Fair use au Canada

Fair use au Canada

Utilisation équitable au Canada

Au Canada, l'utilisation équitable d'œuvres protégées est présentée comme une série d'exceptions aux violations du droit d'auteur, figurant aux articles 29 et suivants de la Loi sur le droit d'auteur (Copyright Act). Ces exceptions sont, en premier lieu, de portée générale. Des exceptions supplémentaires s'adressent par la suite à des acteurs et des situations très spécifiques. La version anglaise de la loi utilise le terme Fair Dealing.

Sommaire

Exceptions de portée générale

Les exceptions de portée générale figurent aux articles 29 à 29.2 de la Loi. Elles permettent d'utiliser un œuvre protégée aux fins d'étude privée et de recherche (article 29), de critique et de compte-rendu (article 29.1) ou aux fins de communication des nouvelles (article 29.2) sans commettre une violation du droit d'auteur.

Par contre, la reproduction aux fins de critique, de compte rendu ou de diffusion de nouvelles sera équitable à condition que soit mentionnée:

  • a) d'une part, la source;
  • b) d'autre part, si ces renseignements figurent dans la source :
    • (i) dans le cas d'une œuvre, le nom de l'auteur,
    • (ii) dans le cas d'une prestation, le nom de l'artiste-interprète,
    • (iii) dans le cas d'un enregistrement sonore, le nom du producteur,
    • (iv) dans le cas d'un signal de communication, le nom du radiodiffuseur.

Seules les exceptions générales ci-haut figurent sous l'intertitre Utilisation équitable. Toutefois, la logique d'exception se poursuit dans les articles suivants.

Autres cas de non-violation

La Loi sur le droit d'auteur prévoit aussi, aux articles 29.4 à 30.9, une série d'exceptions permettant à certains acteurs d'utiliser des œuvres protégées dans des circonstances particulières. Ces exceptions ne figurent pas sous l'intertitre Utilisation équitable mais en constituent néanmoins une extension logique. Les acteurs ciblés sont:

  • Les établissements d’enseignement (en ce qui concerne les représentations d'œuvres à des fins pédagogiques, la reproduction d'émissions d'actualités, la reprographie) ;
  • Les bibliothèques, musées ou services d’archives (en ce qui concerne la gestion et conservation de collections et la reprographie d'articles de périodiques) ;
  • Les particuliers (en ce qui concerne les copies de sauvegarde de programmes d'ordinateur);
  • Les personnes ayant des déficiences perceptuelles (afin de leur permettre la reproduction d’une œuvre sur un autre support plus adapté) ;
  • Les entreprises de radiodiffusion et de programmation (afin de leur permettre la reproduction d'œuvres ou de prestations dans le cadre de leurs activités commerciales).

Certains de ces actes « ne doivent pas être accomplis dans l’intention de faire un gain » (art. 29.3). Enfin, d'autres situations sont expressément cataloguées comme ne constituant pas des violations. C'est le cas notamment de la communication de documents effectuée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Aspects particuliers

La citation courte

Selon le document écrit par Me Catherine Bergeron, avocate au cabinet Léger Robic Richard, avocats et intitulé « FAIR DEALING » canadien « FAIR USE » américain: une analyse de l'utilisation équitable en matière de droit d'auteur, on peut lire:

En vertu des principes généraux du droit d’auteur, n’importe qui est libre de reprendre sans autorisation une partie non importante d’une œuvre. Cela ne constitue pas une violation du droit d’auteur, il s’agit d’une activité acceptée et légitime. En effet, à l’art. 3 de la Loi sur le droit d’auteur, disposition à laquelle sont prévus les droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre, il est mentionné que le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre (...).

La parodie

Selon Me Bergeron (ibid), la parodie constitue un cas particulier au Canada. En effet, la loi canadienne prévoit une liste exhaustive des exceptions tombant sous le coup de l'utilisation équitable et il n'est nullement mention d'un droit de parodie. Alors que la parodie fait l'objet d'une mention explicite dans la loi française ou belge, la loi canadienne est muette sur le sujet.

Aux États-Unis, la jurisprudence assimile la parodie à la critique, et le caractère vague et non-exhaustif de la doctrine du fair use a permis à la Cour Suprême de déclarer que la parodie est un usage couvert par la doctrine du fair use. En Cour fédérale du Canada, dans la cause Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie (demanderesse) c. Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (1997) [1], le juge Teitelbaum a refusé de franchir ce pas. Par conséquent, au Canada, toute parodie peut être considéré comme une violation du droit d'auteur.

Processus de réforme de la Loi sur le droit d'auteur

Au Canada, la notion de droit d'auteur a fait son apparition en 1924, dans une loi calquée sur le Copyright Act britannique de 1911. Les premières modifications significatives à la législation canadienne ne furent apportées qu’à partir de 1988. La première de deux grandes étapes de réforme (la Phase I) favorisa les détenteurs de droits d'auteur, de par la multiplication des sociétés de gestion autrefois cantonnées dans le domaine musical. C’est ainsi que commença la collecte systématique de redevances par Cancopy (maintenant Access Copyright) et Copibec, dans tous les établissement d’enseignement offrant l’accès au photocopieur, nonobstant le fait qu'une grande partie des copies effectuées le sont conformément aux dispositions générales d’utilisation équitable permettant la reproduction d’œuvres à des fins de recherche ou d’étude privée, sans versement de redevances.

En 1997, le gouvernement a déposé une série d’amendements intitulée Phase II (Projet de loi C-32). La nouveauté majeure fut l’introduction de nouvelles exceptions destinées spécifiquement aux établissements d’enseignement sans but lucratif, aux bibliothèques, aux services d'archives et aux musées. Or la croissance presque simultanée du Web et des technologies numériques, ainsi que la multiplication des auteurs publiant sous forme numérique dans le cyberespace, ont rendu rapidement obsolètes certains passages de la Loi. Par exemple:

29.4 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci, à des fins pédagogiques et dans les locaux de l’établissement :

a) de faire une reproduction manuscrite d’une œuvre sur un tableau, un bloc de conférence ou une autre surface similaire destinée à recevoir des inscriptions manuscrites;
b) de reproduire une œuvre pour projeter une image de la reproduction au moyen d’un rétroprojecteur ou d’un dispositif similaire. [...]

Le choix de nommer certaines technologies plutôt que d'autres rend la Loi sur le droit d'auteur passablement déphasée par rapport à une réalité très changeante. L'impact de ce genre d'exception plus ou moins claire sur les établissements d'enseignement et la réussite de leur mission, notamment en ce qui concerne l'utilisation des technologies de l'information et le développement de l'enseignement à distance, fait d'ailleurs l'objet d'un grand débat dans les milieux juridiques canadiens anglais.

Un nouveau processus de réforme a été lancé en 2001 par les ministères de l’Industrie et du Patrimoine canadien, ce qui a mené le Comité permanent du Patrimoine canadien à entreprendre l'examen réglementaire de la Loi en 2003. Le Projet de loi C-60, qui visait à moderniser la Loi sur le droit d'auteur, a introduit de nombreuses exceptions supplémentaires adaptées au contexte numérique, au prix cependant d'une complexité encore plus grande. Ce projet de loi a toutefois été abandonné lors de la dissolution du Parlement ayant précédé l'Élection fédérale canadienne de 2006.

Nouvel éclairage apporté par le jugement CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada

Au paragraphe 48 de l'arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, rendu en 2004, la Cour suprême du Canada la Cour apporte des précisions au concept par cette observation générale, qui laisse entendre que l'utilisation équitable n'est pas qu'un simple moyen de défense ou une violation que l'on tolère, mais bien un droit des utilisateurs à part entière:

Avant d'examiner la portée de l'exception au titre de l'utilisation équitable que prévoit la Loi sur le droit d'auteur, il importe de clarifier certaines considérations générales relatives aux exceptions à la violation du droit d'auteur. Sur le plan procédural, le défendeur doit prouver que son utilisation de l'œuvre était équitable; cependant, il est peut-être plus juste de considérer cette exception comme une partie intégrante de la Loi sur le droit d'auteur plutôt que comme un simple moyen de défense. Un acte visé par l'exception relative à l'utilisation équitable ne viole pas le droit d'auteur. À l'instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d'auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs. Pour maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d'auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas l'interpréter restrictivement. (...) « [l]es droits des utilisateurs ne sont pas de simples échappatoires. Les droits du titulaire et ceux de l'utilisateur doivent donc recevoir l'interprétation juste et équilibrée que commande une mesure législative visant à remédier à un état de fait. »

(Citation originale en anglais, traduction officielle de la Cour suprême.)

Une fois cette observation faite, la Cour suprême du Canada propose, aux paragraphes 53 à 60, six critères pour évaluer l'usage équitable. (Le résumé ci-dessous est une traduction effectuée à partir de la page en:fair use)

  1. Le but de l'utilisation: Est-ce que c'est pour de la recherche, l'étude privée, la critique, une revue ou un reportage d'actualité? La Cour souligne que ces objectifs qui ouvrent la porte à l'usage équitable ne doivent pas être interprétés restrictivement car cela pourrait résulter en une restriction excessive (undue) des droits de l'utilisateur.
  2. La nature de l'utilisation: De quelle manière l'usage est-t-il fait? Est-ce une copie unique ou y a-t-il plusieurs copies? Est-ce que ces copies seront distribuées à tout vent ou remises à un groupe restreint de personnes. Est-ce que les copies ont été détruites après leur utilisation? Quelles sont les pratiques en usage dans le milieu?
  3. L'ampleur de l'utilisation: Quel pourcentage du travail original a été utilisé? Utiliser une portion infime suffit pour qualifier cela d'usage équitable mais il existe des circonstances où il faut citer ou copier une œuvre en entier.
  4. Solutions de rechange à l'utilisation: Est-ce qu'il existe une alternative non soumise au droit d'auteur? Est-ce que l'objet d'une critique peut être critiqué sans qu'il soit nécessaire de procéder à une copie?
  5. La nature de l'œuvre: La copie d'une œuvre qui n'a jamais été publiée peut être plus équitable que la copie d'une œuvre ayant déjà fait l'objet d'une publication "du fait que sa reproduction accompagnée d'une indication de la source pourra mener à une diffusion plus large de l'œuvre en question, ce qui est l'un des objectifs du régime de droit d'auteur. Par contre, si l'œuvre en question était confidentielle, la balance pourra pencher en faveur du caractère inéquitable de l'utilisation".
  6. L'effet de l'utilisation sur l'œuvre: Est-ce que l'utilisation d'une copie de l'œuvre affecte le marché de l'œuvre originale? "La concurrence que la reproduction est susceptible d'exercer sur le marché de l'œuvre originale peut laisser croire que l'utilisation n'est pas équitable. Même si l'effet de l'utilisation sur le marché est un facteur important, ce n'est ni le seul ni le plus important." Un avis à l'effet que l'utilisation est une infraction n'est pas suffisante mais son existence devra souvent être prouvée.

"Ces facteurs peuvent être plus ou moins pertinents selon le contexte factuel de la violation alléguée du droit d'auteur. Dans certains cas, d'autres facteurs que ceux énumérés peuvent aider le tribunal à statuer sur le caractère équitable de l'utilisation."

Notons que dans ce jugement, la Cour a statué que la copie faite sous le régime de l'utilisation équitable pouvait être faite dans un but lucratif. La cause impliquait la bibliothèque du Bareau du Haut-Canada. Dans son jugement, la Cour dit explicitement qu'un avocat qui utiliserait des photocopies de documents présents dans la bibliothèque du Barreau en vue de préparer une plaidoirie, étoffer un dossier et même établir sa facturation ne violait pas nécessairement la Loi, car cette utilisation, très lucrative pour lui, tombait précisément dans les termes couverts par le concept d'utilisation équitable.

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