- Fusillade de la rue d'Isly
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La fusillade de la rue d’Isly appelée aussi le massacre de la rue d'Isly, a eu lieu le 26 mars 1962 devant la Grande Poste de la rue d’Isly (dont le nom commémore la bataille éponyme) à Alger, département d'Alger. Ce jour-là une manifestation de citoyens français, civils non armés, partisans du maintien du statu quo de l’Algérie française (les départements français d'Algérie sont créés par la Deuxième République en 1848), décidée à forcer les barrages des forces de l'ordre qui fouillaient le quartier de Bab El-Oued en état de siège suite au meurtre de six appelés du contingent par l'OAS, se heurta à un barrage tenu par l'armée française qui mitrailla la foule. C'est un des derniers exemples de guerre civile entre Français. C'est selon l'historien Benjamin Stora un des exemples les plus marquants de la censure pratiquée pendant la guerre d'Algérie.Comme beaucoup d'evenements dans cette guerre,le gouvernement francais n'a jamais reconnu sa responsabilité.
Sommaire
Contexte
Cessez-le-feu et autodétermination
Article connexe : Accords d’Évian.En réponse à la déclaration télévisée du président Charles de Gaulle proclamant le cessez-le feu - donc la fin de la pacification de l'Algérie - le 18 mars 1962[1], l'OAS met Alger en état de siège.
En 1962, le général Salan (chef de l'OAS) avait pour objectif de contrer la mise en œuvre des accords d'Évian signés le 18 mars, en provoquant le soulèvement commun des Français d'Algérie (Européens et musulmans) et des unités de l'armée française rejetant la sécession de l'Algérie par rapport à la métropole ; le 13 décembre 1958 l'ONU rejetait le droit de l'Algérie à l'indépendance[2].
Siège de Bab el Oued
Article détaillé : Siège de Bab el Oued.Le 22 mars à Bab El-Oued, des éléments de l'OAS abattent six jeunes appelés du contingent en Algérie du 360e CIT de Beni Messous et en blessent une dizaine ; appelés en intervention ils ont été pris en embuscade dans un camion militaire, place Desaix. Le 23 mars, des commandos de l'OAS prennent le contrôle du quartier européen de Bab El-Oued, qui se trouve isolé du reste d'Alger par les forces de l'ordre et par l'armée qui fait intervenir l'aviation[3]. Pour tenter de rompre l'encerclement de Bab el oued et les exactions des gendarmes mobiles sur les biens et les personnes, l'OAS lança un appel à la grève générale et organisa une manifestation devant se rendre à Bab el Oued en passant devant la Grande Poste, à l'entrée de la rue d'Isly d'Alger.
La fusillade
Le service d'ordre était assuré par l’armée qui avait reçu de Paris la consigne de ne pas céder à l'émeute. Le barrage à l'entrée de la rue d'Isly était tenu par 45 tirailleurs du 4e RT du colonel Goubard[4]. Les tirailleurs sont des soldats et, équipés comme tels, ne sont pas formés et adaptés aux missions de maintien de l'ordre. Leur précédente affectation était à Berrouaghia près de Médéa. Cette consigne est traduite par le commandement de la Xe région militaire aux soldats dirigeant le barrage de la rue d'Isly par : « Si les manifestants insistent, ouvrez le feu » mais nul n’a voulu confirmer cet ordre par écrit[5].
Malgré une interdiction, les manifestants se rassemblent. Puis ils « forcent » le premier barrage tenu par les tirailleurs en petit nombre. Peu après des coups de feu éclatent et les soldats ripostent. Certains imputent ces coups de feu à des tirailleurs mal contrôlés.[réf. nécessaire]
Selon les militaires, des coups de feu d'origine inconnue seraient à l'origine du déclenchement du tir des militaires, qui mitraillent alors la foule à bout portant. Il est à noter que cette foule comprenait des femmes et de jeunes adolescents. Yves Courrière[6] montre les positions de tir supposées de membres de l'OAS. Il montre que si les circonstances restent peu claires, il est évident que les soldats n'ont pas tiré à bout portant dans la foule car vu le nombre de munitions tirées, il y aurait eu alors plusieurs centaines de morts.
Cette version des faits est en contradiction avec des témoignages directs. De nombreuses terrasses étaient en effet occupées par des gendarmes mobiles bien visibles et reconnaissables à leurs képis[réf. nécessaire]. On s'époumone « Halte au feu »[7],[8],[9] mais les rafales durent plus d'un quart d'heure.
Selon certaines sources[réf. nécessaire], ces gendarmes mobiles auraient mitraillé la foule à partir des terrasses, notamment à l'angle des rues Charras et Charles Péguy. Selon d'autres sources[réf. nécessaire], le servant du fusil-mitrailleur du 4e R.T.A. aurait longuement « arrosé » les manifestants[10].
Victimes de la fusillade
Bilan officiel
Le dernier bilan officiel est de 46 morts et 150 blessés, bien que de nombreux blessés meurent à l'hôpital Mustapha, où la morgue est débordée. Aucune liste définitive des victimes n'a jamais été établie. Toutes les victimes étaient des civils, européens, quelques juifs séfarades. Toutefois en 2003, dans sa contre-enquête Bastien-Thiry : Jusqu'au bout de l'Algérie française, le grand reporter Jean-Pax Méfret avance le nombre de 80 morts et 200 blessés au cours de ce qu'il nomme « le massacre du 26 mars »[11]. L'association des victimes du 26 mars publie une liste de 62 morts, tous des civils ; 7 militaires (dont 2 gendarmes) sont tués.
Il faut attendre le 12 septembre 2008, pour que la télévision française (France 3), consacre une émission à cet événement méconnu, Le massacre de la rue d'Isly, documentaire de 52 minutes, réalisé par Christophe Weber conseillé par l'historien Jean-Jacques Jordi.
Liste des victimes civiles de la fusillade
Victimes de la fusillade de la rue d'Isly (26 mars 1962, Alger, Départements français d'Algérie)- Gabriel Aldeguer, 42 ans
- Georges Bayard, 58 ans
- Henri Bernard, 76 ans
- Albert Blumhofer, 62 ans
- Jacqueline Cazayous, 19 ans
- Tayeb Chouider, 58 ans
- Charles Ciavaldini, 22 ans
- Jacques Couraud, 30 ans
- Lucien Dupuy, 62 ans
- Marie-Jeanne Eime, 57 ans
- Marcel Fabre, 53 ans
- Amédée Fague, 28 ans
- Jean Faran - Aucune certitude
- Louis Fermi, 52 ans
- Renée Ferrandis, 22 ans
- Jacqueline Frasquet (née Segui), 23 ans
- André Fredj, 41 ans
- André Galiero, 35 ans
- Philippe Gautier, 28 ans
- Fernand Gerby, 43 ans
- Jacky Ghirardi-Giausseran, 27 ans
- Faustine Gregori
- Pauline Hugues (née Berthon), 66 ans
- Jacques Innocenti, 60 ans
- Abdallah Ladjadj - Aucune certitude
- Gilbert Langendour ou Lalendour, 31 ans
- René Lignon, 42 ans
- Emile Loretti, 63 ans
- Joseph Luisi, 65 ans
- Henri Lurati, 33 ans
- Gilbert Maille, 57 ans
- Jean Massonnat, 38 ans
- Marc Maury, 29 ans
- Guy Mazard, 28 ans
- Anne-Jeanine Mesquida (née Gautrieau),41 ans
- Georges Moati, 22 ans
- Roger Monpo, 48 ans
- François Pizella, 52 ans
- Claude Puig, 31 ans
- Gaston Puig,
- Marcel Puig, 52 ans
- Paul Puig,
- Domingo Puigcerver, 64 ans
- Alain Razes, 32 ans
- René Richard, 47 ans
- Henri Roch, 26 ans
- Gaspard Sanchis, 64 ans
- Joaquim Santacreu, 45 ans
- Adolphe Serrano, 42 ans
- Michèle TORRES, 20 ans
- Georges van den Broeck, 55 ans
- Jean Vengut, 64 ans
- Elie-Paul Zelphati, 40 ans
Liste établie par Simone GAUTIER (http://www.alger26mars1962.fr) d'après les recherches éffectuées aux archives d'outre-mer d'Aix en Provence et entretiens et correspondances avec les familles, amis et voisins des Victimes du 26 mars 1962. Liste vérifiée par Jean-Jacques JORDI, Historien-Chercheur et Sociologue de l'Unversité d'Aix en Provence .
Il y a en général, confusion entre les noms des victimes du bouclage de Bab-El-Oued et celles du massacre de la Rue d'Isly. Les noms des victimes du bouclage de Bab-El-Oued sont les suivants :
JEUDI 22 MARS 1962
- MABROUKI Abdallah
- SELLES Georges, 19 ans
VENDREDI 23 MARS 1962
- ACHOUR Messaoud
- GREGORY Jacques
- LOPEZ Joseph, 40 ans
- SAINTE MARIE Christian, 14 ans
- PALANGIAN Lucien, 20 ans
- RODRIGUEZ François, 49 ans
- SERRALTA André, 19 ans
- SCOTTO Adrien
- SOULE Marie-Christine
- TAMBORINI Madame
- VELLA andré
- VILLEMEUX Lucien 28 ans
SAMEDI 24 MARS 1962
- HABBOU Maurice, 46 ans
- GARCIA Serges, 15 ans
- KARSENTI Simon, 51 ans
DIMANCHE 25 MARS 1962
- GHENASSIA Joseph
- GHRES Ghislaine Louise, 10 ans
Conséquences
Représailles à Belcourt (26 mars)
Des Européens, revenus de leur stupeur, rendent les musulmans responsables de la tuerie. Pour eux, ce sont des agents provocateurs FLN qui l'ont organisée.
La fusillade achevée, ils se « font justice » au quartier de Belcourt où 10 musulmans sont assassinés sur le champ[12].
Censure de la scène filmée
Les séquences filmées le 26 mars sont censurées et ne seront diffusées que le 6 septembre 1963, dans l'émission Cinq colonnes à la une dédiée à la Rétrospective Algérie[13].
Allocution de Charles de Gaulle (26 mars)
Au soir du 26 mars 1962, le président Charles de Gaulle s'adresse au peuple français par l'intermédiaire d'une allocution télévisée[14]. Il demande au peuple de voter « oui » à l'imminent référendum portant sur l'autodétermination de l'Algérie et déclare que « En faisant sien ce vaste et généreux dessein, le peuple français va contribuer, une fois de plus dans son Histoire, à éclairer l'univers », mais ne fait aucune référence au massacre qui a eu lieu dans la journée ; bien qu'un reportage ait été filmé par un correspondant de la RTF à Alger[15]. 45 minutes avant l'allocution du Président démarrant à 20h, Inter Actualités rapporte les évènements de la rue d'Isly par un reportage radiodiffusé de Claude Joubert, envoyé spécial à Alger[16].L'attitude du General de Gaulle ne fera qu'exacerber le ressentiment des pieds noirs à son égard.D'autant plus qu'un decret du 20 mars 1962,paru au Journal Officiel,excluait toutes les populations de l'Algerie,du vote.
Allocution de Christian Fouchet (28 mars)
Deux jours après la fusillade du lundi 26 mars, Le Haut-Commissaire de France, Christian Fouchet, s'adresse aux « Français et Françaises d'Alger » par le biais d'une allocution télévisée[17].
Isolement de l'OAS & début de l'exode des Pieds-Noirs
Article détaillé : Exode des Pieds-Noirs.La fusillade de la rue d'Isly marque la fin des espérances européennes dans l'OAS et par ricochet le début de l'exode massif des Européens d'Algérie.
Polémiques
Absence de détermination des responsabilités
Pas plus que pour le massacre du 17 octobre 1961 ou pour l'affaire du métro Charonne, en métropole, il n'y a eu à ce jour de commission d'enquête officielle créée pour éclaircir les faits et les responsabilités dans ce massacre de civils.
Deux historiennes se sont livrées à une enquête complète qu'elles relatent dans leur livre Un crime sans assassin. Elles démontent les témoignages d'un coup de feu venant des immeubles et soulignent que la plupart des journalistes présents désignent les tirailleurs et en particulier le servant du FM comme à l'origine de la fusillade[10]. Elles soulèvent le point majeur : « pourquoi des troupes fatiguées et n'ayant jamais été confrontées au maintien de l'ordre en ville ont-elles été placées avec des ordres stricts à cet endroit ? »
Leurs soupçons sont confortés par la déclaration du préfet de police Cros dans son livre Le temps de la violence : « la nouvelle que nous redoutions et espérions à la fois arriva, les tirailleurs avaient ouvert le feu ».
Cette position favorable à la défense des intérêts de l'État semble confirmée par l'essai de Jean Mauriac : L'Après De Gaulle ; Notes Confidentielles, 1969-1989, dans lequel il rapporte (page 41) les rancœurs de Christian Fouchet, haut-commissaire de l'Algérie française, le 28 octobre 1969 : « J'en ai voulu au général de m'avoir limogé au lendemain de mai 1968. C'était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre : "Vous n'avez pas osé faire tirer. J'aurais osé s'il l'avait fallu", lui ai-je répondu. "Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n'était pas complice de la population algéroise." ».
Mise à l'écart des dépouilles
Il est à noter que les familles n'ont jamais eu le droit de récupérer les corps des victimes. Beaucoup ayant été clandestinement enterrés au cimetière Sainte Eugène.
Bibliographie
- Jean Monneret, Une ténébreuse affaire: la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, Édition l'Harmattan, 2009
- Simone Gautier, Le Plateau des Glières, Alger, Lundi 26 mars 1962, Offset, 2007
- Francine Dessaigne, Top Secret, Editions Confrérie-Castille, 1999
- Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'algérie, Édition l'Harmattan, Histoires et Perspectives Méditerranéennes, 1997 (ISBN 978-2-7475-0043-2) Extraits en ligne
- Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey, Un crime sans assassin, Editions Confrerie-Castille, 1994 (ISBN 978-2-907862-12-7)
- Francine Dessaigne, Le Livre Interdit Deuxième Edition, Confrèrie Castille, 1991
- Francine Dessaigne, Le livre blanc, Editions de l'Esprit Nouveau, 1962
- Le Corps Médical de l'Hôpital Mustapha, Le massacre d'Alger, 1962
Filmographie
- Christophe Weber, Le massace de la rue d'Isly, 2008
Notes et références
- Déclaration du Général De Gaulle, JT 20h, ORTF, 18/03/1962
- Chronologie des événements en Algérie (1954-1962), Navigateur Européen ENA
- Émeutes à Bab-El-Oued, JT 20H - 25/03/1962
- Le régiment a été créé en Algérie en 1958 et dissous en 1962.
- Jean Lacouture, Le Monde du 25 mars 1972. Article de
- Yves Courrière, La guerre d'Algérie (tome 4, Les feux du désespoir)
- Dans un reportage de la télévision belge maintes fois diffusé par la suite, on entend distinctement des voix hurler à plusieurs reprises en criant « Halte au feu ! Mon lieutenant, de l'énergie ! Je vous en supplie, mon lieutenant. Halte au feu ! »
- Bande son d'un reportage d'époque
- Vidéo de la télévision belge
- Arte le 21 juillet 2007 à 9 heures 50 Confirmé par plusieurs témoignages dans l'émission Les Pieds Noirs, Histoire d'une blessure (2e partie) diffusée sur
- Bastien-Thiry : Jusqu'au bout de l'Algérie française, Jean Jean-Pax Méfret, Pygmalion, 2003
- Droz, Histoire de la guerre d'Algérie, p 334
- Rétrospective Algérie Cinq colonnes à la une, ORTF, 06/09/1963
- Allocution Elysée JT 20H - 26/03/1962
- Algérie: les événements du lundi 26 mars 1962, reportage muet filmé le 26 mars à Alger par Michel Colomes mais non diffusé, Journal Télévisé de 13H, ORTF, 28/03/1962
- Inter actualités de 19H15 du 26 mars 1962, reportage radiophonique de Claude Joubert envoyé spécial à Alger, ORTF, 26/03/1962
- Allocution Fouchet, allocution de Christian Fouchet Haut Commissaire de France au surlendemain de la fusillade, Journal Télévisé de 13h, ORTF, 28/03/1962
Liens internes
Archives audiovisuelles INA
- Semaine du cessez le feu, ORTF, 25/03/1962
- Inter actualités de 19H15 du 26 mars 1962, reportage radiophonique de Claude Joubert envoyé spécial à Alger, ORTF, 26/03/1962
- Algérie : les événements du lundi 26 mars 1962, reportage muet filmé le 26 mars à Alger par Michel Colomes mais non diffusé, Journal Télévisé de 13h, ORTF, 28/03/1962
- Allocution Elysée, Journal Télévisé de 20h, ORTF, 26/03/1962
- Allocution Fouchet, allocution de Christian Fouchet Haut Commissaire de France au surlendemain de la fusillade, Journal Télévisé de 13h, ORTF, 28/03/1962
- Le calme est revenu à Alger, reportage muet filmé le 29 mars à Alger par Michel Colomes mais non diffusé, Journal Télévisé de 13h, 29/03/1962
- Evénements de la semaine concernant l'Algérie, ORTF, 01/04/1962
- Yves Courrière, Journal Télévisé de 20h, ORTF, 16/10/1971
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