La sculpture en Grèce à l'époque classique.

La sculpture en Grèce à l'époque classique.

Sculpture grecque classique

Pour les anciens, la sculpture de la seconde moitié du Ve siècle av. J.-C., le siècle de Périclès, est dominée par deux noms, Polyclète et Phidias. Le premier atteignit le sommet de l'art équilibré et rationnel propre à sa génération en fondant sur un système de rapports mathématiques les proportions idéales du corps humain qu'il consigna dans un ouvrage : le Canon (littéralement la « règle »), son école assura la diffusion des formules du maître. Le second par le prestige d'Athènes, la célébrité et l'influence du Parthénon et en général des monuments construits sur l'Acropole de 447 à 404. Ils sont les représentants majeurs de ce que l'on appelle le premier classicisme.

Les artistes du IVe siècle av. J.-C. qui voient les certitudes péricléennes ébranlées par les crises, s'ouvrent à l'émotion et retrouvent le monde des sens. Praxitèle recueille le message du premier classicisme mais en modifie l'expression et en repense entièrement les règles. Les œuvres de Scopas, exact contemporain de Praxitèle, marquent un rythme nouveau, l'intensité de leur expression influenceront profondément l'art hellénistique.

Plusieurs mentions suggèrent que les contemporains avaient conscience de l'importance des deux artistes qu'ils ont souvent voulu confronter à travers leurs œuvres.

Praxitèle est, avec Phidias et Lysippe, le sculpteur grec dont les sources nous parlent le plus. L'attrait de ses œuvres a été aussi grand sur les modernes. Le fait qu'il ait été l'auteur du premier nu féminin en ronde bosse indépendante y joue un rôle, aujourd'hui comme dans l'Antiquité. La place que tient Phryné dans la littérature, courtisane de Thespies avec laquelle il entretint une liaison non sans influence sur son art, en apporte la preuve.

Mis à part quelques originaux dont le nombre n'augmente que lentement, nous devons nous appuyer sur des sculptures qui sont à peu près toutes d’époque romaine. Ces copies permettent seules de se faire une idée de ce qu'a été la sculpture grecque au Ve siècle av. J.-C. et au IVe siècle av. J.-C..

Sommaire

Essai de Chronologie

Pline l'ancien, écrivain latin du Ier siècle de notre ère, donne une sorte de panorama de la sculpture grecque de l'époque classique en situant les sculpteurs les plus renommés à l'apogée de leur art d'après le calendrier des Olympiades. Les Jeux Olympiques ne deviennent référence historique cohérente qu’à compter de 776, date clé, celle de la première Olympiade qui servit de base à un calendrier chronologique qui devait durer autant que le miracle grec, plus de mille ans. En 393 l'empereur Théodose 1er devait interdire l’organisation des Jeux à Olympie. Le calendrier se compte alors commodément par Olympiades, intervalles séparant ces compétitions. Les Jeux Olympiques revenaient tous les quatre ans, pendant le mois sacré, fin juin début juillet. Cette année 776 fait basculer la légende dans l'histoire.

On situe ainsi selon les olympiades :

83e Olympiade ( 444-440 ) : Phidias, le premier de tous , Athénien , avec son  Jupiter Olympien  avec lequel personne ne rivalise . Ses rivaux , à la même époque , furent Alcamène , Critias , Nésiôtès , Hégias . Puis pendant la 87e Olympiade ( 432-429 ) : Hégéladas , Callôn , le Laconien Gorgias . Et de nouveau , pendant la 90e Olympiade ( 420-417 ) : Polyclète, élève de Hagéladas , Phradmôn , Myron , Phytagoras , Scopas , Pérellos . Parmi eux , Polyclète eut comme élèves Argios , Asopodorôs , Alexis , Aristidès , Phrynôn , Deinôn , Athénodoros , Daméas de Cleitôr . Myron eut comme élève Lykios .

95e Olympiade ( 400-397 ) : apogée de Naukydès , de Deinomédès , Canachos , Patroclos .

102e Olympiade ( 372-369 ) : Polyclès , Céphisodote , le père de Praxitèle , Léocharès , Hypathodôros .

104e Olympiade ( 364-361 ) : PRAXITELE , Ephranor .

107e Olympiade ( 352-349 ) : Aétiôn , Thérimachos .

113e Olympiade ( 328-325 ) : LYSIPPE , Lysistratos , Sthennis , Euphrôn , Iôn , Sôstratos , Silanion .

121e Olympiade ( 276-273 ) : Eutykidès , Euthycratès , Laïppos , Céphisodote , Timarchos , Pyromachos .

Les plus illustres venaient à concourir malgré les différences d’âge . Ils avaient fait des Amazones  pour les dédier dans le temple à la Diane d’Ephèse . Il parut bon de choisir l’œuvre qui était la plus admirable au jugement des artistes eux mêmes . C’est celle de POLYCLETE qui remporta tous les suffrages , ensuite celle de PHIDIAS puis de Crésilas , Krydôn et Phradmôn .

La carrière de la plupart de ces sculpteurs pose toutefois des problèmes de chronologie . Pline semble conscient des inconvénients de ce système de datation quand il écrit à propos du concours d’Ephèse  malgré les différences d’âge . Il date Phidias 28 ans avant Polyclète . Phidias était en fin de carrière quand Périclès l’a appelé pour la mise en chantier des travaux du Parthénon . Céphidosote , le père de Praxitèle , a son apogée 8 ans seulement avant son fils .

Les jugements qui consistent à classer les artistes et les œuvres sont des constantes de la critique antique et moderne . Les critiques grecs et latins dataient , pour situer un artiste dans le temps , ce qu’ils considéraient comme son apogée . Cela renseigne mal sur la carrière des artistes .

A la recherche des originaux, la critique des Copies

On distingue généralement deux périodes :  le premier classicisme , celui du temps de la Guerre du Péloponnèse , à la seconde moitié du Ve siècle dominé par Athènes , qualifié de siècle de Périclès en raison du rôle qu’il joua dans la politique de la cité et  le second classicisme , au deuxième et troisième quart du IVe siècle , époque où l’individu est privilégié par rapport à la collectivité civique et au cours de laquelle des thèmes et des formules nouvelles s’élaborent autour de quelques personnalités .

Mis à part quelques originaux dont le nombre n’augmente que très lentement , nos connaissances portent sur des sculptures qui sont à peu prés toutes d’époque romaine . La sculpture architecturale pour laquelle il reste surtout des originaux est d’une aide très limitée . Le Parthénon n’apporte que peu d’indications pour décider quelles copies romaines reproduisent des statues de Phidias . Les Frontons de Tégée qui montrent précisément le style de Scopas sont un cas exceptionnel . Il arrive que des descriptions antiques comme pour  l’Apollon Sauroctone  de Praxitèle permettent d’identifier les répliques de l’œuvre , elles ne suffisent cependant pas à décider laquelle est la plus fidèle au style de l’original .

Des copies assurées :  l’Aphrodite de Cnide , colonie dorienne de Carie , l’ensemble de sculptures architecturales des  Frontons du temple d’Athéna Aléa de Tégée  en Arcadie ainsi que quelques originaux permettent un faisceau d’attributions hautement probables , en même temps que l’opposition de personnalités artistiques , d’abord de Praxitèle et de Scopas , beaucoup plus éclatante qu’à la fin du Ve siècle .

Il est toujours possible de regrouper les sculptures qui reproduisent un même type . Il s’agit de voir dans quels cas ces groupes de statues ou de reliefs remontent à un original classique et parmi lesquelles il s’agit d’une création dans le manière classique de sculpteurs d’époque romaine . Le but de la méthode , en rapprochant les textes qui mentionnent les statues grecques et les copies romaines , est de trouver les originaux perdus et de reconstituer l’œuvre des grands artistes dont les noms nous sont connus .

Les types statuaires ont un sens très précis : un original classique , imité , copié , transposé ou modifié , constitue un type qu’on retrouve dans les œuvres qui en dérivent . La définition est alors formelle ou stylistique . Un changement de pondération , un modelé différent du drapé , une coiffure nouvelle , créent un nouveau type , même si les attributs et les vêtements restent les mêmes . Le problème est alors de rechercher dans les copies et les adaptations romaines qui peuvent emprunter à plusieurs originaux , les types primitifs .

On peut aussi définir un type du point de vue iconographique c’est-à-dire par l’étude descriptive des différentes représentations figurées d’un même sujet . Un tel type a alors un sens religieux et renvoie à un sanctuaire précis avec les mythes qui s’y rattachent et qui expliquent la particularité iconographique . Les deux sens du mot type ont leur justification .

 Les types sont à comprendre comme la mise en œuvre d’un schéma formel qui représente une constante à travers l’évolution stylistique et peut subir une série de changements de signification et de courants stylistiques  .

Quand les variantes et les traits essentiels modifiés sont le fait de sculpteurs romains leurs œuvres sont éloignées de deux degrés de l’original connu ou supposé .

Les travaux récents sur Polyclète ont conduit à de nouvelles réflexions . Elles conduisent à distinguer , en théorie , d’un coté les  copies  qui reproduisent un original pour en être un substitut , de l’autre les  répliques  qui sont des répétitions contemporaines et qui en principe sont plus proches de l’original par le style et le travail que les copies postérieures .


Parmi les copies , les plus fidèles sont en principe celles qui utilisent des procédés mécaniques :  le moulage , dont les textes antiques montrent l’importance quoiqu’ils aient pu servir aussi de modèles à des copies en marbre , ou  la reproduction  avec prise de repères au compas , procédé couramment employé à l’époque moderne , quand le modèle de l’artiste , souvent en argile , est transposé en pierre par un praticien . La finition dans le premier cas , tout le travail de surface dans le second , sont l’œuvre de copistes . Les procédés de moulage ne permettent pas de reproduire tous les détails . On a pu avancer que les tirages multiples étaient la règle pour les bronzes grecs et que la répétition est caractéristique de l’art grec en général . Ces pratiques sont fréquentes mais dans un seul domaine , les reliefs , surtout funéraires , pour lesquels il s’agit d’imitations plutôt que de réplications exactes .

Le dernier quart du Ve siècle et le premier quart du IVe voient apparaître ce qui sera un des grands apports du classicisme : l’élaboration d’un certain nombre de schémas formels , définis par une pose précise : pondération du corps , gestes des bras , orientation de la tête , l’organisation et la disposition du vêtement , l’arrangement de la coiffure et dans une certaine mesure la structure de la musculature pour les figures masculines . Ce sont bien des types de départ puisqu’une statue pouvait être à peu prés répétée . Ils sont nés en fait du souci de différents sculpteurs , au lendemain de l’achèvement du Parthénon , de définir leur originalité par rapport aux modèles du troisième quart du Ve siècle , ceux de Polyclète comme ceux de Phidias . Le classicisme créera ainsi un répertoire dans lequel les sculpteurs hellénistiques et romains puiseront largement . Leur apprentissage consistait pour une grande part à étudier ces modèles .

Les données dont on dispose sur l’attitude des artistes , qu’ils soient Grecs ou Romains , qui travaillaient pour la clientèle romaine à partir du IIe siècle avant notre ère , accroissent les incertitudes quant à la classification d’un original par rapport aux œuvres que l’on connaît par les copies . Le problème posé devient alors celui des rapports entre les sculpteurs et leurs clients romains dont le goût est alors la raison principale des choix effectués . L’évolution de ce goût a été privilégiée en particulier à l’époque du Principat d’Auguste au Ier siècle avant notre ère et à celle de l’Empereur Hadrien au second siècle de notre ère . Toutes ces réflexions qui éclairent l’histoire de l’art et du goût romain , compliquent la recherche et l’identification des originaux Grecs .

L’Aphrodite de Cnide de Praxitèle montre comment on peut aborder le problème des copies pour se faire une idée de ce qu’a été la sculpture grecque . Il y a pour la pose deux types : celui de l’Aphrodite de la collection Colonna à Rome dite  Aphrodite au bain  , où la déesse semble surprise , répond au goût hellénistique , mais pas à ce qu’est une image divine au IVe siècle . Une réplique de  l’Aphrodite de Cnide  en bronze du type dit du Belvédère , d’époque impériale , au Louvre , donnerait une copie fidèle .

La réplique en marbre de la tête de l’Aphrodite de Cnide dite  tête Kauffman  au Louvre que son exceptionnelle qualité a fait longtemps privilégier , montre un traitement de surface d’époque hellénistique . Son expression s’accorde avec le type surpris . La réplique en marbre dite  tête Borghèse  à Rome , a un volume plus ramassé qui est celui des meilleures copies des têtes praxitéliennes , ses caractéristiques correspondent à ce que l’on connaît du travail du second classicisme .

L’opposition est en fait entre trois attitudes :  l’imitation  qui est la copie proprement dite ,  l’éclectisme  , tendance artistique fondée sur l’exploitation et la conciliation des styles du passé et  l’émulation  qui pousse l’artiste à rivaliser avec son modèle plutôt qu’à l’imiter , c’est la le domaine de  à la manière de… . La critique des copies qui permettrait d’identifier les œuvres des artistes dont le nom nous est connu n’est bien entendu pas d’une science exacte et permet des interprétations souvent subjectives .

Praxitèle, Phryné et l’Aphrodite de Cnide

Aphrodite de Colonne, réplique ancienne de l’Aphrodite de Cnide

La première moitié du IVe siècle fut en grande partie dominée par PRAXITELE . Un ensemble d’événements vraisemblables permet de fixer sa naissance vers 400 avant notre ère au plus tôt , la fin de sa vie vers 330 .

On ne sait presque rien de sa vie si ce n’est qu’elle fut entièrement consacrée à la création artistique . Il est probablement le fils de CEPHISODOTE l’Ancien , sculpteur athénien , auteur d’une statue  Eirénè et Ploutos  ,  la Paix portant la Richesse , érigée sur l’Agora d’Athènes entre 374 et 370 , dont on connaît une copie du IIe siècle de notre ère . Il eut sans doute une certaine influence sur son fils . Praxitèle vécut surtout à Athènes , sa ville natale à laquelle il était très attaché , où il travailla le bronze et le marbre avec une prédilection pour ce dernier . Il confiait au peintre NICIAS le soin de peindre ses statues de marbre .

Il semble peu vraisemblable que Praxitèle soit venu à Cnide en Carie pour y réaliser la fameuse Aphrodite dont l’apparition fit scandale . Cette cité célèbre par son école de médecine faisait partie , avec Lindos , Ialysos , Cameiros et Cos , de la Pentapole Dorienne , autrefois Hexapole dont Halicarnasse fut exclue . Une anecdote que raconte PAUSANIAS , au IIe siècle , dans sa  Description de la Grèce  , à propos de la fausse nouvelle de l’incendie de son atelier d’Athènes où beaucoup de ses œuvres étaient conservées , suggère qu’il travaillait souvent chez lui et que les acheteurs venaient à Athènes . C’est aussi de cette façon que se comprend le mieux l’anecdote sur les deux Aphrodites acquises l’une par les gens de Cos , l’autre par les Cnidiens .

Sa liaison avec PHRYNE, une courtisane de Thespies , est le seul élément de sa vie dont les sources nous parlent . Cette passion eut une incidence notable sur son art . Pausanias mentionne une statue dorée , en bronze , de Phryné prés du grand autel de Delphes faite par Praxitèle . Pausanias parle aussi de ses offrandes dans le sanctuaire d’Eros à Thespies : une Aphrodite et une statue de Phryné elle-même en marbre . L’Eros qui est à Thespies de nos jours est l’œuvre de l’athénien Ménodôros qui a copié l’œuvre de Praxitèle , l’original ayant été emporté par Néron .

Lors du procès intenté à Phryné pour impiété , celle-ci n’échappa à la condamnation à mort que parce que son défenseur , qui avait été son amant ,  l’ayant fait avancer et ayant déchiré sa tunique , mit à nu sa poitrine ce qui convainquit les juges de l’acquitter  . Elle était accusée de débauche au Lycée , et surtout d’avoir introduit un culte étranger  cher aux femmes du peuple pas très honorables  . Ce qui n’autorise pas à imaginer comme certains l’ont fait qu’elle l’aurait rapporté d’Asie où elle aurait accompagné Praxitèle . Les marins et les marchands introduisirent au Pirée , à cette époque , toute sortes de dieux étrangers .

Mais c’est à la création du premier nu féminin que la tradition lie surtout Phryné : Phryné , lors de la fête des Eleusinia et des Poseidônia enleva ses vêtements à la vue de tous les Grecs , défit sa chevelure et entra dans la mer . Praxitèle , amoureux , modela d’après elle l’Aphrodite de Cnide  . Peu d’œuvres ont été aussi universellement admirées que l’Aphrodite de Cnide où elle était honorée sous l’épithète d’Euploia ,  à la bonne navigation . On ne sait rien de son sanctuaire ni même son emplacement , l’identification proposée pour son temple , en haut de la ville , est sans fondement ! Lors de fouilles faites en 1970 on a cru identifier le temple dans une fondation circulaire qui est en fait une tholos de type habituel dont l’autel était dédié à Athéna .

La liste des œuvres de Praxitèle mentionnée par les auteurs antiques est la plus longue qui nous soit parvenue pour un sculpteur grec , même en tenant compte de sa célébrité qui a pu lui faire attribuer des œuvres d’un Praxitèle II , probablement son petit fils .

Comme pour Lysippe , il faut envisager l’existence d’un véritable atelier autour du maître . Aux œuvres mentionnées à Athènes , en Béotie , dans le Péloponnèse , en Grèce de l’est , s’ajoutent celles que les auteurs latins ont vues à Rome . Les œuvres de Praxitèle ont été particulièrement appréciées des Romains . Le nombre des statues mentionnées par PLINE à Rome est considérable , on doit cependant être sceptique quant à la provenance des œuvres qui y furent transportées . Sa célébrité est continue jusqu’à la fin de l’époque byzantine en raison des anathèmes des auteurs paléochrétiens pour qui le rôle de Phryné et l’admiration des Grecs pour les statues qu’elle avait inspirées était la preuve de la dépravation des mœurs des païens .

Pline souligne que  Praxitèle fût plus heureux dans le marbre et lui doit surtout sa célébrité  . Praxitèle disait quand on lui demandait lesquelles de ses œuvres en marbre il plaçait le plus haut :  celles où NICIAS a mis la main  , si grand était l’importance qu’il donnait à son travail de coloration . Certains pensent que la peinture à la cire et à l’encaustique a été perfectionnée par Praxitèle .

Il redonna à la sculpture classique un renouveau de vie en créant le déhanchement , permettant ainsi à l’œuvre d’acquérir une plus grande mobilité , une plus grande souplesse et un nouveau souffle de vie . D’où sa préférence pour l’adolescence et l’épanouissement féminin qui l’a conduit à cette maîtrise incomparable dans l’ondulation de la ligne et les passages de l’ombre à la lumière par l’introduction de la dissymétrie du corps et des membres , caractéristique du  chiasme praxitélien  . Cette passion de perfection , devait l’éloigner des effets de draperie artificiels de la fin du Ve siècle tout comme des recherches réalistes des bronziers de l’école d’Argos . Il n’a pas cherché à représenter des attitudes athlétiques mais de mettre au monde une nouvelle génération de dieux jeunes dans un monde qui se sentait vieillir .

Aucune œuvre ne souffre plus que celle de Praxitèle de n’être connue que par des répliques .  Il n’est pas possible de juger , d’après un marbre original , ce qu’il en était de réalisme , de présence charnelle et de vision poétique dans cette alliance de valeurs colorées et de formes pures . Une difficulté , plus aiguë pour Praxitèle que pour les autres sculpteurs en raison de la popularité de son style et de ses types chez les copistes et adaptateurs romains , est de décider quand on passe de la simple reprise plus ou moins libre d’un schéma praxitélien à une copie véritable . Deux œuvres dont l’identification est assurée , servent de point de repère pour les attributions :  l’Aphrodite de Cnide  pour les statues féminines ,  l’Apollon Sauroctone  pour les statues masculines .

Ses sujets étaient presque toujours des personnages divins :  l’Aphrodite de Cnide   l’Hermès d’Olympie  et le  Satyre au repos  dont nous avons des copies . On lui attribue , avec réserves , trois figures en relief , un Dionysos et deux Nikés , sculptées sur une base triangulaire de trépied qui seraient un travail de jeunesse . Anciennement les trépieds , en bronze , étaient le prix proposé aux vainqueurs lors de concours dramatiques et musicaux .

L’accord est général pour situer au début de l’activité de Praxitèle une statue de SATYRE Verseur  dont nous avons de nombreuses répliques surtout en Italie , de qualité inégale et souvent restaurées . Beaucoup de copies du Satyre ont exactement les mêmes dimensions ce qui suppose l’utilisation de moulages . Le travail de la chevelure de plusieurs répliques qui rappelle Polyclète contribue à prouver que l’original était en bronze .

Le  SATYRE au repos  connu par une copie romaine du musée du Capitole à Rome , dont l’équilibre et la structure musculaire , allégée , sont empruntées à POLYCLETE , amorce un rythme onduleux nouveau par le balancement oblique des bras et que L’APOLLON Sauroctone  , dont Pline semble avoir vu l’original à Rome , œuvre célèbre à en juger par le nombre de ses répliques et dont une copie se trouve à la Villa Albani à Rome , va porter , quelques années plus tard , à l’extrême de la flexibilité . Son succès au IVe siècle nous est révélé par sa transposition en Eros à la base d’une anse de vase .


Nouveauté du rythme mais aussi nouveauté du mouvement , du moins dans la statuaire . La statue  d’HERMES portant Dionysos enfant  du musée d’Olympie , représente ces nouvelles tendances . Le déhanchement a humanisé et vitalisé du même coup le corps magnifiquement modelé du dieu . Le regard rêveur a remplacé l’impassibilité et la sérénité du siècle précédent . Cette statue trouvée en 1877 à l’occasion de fouilles dans le temple d’Héra à Olympie , déjà identifiée par Pausanias au cours de ses voyages , au IIe siècle de notre ère , longtemps considérée comme un original , actuellement au musée archéologique d’Athènes , est en tout cas une œuvre tardive de Praxitèle et qui marque un retour vers une conception plus athlétique du corps viril .

Il s’agit probablement d’une copie issue du Ier siècle avant ou du Ier siècle après notre ère . Telle quelle, la statue est un chef-d’œuvre et son auteur un sculpteur de premier ordre . Praxitèle n’est pas allé plus loin dans cette recherche de la perfection comme le montre au sommet de sa carrière , vers 350 ,  l’APHRODITE DE CNIDE  connue seulement par des copies romaines ( copie du IIIe siècle avant notre ère au musée du Vatican , ou du IIe siècle avant notre ère au musée du Louvre ) . L’empereur Hadrien avait présenté , dans sa villa de Tivoli , une réplique de la statue dans une petite rotonde d’ordre dorique . La déesse et la statue de Praxitèle étaient à l’époque romaine une sorte d’emblème de la cité . Elle est souvent mentionnée par les Pères de l’Eglise et aurait été transportée à Constantinople ?

Signe des temps , avec  l’Aphrodite de Cnide  , il fut le premier à dépouiller le corps féminin , inaugurant ainsi une nouvelle nudité . Cette représentation de la déesse nue se conforme à l’idéal du nu viril réglé par Polyclète , non seulement par sa pondération mais dans une certaine mesure par les proportions du corps, plus masculines que féminines , comme on peut le voir en les comparant à celles de  la Vénus du Capitole  , attribuée à SCOPAS . La féminité et l’attrait presque magique qu’exerçait la statue, selon les témoignages antiques , étaient dans la modification du rythme , les genoux rapprochés, la tête suivant le mouvement du bras gauche , la main posée sur la draperie qui recouvre le vase annonçant le bain rituel .

Deux images d’Aphrodite furent proposées aux citoyens de Cos par Praxitèle, ceux-ci préférèrent l’effigie drapée laissant la statue nue aux gens de Cnide . C’était là à Cnide dans le sanctuaire de la déesse que l’antiquité tout entière accourut pour contempler l’un des chefs-d’œuvre les plus glorieux de la statuaire grecque, les marins faisaient halte pour l’admirer .

Les commentaires modernes sur la statue relèvent de préoccupations de nature différente : la première touche au double aspect d’une statue divine qui est en même temps le premier nu féminin de la grande statuaire et qui comme tel a une charge sensuelle dont les textes antiques témoignent , la seconde repose sur la lecture même de l’attitude et des gestes qui sont assez différents d’une copie à l’autre .

Les copies les plus soignées permettent de distinguer ainsi deux grands types : dans le premier, qu’on peut définir à partir d’une copie exposée dans la Cour du Belvédère au Vatican et que reprend fidèlement un petit bronze du Louvre d’époque impériale, la déesse, indifférente comme tous les dieux de Praxitèle, s’apprête au bain, son regard se perd dans le lointain, dans le second, défini à partir d’une autre copie du Vatican, de la collection Colonna, le regard porté sur un point précis est celui d’une femme surprise par des regards indiscrets, traduisant un voyeurisme de l’époque hellénistique avancée qui n’a rien à envier à l’époque moderne.

Les passions humaines deviendront, elles aussi, à côté de la grâce féminine une constante dans l’art hellénistique. Ce ne sont plus les dieux qui intéressent les artistes, l’art perdra tout sens du sacré .


Il est tentant d’attribuer aux deux types deux têtes dont les plus beaux exemples sont au Louvre : la réplique de la  tête d’Aphrodite de la collection Borghèse  présente des traits assez proches de ce qu’on attend vers le milieu du IVe siècle, la réplique dite  tête Kaufmann  est du type surpris, avec l’Aphrodite au bain de la collection Colonna, elle est caractéristique d’un changement de goût et d’un changement de fonction de la statuaire .
Ce que les répliques ne nous donnent pas et qui est l’essence de l’œuvre d’art, c’est l’exactitude du contour, les inflexions du modelé, la coloration de la chair. La  tête Kaufmann  , exécutée à l’époque hellénistique en un temps où la tradition praxitélienne était encore vivante, nous a cependant conservé un peu du souffle qui animait l’original.

Une Aphrodite, dite  VENUS d’Arles  , au Musée du Louvre, réplique Augustéenne d’un original de Praxitèle, découverte à l’emplacement du théatre d’Arles en 1651, fut offerte à Louis XIV qui la fit restaurer par Girardon.
La comparaison du corps et de la tête avec l’Aphrodite de Cnide fait voir dans la statue d’Arles une copie d’une œuvre de Praxitèle, ce qui est certain, antérieure à la Cnidienne .

Pour situer Praxitèle dans l’évolution générale, il faut bien distinguer l’aspect formel de ses œuvres et leur inspiration ou leur contenu. Praxitèle, surtout si on le compare avec Scopas, n’a pas véritablement rompu avec la tradition de son métier. La construction de ses œuvres reprend, prolonge et enrichi les recherches amorcées par les successeurs de Polyclète et de Phidias .
Praxitèle reste classique, comme l’était son père Céphisodote. C’est surtout par les types qu’il met en œuvre que Praxitèle est de son temps, pour les types masculins comme par les deux Aphrodites.
L’Aphrodite de Cnide, très nouvelle parce qu’elle est nue, applique au nu féminin les règles structurelles classiques.
Le choix du marbre de préférence au bronze , s’accorde mieux à un modelé qui privilégie la douceur des transitions plus que la clarté des articulations .

Les attitudes diverses envers l’Aphrodite de Cnide montrent l’ambiguïté dont on ne sait si elle est celle de l’œuvre ou celle du regard ? Ce sont les spectateurs hellénistiques et romains qui ont eu face à la statue la même attitude qu’en face d’une femme réelle. Ceci pose le problème renouvelé par la pensée du IVe siècle de l’imitation , c’est-à-dire de celui des rapports entre l’œuvre d’art et la réalité à laquelle elle renvoie .

Faut-il aller plus loin et chercher dans l’œuvre un contenu d’ordre religieux ou philosophique ? Le nombre des statues qui représentent des divinités Eleusiniennes peut être lié aux croyances de Praxitèle qui a fort bien pu, comme tant d’Athéniens, être initié à Eleusis. La dévotion envers les cultes et les  Mystères d’Eleusis  est un phénomène général dans l’Athènes du IVe siècle. Mais c’est aux commanditaires qu’il faut plutôt penser et non à l’artiste.

Certains ont insisté sur les liens de l’œuvre de Praxitèle avec la pensée de PLATON qui privilégie la félicité des dieux qui les éloigne du monde des hommes. Pour lui c’est une réaction contre l’intervention des dieux dans la vie humaine, telles que les montre HOMERE.
En prenant Phryné comme modèle, on trouve très tôt l’idée que cette beauté, surtout celle de la Cnidienne, n’est pas de ce monde, Praxitèle a vu la vraie beauté au delà des apparences de la beauté sensible.
Cette perception renverrait directement à ce que nous apprend  le Banquet de Platon  qui fait de l’amour le moyen de connaissance suprême, la beauté terrestre conduisant à la beauté divine. La statue a été marquée par les idées qui commencent à se développer à son époque, mais , en l’absence de textes clairs, toute l’ambiguïté de l’œuvre demeure. Selon un épigramme attribué à Platon à propos de l’Aphrodite de Cnide :  Praxitèle n’a pas vu ce qui n’est pas permis, son ciseau l’a sculptée telle qu’Arès l’a désiré  .

Documentation

  • La sculpture Grecque, Les manuels d’art et d’archéologie antique, éditions Picard
  • L’Univers des Formes, la Grèce Classique, NRF.
  • La Grèce d’Asie, Henri Stierlin, Le Seuil.
  • Les Grandes Civilisations, la Grèce, éditions Artoria .
  • L’Enquête de Hérodote d’Halicarnasse.

Articles connexes

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