Canut

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Les canuts étaient les ouvriers tisserands de la soie sur les machines à tisser. Ils se trouvaient principalement dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon (France) au XIXe siècle. Même s'il s'agit d'une appellation typiquement lyonnaise, on parle de canuts jusqu'à L'Arbresle.

Les canuts, surtout par leurs révoltes, vont influencer les grands mouvements de pensée sociale du XIXe siècle, des saint-simoniens à Karl Marx, en passant par Fourier ou Proudhon[1].

Sommaire

Histoire

Depuis le XVIIIe siècle, la « fabrique » (c'est-à-dire l'industrie de la soie) a fait de Lyon la première ville ouvrière de France. Au début du XIXe siècle, l'arrivée des métiers à tisser de grande taille (ex. : les métiers Jacquard) va profondément modifier le travail de la soie, mais également le mode de vie des ouvriers. Ces métiers à tisser sont trop hauts pour pouvoir être utilisés dans les logements des quartiers de Saint-Nizier, Saint-Georges et Saint-Jean. Les anciens couvents de la Croix-Rousse, aux plafonds très élevés, sont parfaits pour héberger les premières mécaniques, mais très vite il faut de nouveaux immeubles pour y installer les tisseurs (ex. : le clos Dumenge). On construit les bâtiments en fonction de ces imposants métiers, qui ont en moyenne 4 mètres de hauteur, et on les dote de hautes fenêtres, les plafonds étant renforcés par des poutres en chêne.

La commune de la Croix-Rousse, qui n'est alors pas encore rattachée à la ville de Lyon, offre d'autres avantages : c'est une zone dispensée de l'octroi, à l'abri des inondations, et dont les loyers sont moins élevés que ceux de Lyon[2].

On assiste ainsi à la naissance d'un quartier manufacturier et surtout d'une catégorie professionnelle spécifique, les « canuts ».

On distingue alors deux catégories de travailleurs de la soie : les maîtres tisseurs (ou chefs d’atelier) et les compagnons, les premiers ne se distinguant que par le fait qu'ils sont propriétaires de leurs métiers à tisser.

Au milieu du XIXe siècle, on compte environ 80 000 chefs d'atelier à Lyon (dont la moitié à la Croix-Rousse) et près de 40 000 compagnons.

La révolte des Canuts

Article détaillé : Révolte des Canuts.

Les canuts, étant soumis à de rudes conditions de travail (ils travaillaient dix-huit heures par jour), se révoltent à de nombreuses reprises (cf. l'article détaillé Révolte des Canuts). Leur première révolte, en novembre 1831, est considérée comme l'une des premières révoltes ouvrières. Ils occupent Lyon aux cris de : « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ! » Le roi Louis-Philippe Ier envoie 20 000 hommes de troupe et 150 canons pour réprimer l'émeute.

Le 14 février 1834, les canuts se révoltent de nouveau, en occupant les hauteurs de Lyon, et ils font face pendant six jours à 12 000 soldats, en mettant à profit les traboules, passages obscurs qui permettent d'aller d'une rue à l'autre à travers les immeubles.

Une troisième insurrection a lieu en 1848, au moment de la proclamation de la Seconde République. Elle est menée par les Voraces. La république permettra aux sociétés ouvrières de sortir de la clandestinité (association de type mutualiste ou coopératif).

Les mêmes Voraces mènent une quatrième insurrection en 1849, en écho au soulèvement des républicains parisiens. Circonscrite sur le faubourg Croix-Rousse, elle sera violemment réprimée.

Après les révoltes

Après les révoltes, certains soyeux cherchent à produire ailleurs qu'en ville. L'émigration des métiers vers les campagnes s'accentue. En milieu rural, le métier à domicile est un complément aux revenus de la terre. Les ouvriers étant disséminés, les donneurs d'ordre évitent le risque de rébellion.

Intérieur d'un canut, au moment de la crise de 1877.

À partir de 1850, les métiers mécaniques (inventés par Edmund Cartwright) vont progressivement remplacer les métiers à bras. Cette nouvelle technique, combinée à l'introduction de la machine à vapeur, entraîne le regroupement des métiers en usines.

En 1886, le conseil municipal de Lyon crée une marque aux armes de la ville permettant aux acheteurs de reconnaître une étoffe tissée à Lyon.

En 1894, dans Le Littré de la Grand'Côte, Nizier du Puitspelu écrit : « Lecteur, regarde avec respect ce canut. Tu n'en verras bientôt plus. »

En 1901, à la Croix-Rousse, c'est l'inauguration de la statue de Jacquard, « bienfaiteur des ouvriers en soie ». On dénombre alors 500 métiers mécaniques.

L'invention de la soie artificielle donnera le coup de grâce.

Aujourd'hui, seuls quelques métiers à bras subsistent, sauvegardés par des musées nationaux ou des associations d'anciens tisseurs (ex. : Soierie vivante).

L'atelier de canut

L'atelier de travail étant familial, l'appartement de canuts est organisé en fonction de la cohabitation travail-famille. Côté fenêtre se trouvent les métiers, alors que dans le coin le plus sombre, une soupente (mezzanine) est aménagée : la partie haute héberge la chambre, la partie basse sert de cuisine.

Au plafond, de larges poutres de chêne permettent de fixer solidement l'imposant métier. De hautes fenêtres laissent rentrer la lumière.

Dans un coin, on trouve souvent un oiseau en cage. Sa bonne santé garantit l'absence de gaz toxiques.

Étymologie

Canette et navette de métier Jacquard.

Le substantif féminin « canuse » est attesté en 1928 (X. Privas, La Chanson de Lyon). On trouve parfois le prénom scandinave Knut (ou Knutr) francisé en Canut. Néanmoins l'origine du nom est autre.

Plusieurs hypothèses :

  • Il pourrait s'agir de la condensation de l'expression « voici les cannes nues ! » (une canne sans breloque ni ruban étant considérée comme un signe de pauvreté).
  • Il pourrait également venir du mot italien canuto qui signifie « chenu »[3].
  • Mais, plus vraisemblablement, le mot « canut » désignerait celui qui utilise la canette (dévidoir à fil, en bois à bout ferré, qui navigue sur le métier en sonnant « bistanclaque-pan »).

Le terme de « canut » était au XIXe siècle considéré comme péjoratif.

Influence des canuts

Pour défendre leur dignité et leurs conditions de vie, les canuts se sont insurgés, mais ils ont su aussi inventer des formes inédites d’organisation sociale comme le « mutuellisme », le conseil des prud’hommes et les coopératives.

Du « mutuellisme » au mutualisme

Après la crise économique de 1825, les canuts et leurs compagnons, encouragés par des catholiques, ont créé des sociétés de secours mutuel, alors que les associations à caractère professionnel (syndicalisme) sont interdites par la loi Le Chapelier.

Les sociétés mutuellistes regroupent des ouvriers qui, contre une cotisation mensuelle, reçoivent des secours en cas de maladie, de chômage ou lors de leur vieillesse.

En 1828, des chefs d’atelier fondent le Devoir mutuel. Pour contourner les dispositions du Code pénal qui interdisent les coalitions et répriment les rassemblements de plus de vingt personnes, il est organisé sous forme de société secrète et subdivisé en ateliers de vingt membres.

En février 1832, les ouvriers, compagnons et apprentis créent leur propre structure mutuelliste : la Société des Ferrandiniers.

En 1871, avec l’établissement de la IIIe République, le mutuellisme devient mutualisme.

Presse ouvrière

Le 23 octobre 1831 (quelques semaines avant la grande insurrection de novembre 1831) paraît l’annonce de la création du premier journal ouvrier à l’initiative des canuts : L’Écho de la Fabrique.

On appelle alors, à Lyon, du nom générique de « fabrique » l'ensemble des industries dont le résultat est la confection des étoffes de soie[4].

L’Écho de la Fabrique publiera ses huit pages hebdomadaires sur deux colonnes jusqu'en mai 1834 sans interruption (quelques successeurs continueront jusqu’aux lois répressives de 1835).

Via L'Écho de la fabrique, les canuts vont ainsi s'informer, débattre, et tenter d'adapter le régime de la fabrique lyonnaise à l'évolution industrielle en cours, de manière à préserver leur autonomie et leur liberté[5].

Le conseil prud’homal

Le premier conseil des prud’hommes a été créé par Napoléon en 1806 (loi du 18 mars 1806). Il concerne alors uniquement l’industrie de la soie à Lyon[6].

Il va avoir une importance capitale pour les canuts et leur journal, L’Écho de la Fabrique, qui donnera chaque semaine des comptes rendus des séances[7].

Très vite, les canuts dénoncent le rôle du conseil des prud'hommes « favorable aux marchands fabricants » et réclament la parité négociants-tisseurs[8].

Les coopératives d’approvisionnement

En 1834, Michel-Marie Derrion expose les principes qu'il prône dans son ouvrage Le Commerce véridique et social.

Le 24 juin 1835, aidé de Joseph Reynier (chef d’atelier, saint-simonien et fouriériste), il ouvre la première coopérative française de consommation au 6 de la montée de la Grande-Côte (le numéro 95 actuel). Mais, après trois ans de fonctionnement, l’expérience de Derrion tourne court[9].

Les coopératives renaîtront cependant à la Croix-Rousse après 1848.

L'« esprit canut » aujourd'hui

Les Lyonnais, les « Croix-Roussiens » en particulier, se revendiquent fréquemment de l'« esprit canut». Les références sont nombreuses.

Guignol

Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, est né dans une famille de canuts. Lorsqu'il inventa sa célèbre marionnette, son public était composé d'ouvriers, issus des quartiers de Saint-Georges ou de la Croix-Rousse.

Ainsi, dans la pièce Le Déménagement, Mourguet fait de Guignol un canut désœuvré, habitant la Croix-Rousse. Dans de nombreuses autres pièces, même si sa profession varie (savetier, domestique, paysan), il utilise toujours un vocabulaire issu du parler canut.

Guignol est également habillé comme un canut. Sa coiffe ne laisse dépasser à l’arrière qu’une longue natte enrubannée, appelée salsifis, et qui a pour but d’éviter que les cheveux ne se prennent dans les fils des métiers à tisser.

Le Chant des Canuts

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Le Chant des Canuts (ou Les Canuts) a été écrit en 1894[10] par Aristide Bruant. Le texte est inspiré de la version française de Maurice Vaucaire du poème Les Tisserands de Silésie de Heinrich Heine, telle qu'elle avait été insérée dans Les Tisserands de Gerhart Hauptmann, pièce mise en scène par André Antoine en 1893 au Théâtre-Libre à Paris dans une traduction de Jean Thorel[11]. Interprété par Bruant à l'Exposition universelle de Lyon en 1894, Le chant des Canuts est devenu un célèbre chant de lutte, au même titre que Le Temps des cerises ou Bella ciao, et a été repris par Yves Montand, Leny Escudero ou plus récemment par Éric la Blanche.

  • Extrait : Les Canuts, publié dans le recueil Sur la route (1899)
       Pour chanter Veni Creator                        Pour gouverner il faut avoir
       Il faut une chasuble d'or.                       Manteaux ou rubans en sautoir.
       Pour chanter Veni Creator                        Pour gouverner il faut avoir
       Il faut une chasuble d'or.                       Manteaux ou rubans en sautoir.
       Nous en tissons…                                 Nous en tissons…
       Pour vous, grands de l'Église,                   Pour vous, grands de la Terre,
       Et nous, pauvres canuts,                         Et nous, pauvres canuts,
       N'avons pas de chemise.                          Sans drap on nous enterre.
       
       C'est nous les canuts,                           C'est nous les canuts,
       Nous sommes tout nus.                            Nous sommes tout nus.
       C'est nous les canuts,                           C'est nous les canuts, 
       Nous allons tout nus.                            Nous allons tout nus.
                                                                                                                                                                                                 
       Mais notre règne arrivera
       Quand votre règne finira.
       Mais notre règne arrivera
       Quand votre règne finira.
       Nous tisserons...
       Le linceul du vieux monde
       Car on entend déjà
       La révolte qui gronde.
 
       C'est nous les canuts,
       Nous n'irons plus nus.
       C'est nous les canuts,
       Nous n'irons plus nus.

Une statue[1] représentant des amoureux entonnant le Chant des Canuts est visible dans un square, près de la mairie du 4e arrondissement de Lyon.

Le boulevard des Canuts

Le boulevard des Canuts est une voie de Lyon, située sur la plateau de la Croix-Rousse.

Le mur des Canuts

Le mur des Canuts à Lyon dans son intégralité.

Sur le boulevard des Canuts se trouve une peinture murale nommée le « mur des Canuts », réalisée en trompe-l’œil par la Cité de la Création (coopérative d'artistes). Les artistes de la Cité de la Création ont acquis leur renommée en partie grâce à ce « mur des Canuts », qui a été une de leurs premières réalisations, et reste une de leurs œuvres majeures.

Réalisée en 1986, cette peinture a été revue en 1997 et 2002. Ce mur de plus de 1 200 m2 a longtemps été le plus grand mur peint en trompe-l’œil d'Europe.

Étrangement, la première version du mur ne comportait pas de véritable référence aux Canuts, si ce n'est la présence de Guignol. Il faudra attendre les versions suivantes pour voir apparaître des bobines de soie et un métier à tisser.


La maison des Canuts

Installée à la Croix-Rousse, rue d'Ivry, la maison des Canuts se veut « le conservatoire vivant du savoir-faire lyonnais en matière de soierie ». Elle regroupe un musée (démonstrations de tissage sur métiers à bras) et une boutique.

La cervelle de canut

Le mot « canut » se retrouve jusque dans la gastronomie lyonnaise avec un mets appelé cervelle de canut (spécialité à base de fromage blanc).

Article détaillé : Cervelle de canut.

Associations

À la Croix-Rousse, de nombreuses associations se réclament de l'« esprit canut », parmi lesquelles : Radio Canut (radio associative dont le slogan est « La plus rebelle des radios ! »), I-canut (site internet, « portail citoyen » dédié à l'expression des associations et des habitants du quartier) ou encore la République des Canuts (qui perpétue des traditions lyonnaises et organise chaque année des vendanges au clos des Canuts) ou Soierie Vivante (pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine lyonnais des métiers de la soierie) qui organise des visites guidées dans les derniers atetliers de tissage du quartier.

Immeubles canuts

Typiques de la Croix-Rousse, les « immeubles canuts » sont des immeubles de cinq ou six étages abritant d'anciens appartements-ateliers. Ils sont caractérisés par des plafonds hauts, de hautes fenêtres, des poutres apparentes ainsi que des « soupentes » (mezzanines).

Notes et références

  1. Bruno Benoit, L'Identité politique de Lyon, éd. L'Harmattan, Paris, 1999.
  2. Lyon et la soie : la naissance d’une conscience de classe : http://www.millenaire3.com/Lyon-et-la-soie-la-naissance-d-une-conscience-de.143+M540df090b3b.0.html
  3. Guy Blazy, Dossiers de l’art.
  4. J.-B. Monfalcon, Histoire des insurrections de Lyon, Lyon, 1834.
  5. L'Écho de la Fabrique mis en ligne par l'ENS : http://echo-fabrique.ens-lsh.fr
  6. http://www.cfdt.fr/pratique/droits_travail/prudhomme/institution/institution_histoire.htm Histoire des prud'hommes.
  7. canutdelacroixrousse: Le conseil des prud'hommes
  8. Exposition « C'est nous les canuts », Bibliothèque de la Ville de Lyon : http://www.bm-lyon.fr/image_canut/CatalogueLesCanuts.pdf
  9. Histoire de la coopération à Lyon et en France
  10. Jean-Louis Robert, Le Monde, 16 juin 1999.
  11. François Genton, « Lyoner Canuts und schlesische Weber. Noch einmal Heine und die Folgen », Hartmut Melenk / Klaus Bushoff (dir.). 1848 - Literatur, Kunst, Freiheit im europäischen Rahmen. Freiburg im Breisgau, Filibach, 1998, 119-135.

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Les Révoltes des Canuts (1831-1834), de Fernand Rude, éd. La Découverte, Paris, 1982.
  • Le Chant des canuts, roman de Louis Muron, éd. Presses de la Cité, Paris, 2002.


Littérature jeunesse

  • Claudine de Lyon, roman de Marie-Christine Helgerson, éd. Flammarion, Paris, 1998.

Notes et références


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Canut de Wikipédia en français (auteurs)

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