serviront de base au sous-cycle suivant.
Détails du cycle CNO se produisant à l'intérieur d'une étoile.

Globalement, la réaction de fusion de l'hydrogène peut s'écrire de la manière suivante[4] :

4 p \leftrightarrow {}^4{\rm He} + 2e^+ + 2\nu + E.

Cette réaction de fusion de l'hydrogène est la plus exothermique de toutes les réactions qui vont se produire au cœur des étoiles. Comme les étoiles sont composées majoritairement d'hydrogène, elles disposent à ce moment de leur vie d'un combustible en grande quantité, qui leur fournit une grande quantité d'énergie. Cela explique pourquoi les étoiles passent la plus grande partie de leur existence dans cette phase de combustion de l'hydrogène.

Au bout d'un temps dépendant de la masse de l'étoile, la quantité d'hydrogène dans le cœur de l'étoile finit par ne plus être suffisante pour entretenir un taux de réaction suffisamment élevé qui puisse contrebalancer l'effet de la gravitation. Le cœur de l'étoile va alors se contracter. Lors de cette contraction, sa température va augmenter (comme n'importe quel gaz que l'on comprime) de même que sa densité. Quand la température atteint quelque 108 Kelvins, la fusion de l'hélium peut s'amorcer.

Fusion de l'hélium

C'est lorsque cette réaction démarre que la structure en couches d'une étoile se forme. En effet, la température au centre de l'étoile est telle que les couches externes au noyau sont suffisamment chaudes pour que puissent s'amorcer des réactions de fusion.

Article détaillé : Réaction triple alpha.

Deux réactions permettent la transformation d'hélium en éléments plus lourds :

{}^{4}_{2}{\rm He} + {}^{4}_{2}{\rm He} \lrarr {}^{8}_{4}{\rm Be} + \gamma   (1)

{}^{8}_{4}{\rm Be} + {}^{4}_{2}{\rm He} \lrarr {}^{12}_{6}{\rm C} + \gamma   (2)

La réaction (2) a posé un problème à première vue insoluble. En effet on trouve une grande quantité de carbone 12C dans l'univers. Mais des calculs théoriques ont montré que le béryllium 8Be avait une demi-vie de l'ordre de 10-16 secondes. Cela signifie qu'il est hautement improbable que l'on puisse fabriquer du 12C en quantités importantes à partir du 8Be. Pour tenter de résoudre ce problème, Fred Hoyle avait suggéré que la réaction entre le 4He et le 8Be devait être en résonance avec un niveau d'énergie inconnu du 12C. Si ce niveau résonnant existe, alors, la section efficace de la réaction numéro 2 sera considérablement augmentée, la rendant par là même possible. Quelques années après cette prédiction, des mesures en laboratoire ont montré qu'effectivement, cet état excité existait. Ce carbone disponible va pouvoir réagir lui aussi avec les atomes d'hélium présents selon la réaction suivante:

{}^{12}_{6}{\rm C} + {}^{4}_{2}{\rm He} \lrarr {}^{16}_{8}{\rm O} + \gamma

À la fin de la phase de fusion de l'hélium, le cœur de l'étoile est donc composé majoritairement de carbone 12C et d'oxygène 16O. Comme pour la fin de la fusion de l'hydrogène, ce qui se passe ensuite ne dépend que de la masse de l'étoile. Si celle-ci est suffisante, alors le cœur de l'étoile peut se contracter de nouveau. La température et la densité peuvent elles aussi augmenter, et atteindre des valeurs qui permettent successivement les fusions du carbone et du néon.

Fusions du carbone et du néon

La fusion du carbone s'amorce quand la température au cœur de l'étoile dépasse le milliard de kelvins. Trois réactions principales se produisent, pouvant former du sodium, du néon ou du magnésium-23[5] :

  1. {}^{12}_{6}{\rm C} + {}^{12}_{6}{\rm C} \lrarr {}^{23}_{11}{\rm Na} + p
  2. {}^{12}_{6}{\rm C} + {}^{12}_{6}{\rm C} \lrarr {}^{20}_{10}{\rm Ne} + \alpha
  3. {}^{12}_{6}{\rm C} + {}^{12}_{6}{\rm C} \lrarr {}^{23}_{12}{\rm Mg} + n

Si la température du cœur de l'étoile reste proche du milliard de degré, les deux premières réactions sont favorisées. Si au contraire, elle s'élève au-dessus de 1,1×109 Kelvins, alors, c'est la 3e réaction qui est prédominante. Et de même, quand le carbone vient à manquer, le cœur se contracte, la température s'élève. Lorsque celle-ci dépasse 1,2×109, les atomes de néon ont suffisamment d'énergie pour que leur fusion ait lieu. Deux réactions principales ont lieu qui peuvent produire de l'oxygène ou du magnésium-24[6] :

  1. {}^{20}_{10}{\rm Ne} + \gamma \lrarr {}^{16}_{8}{\rm O} + \alpha
  2. {}^{20}_{10}{\rm Ne} + \alpha \lrarr {}^{24}_{12}{\rm Mg} + \gamma

La combustion du carbone et du néon produit aussi des neutrons par les réactions suivantes:

  1. {}^{13}_{6}{\rm C} + {}^{4}_{2}{\rm He} \lrarr {}^{16}_{8}{\rm O} + n
  2. {}^{22}_{10}{\rm Ne} + {}^{4}_{2}{\rm He} \lrarr {}^{25}_{12}{\rm Mg} + n

Dans le processus S les neutrons produits de ces réactions sont absorbés par des noyaux qui ainsi augmentent leur nombre de nucléons. Dans ces noyaux les neutron excédentaires se transforment en protons en émettant un éectron et un neutrino. Le processus S peut produire les noyaux jusqu'au Bismuth 209.


La phase suivante fait intervenir cette fois les atomes d'oxygène.

Fusion de l'oxygène

La dernière contraction du cœur de l'étoile a conduit celui-ci à atteindre une température de plus de 2 milliards de kelvins. À cette température, les atomes d'oxygène fusionnent, et cinq principales réactions ont lieu:

  1. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{28}_{14}{\rm Si} + \alpha + 9.594MeV
  2. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{31}_{15}{\rm P} + p  + 7.678MeV
  3. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{31}_{16}{\rm S} + n + 1.500MeV
  4. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{30}_{14}{\rm Si} + 2p + 0.381MeV
  5. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{30}_{15}{\rm P} + D + 2.409MeV

Alternativement

  1. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{32}_{16}{\rm S} + \gamma  + xMeV
  2. {}^{16}_{8}{\rm O} + {}^{16}_{ 8}{\rm O} \lrarr {}^{24}_{12}{\rm Mg} + 2\alpha + xMeV


Les particules alpha, les neutrons et les protons libérés lors de ces réactions ont suffisamment d'énergie pour participer à la synthèse d'autres éléments. On va donc voir apparaître lors de cette phase un grand nombre d'éléments, tels que le chlore, l'argon, le potassium, le calcium, le titane, etc.

Une fois l'oxygène épuisé, se termine la dernière phase de fusion d'éléments au cœur de l'étoile : la fusion du silicium.

Fusion du silicium

Nous sommes là dans les tout derniers instants de la vie d'une étoile. Comme on peut le voir au tableau Temps de fusion, l'étoile n'a plus que quelques heures à vivre. Le cœur s'est à nouveau contracté, et cette fois-ci, la température atteint près de 3 milliards de kelvins. Les atomes de silicium sont brisés par les photons gamma présents, et libèrent des neutrons, des protons et des particules α qui vont interagir avec les atomes de 28Si présents pour former tous les éléments jusqu'au fer.

Lorsque la quantité de fer est trop importante dans le cœur, et la quantité de silicium trop faible pour soutenir la pression de radiation produite par la fusion, l'étoile est à la toute fin de sa vie.

Nucléosynthèse explosive

La fusion du fer est endothermique, ce qui signifie que la fusion du fer va prendre de l'énergie au milieu, et non pas en fournir. Très vite (quelques secondes selon la masse de l'étoile), la gravitation va l'emporter, et le cœur va s'effondrer sur lui même. La production d'énergie chute brutalement, et l'étoile n'est plus soutenue par la pression de radiation. Toute l'étoile s'effondre alors sur elle-même en implosant. La densité du cœur augmente, jusqu'à atteindre la densité des noyaux atomiques. Dès lors, elle ne peut plus augmenter. La matière qui arrive sur ce cœur lui rebondit dessus. Une onde de choc balaie alors l'étoile, du centre vers les couches externes et rallume la fusion dans ces mêmes couches.

C'est lors de cette explosion que tous les éléments plus lourds que le fer sont synthétisés selon deux processus, le processus R (addition rapide de neutrons) et le processus RP (addition rapide de protons). L'énergie cinétique de la périphérie du noyau effondré s'accroît brutalement, de façon désordonnée autour du noyau central ce qui conduit à de très nombreuses collisions produisant une quantité colossale d'énergie, l'étoile devient supernova qui va éjecter violemment dans l'univers, sous l'effet de l'onde de choc, les éléments lourds que l'étoile a synthétisée ; durant cet effondrement, de nombreuses autres réactions de fusion et de fission partielle vont se produire et former les isotopes les plus lourds (comme le plomb, l'or, le platine, l'uranium, etc.) immédiatement avant d'être propulsés hors de l'étoile sous l'effet de l'onde de choc centrifuge. La masse totale de l'étoile joue un rôle critique dans la nature des éléments formés, à cause de la quantité de neutrons nécessaire à ces fusions et produits par les désintégrations secondaires.

Tableau récapitulatif des durées de fusion

Température Étoile de 0,3 masse solaire Étoile de 1 masse solaire Étoile de 25 masses solaires
fusion de l'hydrogène 4×106 K ; 15×106 K ; 40×106 K ~800 milliards d'années 10-12 milliards d'années 7 millions d'années
fusion de l'hélium 1×108 K S'arrête avant d'atteindre ce stade ~200 millions d'années 500 000 ans
fusion du carbone 1×109 K S'arrête avant d'atteindre ce stade 200 ans
fusion du néon 1,2×109 K 1 an
fusion de l'oxygène 2×109 K 5 mois
fusion du silicium 3×109 K 1 jour

Voir aussi

Notes et références

  1. (en) Alistair Cameron, On the origin of the heavy elements, Astrophysical Journal, 62, 9-10 (1957) Voir en ligne.
  2. (en) Geoffrey Burbidge, Margaret Burbidge, William Fowler & Fred Hoyle, Synthesis of elements in stars, Review of Modern Physics, 29, 547-650 (1957) Voir en ligne.
  3. par exemple le passage d'une onde de choc au travers ce même nuage, ou le passage d'une autre étoile à proximité, etc.
  4. nu (ν) représente un ou plusieurs photons contenant une partie de l'énergie libérée par la fusion sous forme de particule ; l'autre partie est sous forme d'énergie cinétique dans les particules produites de façon explosive, cette dernière énergie étant responsable de l'augmentation de température et de pression du plasma.
  5. Une particule alpha (α) est un noyau d'hélium (4He2+).
    Une particule p est un proton, c'est-à-dire un simple noyau d'hydrogène (1H+).
    Une particule n est un neutron, responsable du rayonnement bêta (1β0).
  6. Une particule gamma (γ) est un photon de très haute énergie (à très courte longueur d'onde).

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Nucléosynthèse stellaire de Wikipédia en français (auteurs)

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