Centrale à fusion inertielle

Centrale à fusion inertielle

Une centrale à fusion inertielle est destinée à produire industriellement de l'électricité à partir de l'énergie de fusion par des techniques de confinement inertiel. Ce type de centrale en est encore au stade de la recherche.

On considère souvent que le seul procédé de fusion qui ait des chances d'aboutir à moyen terme (d'ici quelques décennies) à la production civile d'énergie est la filière tokamak utilisant la technique du confinement magnétique, représentée par le projet ITER. Cependant, des études récentes permettent d'envisager, parallèlement à la filière tokamak, la mise en place d'une seconde filière de production utilisant de telles centrales à fusion inertielle.

Sommaire

Fission et fusion

Une fission nucléaire de l'uranium 235.
La fusion nucléaire du deutérium et du tritium.

Contrairement à la fission dans laquelle des noyaux d'atomes lourds se scindent de façon à former des noyaux plus légers, la fusion se produit lorsque deux noyaux d'atomes légers se réunissent pour former un noyau plus lourd. Dans les deux cas, la masse totale des noyaux produits étant inférieure à la masse d'origine, la différence est transformée en énergie selon la célèbre formule d'Einstein E=mc² (où E est l'énergie produite, m la masse disparue et c la vitesse de la lumière dans le vide).

La fission utilise comme combustible l'uranium ou le plutonium; l'uranium est un élément disponible naturellement (bien qu'en quantités limitées), et le plutonium est un élément artificiel produit grâce à des réactions nucléaires.

La fusion civile utilise des isotopes de l'hydrogène : le deutérium (constituant de l'eau lourde), en quantités quasi illimitées dans les océans, et le tritium, existant naturellement en petites quantités dans l'atmosphère[1], mais surtout produit artificiellement[2]; d'autres éléments, comme le lithium, sont utilisés dans les bombes H.

Les techniques de production civile d'énergie de fusion

Deux techniques concurrentes sont candidates à la production civile d'énergie de fusion :

  • la fusion par confinement magnétique : c'est celle qui est mise en œuvre dans le projet ITER; les réacteurs utilisant cette technique sont constitués d'une vaste enceinte en forme de tore, à l'intérieur de laquelle un plasma constitué d'un combustible de fusion (mélange de deutérium et de tritium dans le projet actuel), confiné par des champs magnétiques intenses, est porté à très haute température (plus de 100 millions de degrés) pour permettre aux réactions de fusion de prendre naissance ; ce type de réacteur est destiné à fonctionner en régime quasi continu ;


Une microcapsule de combustible pour confinement inertiel par laser.


  • la fusion par confinement inertiel : c'est celle qui serait mise en œuvre dans les réacteurs à fusion inertielle en projet; l'énergie proviendrait, non pas d'un plasma fusionnant de façon continue, mais de la fusion de microcapsules de combustible, répétée de façon cyclique, selon un principe analogue à celui du moteur à explosion, la fusion étant obtenue grâce à la densité et à la température atteintes dans la microcapsule lorsqu'elle est soumise à un rayonnement laser (confinement inertiel par laser), à un faisceau de particules (confinement inertiel par faisceau d'ions) ou à un processus de striction magnétique (confinement inertiel par striction magnétique).


Historique des énergies de fusion

Explosion de Ivy Mike, la première bombe H testée.

La fission comme la fusion ont d'abord été utilisées dans le domaine militaire, pour la réalisation de bombes de très forte puissance : bombes A pour la fission et bombes H pour la fusion. C'est d'ailleurs une petite bombe A qui sert d'« allumette » à la bombe H en produisant l'énergie nécessaire à la détonation de celle-ci.

Les applications civiles, pour lesquelles la production d'énergie ne se fait plus de façon explosive, mais sous une forme contrôlée, ne sont apparues que par la suite. Si, pour la fission, il s'est écoulé moins de 10 ans entre les applications militaires et la production civile d'énergie[3], il n'en a pas été de même pour la fusion, plus de 50 ans s'étant déjà écoulés[4] sans qu'aucune centrale de production n'ait encore été mise en service.

Le premier brevet de réacteur à fusion[5] a été déposé en 1946 par l'Autorité de l'Énergie Atomique du Royaume Uni, l'invention étant due à Sir George Paget Thomson et Moses Blackman. On y trouve déjà certains principes de base utilisés dans le projet ITER : la chambre à vide en forme de tore, le confinement magnétique, et le chauffage du plasma par ondes radio-fréquence.

Dans le domaine du confinement magnétique, ce sont les travaux théoriques réalisés en 1950-1951 en Union soviétique par I.E. Tamm et A.D. Sakharov qui ont jeté les bases de ce qui deviendra le tokamak, les recherches et développements réalisés ensuite au sein de l'Institut Kurchatov de Moscou ayant conduit à la concrétisation de ces idées. Des équipements de recherche de ce type ont par la suite été développés dans de nombreux pays et, bien que le stellarator l'ait un moment concurrencé, c'est le principe du tokamak qui a été retenu pour le projet international ITER.


Le phénomène de la striction magnétique est connu depuis la fin du XVIIIe siècle[6]. Son utilisation dans le domaine de la fusion est issue de recherches effectuées sur des dispositifs toroïdaux, d'abord au Laboratoire de Los Alamos dès 1952 (Perhapsatron), et en Grande-Bretagne à partir de 1954 (ZETA), mais les principes physiques restèrent longtemps mal compris et mal maitrisés. Cette technique ne fut efficacement mise en œuvre qu'avec l'apparition du principe de la « cage à fils » dans les années 1980.

Bien que l'utilisation de lasers pour déclencher des réactions de fusion ait été envisagée auparavant, les premières expériences sérieuses n'eurent lieu qu'après la conception de lasers d'une puissance suffisante, au milieu des années 1970. La technique d'implosion « ablative » d'une microcapsule irradiée par des faisceaux laser, base du confinement inertiel par laser, fut proposée en 1972 par le Lawrence Livermore National Laboratory.

Avantages de la fusion

Les partisans de l'énergie de fusion mettent en avant de nombreux avantages potentiels par rapport aux autres sources d'énergie électrique :

La Terre vue de l'espace (mission Apollo 17).
  • aucun gaz à effet de serre, comme le gaz carbonique, n'est dégagé ;
  • le combustible, constitué de deutérium ou de tritium (isotopes de l'hydrogène) dans la plupart des projets actuels, ne présente aucun risque de pénurie : le deutérium existe en quantité quasi illimitée dans les océans, et le tritium est un sous-produit de la production d'énergie nucléaire, aussi bien de fission que de fusion;
  • la quantité de déchets radioactifs est beaucoup plus faible[7] que celle produite par les réacteurs nucléaires à fission actuellement utilisés ; mais surtout, la période radioactive des déchets est beaucoup plus courte, de l'ordre de quelques dizaines d'années, contre des centaines de milliers d'années, voire des millions d'années, pour les déchets des réacteurs à fission.

De plus, la fusion inertielle devrait permettre des installations de taille et de coût réduits par rapport à la filière tokamak-ITER, ce qui autoriserait une production d'énergie plus décentralisée.


Les projets de centrale à fusion inertielle

Les divers projets concurrents

Plusieurs projets concernent des centrales à fusion inertielle. On trouve notamment :

Un seul d'entre eux utilise le confinement par striction magnétique, tous les autres ayant retenu le confinement par laser.

Les diverses phases d'un tel type de projet sont les suivantes[8]:

  1. démonstration de l'allumage : obtention reproductible d'un dégagement d'énergie.
  2. démonstration d'un gain élevé : réalisation d'une installation démontrant la faisabilité d'un réacteur ayant un gain énergétique suffisant.
  3. démonstration industrielle : validation des différents choix techniques et de l'ensemble des données nécessaires à la définition d’un réacteur de type commercial.
  4. démonstration commerciale : démonstration de l'aptitude du réacteur à fonctionner sur une longue période en respectant les exigences de sûreté, de fiabilité et de coût.

À l'heure actuelle et selon les données disponibles[9], aucun des projets basés sur la fusion par confinement inertiel n'a dépassé la première phase, que ce soit par laser (bien que l'espoir soit grand d'y parvenir lors de la mise en service complète du NIF et de Mégajoule, autour de 2010) ou par striction magnétique (Z machine) ; ces techniques doivent maintenant démontrer leur faculté d'obtenir un gain élevé en énergie de fusion, ainsi que leurs capacités de fonctionnement répétitif.

Principes généraux d'un réacteur à fusion inertielle

Pour en faciliter la compréhension, on s'appuiera sur l'analogie de son fonctionnement avec celui du moteur à explosion. En utilisant cette analogie, on peut se représenter le processus comme un cycle à 4 temps :

  • admission du combustible (la microcapsule) dans la chambre du réacteur ;
  • compression de la microcapsule afin de donner naissance aux réactions de fusion ;
  • combustion (fusion) au sein du plasma créé lors de la compression, entrainant la libération d'énergie ;
  • échappement des résidus de la réaction, qui seront ensuite traités pour en extraire les éléments réutilisables, comme le tritium.

Pour permettre ce type de fonctionnement, un réacteur à fusion inertielle se compose de plusieurs sous-ensembles :

« Hohlraum » en or utilisé dans le confinement par laser.
  • le système permettant l'injection, à l'intérieur de la chambre de réaction, des capsules et des dispositifs annexes nécessaires à l'allumage de la fusion :
    • le conteneur, sorte de « four à micro-ondes » (hohlraum) destiné à porter la capsule de combustible à très haute température, dans le cas des lasers et des accélérateurs d'ions ;
    • la « cage à fils » et son dispositif de transmission d'énergie dans le cas de la striction magnétique ;
  • le dispositif assurant la compression des microcapsules de combustible (souvent appelé driver); selon les cas, il peut être constitué :
    • de lasers de puissance ;
    • d'un accélérateur d'ions ;
    • d'un dispositif à striction magnétique ;
  • la chambre de réaction, composée :
    • d'une paroi extérieure métallique ;
    • d'une couverture intérieure destinée à protéger la paroi externe de l'onde de choc et des rayonnements créés lors de la fusion, à récupérer l'énergie émise, et à produire du tritium, matière première de la réaction ;
  • le système de récupération des déchets et des produits de la réaction.

Le projet Z-IFE des laboratoires Sandia

Le projet Z-IFE[10] des laboratoires Sandia est fondé sur un processus répétitif assurant l'implosion d'une capsule de combustible toutes les 10 secondes, chacune devant produire environ 3 GJ (3×109 joules) d'énergie de fusion ; la technique retenue est celle du confinement par striction axiale.

Vue en coupe d'un réacteur du projet Z-IFE.

La figure représente une vue en coupe d'un réacteur tel que Sandia l'imagine, sachant qu'une centrale de production comprendrait plusieurs réacteurs de ce type (12 dans la centrale de démonstration ZP-3, dont 10 fonctionnant simultanément). Pour reprendre l'analogie utilisée plus haut, une telle conception correspond aux cylindres multiples d'un moteur à explosion.

Sans entrer dans les détails techniques (les lecteurs souhaitant des informations plus précises pourront les trouver dans les divers liens listés en fin d'article), on peut distinguer les éléments suivants :

  • Le dispositif triangulaire rouge dénommé « cartridge » correspond à l'ensemble microcapsule de combustible, « cage à fils » et dispositif d'alimentation en énergie; les cartouches sont acheminées à l'intérieur du réacteur par un système d'approvisionnement automatique dont fait partie le rail visible dans la partie supérieure de l'image ;
  • la ligne horizontale bleue épaisse (transmission lines to pulsed power driver), tangente à la chambre de réaction, est la ligne d'alimentation en énergie, permettant de transmettre les impulsions extrêmement brèves et puissantes[11], sortes de « décharges de foudre », nécessaires au processus de striction magnétique ;
  • la chambre du réacteur est remplie d'un gaz inerte (pour éviter toute réaction chimique indésirable) sous basse pression (20 torr, la pression atmosphérique normale étant de 760 torr) ;
  • la paroi interne de la chambre du réacteur est parcourue par un courant de flibe (mélange liquide de fluorure de lithium et de difluorure de béryllium) destiné à la protéger, à récupérer l'énergie de fusion, et à produire du tritium[12];
  • un système de récupération des déchets de la réaction à partir de la « piscine » de flibe permet de recycler les éléments des cartouches, détruites lors de la fusion des microcapsules.

Notes et références

  1. Le tritium atmosphérique est produit naturellement de façon continue par l'action des rayons cosmiques sur les gaz de la haute atmosphère, principalement sur l'azote.
  2. Le tritium peut être produit en irradiant une cible de lithium par des neutrons; c'est également un sous-produit de l'exploitation des centrales nucléaires à fission.
  3. L'explosion de la première bombe A date du 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique, à Alamogordo, et la première centrale nucléaire civile a été connectée au réseau électrique le 27 juin 1954 à Obninsk en Russie.
  4. La première bombe H, Ivy Mike, a été lancée sur l'atoll de Eniwetok (Océan Pacifique) le 1er novembre 1952 (heure locale).
  5. British Patent 817681, dont on trouvera l'intégralité ici.
  6. Le premier a en avoir expérimenté les effets est Martinus van Marum aux Pays-Bas en 1790 : voir cet article de Wikipedia.
  7. La production de déchets radioactifs serait même complètement absente si l'on utilisait des réactions de fusion ne produisant pas de neutrons (notamment certaines réactions impliquant le lithium, le bore ou l'hélium 3), qui demandent cependant des températures de plasma beaucoup plus élevées (de 500 millions à plusieurs milliards de degrés), et sont impraticables dans les tokamaks. Les annonces récentes (mars 2006) de températures supérieures à 2 milliards de degrés, obtenues par striction magnétique, sont une avancée dans cette direction.
  8. Dans le domaine du confinement magnétique, la phase 2 correspond aux objectifs d'ITER, la phase 3 à ceux de son successeur DEMO prévu dans 20 à 30 ans, et la phase 4 à ceux du réacteur PROTO envisagé à une échéance de 40 à 50 ans.
  9. Ce chapitre est basé sur les informations disponibles en juin 2006, alors que les lasers Mégajoule et NIF ne sont pas encore en service complet.
  10. On trouvera une présentation du projet Z-IFE ici.
  11. Pour plus de précisions, voir l'article Hautes puissances pulsées.
  12. Le tritium est produit lors de l'irradiation du lithium contenu dans le flibe par les neutrons créés lors de la fusion.

Voir aussi

Liens internes

Sources journalistiques

Liens externes

Historique de la fusion

Généralités sur la production d'énergie par fusion inertielle

Sites d'expérimentation de la fusion inertielle

Projets de centrales à fusion inertielle


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