Godille

Godille

La godille désigne avant tout un aviron à la fois propulsif et directionnel placé à l'arrière d'un bateau. Il est vraisemblable que le mot vienne du latin cauda[réf. souhaitée], la queue[1] : sur certains bateaux comme les sapines de Loire, l'aviron arrière est désigné comme « aviron de coue », c’est-à-dire de queue. La position de cet aviron unique engendre d'elle-même un emploi très particulier de celui-ci, c'est l'action de godiller.

Cette technique est surtout utilisée en France sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique, ainsi que par tous les bateliers et mariniers, à bord de leur "bachot" (annexe), qui la pratiquent aussi en courses de vitesse. Elle est connue mais très peu utilisée dans les îles britanniques[2], et à peu près inconnue en Méditerranée (hormis sur la lagune de Venise). Néanmoins, il est probable que le rabelo portugais puisse se propulser à la godille.

Un godilleur peint par Claude Monet dans son tableau Impression soleil levant

Sommaire

Principe

Godilleur à Brest

L'aviron repose dans une engoujure à l'arrière du bateau (éventuellement une dame de nage peut faire l'affaire à condition d'être inclinée pour être d'équerre avec l'aviron). L'aviron est mis en mouvement par le godilleur qui se tient face à l'arrière et saisit l'aviron à la hauteur des épaules. Il est possible de se tenir de côté et d'actionner l'aviron d'une seule main pour avoir une meilleure visibilité dans les manœuvres, mais c'est au prix d'une baisse de la force propulsive.

Le mouvement de la pelle est celui qu'aurait la pale d'une hélice dont le sens de rotation et le calage (l'angle d'attaque) s'inverseraient tous les huitièmes de tour, le secteur angulaire décrit étant de l'ordre de 20 à 30 degrés de chaque côté de la verticale. Les mains du godilleur décrivent des sortes de « 8 » pour donner à la pelle une incidence plus ou moins forte compatible avec un écoulement "attaché" (non décroché). Au changement de sens le godilleur donne un rapide mouvement de poignet pour que la pelle ne soit pas soulevée par la pression de l'eau. Cette technique est également utilisée en canoë et kayak dans la manœuvre de déplacement latéral connue sous le terme d'« appel navette ».

Technique de virage : le godilleur peut tourner large en se décalant latéralement, plus serré en donnant plus d'incidence à la pelle dans un sens que dans l'autre (ce qui est la technique de voga veneta utilisée par exemple par les gondoliers), et sur place en effectuant un mouvement identique à celui de la nage ou de la vogue.

Pour apprendre à godiller, il est préférable d'utiliser un aviron long, sur un bateau assez lourd. Il est souhaitable que le bateau ait une bonne stabilité directionnelle, grâce à une surface immergée, comme une quille ou un gouvernail bloqué dans l'axe qui empêche l'arrière de l'embarcation de déraper latéralement sous l'effet de la composate latérale de la poussée.

Caractéristiques

Gravure de Charles Mozin
Charles Mozin : Détail d'une gravure

L'aviron de godille

L'aviron de godille se distingue de la rame par plusieurs caractéristiques :

  • la pelle est longue (typiquement un quart de l'aviron, plus pour la godille chinoise),
  • elle est étroite (typiquement le double du diamètre du fût, moins pour la godille chinoise),
  • elle est épaisse pour conserver une bonne rigidité,
  • ses bords d'attaque sont parallèles (ou convergent très légèrement vers l'extrémité) et affinés,
  • le fût est plus rigide et donc d'un diamètre plus important,
  • la poignée, quand elle est marquée, est plus longue pour faire de la place aux deux mains,
  • et d'un diamètre plus fort pour diminuer l'effort nécessaire au coup de poignet final (le bout du majeur devrait juste toucher le bout du pouce).

La longueur d'un aviron de godille doit être adaptée à la hauteur de l'engoujure au-dessus de l'eau, à celle des épaules du godilleur au-dessus de l'engoujure, et à l'effort (plus l'effort est important plus l'aviron doit être incliné). Dans le cas d'une annexe un aviron adapté dépassera souvent légèrement la taille du bateau. Dans le cas d'un canot de quatre à cinq mètres sur lequel les pieds du godilleur sont à peu près à la hauteur de la flottaison et où l'aviron est incliné d'environ 45°, le fût devrait mesurer plus de deux mètres et donc l'aviron entier près de trois mètres. Un grand godilleur ou un canot particulièrement lourd gagneront beaucoup à dépasser cette valeur. Sur un voilier de tonnage important on pourra rencontrer un aviron dépassant six mètres.

L'aviron de godille s'use assez rapidement au contact de l'engoujure et il lui arrive de casser à cet endroit. La pratique traditionnelle est alors de le raccommoder par un assemblage en biseau. On en profite pour lui donner un angle en taillant le plan du biseau parallèlement au plan de la pelle, ce qui lui donne l'allure, et une partie de la facilité d'utilisation, d'une godille chinoise.

Avantages

  • simplicité : un seul aviron, pas de pièces mécaniques spécifiques (l'utilisation d'une dame de nage n'est pas une nécessité mais au contraire un pis-aller)
  • la godille exerce une poussée continue contrairement aux autres utilisations d'avirons (nage, vogue) ou de pagaies.
  • la pelle travaille « en finesse », avec un rendement propulsif supérieur à celui de la nage « en poussée » : cela permet à une personne seule de propulser un bateau de tonnage important.
  • le débattement de l'aviron étant relativement faible et effectué en position debout, la godille est beaucoup plus adaptée à la propulsion d'une annexe encombrée que la nage.
  • comme l'aviron ne dépasse pas sur les côtés, il est facile d'effectuer les manœuvres d'abordage ou accostage et de circuler sur un plan d'eau encombré (navette).
Gravure de Charles Mozin
Charles Mozin : Le mousse utilise la godille pour percher, la profondeur d'eau ne nécessitant pas de godiller
  • l'aviron se prête facilement à la propulsion à la perche (qui est la technique la plus efficace par très petits fonds).
  • la propulsion est dans l'axe,
  • l'aviron, dont la pelle est mise en drapeau, peut servir de gouvernail (s'il est assez lourd pour rester immergé), quand le bateau court sur son erre (ou sous voile).
  • la godille se met en place (elle est « parée », en vocabulaire maritime) très rapidement, ce qui peut s'avérer utile quand il faut agir sur la manœuvre rapidement.
  • la godille ne fait pas de bruit, ne salit pas, ne sent pas mauvais, ne tombe pas en panne et ne se prend pas dans les divers filins que l'on croise entre deux eaux dans les ports et leurs environs.
  • beauté: comme l'ont montré Claude Monet et surtout Mathurin Méheut, ce mouvement est beau, cela est probablement dû à sa continuité.

Inconvénients

  • l'efficacité relative de la godille par rapport aux autres modes de propulsion se dégrade très fortement sur un plan d'eau agité.
  • les petits avirons du commerce (pour pneumatiques par exemple), légers et courts, se prêtent mal à la godille.
  • on ne peut godiller avec force (à deux mains) qu'en regardant l'arrière (voir néanmoins la godille chinoise ci-dessous);
  • on peut difficilement godiller à plusieurs sur un même bateau (voir néanmoins la godille chinoise ci-dessous);
  • la reprise après l'interruption du mouvement est délicate si le bateau a de l'erre;
  • le freinage est difficile et très peu efficace (voir la godille arrière ci-dessous), note: certains godilleurs freinent en faisant bifurquer brusquement l'embarcation, à la manière d'un dérapage en automobile;

Godille arrière et coracles gallois

Coracle
Coracle

Il est possible de godiller en arrière sans pour autant transporter l'aviron à l'autre bout du bateau. Pour ce faire on place l'extrémité de l'aviron sur son épaule et on le saisit avec les mains une soixantaine de centimètres plus bas. Le mouvement des mains est identique mais l'effet est inversé par l'échange entre le point d'appui et le point d'action. La puissance est limitée par deux facteurs : c'est le godilleur qui supporte l'effort qui était supporté en marche avant par l'engoujure, et le bras de levier est limité par la physiologie du godilleur.

Cette façon de godiller est l'un des deux modes de propulsion des coracles gallois (l'autre est le portage). On se tient assis face à l'avant et on utilise une sorte de pagaie dont la pelle peut être profilée (plate ou creuse vers le godilleur, bombée vers l'avant). On la tient un peu comme une pagaie simple de canoë ou de pirogue, mais elle ne sort pas de l'eau. La main supérieure est le point fixe, la main inférieure effectue les mouvements de godille.

Godille chinoise

Sampan chinois propulsé à la godille par un yáolǔ.

En Extrême-Orient la godille propulse les bateaux traditionnels de toute taille. Les godilles des plus gros peuvent être doubles et/ou actionnées par plusieurs personnes.

Les spectateurs de fêtes nautiques de Brest 2008 ont pu y observer un bateau japonais traditionnel (bateau à 8 rames de Yaizu) propulsé par huit godilles latérales posées sur des outriggers et fournissant une poussée décalée et angulée par rapport à l'axe du bateau[3].

La pelle se raccorde au fût par un angle obtus. À la hauteur de cet angle une coupelle métallique s'articule sur une pointe fixée à l'arrière du bateau. La pelle est profilée, sa face arrière (intrados) étant plane ou légèrement creuse et sa face avant (extrados) bombée. Le fût est retenu vers le bas par un cordage qui compense le plus gros de l'effort de propulsion. Le seul effort du godilleur se limite à entretenir le mouvement alternatif. Pour cela, il se tient sur le côté de l'aviron, une main sur le fût produit le mouvement, l'autre sur le cordage règle l'angle d'incidence.

La godille comme un art

On trouve dans Le Cours de navigation des Glénans une évocation de cette technique, que l'on doit à l’écrivain Jean-Pierre Abraham et au responsable technique Jean-Louis Goldschmidt :

« La godille est sans aucun doute un art, et sa maîtrise constitue l'une des plus nobles conquêtes de l'apprenti marin. Les services qu'elle peut rendre, apparemment modestes, peu vantés, sont innombrables. Il n'est pas d'exemple d'instrument alliant une efficacité sans défaillance à une aussi remarquable économie de moyens. […]
Mais il faudra encore quelques heures de mise au point avant de pouvoir connaître les plus hautes satisfactions que réserve la pratique de la godille : sur l'eau calme d'un port aux rives peuplées, godiller d'une main (l'autre dans la poche) tourné vers l'avant du bateau, progresser à petits coups tranquilles, tout en ayant l'air de penser à autre chose[4]. »

Détails de dessins de Méheut
Mathurin Méheut : sihouettes de marins manœuvrant des chaloupes sardinières à la godille.

La godille comme un sport

Depuis 2000 l'association La Godille Lampaulaise organise tous les ans une course de godille entre l'île Molène et Lampaul-Plouarzel. Les meilleurs équipages effectuent la traversée en moins de deux heures et demie.

Pour soutenir la SNSM et faire connaître leur association et sa course deux membres de la Godille Lampaulaise ont tenté en juin 2009 de traverser la Manche de Helford River (en) à Ouessant sur un canot de 4,5 mètres, une traversée de 90 milles marins (145 km) qui devait être accomplie en deux jours. Malheureusement la brume a interrompu la traversée après un parcours de 35 milles en 18 heures[5].

Filmographie

Sens dérivés

La presse emploie facilement le mot godiller pour déprécier une action lente et de direction incertaine d'un gouvernement.

Le mouvement alternatif de la godille est probablement ce qui a inspiré l'usage de ce terme pour désigner :

  • une technique de ski consistant à enchaîner rapidement de très courts virages,
  • un mouvement de base en natation synchronisée,
  • un petit instrument de pêche en eau douce permettant d'animer un leurre placé sur un hameçon.

Annexes

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Articles connexes

Notes

  1. Le Petit Robert indique une origine inconnue et une première mention en 1792.
  2. Elle est désignée en anglais sous la locution single oar sculling où sculling désigne la nage en couple c'est-à-dire où le rameur actionne deux avirons à la fois.
  3. sophie-g.net
  4. Le Cours de navigation des Glénans, Seuil, Paris, 1982, pp. 479-480
  5. Le Télégramme
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