Bernard De Clairvaux

Bernard De Clairvaux

Bernard de Clairvaux

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Bernard de Clairvaux
Bernhard von Clairvaux (Initiale-B).jpg

Bernard de Clairvaux, manuscrit du XIIIe siècle
Abbé et Docteur de l'Église
Naissance 1090
Château de Fontaine-lès-Dijon, Dijon
Décès 20 août 1153  (à 63 ans)
abbaye de Clairvaux
Canonisation 18 janvier 1174
par Alexandre III
Fête le 20 août
Serviteur de Dieu • Vénérable • Bienheureux • Saint

Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux (1090, château de Fontaine-lès-Dijon, Dijon – † 20 août 1153, abbaye de Clairvaux) est un moine et réformateur français. Il recherche par amour du Christ la mortification la plus dure, Bernard fait preuve, toute sa vie durant, d'une activité inlassable pour instruire ses moines de Clairvaux comme pour émouvoir et entraîner les foules. C'est aussi un conservateur, qui se positionne en réaction contre les mutations de son époque (la « renaissance du XIIe siècle »), marquée par une profonde transformation de l'économie, de la société et du pouvoir politique. Il est canonisé par l'Église catholique en 1174 et devient ainsi saint Bernard de Clairvaux.

Basilique et maison natale de Bernard à Fontaine-lès-Dijon.
Vue générale de la façade est du château.


Sommaire

Enfance et entrée au monastère

Né en 1090 à Fontaine près de Dijon, dans une famille noble de Bourgogne[1], Bernard est le troisième des sept enfants de Tescelin le Roux (Tescelin Sorrel) et d'Alette ou Aleth de Montbard, une femme de haute vertu. Son père, Tescelin, est un membre de la famille des seigneurs de Châtillon-sur-Seine. Modeste chevalier, il est au service du duc de Bourgogne et a cherché à faire un riche mariage. Il gère des terres autour de Montbard, d'Alise-Sainte-Reine, dans la vallée de la Laignes ou au confluent de l'Aube et de l'Aujon en plus de sa seigneurerie de Fontaine.

La famille de sa mère, Alette, est de plus haute lignée. Le grand père de Bernard règne sur la seigneurie de Montbard: ses terres s'étendent sur les plateaux situés entre l'Armançon et la Seine. Son frère, André de Montbard est l'un des neuf fondateurs de l'ordre du Temple et devient même maître[2]. La famille de Bernard appartient donc à la moyenne noblesse[3].

À l'âge de neuf ans, il est envoyé à l'école canoniale de Châtillon-sur-Seine, où il acquiert une solide connaissance du latin et montre un goût particulier pour la littérature[4]. Il acquiert une bonne connaissance de la Bible, des Pères de l'Église, de Cicéron et d'autres auteurs latins, ce qui fait de lui un parfait représentant des auteurs de son temps. À l'âge de seize ou dix-sept ans, il perd sa mère et en est très vivement affecté. Il mène ensuite l'existence mondaine des jeunes nobles de son âge mais semble très vite vouloir entrer dans les ordres. Dans un premier temps, il laisse entendre à sa famille qu'il prépare un pélérinage à Jérusalem pour ne pas inquiéter sa famille par ses préparatifs à la vie monacale[5].

En 1112, il entre à l'abbaye de Cîteaux avec trente membres de sa famille ou proches[3]. L'abbaye de Citeaux a été fondée en 1098 par Robert de Molesme, et Étienne Harding en est l'abbé depuis janvier 1108. Les fondateurs se sont détachés de l'ordre de Cluny, alors en pleine gloire, pour vivre intégralement la règle de saint Benoît. Ils souhaitent répondre à un idéal plus rigoureux : retour à la simplicité dans la vie quotidienne, dans le culte et dans l'art ; rupture avec le monde, pauvreté, silence, travail manuel, tels seront les éléments principaux de la création cistercienne. Cela correspond aux souhaits de Bernard qui veut retourner à l'ascèse monastique la plus rude[6]. Cette ascèse est comparable selon lui à la route de Jérusalem : "par la montée rude (...), vers la Jérusalem de la liberté, celle d'en-haut, notre mère"[5]

La fondation de Clairvaux

En 1115, Étienne Harding envoie le jeune homme à la tête d'un groupe de moines pour fonder une nouvelle maison cistercienne dans une clairière isolée à une quinzaine de kilomètres de Bar-sur-Aube, le Val d'Absinthe[7], sur une terre donnée par le comte Hugues de Champagne. La fondation est appelée « claire vallée » (clara vallis), qui devient ensuite « Clairvaux ». Bernard est élu abbé de cette nouvelle abbaye, et confirmé à Châlons-en-Champagne par Guillaume de Champeaux, évêque de Châlons-en-Champagne et célèbre théologien. Il demeure abbé de Clairvaux jusqu'à sa mort en 1153. Les débuts de Clairvaux sont difficiles : la discipline imposée par Bernard est très sévère. Bernard poursuit ses études sur les Saintes Écritures et sur les Pères de l'Église.

Les gens affluent dans la nouvelle abbaye, et Bernard convertit même toute sa famille : son père, Tescelin, et ses cinq frères entrent à Clairvaux en tant que moines. Sa sœur, Humbeline, prend également l'habit au prieuré de Jully-les-Nonnains. L'attrait qu'exerce Bernard est parfaitement illustré par cette anecdote : vers 1129, l'évêque de Lincoln s'étonne de ne pas avoir de nouvelle d'un chevalier qui devait faire étape à Clairvaux sur la route des croisades. Bernard l'informe qu'il a économisé la route de Jérusalem en entrant au monastère[5]. Dès 1118, de nouvelles maisons doivent être fondées pour éviter l'engorgement de Clairvaux. Les trois premières fondations sont La Ferté, Pontigny, Morimond. Ces premières fondations sont implantées dans les domaines des seigneuries alliées ou amies. Ces trois abbayes, plus Citeaux et Clairvaux sont les cinq têtes de pont de l'ordre nouveau, chacune essaimant pour son compte[8]. De 1115 à 1133, Bernard et ses moines vivent à Clairvaux dans les conditions les plus frustes. Le prieur du couvent (Geoffroy de Rochetaille) et le maître des novices (Achard) convainquent Bernard d'agrandir le monastère en 1133. En 1145, l'église est enfin consacrée et, en 1153, la partie occidentale réservée aux frères convers est achevée[9].

Clairvaux donne naissance à soixante huit abbayes nouvelles. En 1119, Bernard fait partie du chapitre général des cisterciens convoqué par Étienne Harding, qui donne sa forme définitive à l'ordre. La « Charte de charité » qui y est rédigée est confirmée peu après par Calixte II. En 1132, il fait accepter par le pape l'indépendance de Clairvaux vis-à-vis de Cluny.

Un conservateur engagé

Bernard de Claivaux, v. 1450, musée de Cluny.

Dès le début de son abbatiat, Bernard rédige des traités, des homélies, et surtout une Apologie, écrite sur la demande de Guillaume de Saint-Thierry, qui défend les bénédictins blancs (cisterciens) contre les bénédictins noirs (clunisiens). À l'austérité cistercienne, élaborée à partir de la fuite du monde, de la pauvreté et du travail manuel, Bernard ajoute la mise en valeur de la pureté et le mépris de la culture et de tout ce qui peut sembler un divertissement pour l'esprit. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, lui répond amicalement, et malgré leurs différends idéologiques, les deux hommes se lient d'amitié. Il envoie également de nombreuses lettres pour inciter à la réforme le reste du clergé, en particulier les évêques. Sa lettre à l'archevêque de Sens, Henri de Boisrogues dit Sanglier, intitulée par la suite De Officiis Episcoporum (Sur la conduite des évêques) est révélatrice du rôle important joué par les moines au XIIe siècle, et des tensions entre clergé régulier et séculier. Bernard a une prédilection presque exclusive pour le Cantique de Salomon et pour saint Augustin. Il est le dernier père de l'Église de par sa façon de raisonner[10]. Il considère que l'homme n'a pas à tenter d'élucider les contradictions apparentes du dogme ou de trouver une explication rationnelle aux textes saints : la foi que l'on reçoit doit être transmise inchangée. Il reste opaque aux changements de l'époque où avec la naissance des université de plus en plus d'esprit s'attaquent à la compréhension des textes par la raison. Il défend avec la même fougue la société féodale, la division du monde en trois ordres, la théocratie pontificale. Pour lui, l'ordre établi est voulu par Dieu. Il suffit de corriger les vices des hommes pour résoudre les problèmes de la société[11].

La spiritualité de Bernard est fortement marquée par la pénitence. Il fait subir à son corps les plus cruels traitements, mettant ainsi sa santé en danger. Son goût pour l'austérité s'accorde à merveille avec le dépouillement des églises cisterciennes. À ce sujet, il évoque « la sobre ivresse (sobria ebrietas) qui jaillit du dedans et opère des mutations et des métamorphoses, sans pour autant nécessiter le point d'appui d'une imagerie extérieure »[12]. Il fulmine d'ailleurs contre les cloîtres sculptés à chapiteaux historiés dans son Apologie à Guillaume de Saint-Thierry (vers 1123-1125). Il considère que les décorations richement ornées de figures monstrueuses et que les narrations souvent profanes et coûteuses sont de nature à détourner l'esprit du moine de la méditation[13].

Il est aussi porté par un amour fervent pour Dieu et pour la Vierge pour qui il a une dévotion particulière[12]. Toutes les églises cisterciennes sont dédiées à la Vierge et Bernard cherche à développer le culte marial dans tout l'Occident[11]. Il fait la promotion d'une religion faite d'élan du coeur plus que de comptabilité des actions bonnes ou mauvaises.

Un abbé engagé dans les affaires de son temps

Bernard, pourtant si engagé dans son monastère, sillonne les routes d'Europe pour défendre l'Église et porter témoignage de son Dieu. En 1129, il participe au concile de Troyes, convoqué par le pape Honorius II et présidé par Matthieu d'Albano, légat du pape. Bernard est nommé secrétaire du concile, mais en même temps il est contesté par une partie du clergé, qui pense que Bernard, simple moine, se mêle de choses qui ne le regardent pas. Il finit par se disculper. C'est lors de ce concile que Bernard fait reconnaître les statuts de la milice du Temple, les Templiers, dont il a grandement influencé la rédaction. En 1130, il adresse une lettre aux chevaliers du Temple. Il explique que pour un chrétien il est plus difficile de donner la mort que de la recevoir. Il fustige le "chevalier du siècle" qui engage des guerres. Il rappelle que le Templier est un combattant discipliné sans orgueil et sans haine[14].

Moine cistercien, Humbeline, sœur de Bernard et Jeanne de Boubais, abbesse de Flines, aux pieds de la Vierge à l'enfant, triptyque du Cellier,tempera sur bois, Jehan Bellegambe, v. 1509[15].

Devenu une personnalité importante et écoutée dans la chrétienté, il intervient dans les affaires publiques, il défend les droits de l'Église contre les princes temporels, et conseille les papes. Il attache en effet, une grande vénération au trône de saint Pierre.

Le schisme d'Anaclet

En 1130, après la mort d'Honorius II, deux pape sont élus par les cardinaux: le cardinal Aimeric, qui prend le nom d'Innocent II ; ses adversaires désignent le cardinal Pierleone, qui prend le nom d'Anaclet II. Ce dernier reçoit le soutien de Roger II, duc de Pouille et de Calabre, lequel reçoit le titre de roi de Sicile. En France, Louis VI convoque un synode à Étampes et demande à Bernard d'y siéger. Dans une intervention enflammée, Bernard se déclare en faveur d'Innocent II, car il le juge plus saint, donc plus apte et certainement élu par le groupe le plus sain (sanior pars) des cardinaux[16]. Il semble que l'origine juive Anaclet ait joué dans ce choix. Bernard, qui prendra par ailleurs la défense des juifs pendant la deuxième croisade, écrit qu'il considère comme une injure que la "race" juive puisse occuper le siège de saint Pierre »[17]

Le roi de France et son clergé reconnaissent alors Innocent II, qui se réfugie en France. L'empereur germanique, Lothaire III le reconnaît à son tour et conduit une expédition pour l'installer à Rome. Bernard accompagne l'empereur et le pape quand il entrent dans Rome en 1133. Mais Innocent II est rapidement attaqué par les partisans d'Anaclet. Il réunit un concile à Pise en mai-juin 1135, pour anathématiser son rival. Bernard y prononce un discours très violent. Il négocie ensuite le ralliement de la ville de Milan au pape. En 1137, il essaye en vain de faire changer Roger II de camp. Quelques semaines plus tard, Anaclet meurt en janvier 1138, mettant ainsi fin au schisme[3].

Bernard et la deuxième croisade

Bernard de Clairvaux prêchant la deuxième croisade à Vézelay, en 1146 (XIXe siècle).

En 1145, Clairvaux donne un pape à l'Église, Eugène III, dont Bernard devient le maître à penser. Il suggère à celui-ci la création de l'auditorium, ancêtre du tribunal de la Rote. Cette institution permet au pape de se dégager des procés de plus en plus nombreux que la papauté devait régler[18]. Lorsque le royaume de Jérusalem est menacé après la chute du comté d'Édesse, Eugène III demande à Bernard de prêcher la deuxième croisade, laquelle sera entreprise en grande partie à l'initiative du roi de France Louis VII le Jeune[19]. Bernard, plus préoccupé par le développement de l'hérésie cathare, est réticent à l'idée de s'associer à une croisade en Terre sainte. Il ne s'incline que par obéissance au pape[20]. Il prend la parole le 31 mars 1146, le jour de Pâques au milieu d'une foule de chevaliers réunis au pied de la colline de Vézelay. À cette époque, il a cinquante six ans. Son discours enflamme la foule. Il évoque Édesse profané et le tombeau du Christ menacé. Il invite les chevaliers qui veulent se croiser à l'humilité, à l'obéissance et au sacrifice. Après son prêche, on lui arrache même des morceaux de son vêtement pour en faire des reliques[14]. Son prestige entraîne donc le peuple de France.
Il prêche aussi à Spire. En Germanie, il doit combattre les excés du prédicateur populaire Raoul ou Rodolphe, un ancien moine cistercien de Clairvaux[21] qui par ses discours enflammés provoque une flambée de violences contre les juifs[22]. Il commence par rappeler que l'antisémitisme ne saurait être toléré par un chrétien : « ne sommes nous pas spirituellement des sémites? » écrit-il. Il n'hésite pas à prêcher devant les synagogues incendiées mais les émeutiers de la vallée du Rhin ne comprennent ni son latin, ni son français. Il parvient cependant à faire cesser les persécutions[23]. La reconnaissance de la communauté juive est immense.

Le roi de France Louis VII et l'empereur Conrad III prennent la croix. L'échec de la deuxième croisade lui est ensuite reproché de partout, de Rome, de la cour française, des évêques et des maîtres des écoles. Bernard est blessé par ses attaques mais soumis au pape, il accepte d'être mis à la tête d'une nouvelle croisade qui ne partira d'ailleurs jamais[24].

La lutte pour la sauvegarde de l'orthodoxie catholique

Dans cette période de développement des écoles urbaines, où les nouveaux problèmes théologiques sont discutés sous forme de questions (quaestio) et d'argumentation et de recherche de conclusion (disputatio), Bernard est partisan d'une ligne traditionnaliste. Il combat les positions d'Abélard, approximatives d'un point de vue théologique, et le fait condamner au concile de Sens en 1140. Abélard incarne tout ce que Bernard déteste : l'intelligence triomphante, l'arrogance dominatrice, les prouesses dialectiques, une célébrité immense, fondée sur la foi passée au crible de la raison au détriment de la vie intérieure, l'obstination à tenir des positions[25]. Bernard refuse que les secrets de Dieu soient examinés et questionnés par la raison. Il veut que la raison reconnaisse ce qu'il y a d'infiniment profond et d'incompréhensible dans les choses divines. Son attitude tranchante entraîne des pamphlets contre lui comme celui de Béranger de Poitiers, écrit après l'affaire Abélard : « Depuis longtemps la renommée aux ailes rapides a répandu dans l'univers entier le parfum de ta sainteté, proclamé tes mérites, pompeusement propagé tes miracles. Tu as pris Abélard comme cible de ta flèche pour vomir contre lui le venin de ton aigreur, pour le rayer de la terre des vivants, pour le mettre au rang des morts. Tu étais enflammé contre Abélard non du zèle de la correction, mais du désir de ta propre vengeance [26]»

À la même époque, l'hérésie cathare fait de grand progrès dans le midi de la France. Bernard intervient pour réfuter les doctrines cathares. En 1145, il accompagne en Languedoc Albéric d'Ostie, légat du pape Eugène III, et Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres afin de prêcher contre l'hérésie dans cette région. Il passe par Poitiers, Bergerac, Périgueux, Sarlat, Cahors, Albi, Verfeil. C'est dans cette dernière localité où, rencontrant une très grande hostilité de la noblesse locale envers ses paroles, que Bernard aurait prononcé ces mots en quittant la ville : « Verfeil (= verte feuille), que Dieu te dessèche ! »[27]

Au concile de Reims, en 1148, il porte une accusation d'hérésie contre Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers. Il n'obtient qu'un mince avantage, et son adversaire conserve son évêché et toute sa considération. Plein de zèle pour l'orthodoxie, il combat aussi les thèses de Pierre de Bruys, Henri de Lausanne, d'Arnaud de Brescia, et condamne les excès de Raoul, qui demandait le massacre des juifs. En cette même année il prêche la croisade en Hainaut et séjourne à Mons, la capitale des comtes de Hainaut. Son arbitrage est accepté dans toute l'Europe du XIIe siècle.

Il s'oppose plusieurs fois aux rois de France. Il traite Louis VI de nouvel Hérode[28] quand celui-ci cherche à déposer l'archevêque de Sens, il accuse Suger de négliger son abbaye de Saint-Denis, le poussant ainsi à se consacrer davantage à l'administration de son abbaye à partir de 1127. En 1138, une crise éclate lorsque le roi Louis VII accorde son investiture pour l'évêché de Langres à un moine de Cluny et non au candidat de Bernard de Clairvaux[29].

Bernard fonde jusqu'à soixante douze monastères, répandus dans toutes les parties de l'Europe : 35 en France, 14 en Espagne, 10 en Angleterre et en Irlande, 6 en Flandre, 4 en Italie, 4 au Danemark, 2 en Suède, 1 en Hongrie.
En 1151, deux ans avant sa mort, il y a 500 abbayes cisterciennes. Clairvaux compte 700 moines. Bernard meurt en 1153, à soixante trois ans. Canonisé le 18 janvier 1174 par Alexandre III, Bernard de Clairvaux a été déclaré docteur de l'Église par Pie VIII en 1830. On le fête le 20 août.

La spiritualité de Bernard de Clairvaux

Bernard s'adresse à des moines. Sa théologie mystique concerne des hommes qui se vouent à la prière et à l'amour de Dieu. Pour lui, tout savoir humain n'a d'importance que dans la mesure où il est ordonné à la vérité religieuse[30].

La Paix intérieure

En entrant au monastère, le moine laisse tout, sa vie est rythmée par la liturgie. Rien ne doit le perturber dans sa vie intérieure. Le monastère a pour fonction de favoriser cet aspect de la spiritualité cistercienne. C'est pourquoi les rituels cisterciens sont précisément codifiés dans les Ecclesiastica officia et que l'architecture des couvents doit répondre avant tout à cette fonction suivant les instructions précises de Bernard de Clairvaux. Avant d'être une mystique, la spiritualité cistercienne est une spiritualité incarnée : que la vie quotidienne aille de soi est la condition sine qua non de la paix intérieure et du silence, propice à la relation avec Dieu. Tout doit y conduire et rien en distraire[31]. Ainsi, l'architecture, l'art ou les manuscrits cisterciens adoptent un style pur et dépouillé. Sous l'impulsion de Bernard de Clairvaux, mû par un idéal d'austérité, un style très épuré est utilisé pour les manuscrits à partir de 1140. Il se caractérise par de grandes initiales peintes en camaïeu d'une seule couleur, sans représentation humaine ou animale ni utilisation d'or[32].

Le cheminement vers Dieu

Bernard de Clairvaux, dans son traité De l'Amour de Dieu est à la source d'une véritable école spirituelle en faisant passer un pas décisif à la littérature descriptive des états mystiques[33]. Il développe un ascétisme extrême de dépouillement qui est très visible d'un point de vue artistique. La liturgie développe des mélodies épurées totalement au service de la parole divine pour en révéler toute la richesse et le mystère qui y est contenu. Il est donc crucial que l'écoute ne soit pas perturbée par d'autres signaux, d'où la recherche du silence. Il n'y a pas d'écoute vraie sans l'attitude fondamentale d'humilité.

Pour Bernard de Clairvaux, « l'humilité est une vertu par laquelle l'homme devient méprisable à ses propres yeux en raison de ce qu'il se connaît mieux ». Cette authentique connaissance de soi ne peut être obtenue que par le retour sur soi. L'homme a été créé à l'image et à la ressemblance divine, mais il a perdu par la faute originelle et par ses propres erreurs la parfaite ressemblance avec Dieu. Le but de l'existence sera de la recouvrer[30]. Par la connaissance de sa propension au péché le moine se doit d'exercer, comme Dieu, la miséricorde et le charité envers tout homme. En s'acceptant tel qu'il est, grâce à cette démarche d'humilité et de travail intérieur, l'homme connaissant sa propre misère devient capable de compatir à celle d'autrui.

Selon Bernard de Clairvaux, on doit alors parvenir à aimer Dieu par amour de soi et non plus de Lui. La prise de conscience que l'on soit un don de Dieu ouvre à l'amour de tout ce qui est à Lui. Cet amour est, pour Bernard, le seul chemin qui permette d'aimer comme il le faut son prochain puisqu'il permet de l'aimer en Dieu. Au final, après ce cheminement intérieur on parvient au dernier stade de l'amour qui est d'aimer Dieu pour Dieu et non plus pour soi[34]. En passant par l'humanité de Jésus, l'âme contemplative parvient au Verbe. Elle franchit ainsi le niveau charnel pour adhérer au plan spirituel qui lui permet de s'unir à Dieu en l'aimant. L'unité de l'esprit est décrite comme une communion parfaite.L'âme devient comparable à une épouse, celle dont le Cantique des cantiques chante les noces. Le commentaire de Bernard sur ce chant nuptial résume toute sa doctrine. Il décrit la joie et l'angoisse de l'âme copyvio se réjouissant de la divine présence de l'aimé ou souffrant de son absence, imantant en cela les Pères de l'Église[30]. On peut parvenir à l'ultime connaissance de la vérité, c'est-à-dire la connaissance de la vérité connue en elle-même. Il faut être vide de soi pour ne plus s'aimer que pour Dieu. Il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir que par la persévérance et la pénitence. D'où l'ascèse, la nécessité d'imiter le Christ afin de passer de l'état charnel à l'état spirituel même si la chair ne doit pas être méprisée copyvio. Mais pour Bernard la chair est une limite[30].

Le libre arbitre

Bernard de Clairvaux recevant le lait de la Vierge.

Pour Bernard de Clairvaux, du fait de son libre arbitre, l'homme à la possibilité de choisir sans contrainte de pécher ou de suivre le cheminement qui conduit à l'union avec Dieu. Par l'amour de Dieu il lui est possible de ne pas pécher et d'atteindre au sommet de la vie mystique en ne voulant plus autre chose que Dieu, c'est-à-dire de s'affranchir de toute possibilité de pécher en étant totalement libre. Ce qui meut le désir des cisterciens de quitter le monde, c'est l'union dans l'amour de la créature avec le créateur. Union parfaitement vécue par la Vierge Marie qui est le modèle exemplaire de la vie spirituelle cistercienne. C'est pourquoi les moines cisterciens lui vouent une dévotion particulière[35].

Réflexions sur la croisade

À la fin de sa vie, dans une des ses oeuvres majeures, De la Considération (1152). Il accepte la responsabilité de l'échec de la deuxième croisade. Il écrit: "Je préfère voir les murmures des hommes s'élever contre moi que contre Dieu." Continuant sa réflexion il demande : "L'homme doit-il cesser de faire ce qu'il doit parce que Dieu fait ce qu'il veut? " Il compare ensuite, il exclut que Dieu a choisi Moïse pour sortir les Hébreux d'Égypte et de les conduire en Terre promise mais il ne les a pas fait entrer en Pays de Canaan car les Hébreux se sont montrés rebelles et incrédules[24]. Dans une lettre à son oncle, André, maître du Temple, il écrit : "Le monde devra reconnaître qu'il vaut mieux mettre sa confiance en Dieu qu'en nos princes." Il adjure les Templiers à rester des moines avant d'être des soldats[36].

Principales oeuvres

  • Prologus in graduale Cisterciense « Sicut notatores antiphonariorum praemunivimus »
  • De gradibus humilitatis
  • Apologia ad Guillelmum abbatem
  • De diligendo Deo
  • De gratia et libero arbitrio
  • De laude novae militiae
  • De praecepto et dispensatione
  • Vita S. Malachiae
  • De consideratione

Les Œuvres complètes de Bernard de Clarvaux sont disponibles aux Editions du Cerf, texte latin de J. Leclercq, H. Rochais et Ch. H. Talbot, collection Sources chrétiennes), 1098.

Notes et références

  1. Jaques Berlioz, Saint Bernard, le soldat de Dieu, tiré de Moines et religieux au Moyen Age, Seuil 1994, p. 47.
  2. Jean-Philippe Lecat, L'idée de croisade selon Bernard de Clairvaux, Grandes signatures, n°1, Avril 2008, p 63
  3. a , b  et c Marcel Pacaut, Article Bernard de Clairvaux, Encylopaedia Universalis, DVD, 2007
  4. Théodore Ratisbonne Histoire de saint Bernard 1853, p. 68
  5. a , b  et c Jean-Philippe Lecat, p 64
  6. Jaques Berlioz, Saint Bernard, le soldat de Dieu, tiré de Moines et religieux au Moyen Age, Seuil 1994, p. 48.
  7. Jean Waquet, Jean-Marc Roger, Laurent Veyssière Recueil des chartes de l'abbaye de Clairvaux au XII siècle, 2003, p. 17
  8. Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991, p 368
  9. Carol Heitz, Article architecture monastique, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  10. Jean Chélini, p 366
  11. a  et b Jean Chélini, p 367
  12. a  et b Marie-Madeleine Davy, Placide Deseille, Article Cisterciens, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  13. Léon Pressouyre, Article Cloitres, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  14. a  et b Jean-Philippe Lecat, p 66
  15. (en)Description sur le site du Metropolitan Museum qui accueille l'œuvre. ; (en) A. G. Pearson «[1] Nuns, images, and the ideals of women's monasticism: Two paintings from the Cistercian convent of Flines », Renaissance Quarterly, 22 décembre 2001.
  16. Centre national de la recherche scientifique [2] Revue historique de droit français et étranger 1968, p. 382
  17. Pierre Aubé, Saint Bernard de Clairvaux, Fayard, 2003,p. 227
  18. Jean Chélini, p 369
  19. Cécile Morrisson, Les Croisades, PUF, 1969, nouvelle édition : 2006, p 38
  20. Jean-Philippe Lecat, p 67
  21. Cécile Morrisson, p 79
  22. Cécile Morrisson, p 39
  23. Jean-Philippe Lecat, p 68
  24. a  et b Jean-Philippe Lecat, p 70
  25. Pierre Aubé, p. 408
  26. Pierre Aubé, p. 413
  27. Ferran Garcia-Oliver, Rinaldo Comba, El Císter, ideals i realitat d'un orde monàstic, 2001, p. 55
  28. Thomas Merton, Bernard de Clairvaux 1953, p. 689
  29. Marcel Pacaut Louis VII et les élections épiscopales 1957, p. 44
  30. a , b , c  et d Marie-Madeleine Davy, Article Bernard de Clairvaux, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  31. Jean-Baptiste Auberger, « La spiritualité cistercienne », Histoire et Images médiévales n°12 (thématique), op. cit. p. 44.
  32. Thierry Delcourt, « Les manuscrits cisterciens », Histoire et Images médiévales , n°12 (thématique), p. 41 ; Cister.net
  33. Marcel Pacaut, Les moines blancs, op. cit. pp. 215 - 218.
  34. Jean-Baptiste Auberger, op. cit. p. 47.
  35. Jean-Baptiste Auberger, op. cit. p. 49.
  36. Jean-Philippe Lecat, p 71

Voir aussi

Sources

Bibliographie

  • Pierre Aubé, Saint Bernard de Clairvaux, Fayard, 2003
  • Édouard Louis Joseph Bonnier, Abélard et saint Bernard. La philosophie et l'Église au XIIe siècle, Paris, 1862 lire en ligne sur Google Books
  • Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991
  • Jean Leclercq, Bernard de Clairvaux, Desclée, Paris, 1989 (ISBN 2-7189-0410-0)
  • Jacques Verger, Jean Jolivet, Bernard - Abélard ou le cloître et l'école, Mame ; Fayard, Paris, 1982 (ISBN 2-7289-0086-8) ; rééd. sous le titre Le siècle de saint Bernard et Abélard, Perrin, coll. « Tempus », 3006

Source partielle

« Bernard de Clairvaux », dans Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang [sous la dir. de], Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, 1878 [détail des éditions]  (Wikisource)

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