L'Héritier de village

L'Héritier de village
L’Héritier de Village
MarivauxVillageHeir.jpg
Auteur Marivaux
Genre Comédie
Pays d'origine Drapeau de France France
Lieu de parution Paris
Éditeur Briasson
Date de parution 1729
Date de la 1re représentation 19 août 1725
Metteur en scène Comédiens italiens
Lieu de la 1re représentation Hôtel de Bourgogne

L'Héritier de village est une comédie en un acte et en prose de Marivaux représentée pour la première fois le 19 août 1725 par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne.

Sommaire

Personnages

  • Madame Damis.
  • Le chevalier.
  • Blaise, paysan.
  • Claudine, femme de Blaise.
  • Colin, fils de Blaise.
  • Colette, fille de Blaise.
  • Arlequin, valet de Blaise.
  • Grifffet, clerc de procureur.

Thème

Blaise le paysan arrive de la ville joyeux et fier ; il a pris la voiture publique et se fait porter son bagage par Arlequin, qu’il a rencontré. L’héritage de cent mille francs qu’il vient de faire lui en donne les moyens. Il ne peut plus non plus se conduire en villageois et sa femme et lui doivent prendre les belles manières. Comme il est de mauvais goût d’aimer sa femme, il est de bon ton d’avoir une maîtresse. « Si tu as une maîtresse, lui dit sa femme, je pourrai avoir un amoureux ? — Trente plutôt, si tu veux, et je ne verrai rien… », répond-il. Sachant aussi qu’il est de bon goût de ne pas payer ses dettes, lorsque un voisin vient lui réclamer cinquante francs qu’il lui a prêtés, Blaise refuse de les rendre aussi facilement. « Je me déshonorerais, dit-il. Il faut que vous reveniez plusieurs fois. C’est ainsi que cela se pratique dans le beau monde. Prêter, à la bonne heure, c’est gentilhomme, mais s’acquitter, fi donc ! — Eh bien ! prêtez-moi cinquante francs. — Avec plaisir ; les voilà. — Merci, dit l’emprunteur, je déchire votre billet. Nous sommes quittes... Blaise se récrie : c’est malhonnête, ce que vous faites là. Vous allez me mettre à dos tous les gens riches. » Mais les gentilshommes pauvres accourent également : la dame du village, qui est passablement endettée, et un sien cousin, officier gascon, viennent se proposer pour épouser, l’une le fils, l’autre la fille du nouveau riche. Pendant les réjouissances, on apporte une lettre annonçant que le banquier chez lequel était placé l’héritage s’est enfui avec la caisse. Le chevalier et la dame, qui dansaient avec les paysans, tirent leur révérence. Blaise et sa femme n’ont fait qu’un rêve d’ambition.

L’histoire

L’Héritier de Village fut une des pièces de Marivaux les plus mal accueillies du public. Jouée sans nom d’auteur devant une salle à peu près vide, elle n’eut que six représentations, et le Mercure n’en rendit même pas compte. Lorsque les comédiens essayèrent de la reprendre au retour d’un voyage à Fontainebleau, elle n’eut pas plus de succès. Cette pièce pourtant amusante et originale obtint néanmoins un vif succès en Allemagne avec la traduction de Kriegern. Lessing en parle avec un véritable enthousiasme dans sa Dramaturgie de Hambourg, 33e soirée[1].

Une comédie proche de la farce

Ce qui frappe le lecteur moderne lors de la lecture de L'Héritier de Village correspond à ce qui entrave sa lecture, et est dû au fait du niveau social où l'action se déroule. En effet, Marivaux a ici relevé un défi de taille, à la fois face à la critique et face aux techniques littéraires employables, un défi analogue à celui de Molière lors de l'écriture de Dom Juan dans l'Acte II. Ce défi s'agit de l'emploi non pas de ce que les hommes de la Renaissance auraient nommé la langue vernaculaire, mais littéralement celle du peuple, avec toutes ses incorrections, ses erreurs, ses solécismes, ses lourdeurs, sa couleur. C'est ainsi que le texte apparaît aujourd'hui fort difficile d'accès, si ce n'est aux locuteurs francophones du Québec, où la langue orale est demeurée proche de certaines transcriptions phonétiques littérales de Marivaux. Ainsi, Blaise suggère d'aller 'cheux nous' et non pas chez nous; 'quelles' devient 'queulles'; l'adverbe aussi est partout ou presque remplacé par le populaire 'itou'; les termes où le son 'é' était prononcé 'a' par le petit peuple sont ainsi orthographiés, et fréquemment prononcés ainsi au Québec: on lit donc la 'vartu' au lieu de 'vertu', 'impartinent' au lieu d'impertinent', et de la même façon pour 'envars', 'vous varrez', 'balivarnes' et ainsi de suite.

D'autres traits de la langue villageoise ou paysanne ont disparu à peu près partout dans la francophonie au niveau de la phonétique ou de la conjugaison, y compris en Amérique francophone: ainsi pour 'biau' (beau) et 'bian' (bien) et surtout pour l'accord systématique des verbes à la première personne du pluriel lorsqu'une personne s'exprime à la première du singulier. Ce trait du parler populaire est un puissant ressort farcesque ou comique, a fortiori lorsque les personnages prétendent vivre et agir au-dessus de leur condition, par exemple lorsque Colin dit avec orgueil « Je ferons chevalier itou moi! », et Colette ajoute immédiatement avec coquetterie « J'allons porté (sic) le taffetas! » (scène 4)

Marivaux a ainsi insufflé à cette pièce une cohabitation linguistique originale, rappelant les dialogues de Don Juan avec Charlotte et Mathurine dans l'œuvre de Molière. Le Chevalier et Madame Damis s'expriment ainsi dans un français neutre et convenable, proche de celui de Silvia ou d'Araminte, tout alors que les nouveaux riches éphémères gardent leur jargon, ce qui produit des propos qui jurent les uns sur les autres. En ce sens, l'esprit de la farce plane partout au-dessus de la pièce, notamment vu l'insistance de Claudine à se faire appeler 'Madame'.

Peut-être l'esprit farcesque caractérise d'autant mieux cette pièce que la farce se permet davantage d'être cruelle avec ses personnages, et que le burlesque tourne volontiers en dérision ses protagonistes. S'il y a comédie pour le public, c'est sur une sorte de drame que s'achève la pièce : les illusions s'effondrent, ou pis, la fortune méritée échappe à Blaise et Claudine non pas à cause d'un quiproquo, mais d'une escroquerie, ce qui est d'autant plus pathétique. Si, donc, l'atmosphère préserve pourtant cette légèreté typique à Marivaux, c'est du fait de l'esprit de résignation des villageois et paysans qui acceptent sans grand scandale le sort qui les a joués. Une telle duperie qui aurait causé la chute d'une maison bourgeoise ou lésé profondément une maison aristocratique ne s'inscrirait non pas dans une comédie mais dans un drame ou dans une tragédie. Si cette pièce est bien une comédie, malgré cette fin où le couperet de la réalité déchiquette les ambitions et les espérances, c'est parce que l'on ne s'attarde pas à ce dénouement expédié une trentaine de lignes avant la fin, et parce que selon les grandes règles théâtrales, ceux qui ne tombent de nulle part ne doivent cruellement susciter qu'une pitié très superficielle, qui nous touche peut-être davantage nous, habitants du XXIe siècle, pétris de notre esprit de justice et d'égalité.

Le comique de Marivaux dans L'Héritier de village consiste donc essentiellement en la parodie de ces gens qui ont trop vite tâché de prendre de grandes allures, et qui n'en ont tiré que du ridicule. Marivaux, tout en possédant l'esprit des Lumières, s'amuse tel qu'on le fait en son XVIIIe siècle, comme le faisait Molière au 17e dans Le Bourgeois gentilhomme: tenter de jouer un personnage que nous ne sommes pas, pour lequel nous ne sommes pas nés, auquel il est inutile d'aspirer est à la fois grotesque, fat et pitoyable. Et c'est ainsi que surgit le rire, souligné à gros traits par le langage populaire qui colle à la peau des paysans comme une seconde nature et les condamne dès le départ à l'échec.

L'esprit burlesque domine donc partout, et le rire se déploie ainsi souvent aux dépens d'autrui, ce qu'annonce l'apparition d'un personnage portant un nom comme Arlequin dès la première scène: un jeu de rôles qui promet dérision et désillusion. Le rire est ainsi satirique, voire parodique, étant donné la petitesse des nobles présents, leur médiocrité et l'invraisemblance de leur décision d'épouser des paysans brièvement transformés en bourgeois par l'héritage du frère. Marivaux caricature par ce biais la montée en puissance de la bourgeoisie et de la valeur de l'argent au Siècle des Lumières, de la même façon qu'il caricature à l'extrême la ruine qui menace certaines familles aristocratiques, au point ici de devoir renoncer à leur rang. En ce sens, l'esprit des Lumières domine, également et curieusement véhiculé par le personnage du Chevalier (dont le titre et l'absence de patronyme rappellent qu'il a besoin d'une riche héritière), qui certes cherche à abuser la fortune soudaine de ces paysans, mais semble tout de même s'intéresser à Colette en tant qu'être humain et pas en tant que pure inférieure. Cela ne les empêche pas de dévoiler leur opportunisme en abandonnant tout de go Colette et Colin lors de l'arrivée de la mauvaise nouvelle in extremis.

Notes

  1. Traduct. Ed. de Suckau et L. Crouslé, p. 137.

Bibliographie

  • (en) William C. Holbrook, « The Young Widow in Eighteenth Century French Comedy », PMLA, vol. 47, no 4, Dec. 1932, p. 1113-1119.
  • (en) Robin Howells, « Structure and Meaning in the Incipit of Marivaux’s Comedies », The Modern Language Review, vol. 86, Oct. 1991, no 4, p. 839-51.

Source

  • Jean Fleury, Marivaux et le marivaudage, Paris, Plon, 1881, p. 107-8.
  • Gustave Larroumet, Marivaux, sa vie et ses œuvres, Paris, Hachette, 1894, p. 252.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article L'Héritier de village de Wikipédia en français (auteurs)

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