Experience de Milgram

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Expérience de Milgram

Pour les expériences de Milgram sur le « petit monde », voir Expériences menées par Milgram

L'expérience de Milgram est une expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. Cette expérience cherchait à évaluer le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et à analyser le processus de soumission à l'autorité; notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet.

Les résultats ont suscité beaucoup de commentaires dans l’opinion publique, mais la méthode utilisée a fait naître critiques et controverses chez les psychologues et les philosophes des sciences.

Sommaire

Déroulement de l'expérience

Fac-similé de l'annonce

L'objectif réel de l'expérience est de mesurer le niveau d'obéissance à un ordre même contraire à la morale de celui qui l'exécute. Des sujets acceptent de participer, sous l'autorité d'une personne supposée compétente, à une expérience d'apprentissage où il leur sera demandé d'appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que de « vérifier les capacités d'apprentissage ».

L'université Yale à New Haven faisait paraître des annonces dans un journal local pour recruter les sujets d'une expérience sur l'apprentissage. La participation devait durer une heure et était rémunérée 4 dollars américains, plus 0,5 $ pour les frais de déplacement, ce qui représentait à l'époque une bonne affaire (le revenu hebdomadaire moyen en 1960 étant de 25 $)[réf. nécessaire]. L'expérience était présentée comme l'étude scientifique de l'efficacité de la punition (ici, par des décharges électriques) sur la mémorisation.

La majorité des variantes de l'expérience ont eu lieu dans les locaux de l'université Yale. Les participants étaient des hommes de 20 à 50 ans de tous milieux et de différents niveaux d'éducation.

La majorité des variantes comporte trois personnages :

  • l’élève ou apprenant (learner), qui devra s'efforcer de mémoriser des listes de mots et recevra une décharge électrique, de plus en plus forte, en cas d'erreur ;
  • l'enseignant (teacher), qui dicte les mots à l'apprenant et vérifie les réponses. En cas d'erreur, il enverra une décharge électrique destinée à faire souffrir l'apprenant ;
  • l’expérimentateur (experimenter), représentant officiel de l'autorité, vêtu de la blouse grise du technicien, de maintien ferme et sûr de lui [a 1].

L'expérimentateur et l'élève sont en réalité des comédiens, et les chocs électriques fictifs.

Dans le cadre de l'expérience simulée (apprentissage par la punition), apprenant et enseignant sont tous deux désignés comme « sujet »(subject). Dans le cadre de l'expérience réelle (niveau d'obéissance, soumission à l'autorité), seul l'enseignant sera désigné comme sujet.

Au début de l'expérience simulée le futur enseignant est présenté à l'expérimentateur et au futur apprenant, on lui décrit les conditions de cette expérience, on l'informe qu'après tirage au sort il sera l'apprenant ou l'enseignant, puis on le soumet à un léger choc électrique (réel celui-là) de 45 volts pour lui montrer un échantillon de ce qu'il va infliger à son élève et pour renforcer sa confiance sur la véracité de l'expérience. Une fois qu'il a accepté le protocole un tirage au sort truqué est fait, qui le désigne systématiquement comme enseignant.

L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur. La majorité des participants continuent à infliger les chocs jusqu'au maximum prévu (450V) en dépit des plaintes de l'acteur.

L'apprenant est ensuite placé dans une pièce distincte, séparée par une fine cloison, et attaché sur une chaise électrique. Le sujet cherche à lui faire mémoriser des listes de mots et l'interroge sur celles-ci. Il est installé devant un pupitre où une rangée de manettes est censée envoyer des décharges électriques à l'apprenant. En cas d'erreur, le sujet enclenche une nouvelle manette et croit qu'ainsi l'apprenant reçoit un choc électrique de puissance croissante (15 volts supplémentaires à chaque décharge). Le sujet est prié d'annoncer la tension correspondante avant de l'appliquer.

Les réactions aux chocs sont simulées par l'apprenant. Sa souffrance apparente évolue au cours de la séance : à partir de 75 V il gémit, à 120 V il se plaint à l'expérimentateur qu'il souffre, à 135 V il hurle, à 150 V il supplie qu'on le libère, à 270 V il lance un cri violent, à 300 V il annonce qu'il ne répondra plus. Lorsque l'apprenant ne répond plus, l'expérimentateur indique qu'une absence de réponse est considérée comme une erreur. Au stade de 150 volts, la majorité des sujets manifestent des doutes et interrogent l'expérimentateur qui est à leur côté. Celui-ci est chargé de les rassurer en leur affirmant qu'ils ne seront pas tenus pour responsables des conséquences. Si un sujet hésite, l'expérimentateur lui demande d'agir. Si un sujet exprime le désir d'arrêter l'expérience, l'expérimentateur lui adresse, dans l'ordre, ces réponses [a 2]:

  1. « Veuillez continuer s'il vous plaît. »
  2. « L'expérience exige que vous continuiez. »
  3. « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »
  4. « Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer. »

Si le sujet souhaite toujours s'arrêter après ces quatre interventions, l'expérience est interrompue. Sinon, elle prend fin quand le sujet a administré trois décharges maximales (450 volts) à l'aide des manettes intitulées XXX situées après celles faisant mention de Attention, choc dangereux.

À l'issue de chaque expérience, un questionnaire et un entretien avec le sujet permettaient de recueillir ses sentiments et d'écouter les explications qu'il donnait de son comportement. Cet entretien visait aussi à le réconforter en lui affirmant qu'aucune décharge électrique n'avait été appliquée, en le réconciliant avec l'apprenant et en lui disant que son comportement n'avait rien de sadique et était tout à fait normal [a 3].

Un an après l'expérience, il recevait un nouveau questionnaire sur son impression au sujet de l'expérience, ainsi qu'un compte rendu détaillé des résultats de cette expérience [a 4].

Variantes

Au total, dix-neuf variantes [a 5] de l'expérience avec 636 sujets furent réalisées, permettant ainsi en modifiant la situation, de définir les véritables éléments poussant une personne à obéir à une autorité qu'elle respecte et à maintenir cette obéissance.

Ces variantes modifient des paramètres comme la distance séparant le sujet de l'élève, celle entre le sujet et l'expérimentateur, la cohérence de la hiérarchie ou la présence de deux expérimentateurs donnant des ordres contradictoires ou encore l'intégration du sujet au sein d'un groupe qui refuse d'obéir à l'expérimentateur.

La plupart des variantes permettent de constater un pourcentage d'obéissance maximum proche de 65%. À noter qu'il peut exister des conditions extrêmes. Ainsi nous pouvons voir apparaître un comportement de soumission à l'autorité de près de 92% (chocs administrés par un tiers), ou au contraire basse (proximité du compère recevant les chocs), ou encore une soumission nulle (décrédibilité de l'autorité).

Tableau des variantes

Voici un tableau synthétique de ces variantes classées par types, et leurs résultats :

Variante Sujets Choc maximal
moyen
Choc maximal (450 V)
Type Variation Sujets Pourcentage
Proximité de l'élève [a 6] Rétroaction à distance (variante de base) 40 405 V 26 65 %
Rétroaction vocale 40 367,95 V 25 62,5 %
Proximité 40 312 V 16 40 %
Contact 40 268,2 V 12 30 %
Importance
de l'autorité
[a 7]
Nouvel environnement 40 368,25 V 26 65 %
Changement de personnel 40 333 V 20 50 %
Absence de l'expérimentateur 40 272,25 V 8 20 %
Immeuble de bureaux à Bridgeport 40 314,25 V 19 47,5 %
Sujets féminins [a 8] Rétroaction à distance 40 370,95 V 26 65 %
Rôle du groupe [a 9] Deux pairs se rebellent 40 370,95 V 4 10 %
Un pair administre les chocs 40 399,75 V 37 92,5 %
Limitations de l'élève
et personnalité du sujet
[a 10]
Conditions préalables à la participation 40 321 V 16 40 %
Le sujet choisit le niveau de choc 40 82,5 V 1 2,5 %1
Changement de statut [a 11] L'élève demande à recevoir les chocs 20 150 V 0 0 %
Un individu ordinaire donne les ordres 20 243,75 V 4 20 %
Le sujet est spectateur 16 373,5 V 112 68,75 %2
L'autorité dans le rôle de la victime 20 150 V 0 0 %
Troubles au sein
de l'autorité
[a 12]
Deux autorités, ordres contradictoires 20 150 V 0 0 %
Deux autorités, une dans le rôle de la victime 20 352.5 V 13 65 %
1. Le pourcentage de sujet administrant le choc maximal ne doit pas être interprété comme une mesure de l'obéissance puisque le sujet est libre de fixer le niveau de choc.
2. Tous les participants ont manifesté leur opposition verbalement. Ce nombre correspond à ceux qui n'ont pas entrepris de s'opposer physiquement à la poursuite de l'expérience en quittant la salle ou en s'interposant.

Résultats

Lors des premières expériences menées par Stanley Milgram, 62,5% (25 sur 40) des sujets menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises les électrochocs de 450 volts. Tous les participants acceptèrent le principe annoncé et, éventuellement après encouragement, atteignirent les 135 volts. La moyenne des chocs maximaux (niveaux auxquels s'arrêtèrent les sujets) fut de 360 volts. Toutefois, chaque participant s'était à un moment ou à un autre interrompu pour questionner le professeur. Beaucoup présentaient des signes patents de nervosité extrême et de réticence lors des derniers stades (protestations verbales, rires nerveux, etc.).

Milgram a qualifié à l'époque ces résultats « d’inattendus et inquiétants ». Des enquêtes préalables menées auprès de 39 médecins-psychiatres avaient établi une prévision d'un taux de sujets envoyant 450 volts de l'ordre de 1 pour 1000 avec une tendance maximale avoisinant les 150 volts[1]

Analyse de Milgram

En plus des nombreuses variantes expérimentales qui permettent de mettre en valeur des facteurs de la soumission, Stanley Milgram propose dans son livre paru en 1974 une analyse détaillée du phénomène. Il se place dans un cadre évolutionniste et conjecture que l'obéissance est un comportement inhérent à la vie en société et que l'intégration d'un individu dans une hiérarchie implique que son propre fonctionnement en soit modifié : l'être humain passe alors du mode autonome au mode systématique où il devient l'agent de l'autorité. À partir de ce modèle, il recherche les facteurs intervenant à chacun des trois stades :

  1. Les conditions préalables de l'obéissance : elles vont de la famille (l'éducation repose sur une autorité dans la famille) à l'idéologie dominante (la conviction que la cause est juste, c'est-à-dire ici la légitimité de l'expérimentation scientifique).
  2. L'état d'obéissance (ou état agentique) : les manifestations les plus importantes sont la syntonisation (réceptivité augmentée face à l'autorité et diminuée pour toute manifestation extérieure) et la perte du sens de la responsabilité. Il constate aussi une redéfinition de la situation en ce sens que l'individu soumis « est enclin à accepter les définitions de l'action fournies par l'autorité légitime ».
  3. Les causes maintenant en obéissance : le phénomène le plus intéressant parmi ceux relevés est l'anxiété, qui joue le rôle de soupape de sécurité ; elle permet à l'individu de se prouver à lui-même par des manifestations émotionnelles qu'il est en désaccord avec l'ordre exécuté.

A contrario, Stanley Milgram s'oppose fortement aux interprétations qui voudraient expliquer les résultats expérimentaux par l'agressivité interne des sujets. Une variante met d'ailleurs en évidence cela, où le sujet était libre de définir le niveau d'intensité. Ici, seule une personne sur les quarante a utilisé le niveau maximal.

Il propose également une série d'arguments factuels pour réfuter les trois critiques qui lui sont le plus souvent adressées : la non-représentativité de ses sujets, leur conviction en ce protocole expérimental, et l'impossibilité de généraliser l'expérience à des situations réelles.

Rôle de l’obéissance dans la société

L'obéissance à une autorité et l'intégration de l'individu au sein d'une hiérarchie est l'un des fondements de toute société. Cette obéissance à des règles, et par voie de conséquence à une autorité, permet aux individus de vivre ensemble et empêche que leurs besoins et désirs entrent en conflit et mettent à mal la structure de la société.

Partant de cela, Stanley Milgram ne considère pas l'obéissance comme un mal. Là où l'obéissance devient dangereuse, c'est lorsqu'elle entre en conflit avec la conscience de l'individu. Pour résumer, ce qui est dangereux, c'est l'obéissance aveugle.

Un autre moteur de l'obéissance est le conformisme. Lorsque l'individu obéit à une autorité, il est conscient de réaliser les désirs de l'autorité. Avec le conformisme, l'individu est persuadé que ses motivations lui sont propres et qu'il n'imite pas le comportement du groupe. Ce mimétisme est une façon pour l'individu de ne pas se démarquer du groupe.

Le conformisme a été mis en évidence par le psychosociologue Solomon Asch dans une expérience qu'il réalisa dans les années 1950.

Les variantes avec plusieurs pairs ont montré que si l'obéissance entre en conflit avec la conscience de l'individu et que le conformisme « impose » à l'individu de ne pas obéir, il se range souvent du côté du groupe. Ainsi, si l'on veut s'assurer de l'obéissance aveugle d'un groupe, il faut faire en sorte que la majorité de ses membres adhère aux buts de l'autorité.

Processus de l'obéissance chez l’individu

L'Homme est un être social, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une certaine autonomie. Lorsqu'il est autonome, l'Homme obéit à ses propres besoins, désirs et à sa conscience.

État agentique

Lorsque l'individu obéit, il délègue sa responsabilité à l'autorité et passe dans l'état que Stanley Milgram appelle agentique. L'individu n'est plus autonome, c'est un « agent exécutif d'une volonté étrangère » [a 13].

Milgram expliquera aussi par la suite que le comportement de la plupart des Allemands (et collaborateurs) sous l'Allemagne nazie étaient assimilables à ceux de cette expérience. En effet, ils suivaient les ordres d'une autorité qu'ils respectaient et étaient un des multiples « maillons » de la chaîne de la déportation des juifs. Un conducteur de train était ainsi « déresponsabilisé » de son travail, tout comme le gardien du camp, etc. et pouvait ainsi attribuer la responsabilité de ses actes à une autorité supérieure.

Rôle de la tension

Le maintien de l'individu dans un état agentique dure aussi longtemps que s'exerce le pouvoir de l'autorité et qu'elle n'entre pas en conflit avec le comportement du groupe (le conformisme) et un certain niveau de tension ou anxiété.

La tension que ressent l'individu qui obéit est le signe de sa désapprobation à un ordre de l'autorité. L'individu fait tout pour baisser ce niveau de tension, le plus radical serait la désobéissance, mais le fait qu'il ait accepté de se soumettre l'oblige à continuer à obéir. Il fait donc tout pour faire baisser cette tension, sans désobéir. Dans l'expérience de Milgram, des sujets émettent des ricanements, désapprouvent à haute voix les ordres de l'expérimentateur, évitent de regarder l'élève, l'aident en insistant sur la bonne réponse ou encore lorsque l'expérimentateur n'est pas là ils ne donnent pas la décharge convenable exigée. Toutes ces actions visent à faire baisser le niveau de tension. Mais lorsqu'il n'est plus possible de la faire diminuer avec ces subterfuges, le sujet désobéit purement et simplement.

Exemples

Dans son livre, Stanley Milgram ne cherche pas à couper sa démarche scientifique de la société contemporaine. Sans pour autant mélanger les genres, il fait fréquemment référence tant aux situations d'obéissance de la vie quotidienne qu'aux grands événements. La Seconde Guerre mondiale et en particulier la Shoah ont ainsi joué un grand rôle dans le choix de Stanley Milgram de s'intéresser à l'obéissance. Il mentionne souvent le procès d'Adolf Eichmann. Il soutient la journaliste et philosophe Hannah Arendt qui, dans des reportages controversés, vit en ce criminel de guerre plus un bureaucrate qu'un cruel antisémite. L'épilogue de son livre Soumission à l'autorité est pour une bonne part consacré à la guerre du Vietnam et au massacre de My Lai.

Il insiste sur le fait que les situations d'autorité des régimes fascistes ne sont pas absentes de nos sociétés occidentales :

« Les exigences de l'autorité promue par la voie démocratique peuvent elles aussi entrer en conflit avec la conscience. L'immigration et l'esclavage de millions de Noirs, l'extermination des Indiens d'Amérique, l'internement des citoyens américains d'origine japonaise, l'utilisation du napalm contre les populations civiles du Viêt Nam représentent autant de politiques impitoyables qui ont été conçues par les autorités d'un pays démocratique et exécutées par l'ensemble de la nation avec la soumission escomptée. »

Il finit d'ailleurs son livre en faisant sienne une citation de Harold Laski :

« … la civilisation est caractérisée, avant tout, par la volonté de ne pas faire souffrir gratuitement nos semblables. Selon les termes de cette définition, ceux d'entre nous qui se soumettent aveuglément aux exigences de l'autorité ne peuvent prétendre au statut d'hommes civilisés. »

Reproductions

Des reproductions de l'expérience à travers le monde (en Italie, Jordanie, Allemagne de l'Ouest, Afrique du Sud, Autriche, Espagne et Australie) et à différentes époques (de 1967 à 1985) ont validé les résultats obtenus par Milgram [2].

Plus récemment, en 2006 ABC News a reproduit l'expérience de Milgram et obtient des résultats similaires (65% des hommes et 73% des femmes ont suivi les instructions jusqu'au bout) [3],[4].

En 2008 Jerry Burger de l'Université de Santa Clara aux États-Unis a reproduit l'expérience en obtenant un taux de 70 % d'obéissance et ces personnes étaient prêtes à aller au-delà de la limite de 150 V si l'expérimentateur le désirait [5].

France Télévisions produit en 2009 le documentaire Zone Xtrême mettant en scène une fausse émission de télévision reproduisant l'expérience de Milgram. La différence notable est que l'autorité scientifique représenté par le technicien en blouse grise est remplacé par une présentatrice de télévision, Tania Young. L'autorité n'est plus la science, mais la télévision, avec à la clé une somme d'argent à gagner. Selon les premières estimations le taux d'obéissance est de 80 %, supérieur au 62,5 % en rétroaction vocale de l'expérience originale. Le producteur de l'émission [6], Christophe Nick, présente son documentaire comme une critique de la télé réalité. Pour sa part la directrice des magazines et documentaires de France 2, Patricia Boutinard-Rouelle déclare que la chaîne a « toujours refusé la télé-réalité, mais là, c’est intéressant de tester les limites d’un genre, de jouer avec cet outil » [7].

La différence du taux d'obéissance à une autorité légitime entre les hommes et les femmes a également été étudiée et il n'a pas été remarqué de différence significative [2]. Par contre lors d'une expérience en 1974 en Australie où l'élève était une femme et l'enseignant un homme, le taux d'obéissance est descendu à 28 % [5].

Critiques et commentaires

Sur la validité

Milgram le disait lui-même, la première critique de son expérience concernait la validité de ses résultats et leur portabilité à des situations réelles ; la reproduction de l'expérience dans d'autres pays avec des résultats très proches et la production d'expériences du même ordre, comme l'expérience de Stanford, qui montraient la facilité avec laquelle une majorité de personnes assume la fonction de « tortionnaire légal » (et légitime), invalidèrent cette première critique.

Mais la principale critique de l'expérience, qui vient pour l'essentiel des milieux universitaires d'Amérique du Nord (États-Unis et Canada), est beaucoup plus consistante : celle de l'acceptabilité à la fois morale et scientifique du protocole mis en place. Dans les deux cas, la critique est d'ordre déontologique et éthique.

L'expérience de Milgram participe de questions que l'on se pose beaucoup dans cette région du monde, et beaucoup moins en Europe par exemple, sinon en Allemagne pour des raisons historiques, sur la validité des protocoles (point de vue scientifique) et sur leur qualité (point de vue moral). La question est : une expérience reposant sur la tromperie (en anglais, deception, traduit dans le texte cité par « duperie ») est-elle scientifiquement valide et moralement acceptable ? Daphne Maurer, professeur de psychologie à l'université McMaster expose ainsi les points problématiques les plus discutés[8] :

« On avait donc trompé les sujets sur les points suivants :
  • la « victime » ne recevait pas en réalité des chocs ;
  • la « victime » était en réalité un complice ;
  • les sujets pouvaient en réalité cesser en tout temps (ce qui n'était pas véritablement le cas étant donné que la personne chargée de l'expérience donnait des consignes précises de poursuivre malgré l’hésitation des sujets et, par conséquent, ne laissait pas aux sujets la possibilité d'arrêter).
Il ne fait pas l'ombre d'un doute que ce genre de méthode soulève d'importantes questions d'éthique tel le respect des personnes et de leur droit de faire des choix volontaires lorsqu'ils participent à des expériences. Quand un choix se fonde sur des allégations mensongères, on ne peut pas dire qu'il est volontaire. Un autre aspect de l’éthique que soulève le recours à la duperie est la rupture du lien de confiance entre le chercheur et le sujet. »

Le corollaire de ces interrogations est la validité scientifique des résultats d'une expérience de ce type, sujet qui donne lieu à une abondante littérature académique en langue anglaise, pour l'essentiel d'origine nord-américaine.

Pour Jean-Léon Beauvois[9], cette polémique éthique viserait en fait à contraindre la recherche en psychologie à rester dans le politiquement correct. Il y aurait également une extension internationale de cette pensée, par la mise en place d'une réglementation stricte. « Sous le couvert moral de protéger le public contre les risques psychologiques encourus lors de manipulations expérimentales, certaines expériences sont interdites puisque soumises à la nécessité du consentement éclairé du sujet participant à l'expérience. »[10]

D'autres critiques portent plus spécifiquement sur certains effets pouvant influencer le déroulement de l'expérience. En effet, les sujets pouvant être conscients de participer à un test influenceraient leur comportement comme décrit par Elton Mayo qui théorisa l'effet Hawthorne. L'effet Pygmalion est également à prendre en considération étant très proche des conditions décrites par Milgram.

L’expérience de Milgram comme topos

Cette expérience est devenue un topos dans les discours sur l'obéissance et la soumission volontaire à l'autorité, et dans des discussions plus abstraites, sur les limites de la notion de libre arbitre.

Dans des domaines académiques, elle sert souvent de modèle ou d'exemple en sociologie, en psychologie expérimentale et en psychologie sociale, ainsi qu'en philosophie, notamment en philosophie du droit. En psychologie sociale particulièrement, l'expérience de Milgram est souvent utilisée pour discuter ou présenter certains concepts dégagés par ce domaine, tels que le conformisme, l'influence normative, et bien sûr la soumission à l’autorité et l'état agentique, deux notions au cœur du travail de Milgram dans cette expérience.

Influence de l'expérience

Cette expérience demeure une référence. D'après une étude réalisée en 2002[11], Milgram est le 12ème psychologue le plus cité dans l'introduction des livres de psychologie du XXe siècle. Cette recherche de Milgram est d'ailleurs une référence dans des domaines aussi différents que celui de la psychologie du travail[12], la finance comportementale[13], ou en sociologie politique[14] par exemple.

De ce fait l'expérience a été adaptée pour être reproduite. Ainsi Mel Slater a reproduit l'expérience pour s'intéresser au statut de la réalité virtuelle [15]. Il a constitué deux groupes : des participants punissaient un soi-disant élève, qu'ils ne voyaient pas, tandis que d'autres punissaient un personnage virtuel. Le groupe qui faisait face à un personnage virtuel a cessé beaucoup plus tôt de punir cet « élève ».

Autour de l’expérience de Milgram

  • Dans son album de 1986 So, le musicien Peter Gabriel a écrit une chanson, We do what we're told (Milgram's 37) (Nous faisons ce qu'on nous dit (les 37 de Milgram)), faisant référence à la variante de l'expérience de Milgram où 37 personnes sur 40 participent par leur inaction à l'administration des décharges électriques maximales.
  • Dans l'épisode 5 de la saison 5 de la série télévisée Malcolm in the middle, l'expérience est pratiquée sur Malcolm.

Notes et références

Stanley Milgram, La Soumission à l'autorité, Calmann-Lévy, 1994 (2e éd.), 270 p. (ISBN 2702104576) 

  1. page 35
  2. page 39
  3. pages 42 et 43
  4. pages 42 et 43
  5. page 269
  6. page 55
  7. pages 80 et 81
  8. page 81
  9. page 149
  10. page 81
  11. pages 122 et 123
  12. page 123
  13. page 167
Autres références
  1. Moscovi S. (2005) "Psychologie Sociale", Paris, PUF, collection Quadrige, p.41
  2. a  et b (en) Thomas Blass, « The Milgram paradigm after 35 years: Some things we now know about obedience to authority » sur StanleyMilgram.com, 1999, Journal of Applied Social Psychology. Consulté le 16 décembre 2008
  3. (en) Basic Instincts: The Science of Evil, ABC. Consulté le 5 juin 2008
  4. Vidéo du reportage d'ABC News
  5. a  et b (fr) Jean Etienne, « 70% de la population accepterait de torturer autrui... », 23 décembre 2008, Futura-Sciences. Mis en ligne le 23 décembre 2008, consulté le 23 décembre 2008
  6. (fr) Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, « Téléctrochoc », 25 avril 2009, Libération (journal). Mis en ligne le 25 avril 2009, consulté le 25 avril 2009
  7. (fr) Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, « Aux frontières du télé-réel », 25 avril 2009, Libération (journal). Mis en ligne le 25 avril 2009, consulté le 25 avril 2009
  8. (fr) Compte rendu de la retraite du CNERH de mars 1998 et la version anglaise
  9. Beauvois J.-L. (1994). Traité de la servitude libérale. Analyse de la soumission. Paris: Dunod;
  10. François Pierre-henri, Le conseil psychologique en milieu organisationnel: éthiques et référents scientifique, dans Psychologie du travail et des organisations, 2002, vol.8, n°2. p.42 ;
  11. Steven J. Haggbloom & col. (2002). The 100 Most Eminent Psychologists of the 20th Century, Review of General Psychology, Vol. 6, No. 2, p.142. [lire en ligne] [pdf];
  12. Margarita SANCHEZ-MAZAS, POUVOIR, DEPENDANCE ET VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL, 2002 - mer.equipement.gouv.fr. [lire en ligne] ;
  13. Anne Lavigne et Florence Legros, Finance comportementale et fonds de pension, mars 2006. [lire en ligne] [pdf];
  14. Philippe Braud, La violence politique : repères et problèmes, Cultures & Conflits n°9-10 (1993) pp. 13-42. [lire en ligne]
  15. (en) A Virtual Reprise of the Stanley Milgram Obedience Experiments, de Mel Slater, Angus Antley, Adam Davison, David Swapp, Christoph Guger, Chris Barker, Nancy Pistrang, Maria V. Sanchez-Vives

Bibliographie

  • (en) A. G. Miller, The obedience experiments : A case study of controversy in social science, New York, Westport, Preaeger, 1986.

Articles connexes

Liens externes

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