Embolie pulmonaire

Embolie pulmonaire
Embolie pulmonaire
Classification et ressources externes
Pulmonary embolism.jpg
Un scanner thoracique montrant de nombreuses lacunes dans les principales branches des artères pulmonaires lors d'une embolie pulmonaire.
CIM-10 I26
CIM-9 415.1
DiseasesDB 10956
MedlinePlus 000132
eMedicine med/1958 
MeSH D011655

On parle d’embolie pulmonaire lorsqu'un caillot circulant dans le sang va boucher le système artériel irriguant le poumon. C’est l'une des deux manifestations, avec la thrombose veineuse profonde, de la maladie thrombo-embolique. L'embolie pulmonaire n'est donc qu'une complication de la thrombose veineuse profonde.

Article détaillé : Thrombose veineuse profonde.

Sommaire

Historique

La première description en a été faite par Virchow en 1859[1].

Les premières angiographies pulmonaires, ainsi que les premières scintigraphies, datent des années 1960. L'échographie-Doppler veineuse se développe à partir des années 1990. La fin de ces mêmes années voit se diffuser l'utilisation du dosage sanguin des D-dimères. L'utilisation large du scanner thoracique entraîne l'abandon de l'angiographie pulmonaire durant les années 1990.

Épidémiologie

Aux États-Unis, son incidence annuelle est de l'ordre de 70 pour 100 000 personnes[2].

Le diagnostic

Clinique

Le tableau classique de l'embolie pulmonaire comporte un essoufflement (dyspnée), une douleur thoracique, une tachycardie, parfois le patient peut cracher du sang (hémoptysie).

L'examen clinique montre une augmentation de la fréquence respiratoire (tachypnée), un pouls rapide (tachycardie). Il n’y a pas de signe d’insuffisance cardiaque gauche (auscultation pulmonaire normale). Si l’embolie pulmonaire est importante, on peut voir des signes d’insuffisance cardiaque droite (veine jugulaire dilatée = turgescence jugulaire, douleur au niveau du foie = hépatalgie, reflux hépato-jugulaire…).

Scores de prédictions cliniques
score de Wells [3]
symptômes d'une thrombose veineuse profonde 3 points
autres diagnostics envisagés[4]
moins probables que
celui d'embolie pulmonaire
3 points
fréquence cardiaque
>100/min
1,5 point
immobilisation ou chirurgie
dans les 4 dernières semaines
1,5 point
antécédent thromboembolique 1.5 point
hémoptysie 1 point
Cancer (dans les 6 derniers mois) 1 point

En présence d'une dyspnée ou d'une douleur thoracique, le score de Wells permet d'évaluer la probabilité clinique d'une embolie pulmonaire[3] :

  • score inférieur à 2 = probabilité faible < 5 %
  • score intermédiaire (2 à 6) = probabilité de 20 à 30 %
  • score supérieur à 6 = probabilité forte > 60 %

C'est Philip S. Wells qui a établi ces critères.

D'autres scores, basés sur le même principe, ont été développés. Le plus notable est celui de Genève[5] qui comprend 8 variables : âge > 65 ans (1 point), ATCD de TVP ou EP (3 points), chirurgie ou fracture récente < 1 mois (2 points), cancer évolutif (2 points), douleur à une jambe (3 points), hémoptysie (2 points), rythme cardiaque de 75 à 94 battements/min (3 points) ou ≥ 95 battements/min (5 points), et douleur à la palpation des veines profondes et œdème unilatéral d'une jambe (4 points).

  • score 0 à 3 = probabilité faible < 8 %
  • score intermédiaire (4 à 10) = probabilité de 28 %
  • score supérieur ou égal à 11 = probabilité forte de 74 %.


Adage

En fait, une embolie pulmonaire peut se présenter sous des tableaux extrêmement divers : fièvre au long cours, douleurs atypiques, malaise ou syncope, état de choc, voire être totalement silencieux. Un adage classique en médecine dit « on ne comprend rien au tableau du patient : c’est une embolie pulmonaire jusqu’à la preuve du contraire ». De même, il y a souvent une mauvaise corrélation entre l’importance de l’embolie et le tableau clinique, mais une mauvaise tolérance (chute tensionnelle, signe d’insuffisance cardiaque droite, dyspnée importante) est fortement en faveur d'une embolie pulmonaire massive.

ECG

L'ECG n’est pas spécifique et les modifications sont très inconstantes. L'ECG d'un « cœur pulmonaire aigu », dont l'EP est l'étiologie principale, traduit une surcharge brutale du travail systolique du ventricule droit due à une augmentation souvent brutale de la postcharge du ventricule droit en rapport avec une occlusion artérielle pulmonaire.

On peut retrouver certaines anomalies, de survenue précoce et réversibles. Cinq anomalies principales évoquent le diagnostic de cœur pulmonaire aigu [6]:

  • Apparition d'une fibrillation auriculaire rapide. Tachycardie sinusale, retrouvée dans environ 25 % des EP ;
  • Aspect S1Q3, retrouvé dans environ 50% des cas et non spécifique. Défini par une onde S en DI et une onde Q en DIII.
  • Bloc de branche droit incomplet, fréquent mais fugace. Défini par une durée du QRS > 0.08 s et < 0.12 s et par un retard à l'inscription de la déflexion intrinsécoïde en V1 > 0.04 s. Les QRS ont un aspect RSR' en V1.
  • Déplacement vers la gauche de la zone de transition des QRS, retrouvée dans environ 50 % des cas ;
  • Troubles de repolarisation, retrouvé dans environ 70 % des cas et persistant plusieurs jours, avec inversion des ondes T dans le territoire antérieur (V1 à V3) avec des ondes T pointues et symétriques, évocatrices d'ischémie.



Signes électrocardiographiques évocateurs d'un cœur droit aigu [6]
  • Fibrillation auriculaire rapide.
  • Aspect S1Q3
  • Bloc de branche droit incomplet
  • Déplacement vers la gauche de la zone de transition
  • Inversion des ondes T en antérieur


Biologie

Elle est identique à celle de la thrombose veineuse profonde (D-dimères, hémostase (bilan de la coagulation), recherche d'une anomalie constitutionnelle si besoin). En particulier, un taux normal de D-Dimère permet d'exclure le diagnostic la plupart du temps[7], sauf si le diagnostic d'embolie pulmonaire est considéré d'emblée comme hautement probable[8].

La gazométrie artérielle montre une diminution du contenu en oxygène du sang (hypoxémie) et une diminution du contenu en gaz carbonique du sang (hypocapnie). Si ces paramètres sont très perturbés, cela est en faveur d’une embolie pulmonaire importante.

Imagerie médicale

Elle a deux buts :

  • faire le diagnostic positif : visualiser le thrombus
  • faire le diagnostic de gravité : nombre et type d’artères pulmonaires atteintes.

On dispose au choix de :

  • La scintigraphie pulmonaire :
    • de perfusion : on injecte par voie veineuse un marqueur radioactif et on place une caméra de détection de la radioactivité au niveau du thorax du patient. S'il existe une occlusion artérielle pulmonaire, le marqueur n'est alors pas détecté au niveau du lobe pulmonaire concerné. On constate alors une hypofixation qui fait porter le diagnostic d'embolie. C’est un examen simple, peu dangereux pour le patient même s'il emploie des radio isotopes. Il permet de faire un diagnostic positif et un diagnostic de gravité (taille de l'hypofixation). Par contre, il peut passer à côté de petites migrations. De même, n'importe quelle pathologie pulmonaire (et même le simple fait de fumer) altère les images en les rendant plus difficilement interprétables.
    • de perfusion et de ventilation : on couple l’examen précédent avec une seconde scintigraphie, dite de ventilation. Le patient respire un gaz radioactif qui est détecté ensuite au niveau alvéolaire par une caméra. Typiquement une embolie pulmonaire se caractérise par une hypofixation sur la scintigraphie de perfusion avec une scintigraphie de ventilation normale au même endroit. Cela permet d’affiner le diagnostic en cas de pathologie pulmonaire préexistante. L’examen revient cependant sensiblement plus cher.
  • L'angiographie pulmonaire : un cathéter (long et fin tuyau) est introduit par voie haute (humérale) ou par voie basse (fémorale) jusque dans le tronc de l’artère pulmonaire et un produit de contraste iodé est alors injecté. Plusieurs clichés radiologiques sont alors pris selon différentes incidences. Il permet un diagnostic positif et de gravité. Classiquement considéré comme l’examen de référence, à utiliser lorsque les autres explorations ne permettent pas de trancher. C’est cependant un examen invasif, avec le problème de l’injection de produits iodés (insuffisance rénale, allergie) et qui est de moins en moins utilisé.
scanner, montrant une embolie dans les artères pulmonaires centrales (embolie dite en selle)
  • Le scanner spiralé des artères pulmonaires[9] ou angioscanner des artères pulmonaires : un produit de contraste iodé est injecté en intraveineux. Le mouvement rotatif et longitudinal (caractère spiralé) de la tête du scanner permet de bien visualiser les artères pulmonaires proximales et moyennes et un peu moins bien leur distalité. C’est un excellent examen de diagnostic positif et de gravité, même si les risques liés à l’emploi de produits iodés et la radiation persistent. Il est moins invasif que l'angiographie conventionnelle. Il permet aussi l'évaluation de plusieurs autres structures intrathoraciques (aorte et médiastin, poumon, plèvre), en plus de l'évaluation des artères pulmonaires. Il est considéré souvent comme le nouvel examen de référence.
  • La réalisation dans les 48 heures d'une échographie Doppler à la recherche d'une phlébite profonde des membres inférieurs ou des veines du réseau veineux profond abdominal doit être systématique.

À part : l'échographie cardiaque : ne permet qu'exceptionnellement de visualiser un thrombus, mais apporte un certain nombre d'arguments si l'embolie est massive : dilatation des cavités droites avec augmentation des pressions droites.

La radiographie pulmonaire ne montre aucune image spécifique. Elle permet essentiellement d’éliminer une autre cause à l'essoufflement. L'IRM est de réalisation délicate pour le diagnostic d'embolie pulmonaire avec une sensibilité non optimale[10].

Le choix de l'examen diagnostic dépend de la disponibilité de ceux-ci et de la probabilité du diagnostic positif.

Évolution de l'embolie pulmonaire

Sous un traitement bien conduit, l'embolie pulmonaire peut guérir sans séquelle, mais il peut subsister un essoufflement plus ou moins invalidant.

La plupart des embolies pulmonaires (60 % à 80 %) n'ont aucune manifestation clinique puisque le thrombus est de petite taille.

Une embolie pulmonaire massive peut conduire à un état de choc, voire à un arrêt cardio-circulatoire. Sa mortalité atteint un peu plus de 15 % dans les trois premiers mois[11].

Dans 1% des cas, l'évolution se fait vers l'installation d'une hypertension artérielle pulmonaire caractérisée par une pression systolique de l'artère pulmonaire supérieure à 40 mmHg[12]. Cette hypertension peut être silencieuse ou se manifester par un essoufflement, une fatigabilité. Le traitement repose sur l'ablation chirurgicale des embols (thrombectomie) lorsqu'elle est possible[13]. et l'anticoagulation. Si la thrombectomie n'est pas possible, un traitement médicamenteux (bosentan, sildénafil...) peut être tenté.


Le traitement de l'embolie pulmonaire

Plusieurs recommandations sur la prise en charge de l'embolie pulmonaire ont été publiées par des instances internationales. Les plus récentes l'ont été en 2007 par l'American college of physicians[14] et en 2008 par l'European Society of cardiology[15].

L'hospitalisation est théoriquement indispensable. S'il s'agit d’une embolie pulmonaire grave, l'admission en soins intensifs est préférable. Dans les formes non graves, elle peut être discutée[16].

Une oxygénothérapie est mise en route dans un premier temps de façon non invasive (à réévaluer avec la tolérance de l'embolie).

Une anticoagulation en intraveineuse ou en sous-cutanée par héparine ou HBPM est débutée avec un relais dans les 7 jours (pour éviter une thrombopénie induite par l'héparine) par AVK qui seront continués au moins pendant 3 mois suivant le contexte. Le choix entre héparine non fractionnée (en seringue électrique) et HBPM repose essentiellement sur les habitudes du prescripteurs, les deux options ayant une efficacité équivalente[17].

Le lever est fait après 48h minimum d'anticoagulation bien conduite en présence d'une infirmière et avec des contentions élastiques de type bande à varices.

Si l'embolie pulmonaire est grave (mauvaise tolérance clinique et/ou importance de l’embolie sur les imageries) avec un risque vital, on peut proposer un traitement fibrinolytique[15] (ou thrombolyse).

  • Cette dernière a pour but de dissoudre rapidement le caillot (quelques heures au lieu de quelques jours). Elle est injectée en une cure de perfusion de courte durée (en général bolus initial suivie d'une perfusion sur 2 heures).
  • Le risque hémorragique peut être important : il est capital de respecter les contre-indications (chirurgie récente, maladie de l'hémostase, ponction artérielle, HTA non maîtrisée, AVC récent…)

En cas de contre-indication ou d'échec de la thrombolyse, en dernier recours, une thrombectomie chirurgicale de sauvetage peut être envisagée par sternotomie sous circulation extra-corporelle.

Notes et références

  1. Virchow RLK, Cellular Pathology, 1859
  2. Silverstein MD, Heit JA, Mohr DN, Petterson TM, O'Fallon WM, Melton LJ III, Trends in the incidence of deep vein thrombosis and pulmonary embolism: a 25-year population-based study, Arch Intern Med, 1998;158:585-593
  3. a et b Wells PS, Anderson DR, Rodger M et als. Excluding pulmonary embolism at the bedside without diagnostic imaging: management of patients with suspected pulmonary embolism presenting to the emergency department by using a simple clinical model and D-dimer, Ann Intern Med, 2001;135:98-107
  4. infarctus du myocarde,angor instable,insuffisance cardiaque, péricardite, asthme, pneumothorax, pneumonie, épanchement pleural, cancer du poumon, douleurs musculosquelettiques de la paroi thoracique
  5. Le Gal G, Righini M, Roy PM et als. Prediction of pulmonary embolism in the emergency department: the revised Geneva score, Ann Intern Med, 2006;144:165-171
  6. a et b Frédéric Adnet, Frédéric Lapostolle, Tomislav Petrovic, ECG en urgence : Cas clinique, analyse ECG, stratégie thérapeutique, Arnette Blackwell, 2003, broché, 271 p. (ISBN 2718410701) [présentation en ligne], « Le syndrome de la passerelle, page 256-260 » 
  7. Kruip MJ, Slob MJ, Schijen JH, van der Heul C, Büller HR, Use of a clinical decision rule in combination with D-dimer concentration in diagnostic workup of patients with suspected pulmonary embolism: a prospective management study, Arch Intern Med, 2002;162:1631-1635
  8. Righini M, Aujesky D, Roy PM et als. Clinical usefulness of D-dimer depending on clinical probability and cutoff value in outpatients with suspected pulmonary embolism, Arch Intern Med, 2004;164:2483-2487
  9. Cette appellation témoigne de l'époque où les scanners ne pouvait acquérir que des coupes planes, le sujet étant immobilisée entre chaque image. L'acquisition "spiralée" constitue la règle des scanners actuels
  10. Stein PD, Chenevert TL, Fowler SE et Als. Gadolinium-enhanced magnetic resonance angiography for pulmonary embolism: A multicenter prospective study (PIOPED III), Ann Intern Med, 2010;152:434-443
  11. Goldhaber SZ, Visani L, De Rosa M, [Goldhaber SZ, Visani L, De Rosa M. Acute pulmonary embolism: clinical outcomes in the International Cooperative Pulmonary Embolism Registry (ICOPER). Lancet 1999;353:1386-1389 Acute pulmonary embolism: clinical outcomes in the International Cooperative Pulmonary Embolism Registry (ICOPER)], Lancet, 1999;353:1386-1389
  12. Becattini C, Agnelli G, Pesavento R et Als. Incidence of chronic thromboembolic pulmonary hypertension after a first episode of pulmonary embolism, Chest, 2006;130:172-175
  13. Piazza G, Goldhaber SZ, Chronic thromboembolic pulmonary hypertension, N Engl J Med, 2011;364:351-360
  14. (en)Snow V, Qaseem A, Barry P et Als.Management of venous thromboembolism: a clinical practice guideline from the american college of physicians and the american academy of family physicians, Ann Intern Med, 2007;146;204-210
  15. a et b Torbicki A, Perrier A, Konstantinides S et Als, guidelines on the management of acute pulmonary embolism, Eur Heart J, 2008;29:2276-2315
  16. Aujesky D, Roy P-M, Verschuren F et al. Outpatient versus inpatient treatment for patients with acute pulmonary embolism: an international, open-label, randomised, non-inferiority trial, Lancet, 2011;378:41-48
  17. Quinlan DJ, McQuillan A, Eikelboom JW, Low-molecular-weight heparin compared with intravenous unfractionated heparin for treatment of pulmonary embolism: a meta-analysis of randomized, controlled trials, Ann Intern Med, 2004;140:175-183

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