Céramique africaine

Céramique africaine

Céramique d'Afrique subsaharienne

Céramique de Magdalene Odundo, Kenya (1990)
Statue-colonne féminine civilisation Nok (détail). Hauteur 48 cm. Datation : 900 à 1500 ans av. J.-C.

La céramique d’Afrique subsaharienne existe sur le continent africain depuis plus de 8000 ans. Elle est étroitement associée à la vie courante des populations[1].

Ses formes et ses fonctions variées vont de la vaisselle courante aux jarres funéraires ou aux récipients destinés à conserver l’eau, l’huile ou les céréales.

On la trouve également dans les figurines ou statuettes votives ou rituelles, rythmant les passages de l’existence : la naissance, l’initiation, le mariage et la mort. On a retrouvé à Jos des pièces appartenant à la civilisation Nok (Nigeria, 1er millénaire av. J.-C). Les figurines d’argile sont aussi présentes très tôt au Mali (Mopti), au Nigeria (Ife) ou au Tchad (pays de Sao)[2].

On la retrouve enfin dans une vaste gamme d’objets, des longues pipes dotées de fourneaux en terre cuite qui relèvent de l’art de cour et assument la fonction d’objets d’apparat, aux poids de filets de pêcheurs[3].

Sommaire

Matériaux et techniques

Matière première

Termitière du nord de la Côte d’Ivoire, dans la région de Boundiali - Korhogo (région des Savanes)

La première source de matériau provient des mares, vasières et cours d’eau. Cette pâte de base, assez hétérogène, ne permet de produire que des pièces à parois épaisses. Cette argile naturelle est corrigée par incorporation de matériaux d’origine minérale ou végétale. Pour améliorer sa plasticité et abaisser sa température de cuisson, elle va être mélangée à de la cendre, de la paille hachée ou de la céramique broyée (chamotte). Le mélange obtenu est foulé aux pieds jusqu’à obtenir la qualité souhaitée.

Une autre source de matériau argileux provient des carrières mais il est fréquent que soient exploitées les termitières désaffectées. Dans ce cas le matériau le plus recherché se situe au cœur de la termitière. L’argile traitée par les termites est à la fois particulièrement fine mais aussi naturellement enrichie d’additifs qui assurent un très faible retrait et une cuisson homogène aux pièces céramiques. Cette argile, puisée à grande profondeur, broyée et malaxée par les termites, peut être combinée avec d’autres argiles ou de la chamotte, anciens fragments de poteries cuits et broyés.

L’utilisation des termitières comme source de matériau céramique se retrouve en République Centrafricaine (Babinga), Côte d’Ivoire (Baoulé et Bété), Zaïre (Bangala, Uélé), Tanzanie, Sénégal (Bassari), Angola (Va-nyaneka)[4].

Les matériaux sont extraits et transportés « à dos d’homme »[note 1]. Les gisements sont rarement distants de plus de deux kilomètres du lieu de production.

Modelage

La technique la plus fréquemment utilisée est celle de la poterie en colombins. Sur une boule de glaise aplatie sont montés des boudins de terre qui forment peu à peu l’enveloppe de la poterie. Ce type de montage de la terre s’apparente à l’art archaïque de la vannerie.

Poteries des femmes Songhay, Gorom-Gorom Burkina Faso

La poterie est lissée et affinée à l’aide d’un galet tenu à l’intérieur et d’une spatule de bois. La dextérité de la potière lui permet de s’affranchir du tour pour produire une pièce de révolution quasi parfaite. Le martelage répété de la forme de terre, que l’on peut rapprocher du travail du métal[note 2], rend la poterie plus fine et plus résistante. Plusieurs types de battoirs sont utilisés, parfois gravés de motifs qui s’imprimeront dans la terre.

Le montage de pièces importantes exige des temps de séchage intermédiaires afin que la forme supporte sans s’affaisser les couches supérieures. Le degré de séchage est estimé par la potière en fonction de son expérience[5].

Le modelage dans une forme convexe, poterie ou panier en vannerie qui laisse fréquemment sur les jarres l’empreinte de sa texture tressée, est aussi utilisé pour extraire la forme de la boule de glaise. La boule est enfoncée par le poing puis sa paroi est relevée par la pression des pouces.
Le modelage peut également se faire sur l'extérieur d'un pot existant. Celui-ci sert de matrice que la potière recouvre de glaise. Une fois la terre battue et lissée, le pot est retiré et le modelage est poursuivi aux colombins.

L’usage du tour de potier, introduit en Afrique du Nord par les Phéniciens dès le VIIIe siècle av. J.-C., est rare et plutôt utilisé par les hommes. La quasi-absence de tours est révélatrice de la barrière physique créée par les zones désertiques du Sahara dans les échanges techniques et commerciaux.

Lorsqu’ils existent, les tours sont de simples plaques de pierre ou fragment de poterie entrainés par les pieds du potier ou par les soins d’un assistant. Leur rôle est moins le montage d’une forme en argile fluide que la rotation lente d’une pièce en cours de modelage sous le battoir.

Cuisson

Cuisson collective des poteries à Kalabougou, centre potier du Mali

Principale caractéristique des poteries africaines, la cuisson à basse température surprend les chercheurs occidentaux qui ont longtemps considéré qu’elle constituait un retard technologique par rapport aux poteries vitrifiées, à la sonorité plus cristalline. L’analyse plus précise de ces productions a fait cependant ressortir les deux qualités majeures de ce mode de cuisson : une porosité conservée qui assure une évaporation des liquides en surface, refroidissant le contenu et une excellente résistance aux chocs thermiques qui autorise l’utilisation de ces poteries comme ustensiles de cuisson[6].

Les poteries sont usuellement cuites « en meule » sur feu ouvert, hors four. La potière forme une meule avec les pièces à cuire, de la paille, des bûches et des branchages. Les pots fabriqués sont apportés sur le site de cuisson par les femmes et les jeunes filles. À chacun des multiples voyages, les femmes transportent deux pots sur leur tête et un dans leurs bras. La meule une fois formée est mise à feu sur tout son pourtour à l’aide d’un brûlot[7].

La cuisson finale est relativement courte, environ une trentaine de minutes avec une température de 600--650 °C. Elle est cependant précédée d’un temps de séchage au soleil et souvent d’une précuisson à proximité du foyer.

Finition

Céramique anthropomorphe Mangbetu, Congo - musée du quai Branly

Les surfaces sont rarement glaçurées mais peuvent recevoir un engobe avant cuisson.

Les céramiques extraites du foyer peuvent être « étouffées » sur un lit de végétaux ou de matières organiques (crottin). La cuisson réductrice qui découle de cette technique fait passer la poterie du beige clair à une teinte sombre. Les pièces brûlantes peuvent également être plongées dans une mixture à base de fruits écrasés de susun (ou kaki de brousse), et d’écorce de ngonde afin d’obtenir un rouge brillant[8].

On trouve également des pièces à décor géométrique peint après cuisson, soit en utilisant des pigments végétaux, soit même parfois des peintures du commerce.

Les pièces terminées et décorées peuvent encore être soigneusement polies à l’aide d’un galet pour accentuer la profondeur de leur brillant.

Répartition socio-culturelle

La poterie et le travail de la terre sont traditionnellement assurés par les femmes, plus particulièrement pour la poterie domestique et utilitaire. Le champ d’intervention des potiers masculins se concentre sur les pièces à caractère rituel ou funéraire comme dans les tours funéraires des Bakongos Ba Mboma destinées à accompagner le mort ou les têtes de céramique Yorubas à double visage posées sur le corps du défunt.
Cette différentiation dans les productions peut cependant varier dans les diverses cultures africaines. Une potière qui n’est plus en age de procréer peut élaborer des pièces figuratives et non plus seulement des céramiques domestiques, comme si la ménopause l’assimilait désormais à l’homme[note 3].

La production de poteries, du fait de la quantité de combustible nécessaire à la cuisson des pièces, regroupe souvent plusieurs artisans au sein d’une association (tons). La production est donc rythmée par les nécessités techniques autant que par les règles sociales. À Kalabougou, important centre potier du Mali, l’activité des potières est basée sur un cycle hebdomadaire : les potières vont chercher l’argile le mardi et le mercredi, le jeudi et le vendredi servent à façonner les céramiques qui seront cuites le samedi et le dimanche pour être vendues le lundi au marché de Ségou[8].

Caractères stylistiques

Poterie Luba en provenance de Luluabourg, Congo (1908)
Cavalier Nok et son cheval, terre cuite. Hauteur 53 cm. Datation : 1400 à 2000 ans av. J.-C.

La première histoire de l’Afrique s’est écrite grâce à la terre cuite. Les témoignages les plus anciens de la vie des populations africaines sont des objets céramiques. La terre cuite, du fait de sa faible valeur, a rarement été réemployée[note 4] alors que les métaux ont été transformés et refondus tandis que le bois était la proie des termites. C’est donc en terre qu’ont été modelées les plus anciennes figures retrouvées.

En fonction de l’usage projeté, les poteries présentent des finitions et des décors spécifiques :

  • poteries d’usage courant : plats, marmites, cruches, jarres. Elles sont peu décorées, une finition par un engobe et une cuisson réductrice sur un lit de matière végétale leur donne une texture plus fermée et une teinte sombre. Le canari, petite jarre de forme sphérique, est la forme de récipient la plus répandue ;
  • poteries à décors scarifiés : leur surface incisée de motifs géométriques rappelle les scarifications rituelles des visages ou des corps. Les motifs répétitifs peuvent être créés avec une lame aiguisée ou bien en roulant sur le pourtour de la poterie un bâton habillé d’un tissage de vannerie. D’autres objets produisent ces motifs répétitifs : ressorts, molettes de terre cuite. Ces céramiques sont presque toujours peintes à l’aide d’engobes colorés avant cuisson ;
  • poteries figuratives : elles associent un récipient fermé de forme sphérique et un couronnement sculpté. Les motifs font appel à un registre zoomorphe : batraciens, félins, bovidés (ethnie Tikar, Cameroun) ou anthropomorphe : personnages à deux têtes ou visages surmontés d’une coiffe tubulaire (pays Mangbetu, République démocratique du Congo)[2] ;
  • figurines et statuettes : très répandues dans la civilisation nok du Nigéria[3], ces pièces, anthropomorphes ou zoomorphes, peuvent atteindre 1,20 m de haut. Leur paroi d’épaisseur constante assurait une cuisson homogène et démontre l’expertise technique atteinte par les potiers nok. Comme dans la majorité des représentations africaines, la tête est surdimensionnée par rapport au reste du corps et atteint couramment le tiers ou le quart de la hauteur de la statuette. Les caractères stylistiques des représentations nok s’apparentent aux figures égyptiennes. Les migrations transsahariennes pourraient en avoir favorisé la diffusion. L’absence de la fonction de récipient permet de distinguer les poteries funéraires ou rituelles des poteries figuratives.

Ethnies et lieux de production

Afrique de l’Ouest (en vert sur la carte)

Bénin Bénin - Burkina Faso Burkina Faso (Songhay) - Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire - Gambie Gambie - Ghana Ghana - drapeau de la Guinée Guinée - Guinée-Bissau Guinée-Bissau - Cap-Vert Cap-Vert - Flag of Liberia.svg Liberia - Mali Mali (Kalabougou, Mopti) - Mauritanie Mauritanie - Niger Niger - Nigeria Nigeria (Mambila, Bamileke, Ife, Nok, Tikar, Mumuye, Yoruba) - Sénégal Sénégal - Sierra Leone Sierra Leone - Flag of Togo.svg Togo

Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire - Figure funéraire Anyi représentant un musicien, début XXe
Ghana Ghana – Calebasse Akan surmontée d’une figure féminine, fin XIXe - début XXe
Nigeria Nigeria – Personnage reposant son menton sur son genou, sculpture de la civilisation nok Terre cuite, VIe siècle av. J.-C.VIe siècle ap. J.-C.
Nigeria Nigeria – Tête masculine, probablement un serviteur du roi ; sculpture de la civilisation ife. Terre cuite, Nigéria, XIIe-XIVe siècle.

Afrique centrale (en rose sur la carte)

Burundi - République centrafricaine - Flag of Chad.svg Tchad (Sao) - République démocratique du Congo (Mangbetu, Kongo) - Zaïre - Rwanda - Flag of Cameroon.svg Cameroun - Guinée équatoriale - Gabon - République du Congo (Teke)

Régions d’Afrique
Tour funéraire, ethnie kongo, République démocratique du Congo, début XXe. Ces tours, installées sur la tombe du défunt, furent modelées par les hommes jusqu’aux années 1930. Ils utilisaient des tours rudimentaires pour façonner cette poterie funéraire.
Poterie anthropomorphe, ethnie tékés, République du Congo.

Afrique de l’Est et Afrique australe (en orange et en rouge sur la carte)

Jarre à bière, ethnie chewa, Malawi, début XXe siècle. Cette jarre à décor de pigments végétaux est destinée à contenir la bière traditionnelle utilisée lors des cérémonies funéraires ou d’initiation.

Bibliographie

  • (fr) Michel Raimbault, La poterie traditionnelle au service de l’archéologie : les ateliers de Kalabougou, Bulletin de l'I.F.A.N, T12, série B, no 3, 1980. Étude complète sur le mode de production et les typologies des poteries de Kalabougou au Mali
  • (fr) Camille Virot, La poterie africaine, ARgiles éditions, collection granit n°3, ISBN 2-909758-23-0
  • (es) Bryan Sentance, Ceràmica, Sus tecnicas traditionales en todo el mundo, Nerea, 2005 (ISBN 84-96431-05-3) 

Notes

  1. Plus exactement « à dos de femme ».
  2. Dans certaines régions d’Afrique, comme le Cameroun, il est fréquent que, dans un couple, l’homme exerce un métier lié au métal ou à la forge tandis que la femme est potière. Ce rapport étroit explique les rapprochements techniques et stylistiques observés entre la metallurgie et la poterie. (Bryan Sentance, Ceràmica, p.17)
  3. Les potières agées décrivent le moment où elles sont passées de la poterie utilitaire à la poterie figurative comme « l’époque où je suis devenu un homme. » (Catalogue Barbier-Mueller)
  4. Les potières Yacouta au Burkina Fasso utilisent cependant des poteries récupérées sur un site archéologique en cours d’érosion pour fabriquer leur chamotte (source : Alexandre Livingstone Smith)

Références

  1. Pierre Salmon, Nouvelle introduction à l’histoire de l’Afrique, Éditions L’Harmattan, 2007, ISBN 2296032656, EAN 9782296032651, numérisé partiellement par Google Books3
  2. a  et b Bachar Rahmani, Exubérance et richesse africaine, Afrique Asie, septembre 2008.
  3. a  et b Catalogue du Musée Barbier-Mueller. Consulté le 26 septembre 2009.
  4. Abiola Félix Iroko, L’homme et les termitières en Afrique, Karthala Éditions, 2000, (ISBN 9782865375936).
  5. Bryan Sentance 2005, p. 48
  6. Christopher Roy, Chemistry of African Potery
  7. (en) Janet Goldner, The women of Kalabougou, article publié dans African Arts, printemps 2007, vol. 40, No. 1, pages 74-79.
  8. a  et b Alexandre Magot, Les potières de Kalabougou et Fabrication et traitements des poteries à Kalabougou

Liens externes

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