Affaire Adidas

Affaire Adidas

L’affaire Adidas est une affaire opposant l'homme d'affaire français Bernard Tapie à la banque française Crédit lyonnais, banque publique au moment des faits.

Sommaire

Le rachat d'Adidas par le groupe Bernard Tapie

En juillet 1990, le groupe Bernard Tapie s'est porté acquéreur de la société Adidas auprès des sœurs Dassler, héritières des fondateurs de la marque. Afin de financer cet investissement de 1,6 milliard de francs, il a bénéficié d'un prêt syndiqué par plusieurs pools bancaires, à majorité étrangères (allemandes et japonaises pour l’essentiel), et à minorité françaises, notamment avec la SDBO, filiale du Crédit lyonnais et banquier du groupe Tapie depuis de nombreuses années. À cette occasion, les AGF, l'UAP et le Crédit lyonnais entrent au capital de la marque de sport.

L'entreprise a été rachetée pour une somme jugée peu élevée à l'époque. En effet, l'entreprise possède la quatrième marque la plus connue au monde. Mais elle fait face à plusieurs difficultés : elle affiche de lourdes pertes, souffre d'une image vieillote, et contrairement à ses grands concurrents comme Nike ou Reebok, fabrique encore une part importante de sa production dans des pays à main-d'œuvre onéreuse, comme l'Allemagne, berceau du groupe.

Le groupe Adidas a besoin d'être restructuré pour redevenir profitable, et c'est le but de Bernard Tapie lorsqu'il en prend possession. Il s'agit d'un chantier important nécessitant d'y consacrer toute son énergie et on s'interroge sur la capacité de Bernard Tapie de mener à bien de front ses ambitions politiques, sportives, et ce chantier industriel qui vient en addition de son groupe déjà constitué d'une quarantaine de sociétés. L'intéressé déclare pourtant : « Adidas, c'est l'affaire de ma vie. »

Le redressement d'Adidas

Bernard Tapie engage de 1990 à 1992 les réformes lourdes et coûteuses qui vont permettre de redresser Adidas : recours généralisé à la sous-traitance, délocalisation d'une partie de la main d'œuvre, redéfinition de la politique de distribution, et refonte du marketing par l'engagement du patron du design de Nike. Adidas va ainsi pour la première fois de son histoire changer de logo, la fleur de lotus étant remplacée par un plus moderne triangle matérialisé par trois bandes parallèles, logo toujours en place aujourd'hui. Les coûts de restructuration sont élevés (en 1992, Adidas enregistre une perte de 500 millions de francs français), mais les résultats apparaissent : dès 1993, la société est de retour à l'équilibre. Et en 1994, pour la première fois depuis plus de dix ans, elle recommence à engranger des profits.

Robert Louis-Dreyfus reprend l'affaire en 1993 et poursuit pendant deux ans le business plan de Bernard Tapie. Il déclarera au sujet de la gestion Tapie « Bernard Tapie et ses équipes avaient fait de l'excellent travail. Lorsque j'ai repris l'affaire, elle était à 80 % restructurée, c'est pourquoi j'ai décidé de poursuivre le plan dirigé par Gilberte Beaux [collaboratrice de Bernard Tapie], nos premières véritables décisions stratégiques n'intervenant qu'à partir de 1995, à commencer par l'introduction en Bourse[1]. »

Le virage de Bernard Tapie vers la politique et la décision de revendre

Depuis 1988 et son entrée en politique, Bernard Tapie réalise des performances électorales qui feront dire à François Mitterrand à son sujet qu'il l'« épate »[2]. Aussi, lorsque François Mitterrand décide, en avril 1992, de remplacer son Premier Ministre, Édith Cresson, dont la cote de popularité est en perdition, par Pierre Bérégovoy, ce dernier soumet au Président la candidature de Bernard Tapie au sein du gouvernement. Le Président y est favorable mais à une condition : que Bernard Tapie se retire totalement des affaires, François Mitterrand considérant incompatibles la position de Ministre et celle d’homme d’affaires de haut niveau.

Bernard Tapie accepte et décide de revendre l'intégralité de ses affaires pour se consacrer exclusivement à la politique. Il donne pour cela mandat à sa banque, Le Crédit lyonnais, partenaire depuis 17 ans, le prix de vente pour Adidas étant par lui fixé à un minimum de 2,085 milliards de francs.

La revente d'Adidas

Le 15 février 1993, pour la somme de 2,085 milliards de francs (315,5 millions d'euros), l'entreprise est revendue par l'intermédiaire du Crédit Lyonnais, mandaté à cet effet, à un groupe d'investisseurs emmenés par Robert Louis-Dreyfus. Bernard Tapie, ayant reçu le montant minimum prévu au mandat, ne conteste pas la vente. Par ailleurs, le memorandum signé en décembre 1992 entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais suit son cours : il prévoit le changement progressif de l'activité du groupe Tapie qui doit passer, avec la volonté de Bernard Tapie de ne se consacrer qu'à la politique, d'une activité de groupe industriel actif à un groupe de placement financiers, en revendant progressivement les différentes sociétés restantes du groupe, le produit des reventes permettant le remboursement des dettes qui ont servi pour partie à acquérir ces sociétés, et permettant la constitution, à part égale avec le Crédit Lyonnais, d'une société de capital risque destiné à prendre des participations financières dans des sociétés prometteuses.

Mais en mars 1994, parmi les nombreuses dispositions du memorandum, une, non fondamentale, n'est pas respectée : l'expertise sur la valeur des meubles de Bernard Tapie, qui se porte caution personnellement sur les dettes de son groupe, n'est pas fournie à la date prévue. Dès le lendemain de cette date, le Crédit Lyonnais signifie sur la base de ce manquement, de manière unilatérale et irrévocable, la rupture de l'accord de memorandum ; et demande comme la loi le permet en tel cas le remboursement immédiat des dettes restantes. L'expertise est fournie le lendemain, donc avec un jour de retard, mais le Crédit Lyonnais reste sur sa position. Dans la foulée la mise en liquidation du groupe Tapie est demandée par le Crédit Lyonnais, et obtenue moins d'un mois après.

La brutalité de la rupture (un memorandum portant sur plus d'un milliard de francs d'actif n'étant normalement jamais cassé irrévocablement pour un retard de 24 heures dans la fourniture d'une pièce non essentielle) ; et la vitesse de mise en liquidation (un groupe de plus d'un milliard de francs d'actifs et de plus de 5 000 employés ne se voyant quasiment jamais mis en liquidation immédiate sans en mise en sauvegarde préalable ou la recherche d'un plan de continuation)feront douter de la légitimité de l'action du Crédit Lyonnais, banque publique, et créeront une suspicion d'assassinat politique de Bernard Tapie, qui vient alors de faire réaliser au Parti Socialiste son plus mauvais score aux élections européennes de 1994 (14,5 %), la liste de Bernard Tapie la talonnant à plus de 12 % des voix.

Mis en faillite Bernard Tapie s'intéresse aux conditions de la revente d'Adidas, et découvre que Robert Louis-Dreyfus et les autres acquéreurs ont acquis Adidas dans des conditions très inhabituelles : les 2 milliard de francs versés au Groupe Tapie pour l'achat d'Adidas ont été financés par la SDBO, filiale du Crédit Lyonnais, et par des prêts à recours limité et à taux d'intérêt symbolique. En d'autres termes c'est le Crédit Lyonnais, via sa filiale, qui porte le risque financier de l'opération de deux milliard de francs, pour ne gagner que des intérêts symboliques... Autre étrangeté : il existe une option donnée aux acheteurs pour acquérir la totalité du capital d'Adidas dans les 24 mois pour 2,6 milliard de francs supplémentaires. Or qui sont les bénéficiaires de la plus-value entre les 2 milliards versés au Groupe Tapie et les 2,6 milliards supplémentaires en cas de levée de l'option par les acheteurs ? Des fonds offshores, dont les actions sont détenues par des sociétés offshores, Citibank et Citistar.

L'option est effectivement levée le 26 décembre 1994 par Robert Louis-Dreyfus qui prend le contrôle d'Adidas. Adidas est ensuite cotée le 17 novembre 1995 à la Bourse de Francfort pour une somme totale de 3,280 milliards de deutsche mark (1,677 milliard d'euros). La société achetée par Bernard Tapie en 1990 pour 1,6 milliard de francs vaut donc cinq ans plus tard 1,6 milliard d'euros, soit 6,5 fois plus.

Selon Bernard Tapie, si le Crédit Lyonnais a assumé le risque financier de l'opération pour 2 milliards de francs, ce n'est certainement pas pour toucher les intérêts symboliques des prêts consentis aux acheteurs, mais bien pour toucher les 2,6 milliards de francs de plus-value lorsque l'option serait levée par Rober Louis-Dreyfus. Et la nature offshore des fonds utilisés sert à préserver l'anonymat du Crédit Lyonnais.

Si ce qu'affirme Bernard Tapie à l'époque est vrai, cela signifie que le Crédit Lyonnais a réalisé une plus-value de 2,6 milliards de francs (396 millions d'euros) sur son affaire et « dans son dos », commettant deux fautes répréhensibles en droit : la faute au mandat, qui consiste à ne pas être loyal avec son client, en ne l’informant pas de la possibilité de vendre son affaire plus cher ; et l’interdiction pour le mandataire (la banque) de se porter contrepartie, c'est-à-dire d’acquérir elle-même le bien (Adidas) qu’elle est chargée de vendre pour le compte de son client. Dans un premier temps, Jean Peyrelevade, président du Crédit lyonnais de 1993 à 2003, étaye cette thèse devant la justice en parlant de « portage » effectué par la banque, avant de se rétracter. Puis le Crédit lyonnais va définitivement contester cette version des faits devant toutes les cours qui jugent l'affaire.

Les procès

Dès le 4 juillet 1995, au titre de la plus-value réalisée, Bernard Tapie réclame 229 millions d'euros au Crédit lyonnais ainsi qu'au Consortium de réalisation (CDR), structure créée par l'État en 1995 pour liquider le passif du Crédit lyonnais après sa quasi-faillite de 1993-1994. Il l'assigne devant le Tribunal de Commerce de Paris.

Les jugements des institutions judiciaires

Le 7 novembre 1996, le Tribunal de Commerce de Paris condamne le Consortium de réalisation à verser à Bernard Tapie une provision de 600 millions de francs (91,5 millions d'euros).

Le 12 octobre 1998, devant le Tribunal de Commerce de Paris, Bernard Tapie réclame 6,5 milliards de francs (990 millions d'euros) pour « montage frauduleux ». Le tribunal transfère le dossier à la Cour d'Appel de Paris et annule la provision de 600 millions de francs. En jouant sur une spécificité du droit français qui précise que le « pénal tient le civil en l’état », en d’autres termes que tant que Bernard Tapie n’aura pas terminé d’être jugé sur sa faillite, l’affaire Adidas ne pourra pas être jugée ; les avocats du Crédit Lyonnais parviennent à retarder le jugement en appel pendant neuf ans.

Le 12 novembre 2004, la cour d'appel de Paris autorise une médiation entre Bernard Tapie et l'État, seul propriétaire du CDR, pour un accord amiable, mais la médiation échoue. Le 30 septembre 2005, neuf ans après le premier jugement, la cour d'appel condamne le Consortium de réalisation (CDR) à payer 135 millions d'euros à Bernard Tapie. Elle fixe le préjudice de Bernard Tapie à 66 millions d'euros augmentés de l'inflation et de la hausse du titre Adidas.

Le 9 octobre 2006, la Cour de cassation, saisie par le CDR à la demande du gouvernement, casse le jugement de la cour d'appel, sans se prononcer sur le fond du dossier, mais en jugeant que la cour d'appel « n'avait pas caractérisé les éléments qui auraient permis d’établir, selon la jurisprudence en la matière, que le Crédit lyonnais était obligé par un contrat auquel il n’était pas partie »[3].

Ce jugement n'est jugé satisfaisant par aucune des parties :

  • Pour Bernard Tapie, cela signifie qu'il doit retourner devant la cour d'appel, puis éventuellement à nouveau devant la cour de cassation, soit 7 à 10 ans de délai supplémentaire, dans une affaire qui dure depuis treize ans.
  • Pour le CDR, la cour de cassation ayant confirmé la recevabilité de la plainte envers le Crédit Lyonnais, un nouveau risque existe : celui de la demande en annulation de la vente d'Adidas par Bernard Tapie, auquel cas le préjudice couramment estimé est la valeur de la société le jour du jugement. Soit aux alentours de 3 milliards d'euros de risque maximum[4].

C'est pourquoi, le 25 octobre 2007, Bernard Tapie et les représentants du CDR acceptent le passage par un tribunal arbitral, procédure fréquemment utilisée pour régler les conflits de droit commercial privé. Les conditions de l'arbitrage sont strictes et acceptées par toutes les parties. Elles comprennent notamment à la demande du CDR un plafonnement des dommages potentiellement accordés à Bernard Tapie et sa renonciation à demander l'annulation de la vente d'Adidas. Parmi les conditions de l'arbitrage figure le fait que le tribunal devra juger « en droit », c'est-à-dire uniquement sur le fondement des décisions rendues par les juridictions publiques. Ce tribunal est composé de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Denis Bredin, avocat, et Pierre Estoup, magistrat ; tous acceptés par toutes les parties en tant que juges-arbitres.

Le jugement du tribunal arbitral

Le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral condamne le CDR à verser à Bernard Tapie 285 millions d’euros, dont 45 millions d'euros à titre de préjudice moral[4],[5].

D'après le ministère de l'Économie, « l'ancien homme d'affaires touchera entre 20 et 50 millions d'euros, une fois pris en compte les intérêts, la fiscalité et les créances du CDR »[6].

Ce jugement créera une forte polémique reprise par plusieurs hommes politiques qui déposeront des recours devant le Tribunal Administratif ; recours déboutés par ce Tribunal qui ne relèvera aucune faute ni dans le fond ni dans la forme de la procédure (voir détails dans l'article Bernard Tapie) ; mettant un terme définitif, sur le plan juridique, à l'affaire Adidas.

Les détails de l’affaire ont été exposés le 10 septembre 2008 devant la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, où Bernard Tapie et les autres protagonistes ont été entendus par les députés[7].

Notes et références

Lien externe



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Affaire Adidas de Wikipédia en français (auteurs)

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