Armand de la Rouerie

Armand de la Rouerie

Armand Tuffin de La Rouërie

Armand Tuffin de La Rouërie
Armand Tuffin de La Rouërie
Surnom Colonel Armand
Naissance 13 avril 1751
Fougères
Décès 30 janvier 1793 41 ans)
Saint-Denoual
Origine Français, Breton
Allégeance Royaume de France Royaume de France
US flag 13 stars – Betsy Ross.svg États-Unis d'Amérique
Naval Ensign of the Kingdom of France.svg Association bretonne
Arme Dragon
Grade Brigadier-général
Service 1766 - 1793
Conflits Guerre d'indépendance américaine
Chouannerie
Commandement Légion Armand
Association bretonne
Faits d’armes Bataille de Short Hills
Bataille de Brandywine
Bataille de Germantown
Bataille de Monmouth
Bataille de Red Bank
Bataille de Gloucester
Bataille de White Marsh
Bataille de Camden
Bataille de Yorktown
Distinctions Ordre de Saint-Louis
Ordre de Cincinnatus
Famille Blason Famille Tuffin.svg Tuffin de La Rouërie
Image : Portrait de La Rouërie, par Charles Willson Peale, 1783.
Signature de La Rouërie

Armand-Charles Tuffin, marquis de La Rouërie, né le 13 avril 1751 à Fougères, mort le 30 janvier 1793 au château de La Guyomarais à Saint-Denoual, est un militaire français, héros de la guerre d’indépendance américaine et l'organisateur de l'Association bretonne.

Parti en Amérique après une jeunesse orageuse, La Rouërie participa à la guerre d’indépendance américaine au sein de l'armée continentale. Connu sous le nom de Colonel Armand, il se distingua à la tête de la 1re légion de dragons et participa activement à la bataille de Yorktown. Admirateur de la Révolution américaine, ami de George Washington, La Rouërie revint en France avec le grade de brigadier-général, la croix de Saint-Louis et l'ordre de Cincinnatus.

De retour en Bretagne, La Rouërie défendit le parlement de Bretagne contre les édits de Versailles, ce qui lui valut d'être enfermé à la Bastille le 14 juillet 1788.

Opposé à l'absolutisme, il vit d'abord avec joie les signes de la Révolution française mais le refus de la noblesse bretonne de députer à Versailles l'empêcha de jouer un rôle aux États généraux. Royaliste libéral et franc-maçon, La Rouërie rallia la contre-révolution suite à la suppression des lois et coutumes particulières de la Bretagne. Il créa l'Association bretonne afin de lever une armée contre les révolutionnaires. Trahi, La Rouërie mourut avant de pouvoir terminer son entreprise mais le mouvement organisé par le marquis devait par la suite être précurseur à la Chouannerie.

Sommaire

Jeunesse

Hôtel La Belinaye à Fougères, maison natale de La Rouërie.
Plaque commémorative.

Armand-Charles Tuffin de La Rouërie[1], fils d'Anne Joseph Jacques Tuffin de La Rouërie et de Thérèse de La Belinaye, naquit à Fougères, le 13 avril 1751. Il était l'aîné d'une famille de quatre enfants, Gervais, Charles-Louis et Renée mais cette dernière mourut en bas âge. Son père décéda également assez jeune, à 29 ans, en 1754, alors qu'Armand était âge de 3 ans.

Destiné à embrasser la carrière militaire dès son plus jeune âge, il eut un maître d'armes, un maître d'équitation et également un maître de danse. On lui apprit le latin, l'anglais et l'allemand. Déjà il aimait jouer avec les enfants des environs, montait des bandes, organisait des coups; ce qui révéla son caractère bagarreur.

En 1766, sa famille lui acheta un brevet d'enseigne au régiment des gardes françaises. Âgé de 15 ans, il quitta donc le château de Saint-Ouen-la-Rouërie où il avait passé toute son enfance pour Paris. Il prit son service à Versailles. Les gardes françaises étant un corps d'élite et de parade, les loisirs prenaient plus de temps que le service, au début la vie à Paris et Versailles lui plut, mais rapidement l'ennui le gagna.

Toutefois, une curieuse aventure le rendit célèbre dans la société parisienne. Un jour, en novembre 1766, il se rendit à l'Académie de musique pour y voir un opéra ballet. Ce jour-là, le premier rôle était tenu Mademoiselle Beaumesnil [Note 1] qui remplaçait Sophie Arnould. La Rouërie tomba tout simplement amoureux. Suite à une autre représentation, il força la loge de Mlle Beaumesnil et lui déclara qu'il l'aimait. La jeune femme resta sur sa réserve car elle était entretenue par un galant qui lui fournissait une rente. Cet homme, M. de La Belinaye, était en fait le propre oncle d'Armand de La Rouërie. Beaumesnil se garda bien d'en souffler mot à Armand, elle l'éconduit poliment, lui déclarant seulement qu'elle n'était pas libre.

La Rouërie repartit déçu mais n'abandonna pas. Il monnaya l'aide de deux ouvriers et avec l'aide d'une échelle put pénétrer chez Mlle Beaumesnil, dont il avait pu se procurer l'adresse. Celle-ci était alors seule au logis et elle repoussa de nouveau les avances du marquis qui alla jusqu'à lui demander sa main. Toutefois lorsque La Belinaye fut de retour, peu après le départ de La Rouërie, il découvrit l'échelle qui était resté posée sous la fenêtre, et, furieux, rompit sa liaison avec Mlle Beaumesnil[2].

Par la suite, le bruit courut à l'époque que La Rouërie était allé se retirer à la Trappe où il se fit faire moine et que un jour, son oncle s'étant perdu lors d'une chasse, croisa par hasard son neveu et le reconnut. La Rouërie, ignorant toujours les rapports entre son oncle et Mlle Beaumesnil, lui raconta son aventure, ce qui par la suite entraîna la réconciliation des trois personnages. Ces rumeurs étaient certainement fantaisistes mais depuis, toute la noblesse de Paris connaissait La Rouërie sous le surnom d'« évadé de la Trappe »[3]. L'histoire fit partie des ragots à la cour de Versailles.

Cependant, réconcilié avec son oncle, La Rouërie finit par devenir l'amant de Mlle Beaumesnil avec qui il eut un fils qui fut probablement envoyé au château de La Rouërie et confié au soin de sa grand-mère.

Cette vie frivole dura quelques années mais finit toutefois par prendre fin. Endetté, La Rouërie devint querelleur. Au cour d'un duel, dû à une dispute portant sur la cuisson d'un poulet[4], il blessa grièvement le comte de Bourbon Busset au point qu'on eût craint pour sa vie. Cet événement provoqua la colère de Louis XVI, dont Bourbon Busset était un ami d'enfance[5]. Les duels étant interdits, le Roi menaça de faire pendre le marquis. La Rouërie démissionna des gardes françaises et s'exila à Genève. Cet exil ne fut pas long, le Roi consentit à ce que La Rouërie pût revenir en France à condition qu'il aille se retirer sur ses terres.

La Révolution américaine

Article connexe : Révolution américaine.
Blason des Tuffin, seigneurs de La Rouërie.
D'argent à la bande de sable chargée de trois croissants d'argent

De retour à Saint-Ouen-la-Rouërie, après dix ans de service, La Rouërie n'était pas fier de son duel stupide avec Bourbon-Busset, ni même de son aventure trop tapageuse avec Mlle Beaumesnil. En France, sa carrière militaire était désormais ruinée alors que sa vocation était celle d'un militaire. Désœuvré, La Rouërie se retira dans son château[6].

Ce fut pendant cette période que les nouvelles de la Révolution américaine finirent par gagner la Bretagne. La Rouërie avait été initié à la franc-maçonnerie, à la loge du Régiment Royal-Roussillon Cavalerie; la Parfaite Union[7] et fréquentait également la loge maçonnique de Fougères, l'Aimable Concorde en tant que maître écossais[8]. Les francs-maçons fougerais, en correspondance avec leurs homologues américains, recevaient fréquemment des nouvelles des Treize colonies, ce fut grâce à ces démarches que La Rouërie put se tenir informé sur les événements[9]. Le désir de revanche sur les Anglais suite à la guerre de Sept Ans, le goût de l'aventure, le désir de faire oublier son passé, l'occasion de relancer sa carrière militaire à l'étranger auprès d'une cause qu'il jugeait juste, furent les principaux motifs qui poussèrent La Rouërie à s'embarquer pour l'Amérique.

Après une première tentative avortée qui consistait à partir sur un navire français, l'Amphitrite, depuis Le Havre, La Rouërie réussit à s'embarquer, avec un de ses domestiques nommé Lefebvre sur le Morris un navire américain qui appareillait à Nantes dans les premiers mois de l'année 1777.

Arrivée en Amérique

Le 13 avril 1777, le Morris arriva en vue des côtes américaines dans la baie du Delaware, il apportait une cargaison d'armes et de munitions pour les Insurgents ainsi qu'un courrier de Benjamin Franklin pour le Congrès des États-Unis. Mais peu de temps après, le navire fut surpris par trois navires britanniques. Les Américains tentèrent de prendre la fuite mais les tirs anglais endommagèrent fortement le Morris qui s'échoua. Une chaloupe fut mise à la mer, La Rouërie y prit place avec son domestique après que le capitaine lui eut remis les dépêches. Refusant de laisser la cargaison aux Anglais, le capitaine Anderson fit ensuite sauter son navire. La chaloupe fut renversée par une vague provoquée par un boulet et tous ses occupants durent gagner la rive à la nage.

Cet épisode fut mentionné dans une lettre de John Adams à sa femme :

« Le navire, dans l'impossibilité de passer, s'échoua. L'équipage ainsi que deux passagers français gagnèrent le rivage, mais le commandant, résolu à ne pas tout céder à l'ennemi, mit le feu aux poudres et fit exploser le navire. Malheureusement, l'explosion lui coûta la vie. Je déplore la perte d'un homme aussi courageux plus encore que celle du bâtiment et de la cargaison. Nos gens essaient de récupérer ce qu'ils peuvent des épaves ; j'espère qu'ils sauveront le canon. Quant aux Français, on dit qu'ils ont apporté au Congrès des dépêches de France[10]. »

Après quelques jours de marche, La Rouërie et Lefebvre arrivèrent à Philadelphie et obtinrent une audience auprès du Congrès afin de proposer leurs services dans l'armée continentale. Le marquis avait été recommandé au Congrès par Robert Morris. Lors de l'audience, La Rouërie affirma qu'il refuserait de recevoir une solde, désirant seulement mettre son épée au service de la cause[11]. Il déclara également que ne voulant être connu ni sous son titre de marquis, ni sous nom de famille, il ne souhaitait garder que son nom de baptême, c'est pourquoi il devait s'engager sous le nom de Charles Armand et être connu par la suite par le surnom de Colonel Armand[12]. Ces gestes de panache et de dévouement plurent au Congrès qui remit à Armand, le 10 mai, un brevet de colonel. Le Congrès alla jusqu'à accorder le même grade à Lefebvre mais ce dernier refusa[Note 2].

La guerre d’indépendance américaine

Le Colonel Armand

Toutefois pour que la nomination du Congrès soit acceptée, il fallait l'accord du général en chef George Washington. Avant de le rencontrer, La Rouërie lui écrivit un premier courrier[Note 3].

La Rouërie arriva à Morristown, dans le New Jersey, où l'armée, alors forte de 9 000 hommes, tenait ses quartiers. La Rouërie fut fortement impressionné par le général Washington qui gagna rapidement son admiration. Washington eut également un bonne opinion du jeune colonel, il écrivit ainsi à Robert Morris :

« Il m'apparaît comme un jeune homme sensé, modeste. Je me flatte que sa conduite sera telle que nous n'aurons pas de raison de nous repentir des bonnes manières qui pourront lui être témoignées[13]. »

Confirmé dans son grade de colonel, La Rouërie ne pouvait toutefois intégrer l'armée continentale, car à ce moment aucun poste n'étant vacant, à la place il fut autorisé à lever un corps de partisans et de miliciens. Il y avait cependant peu de Français dans l'armée américaine à cette période et La Rouërie dut passer sous les ordres du major Nicholas Dietrich Ottendorf, commandant d'un corps franc d'infanterie, composé essentiellement de Pennsylvaniens germanophones. Rapidement, La Rouërie entra en conflit avec Ottendorf, lui reprochant ses mœurs de pillard[Note 4]. Washington lui donna raison, il destitua Ottendorf et le remplaça par La Rouërie.

Première campagne

Le général George Washington, commandant en chef de l'armée continentale.

La cause des patriots était toutefois très mal engagée. Les soldats américains avaient passé un hiver rigoureux et de nombreuses désertions avaient été signalées. Finalement, Washington se décida à faire mouvement et se porta à la rencontre des troupes britanniques commandées par William Howe. Les deux armées se rencontrèrent à Scotch Plains, dans le New Jersey. La bataille de Short Hills fut le baptême du feu pour La Rouërie qui fut placé avec ses troupes à la pointe de l'attaque. La bataille se termina toutefois par une défaite pour les Américains face aux Britanniques mieux entraînés et deux fois plus nombreux. Le corps d’Armand fut décimé : 30 hommes sur 80 furent tués. Malgré tout, il parvint dans la déroute à sauver un canon, arme rare et précieuse pour les Américains. Suite à cette bataille, le Colonel Armand gagna l'estime de ses compagnons d'armes et Washington le félicita pour son courage[14].

La Rouërie s'attacha dès lors à réorganiser ses troupes qui avaient été décimées. Il dut payer de sa poche pour rééquiper ses hommes. Il demanda à recruter des volontaires parmi les déserteurs et les prisonniers britanniques. Le corps d'Armand, composé de fantassins et de dragons prit officiellement le nom de 1er bataillon de la légion de partisans. Malgré tout, ce corps eut des difficultés à se procurer des chevaux. La Rouërie était persuadé que les armées américaines avaient besoin d'une cavalerie puissante, mais sur ce point, ses vues divergeaient de celles de Washington qui estimait qu'elle n'était pas indispensable[15].

La Rouërie participa ensuite à quelques escarmouches. Les insurgents progressaient vers le nord et l'issue de la campagne semblait bien se présenter. Le 24 août, l'armée défilait à Philadelphie. Mais les Anglais contre-attaquèrent, et le 11 septembre se livra la bataille de Brandywine. Dans son rapport La Rouërie écrivit :

« Nous avons eu plusieurs escarmouches dans la matinée avec l'ennemi, et, pour suivre les ordres, avons défendu aussi longtemps que notre petit nombre nous le permit le passage de la rivière, sur quoi nous avons assuré la protection de la batterie de l'aile droite, jusqu'à ce que nous soyons submergés par l'ennemi qui attaquait sur ce point[16]. »

La défaite des patriots livra Philadelphie aux Britanniques. Washington tenta de contre-attaquer. Le 4 octobre il livra la bataille de Germantown à laquelle La Rouërie participa également, mais une fois encore, la bataille se solda par une défaite pour les Insurgents. Les troupes américaines, dont le moral était au plus bas, durent battre en retraite sur Valley Forge pour passer l'hiver.

L'hiver à Valley Forge

Au nord, les belligérants restèrent plusieurs semaines sans combattre. Les conditions de vie des soldats américains étaient très pénibles et certains moururent de faim ou de froid. Les Patriots reprirent toutefois quelques espoirs lorsqu'ils apprirent la victoire du général Horatio Gates à la bataille de Saratoga. Celle-ci convainquit Louis XVI d'envoyer des troupes. Mais à ce moment à Valley Forge, malgré quelques escarmouches, c'était l'inaction qui dominait. Le 22 octobre, La Rouërie participa toutefois à la petite bataille de Red Bank.

Le 25 novembre, La Rouërie prit part à la petite Bataille de Gloucester au côté de La Fayette, alors major-général, et chef de l'expédition. Les Américains attaquèrent un avant-poste de 350 Hessiens qu'ils mirent en déroute, les mercenaires allemands se replièrent jusqu'au camp principal anglais. La Rouërie eut son cheval tué sous lui, les Hessiens perdirent 60 hommes morts ou capturés, seul un milicien fut tué. La Rouërie et La Fayette étaient alors les deux seuls officiers français de plus haut rang dans l'armée américaine, La Fayette était arrivé en Amérique peu de temps après La Rouërie, en juillet, et rapidement ils eurent de l'amitié et une estime mutuelle[17]. La Fayette écrivit à Fishkill, le 26 novembre 1777 :

Le marquis de La Fayette
« Je certifie que le colonel Armand, marquis de La Rouerie, était avec moi à l'affaire du 25 novembre 1777 dans le New Jersey, lorsqu'un corps de Hessois soutenu par quelques piquets des Anglais, sous le commandement du lieutenant général lord Cornwallis, furent défaits par un parti moins nombreux de rifleman et de milices. Je reconnais avec plaisir et gratitude les obligations que je dois au colonel Armand pour le zèle et la valeur qu'il a montrés dans cette occasion où il se trouvait le plus ancien officier après moi. Ma mission n'avait d'autre objet qu'une reconnaissance des dispositions de l'ennemi et je n'avais avec moi ni brigadier ni colonel continental, excepté le marquis de La Rouerie qui m'avait suivi[18]. »

Les 5 et 8 décembre virent se dérouler la bataille de White Marsh. La Rouërie, qui y combattit sous les ordres du général Kazimierz Pułaski, écrivit :

« L'ennemi fit une tentative de débordement sur notre gauche. J'entamais l'action avec quelques cavaliers, quand le comte Pulawski survint et prit le commandement[19]. »

Les 9 500 hommes de Washington remportèrent la victoire sur les 14 000 hommes de William Howe et Charles Cornwallis. La succession des combats avait toutefois décimé de nouveau la troupe d'Armand surtout chez les hommes à pied et La Rouërie passa l'hiver à Valley Forge à essayer de reconstituer sa troupe. Suite à sa demande, il eut l'autorisation de recruter des hommes parmi les déserteurs capturés. Il dut toutefois demander encore au Congrès de l'argent pour ses hommes. Un autre problème apparut : certains des soldats du colonel Armand furent arrêtés et accusés de vol et de pillage. Indigné, La Rouërie prit sur lui de payer les dédommagements. Il s'attachait également à mettre en place une discipline solide[Note 5]. Mais pour La Rouërie ce n'était pas les seuls ennuis. Peu de temps après son arrivée dans l'armée continentale le 23 février 1778, le général Friedrich Wilhelm von Steuben écrivit dans ses notes :

« Il y a un marquis de La Rouerie, des gardes-françaises, ici colonel, qui n'a pas l'air très heureux et ne restera pas longtemps[20]. »

Cette période était marquée pour La Rouërie par un conflit qui l'opposait à un de ses officiers supérieurs, le général Stirling et un autre officier, le général Thomas Conway. La Rouërie s'en plaignit dans une lettre adressée à Washington :

« Quelque brave homme qu'il soit, quelque téméraire qu'il se montre à vos yeux, il m'est impossible de gagner l'estime de Votre Excellence sous les ordres de lord Stirling. Non seulement, il n'a aucune gratitude pour la manière dont on combat pour sa gloire et le succès de vos armes, mais au contraire, il s'attache à abaisser ce qu'un homme a fait de bien et le mal qu'il a souffert[21]. »

Il se plaignit aussi de disputes entre les officiers de son corps et ceux du général Thomas Conway. Il accusa ce dernier d'avoir menacé de faire marcher un de ses régiments contre ses hommes, baïonnette au canon[22].

La légion Armand

Type d'uniforme de dragon « libre et indépendant » de l'armée continentale.

Au printemps 1778, La Rouërie eut l'autorisation du Congrès de créer une légion de « Chasseurs libres et indépendants » forte de 452 hommes et 14 officiers, placée sous ses ordres et prise en charge financièrement par le Congrès. Dès le mois de mars, il recruta des volontaires parmi des prisonniers de guerre. Friedrich Adolf Riedesel, général du Duché de Brunswick allié de la Grande-Bretagne, écrivit dans ses mémoires :

« Cet aventurier français, nommé Armand, qui parlait assez l'allemand pour se faire comprendre. Loquace et frivole comme on l'était dans sa nation, il n'eut pas de mal à convaincre les candides et crédules Allemands du bonheur qu'ils éprouveraient à être volontaires sous ses ordres[23]. »

Le corps d'Armand était composé de dragons à cheval et de fantassins légers, ceux-ci montaient en croupe des cavaliers lorsque la légion se déplaçait sur de longues distances. Malgré ses efforts pour recruter des volontaires, La Rouërie ne put porter à ce moment qu'à 300 hommes le nombre de soldats de sa légion.

Parmi les officiers qui servirent dans la légion Armand se trouvaient : le lieutenant-colonel de Ternant, le major George Schaffner, le major de Laumagne, le chevalier Jean-Baptiste Georges de Fontevieux, Charles Merckle, le capitaine Claudius de Bert de Majan, le capitaine John Sharp, le capitaine Le Brun de Bellecour, le capitaine Mercley, le capitaine Bedkin, le chevalier de Vaudoré, le lieutenant Ducos, le lieutenant Sibert, et le lieutenant Segner.

La campagne de New York

Soldats américains de l'armée continentale

Au mois d'août 1778, La Rouërie reçut l'ordre de Washington de quitter Valley Forge pour se porter sur New York, afin de se mettre sous les ordres du général Charles Scott. L'armée anglaise se trouvait alors sur l'Île de Manhattan et occupait New York. Quant aux troupes américaines, elles se trouvaient à l'ouest de la ville. Les deux armées n'engageaient pas d'actions d'envergure mais le no man's land qui séparait les deux camps, ici appelé Neutral Ground, était le théâtre de nombreux raids et coups de main, où les habitants étaient à la merci des bandes armées. C'était toutefois le type de guerre que La Rouërie affectionnait.

En août 1779, Charles Scott fut remplacé par le général Robert Howe. Il établit son quartier général à Ridgefield (Connecticut). Howe reçut l'ordre de Washington de protéger autant que possible les habitants[Note 6]. La Rouërie fut chargé de capturer le colonel John Graves Simcoe, commandant d'une troupe, les Queen's Rangers qui s'étaient signalée par de nombreux ravages. Après une longue chevauchée la légion Armand captura Simcoe sur le fleuve Raritan, près de South Amboy, dans le New Jersey, au moment où celui-ci s'apprêtait à couler des navires américains.

Le 5 novembre 1778, le général Scott écrivit :

« Je certifie que le colonel Armand a servi, avec son corps, pendant plusieurs mois, et s'est conduit dans toutes les occasions comme un officier brave et prudent. Il ne m'a été porté aucune plainte de la part des habitants contre aucun homme de sa troupe pour quelque sujet que ce soit[24]. »

Le raid de Westchester

Le colonel Armand

Mais l'action la plus notable de La Rouërie lors de la campagne fut ce qui fut appelé le raid de Westchester. La Rouërie se trouvait avec sa légion à Tarrytown lorsqu'il apprit d'un informateur que Baremore était au repos dans une maison située à Morrisania à cinquante kilomètres de sa position. Le major Baremore était le chef d'un corps de partisans loyalistes, il avait acquis une réputation de brigand et était particulièrement craint par la population. Armand décida donc de le mettre hors d'état de nuire, et entama une longue chevauchée avec ses dragons. Le lendemain du départ, peu avant l'aurore, la légion Armand entra en territoire britannique. La Rouërie laissa le gros de sa troupe sur un pont afin d'assurer sa retraite, car un camp de 800 Hessiens se trouvait à trois kilomètres de ce pont. Puis, il parcourut 8 kilomètres en territoire anglais accompagné de seulement 22 dragons. Ils repérèrent ensuite la maison de Baremore et la cernèrent. Pénétrant en trombe et sans coups de feu, ils surprirent Baremore en plein sommeil ainsi que cinq de ses hommes. La Rouërie et ses dragons firent ensuite tout le chemin retour avec leurs prisonniers sans être accrochés par les troupes britanniques. De retour au camp Scott, ils furent accueillis triomphalement par les soldats américains[25].

L'affaire fut rapportée à Washington, le général William Heath lui écrivit :

« Le 7 novembre 1779, de nuit, le colonel Armand est allé avec son corps de Tarrytown jusqu'aux environ de Morrisania, avec pour objectif la maison d'Alderman Leggett, où il surprit et captura le major Baremore et fit cinq autres prisonniers. Le secret, la précaution, la bravoure et la discipline montrés par le colonel et son corps à cette occasion leur font le plus grand honneur. Grâce à la capture du major Baremore, les habitants de la campagne environnante ont été débarrassés des fréquentes incursions d'un dangereux officier[26]. »

Pour récompenser ses hommes de leur action et de leur discipline, ceux-ci n'ayant pas pillé la maison dans laquelle se trouvait Baremore, La Rouërie leur distribua 400 dollars.

Le 2 décembre, il récidiva, au cours d'un nouveau raid à Morrisania, il captura le capitaine Cruzer, un lieutenant de Baremore et deux autres soldats.

La campagne du sud

Toutefois La Rouërie remarqua que les actions de guérilla à New York n'étaient pas le meilleur moyen pour obtenir de l'avancement. Depuis longtemps Armand souhaitait se voir accorder le grade de général, il en avait fait la demande à Washington à plusieurs reprises.

« Si je devais rester dans l'armée ici, je me verrais obligé d'abandonner mes prétentions au rang de brigadier général, car je mesure qu'elles ne viendraient pas à propos et qu'elles seraient peut-être injurieuses pour des officiers dont les services équivalent aux miens ou les surpassent, en exploits ou en ancienneté. Je me soumettrais volontiers au principe qu'une juste discipline et le respect de l'ancienneté des autres me prescrivent en cette matière[27]. »

Aussi La Rouërie déclara à Washington qu'il accepterait volontiers de servir sur un autre front :

« Je consentirais si Votre Excellence m'en laissait le choix, à être incorporé dans l'armée du Sud, où il y a moins de généraux et de seniors colonels qu'ici ; et où aussi la mort du comte Pulaski me laisse plus qualifié que d'autres à prendre une place vacante, en considération du nombre d'Allemands et de Français là-bas, officiers comme soldats[28]. »

Ces demandes furent prises en compte. Les troupes américaines de l'armée du Sud avaient subi plusieurs défaites et étaient particulièrement en manque de cavalerie. Washington décida donc de renforcer l'armée du Sud avec les régiments du Delaware et du Maryland, ainsi qu'avec la légion Armand.

Le général Kazimierz Pułaski avait été tué le 11 octobre 1779 lors du siège de Savannah. Le Congrès décida donc, le 25 février 1780, d'incorporer ce qui restait de la légion Pulaski à la légion Armand. Au mois de mai 1780, La Rouërie prit la route du sud, avant de rejoindre l'armée il fit étape à Wilmington, en Caroline du Nord, où se trouvaient les soldats de Pulaski chargés de renforcer sa légion.

La bataille de Camden

Le général Gates

Le 25 juillet 1780, l'armée du sud, alors en très mauvais état, réunie par le général Johann de Kalb en Caroline du Nord en vue de la prochaine offensive, passa sous les ordres du général Gates. Forte de 3 700 hommes, elle se mit en marche vers le sud, mais elle souffrait des problèmes de ravitaillements et de la faim. Quant à La Rouërie, il eut une dispute avec le général Gates, il n’avait pas apprécié que ce dernier eût utilisé les chevaux de ses dragons pour déplacer les pièces d'artillerie[29]. L'armée britannique se trouvait à Camden en Caroline du Sud, elle était sous les ordres du général Charles Cornwallis.

Le 15 août, les Américains étaient arrivés en vue de Camden et Gates convoqua son état-major pour faire part à ses officiers du plan de bataille. L'offensive était prévue pour la nuit. Les dragons de La Rouërie étaient placés en première ligne, flanqués de deux colonnes d'infanterie. Les ordres de Gates étaient les suivants :

« En cas d'attaque frontale de la cavalerie ennemie, l'infanterie de chaque flanc montera instantanément en ligne, ouvrira le feu et maintiendra le plus vif tir de harcèlement contre les cavaliers ennemis ; ceci permettra au colonel Armand non seulement de résister à la charge ennemie, mais de la mettre en déroute. Le colonel appliquera par conséquent à la lettre ces ordres de contenir l'attaque de l'ennemi, quel que soit le nombre[30]. »

Ce plan fut cependant loin de faire l'unanimité auprès des officiers, plus tard le colonel Otho Holland Williams raconta :

« Même ceux qui n'avaient pas ouvert la bouche pendant le conseil de guerre se plaignirent de ne pas avoir été consulté ; qu'on s'était contenté de lire les ordres ; que toute opinion semblait refusée d'avance par la manière positive et indiscutable dont ils étaient exprimés. D'autres étaient abasourdis qu'on put concevoir qu'une armée, composée au deux tiers de milice n'ayant jamais été entraînées ensemble, put se former en colonnes et manœuvrer en pleine nuit devant l'ennemi. Mais, de tous les officiers, c'est le colonel Armand qui protesta le plus vigoureusement. Il semblait penser que les ordres positifs le concernant mettaient en doute son courage, que la cavalerie n'avait jamais été placée en première ligne de bataille dans l'obscurité complète, et que ce dispositif provenait d'une rancune personnelle du général[31]. »
Le colonel Banastre Tarleton mena la charge sur la légion Armand à la tête de ses dragons.

Mais le plan resta inchangé et à 22 heures, les colonnes se mirent en mouvement. Selon le rapport du colonel milicien Thomas Sumter envoyé en mai à Gates, les forces de Cornwallis étaient dispersées et seulement 700 hommes se trouvaient à Camden. Les colonnes progressaient sur une route bordée de pins, La Rouërie était au centre avec la cavalerie, l'infanterie était sous les ordres du colonel Porterfield et du major Armstrong, respectivement postés sur les flancs gauche et droit. Mais à deux heures du matin, les troupes américaines tombèrent nez à nez avec les dragons anglais commandés par le colonel Banastre Tarleton, que les Américains surnommaient Le Boucher. La bataille s'engagea, elle fut d'abord à l'avantage des Insurgents, mais les dragons anglais, bientôt soutenus par les fusiliers renversèrent le cours du combat et forcèrent les Américains à battre en retraite.

L'attaque surprise de nuit avait échoué. De plus, le rapport était erroné, Cornwallis n'avait pas 700 hommes à Camden, mais 2 200. Cependant la supériorité numérique restait à l'avantage des Américains, aussi le lendemain Gates choisit de lancer une nouvelle attaque. Cette fois-ci La Rouërie fut placé en réserve avec ses hommes. Les fantassins américains avancèrent en ligne, mais s'ils avaient l'avantage du nombre la plupart étaient des miliciens et les privations les avaient affaiblis, les troupes britanniques en revanche étaient bien ravitaillées et constituées de soldats de métier. Aussi à la vue des fusiliers anglais chargeant à la baïonnette, les Américains paniquèrent et prirent la fuite. Les dragons de Tarleton entrèrent de nouveau en action et mirent les fuyards en déroute. La Rouërie contre-attaqua alors avec ce qu'il restait de ses propres dragons, cela força la cavalerie anglaise à se regrouper et à permettre à davantage de fuyards de s'échapper. Tarleton écrivit lui-même dans son rapport que les troupes d'Armand avec une belle contenance bloquaient la route pour rallier les fugitifs[32].

Cependant la bataille de Camden se terminait par un véritable désastre pour les Insurgents, le général Gates lui-même avait prit la fuite lors de la bataille et avait galopé sur plusieurs miles, certains récits l'accusèrent d’avoir paniqué. Du côté américain les pertes étaient extrêmement lourdes : 250 hommes tués, contre 64 pour les Anglais, plus les blessés, les prisonniers, les déserteurs ou les soldats égarés. À Hillsborough, en Caroline du Nord, où l'armée se regroupa seuls 700 hommes sur les 3 700 du départ étaient présents[33]. Le général Johann de Kalb avait été tué lors de la bataille. Quant à la légion Armand, elle avait également été décimée. Parmi les pertes, les officiers Bert de Majan, Vaudoré et Lefebvre, le domestique de La Rouërie, avaient tous les trois été faits prisonniers.

Difficultés de la légion

Après la bataille de Camden, on crut un moment que La Rouërie, lui-même avait été tué lors de la bataille. Cette rumeur lancée par le général Gates, persuadé à tort que le colonel Armand était mort dans la déroute, gagna même la France où la mère de La Rouërie écrivit à Benjamin Franklin lui suppliant de lui donner des nouvelles de son fils.

Une autre rumeur, plus grave encore, affaiblit un temps la réputation du colonel Armand. Lancée par quelques officiers, peut-être à la recherche de boucs émissaires[34], elle fut répercutée par les déclarations du colonel Henry Lee qui accusa la légion Armand de s'être enfuie au combat provoquant le désordre dans les rangs. Et bien que d'autres témoignages, tels ceux des officiers Stutesman, Ward et Williams[35], démentirent cette version, la rumeur dura un temps. Face à ses détracteurs, La Rouërie se contenta d'écrire à Washington le 7 octobre 1780 :

« Monsieur, dans l'affaire de Camden où nous perdîmes toute notre intendance, l'ennemi s'est emparé de ce qui pour moi était le plus important de ma fortune : les lettres et les certificats que Votre Excellence a bien voulu me donner pour récompenser mes services et ma conduite. Puis-je espérer que la bienveillance de Votre Excellence l'inclinera à réparer cette perte par un nouveau témoignage de son estime. Je souhaite plus que jamais avoir l'occasion de la mériter[36]. »

Rapidement Washington mit fin à la rumeur en confirmant qu'il gardait toute confiance en La Rouërie. Confiant aussi bien dans les capacités du colonel Armand que dans celle de Henry Lee, il voulut mettre fin à toute discorde entre les deux officiers. Dans une lettre au Congrès le 11 octobre, Washington écrivit à leur propos :

« Quant aux deux officiers que j'ai recommandés ils ont les meilleurs titres à l'attention du public. Le colonel Armand est un officier de grand mérite, ce qui, ajouté à sa qualité d'étranger, à son rang dans la vie, et aux sacrifices financiers qu'il a consentis, fait un point d'honneur et de justice de continuer à lui accorder les moyens de servir honorablement[37]. »

Malgré tout, La Rouërie n'était pas au bout de ses problèmes. La légion Armand était en très mauvais état et complètement désorganisée. Le général Nathanael Greene, remplaçant du général Gates à la tête de l'armée du Sud, écrivit que les troupes de la légion étaient « dépourvues du minimum nécessaire à leur commodité et à leur confort. On peut dire qu'elles sont littéralement nues[38]. » Début octobre, la légion était allée camper dans le Comté de Warren, pour réorganiser sa troupe La Rouërie se rendit à Philadelphie, qui depuis était revenue aux mains des Insurgents, afin de s'adresser au Congrès et à Washington. Il laissait le commandement de sa légion au Vicomte de Laumagne. Mais l'affaire traîna car, peu de temps après son arrivée à Philadelphie, il tomba assez gravement malade ce qui l'empêcha de présenter ses demandes au Congrès. Après sa guérison au bout d'un mois, il put adresser une pétition au Congrès. Celui-ci autorisa le bureau de la Guerre à approuver la fourniture complète et régulière d'uniformes, d'armes et d'équipement pour les soldats de légion, mais cette décision devait se révéler sans suite, les États-Unis manquant d'argent[39].

En cette fin d'année 1780, la cause des Patriots traversait sa plus mauvaise période, l'historien Thomas Fleming écrit :

« Jamais, même au plus profond de l'hiver noir de 1776, où l'enfantement douloureux de l'année suivante à Valley Forge, l'esprit révolutionnaire de l'Amérique n'était tombé aussi bas. Le peuple était las de la guerre. Le congrès continental était en faillite. Pendant un an et demi, les troupes anglaises avaient ravagé le Sud, soumettant si complètement la Géorgie qu'elle avait à nouveau un gouverneur royal, et détruisant deux armées américaines et leurs douze mille hommes[40]. »

Le temps pressait, La Rouërie écrivit à propos de sa légion que :

« ... le désordre y règne. La plupart des officiers pensent plutôt à quitter le service qu'à poursuivre dans le Sud. Les hommes désertent. Si la légion reste où elle est, je ne retrouverai pas un soldat et peut-être un officier à mon retour[41]. »

La Rouërie ne pouvait plus subvenir seul aux besoins de sa légion, aussi, le 11 janvier 1781, il écrivit à Washington :

« Je ne vois pas comment je pourrais correctement mettre ce corps sur pied. [...] Le Bureau de la guerre me dit qu'ils n'ont ni vêtements, ni armes, ni chevaux et qu'ils n'envisagent pas de trouver l'argent pour les acheter. [...] J'ai l'intention de m'embarquer pour la France, et d'en rapporter les équipements et les vêtements qui sont nécessaires à la légion. Je me propose d'en avancer la somme. [...] J'aurais pu mettre un terme à tous mes ennuis en démissionnant tout de suite, mais étant résolu à rester sous vos ordres, et simultanément à être à même de voir augmenter chez vous l'estime que Votre Excellence a eu la bienveillance de m'assurer... je propose de partir pour la France avec le colonel Laurens[42]. »

Le lieutenant-colonel de Ternant fut placé à la tête de la légion de temps de l'absence du colonel. La Rouërie s'embarqua pour la France lors du mois de février 1781, par coïncidence il fit le voyage avec le colonel John Laurens chargé de négocier une aide financière auprès du roi Louis XVI.

Voyage en France

Suite à un voyage sans imprévus, le marquis de La Rouërie arriva à Versailles pendant le mois d'avril 1781, souhaitant faire oublier au yeux du Roi et de la Cour son passé orageux dans les gardes française, il avait demandé et obtenu de Washington un certificat de ses états de services : [Note 7]

Ce certificat fut d'une grande utilité à La Rouërie, ses services en Amérique furent comptés comme s'ils avaient été au service de la France bien qu'il restât au grade de sous-lieutenant dans l'armée française, mais surtout le roi le fit chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis[Note 8].

La Rouërie avait proposé au ministère de la Guerre la formation d'une légion française au sein de l'armée américaine dont il aurait le commandement. Le titre du mémoire était Moyen dont il serait possible de former un corps des Français qui sont ici et qui perdus pour la France s'ils n'en sont pas tirés d'une manière qui les rassemble tous[43]. Il proposait de rassembler les Français servant dans des régiments américains, ainsi que les déserteurs de l'armée royale qui auraient obligation de s'y enrôler sous peine d'être renvoyés à leur régiment d'origine. La Rouërie prévoyait également que 200 dragons et fantassins américains soient, avec l'accord du Congrès, intégrés à cette légion. Il demanda également pour adjoint le chevalier de Gimat, ancien aide de camp de La Fayette[44].

Au sein du ministère, ce projet eut ses partisans et ses opposants. Il reçut toutefois le soutien du maréchal de France Louis Antoine de Gontaut-Biron. Celui-ci écrivit en sa faveur au ministre de la guerre, le prince Alexandre de Saint-Mauris de Montbarrey [Note 9].

Mais le ministère de la Guerre donna une réponse négative à la demande du marquis de La Rouërie[Note 10].

Le but principal de La Rouërie était de se procurer l'équipement nécessaire pour réarmer sa légion. Pour cela, il dut s'endetter et mettre ses terres en gage.

« Je songeai plus à remplir ma mission qu'à l'intérêt de mon ambition. Craignant que le gouvernement ne se décidât pas ou mît beaucoup de lenteur à se décider à fournir les objets que j'étais venu chercher, j'empruntai en mon nom cinquante mille francs à cinq pour cent d'intérêt[45]. »

La Rouërie fit ainsi l'acquisition de 100 selles en cuir, 150 sabres de hussards, 160 paires de pistolets, 975 chemises, 160 couvertures, 150 paires de bottes avec éperons, 320 casques de cuivre, dont la moitié avec plumets, 4 trompettes et 4 shakos, et pour 300 guinées de commodités diverses[46].

Après un passage à Fougères et à Saint-Ouen-la-Rouërie où il rendit visite à sa famille, La Rouërie s'embarqua avec sa cargaison à Brest, pendant la fin du mois de juin 1781, à bord d'un des deux navires français qui formaient un convoi d'armes pour les Américains. Ce convoi était de plus escorté par La Magicienne, une frégate de la marine royale. Pendant le voyage, un des navires de transport démâta lors d'une tempête et dut aller se faire réparer en Espagne. L'autre navire, transportant La Rouërie et sa cargaison arriva à Boston, le 15 août. La Rouërie regagnait ainsi l'Amérique après six mois d'absence.

La bataille de Yorktown

Prise des redoutes à la Bataille de Yorktown

Le 28 septembre, le Congrès avait donné l'ordre de faire le nécessaire pour que la Légion Armand fût reconstituée. Cependant lorsque La Rouërie rejoignit sa légion, il put constater qu'elle avait été « réduite à peu de chose ». Les Américains manquaient de cavalerie, aussi les dragons de la légion Armand avaient été constamment sollicités, notamment par le général von Steuben. Intégrés dans la division de La Fayette, ils avaient livré de nombreux combats, notamment la bataille de Greenspring Farm et la bataille de Guilford Court House. Les pertes avaient été lourdes, le lieutenant-colonel de Ternant, ainsi que plusieurs autres soldats et officiers avaient été faits prisonniers par les Britanniques, sans compter les morts, les blessés graves ou les hommes dont la durée d'engagement avait pris fin. Les effectifs, forts de 200 dragons un an plus tôt, étaient passés à 58 hommes[47].

Malgré tout, grâce à l'intervention du Royaume de France et du Royaume d'Espagne, l'issue de la guerre semblait tourner à l'avantage des Insurgents. En Virginie, Charles Cornwallis avait dû s'enfermer à Yorktown avec son armée.

Pendant que les troupes française et américaine, dirigées par Washington, Rochambeau et La Fayette, marchaient sur Yorktown, La Rouërie se trouvait à Philadelphie, où il essayait de recruter de nouvelles troupes. Mais les vétérans de sa légion combattaient toujours au sein de la division La Fayette. Aussi le fait d'être écarté des opérations fut insupportable pour La Rouërie, il décida donc de rejoindre l'armée. Après deux semaines de voyage, il rejoignit le camp franco-américain près de Yorktown, peu de jours avant le début du siège de cette ville.

Article détaillé : Bataille de Yorktown.
Reddition des Britanniques à la bataille de Yorktown

Lorsque La Rouërie retrouva sa légion, il se rendit compte que beaucoup de ses hommes n'étaient plus en état de combattre, la plupart étaient malades, un soldat était même mourant. Le 14 octobre, La Rouërie se présenta à Washington, il lui dit qu'il était conscient qu'il avait d'autres affaires plus urgentes que la refonte de sa légion, mais déclara qu'il était prêt à donner une aide au siège, même avec le peu d'hommes qu'il lui restait, afin de donner une « nouvelle preuve de son dévouement »[48].

Pour prendre Yorktown, les Français et les Américains devaient d'abord prendre les deux redoutes qui étaient les principaux éléments défensifs de la ville. Il fallait toutefois que les deux soient prises lors de la même offensive, sinon les Anglais n'auraient aucun mal à reprendre l'autre. Il fut décidé que les Français et les Américains attaqueraient chacun une redoute. Du côté français l'attaque était dirigée par Antoine Charles du Houx de Vioménil, mais les troupes qui composaient le fer de lance de l'attaque étaient dirigées par le lieutenant-colonel Guillaume de Deux-Pont, secondé par le baron de l'Estrade. Pour la seconde redoute, située à gauche, c'était le marquis de La Fayette qui dirigeait l'attaque pour les Américains, mais le commandement de l'offensive était échu au colonel Alexander Hamilton, secondé par le colonel de Gimat, l'ancien aide de camp de La Fayette, et le colonel John Laurens. L'attaque était prévue pour 11 heures du soir.

Dans l'après-midi, quelques heures avant l'attaque, le colonel La Rouërie alla trouver le général Washington, il lui demanda la permission et l'honneur de participer à titre individuel à l'assaut des redoutes, sans exercer de commandement et accompagné de seulement quelques-uns de ses officiers. Washington lui donna aussitôt son accord[49].

L'attaque, de nuit, fut couronnée de succès, les Américains s'emparèrent de leur redoute plus rapidement que ne le firent les Français. La Rouërie avait été parmi les premiers à pénétrer dans la redoute américaine.

Le colonel Alexander Hamilton écrivit après la bataille :

« Qu'on me permette la satisfaction d'exprimer les obligations que nous avons au colonel Armand, au capitaine Legouge, au chevalier de Fontevieux et au capitaine Bedkin, officier de son corps, qui, combattant à cette occasion comme volontaires, ont marché à la tête de la colonne de droite et, entrant parmi les premiers dans la redoute, ont contribué par l'exemple de leur vaillance au succès de l'entreprise[50]. »

Trois jours plus tard, le 17 octobre 1781, le général Charles Cornwallis offrit sa reddition.

Article détaillé : Capitulation de Yorktown.

La victoire franco-américaine à Yorktown fut décisive. Lorsque la nouvelle arriva à Londres, le gouvernement dirigé par le parti des Tories chuta et le Parti whig arriva au pouvoir. Celui-ci, plus libéral était favorable à la paix avec les Américains.

Cantonnements à Charlottesville et York

Après la bataille de Yorktown la guerre continuait mais les affrontements devinrent rares et se limitèrent à quelques escarmouches. La Rouërie s'employa alors à reconstituer sa légion. Washington, pour le récompenser de sa conduite à Yorktown, l'autorisa à recruter 50 soldats américains de son choix pour renforcer sa troupe[51]. La légion Armand prit ses quartiers à Charlottesville et y resta six mois, aussi La Rouërie s'attela principalement à des tâches d'intendance. Il chercha surtout à se procurer de l'argent pour le recrutement, à demander des chevaux, une soixantaine étant morts de maladie, et à essayer d'obtenir la libération de prisonniers de son corps aux mains des Britanniques.

« Six de mes officiers sont prisonniers. J'ai demandé à l'amiral de Grasse, qui détient les prisonniers ennemis, de faire un échange. Il me dit qu'il est bien d'accord mais qu'il ne peut le faire sans le vôtre et celui du comte de Rochambeau[52]. »

Finalement, suite à un échange de prisonniers, La Rouërie put récupérer le lieutenant-colonel de Ternant et les capitaines Le Brun de Bellecour et Bert de Majan. Il ne put toutefois recevoir de chevaux, ses vues concernant l'utilité de la cavalerie différaient toujours de celles de Washington qui la considérait comme secondaire. Washington songea également un moment à envoyer la légion Armand au sud, mais il se heurta encore à l'opposition de son colonel, La Rouërie estimait qu'elle n'était pas encore suffisamment équipée. Finalement, comme les troupes anglaises se décidaient à s'embarquer pour la Grande-Bretagne, le colonel Armand obtint de rester à Charlottesville. Le temps passant, au bout de quelques mois La Rouërie finit par reconstituer sa légion.

Durant cette période, La Rouërie fréquentait le marquis François Jean de Chastellux et Thomas Jefferson, ce dernier l'invita d'ailleurs chez lui à Monticello.

François Jean de Chastellux écrivit ainsi dans les notes de ses voyages :

« Le seul étranger qui nous visita pendant notre séjour à Monticello fut le colonel Armand. [...] On sait qu'il passa en France l'année dernière avec le colonel Laurens ; il en est revenu assez tôt pour se trouver au siège de Yorktown, où il a marché comme volontaire à l'attaque des redoutes. L'objet de son voyage était d'acheter en France un habillement et un équipement complet pour une légion, qu'il avait déjà commandée mais qui avait été détruite dans les campagnes du Sud, et qu'il fallait former de nouveau. Il en a fait l'avance au Congrès, qui s'est engagé à fournir les hommes et les chevaux. Charlottesville, petite ville naissante, située dans une vallée à deux lieues de Monticello, est le quartier qu'on a assigné pour l'assemblement de cette légion[53] »

La Rouërie invita à son tour Jefferson et Chastellux à Charlottesville, celui-ci nota :

« Je m'y rendis avec M. Jefferson et je trouvai la légion sous les armes. Elle doit être composée de deux cents chevaux et de cent cinquante hommes d'infanterie. La cavalerie était presque complète et assez bien montée ; l'infanterie était encore très faible, mais le tout était bien habillé, bien armé, et avait très bon air. Je dînais chez le colonel Armand avec tous les officiers de son régiment et avec son loup ; car il s'est amusé à élever un loup qui a maintenant dix mois, et qui est aussi familier, aussi doux et aussi gai qu'un jeune chien ; il ne quitte pas son maître, et il a même le privilège de partager son lit[54] »

Cependant en juin 1782, La Rouërie dut quitter la Virginie, après six mois à Charlottesville. Il reçut l'ordre d'aller s'établir avec sa troupe à York, en Pennsylvanie. Le quotidien fut moins tranquille qu'à Charlottesville, le docteur John Gottlieb Morris, chirurgien de la légion Armand, écrivit ainsi dans son journal :

« 9 octobre. Nous arrivons à Winchester. Les habitants ne nous aiment pas. Le capitaine Bedkin se bagarre avec quelques uns d'entre eux à la taverne.
28 octobre. Nous offrons un bal aux habitants pour les inciter à nous procurer nos quartiers d'hiver. Ils refusent. Des tracas s'ensuivent.
11 décembre. Le général Morgan vient nous voir. Combat d'exercice, puis bal.
15 décembre. Le colonel Armand et le major Schaffner jouent et perdent gros.
22 décembre. Nous arrivons à Frederickstown. Le colonel Armand se bat en duel avec M. Snikers, un Virginien.
25 décembre. Enfin York. Personne ne veut de moi avec tous mes soldats malades. Le capitaine Sharp et le lieutenant Riedel se battent en duel[55]. »

En manque de combats, La Rouërie était redevenu quelque peu querelleur, le 19 décembre 1782, il provoqua le capitaine Snikers en duel. Il semble que les causes de la dispute soient liées à une publication où Snikers aurait écrit contre La Rouërie. Le duel eut lieu le 22 décembre, mais aucun des duellistes ne fut blessé[Note 11].

Promotion au grade de général

Portrait d'Armand Tuffin de La Rouërie, peint en 1783 par Charles Willson Peale. Le colonel Armand porte son uniforme de dragon, ainsi que sa croix de Saint-Louis et sa médaille de l'ordre de Cincinnatus. Après la guerre, La Rouërie ramena ce portrait en France, il l'envoya ensuite à Madame Craig en témoignage de son amitié. Ce tableau est aujourd'hui exposé à la Société historique de Pennsylvanie à Philadelphie.

Au début de 1783, le colonel Armand servait toujours dans l'armée américaine. Arrivé parmi les premiers en Amérique, La Rouërie fut l'un des derniers Français à repartir. Le corps expéditionnaire français s'était rembarqué pour la France à la fin de l'année 1782 et La Fayette était reparti peu de temps après le siège de Yorktown.

La Rouërie fréquentait la société de Philadelphie, il était notamment devenu l'ami du couple Craig. Ce fut Mme Craig qui lui présenta le peintre Charles Willson Peale qui, à la demande de celle-ci réalisa par la suite le portrait du colonel Armand[56].

Le 26 mars 1783, La Rouërie reçut enfin la récompense qu'il attendait depuis longtemps. Il fut promu, par le Congrès, au grade de brigadier-général[Note 12]. Cette promotion avait été demandée par Washington dans une lettre qu'il adressa au président du Congrès, le 7 mars 1783 [Note 13]

Aussi, Benjamin Lincoln, secrétaire de la guerre écrivit à La Rouërie :

« Mon cher Monsieur,
J'ai le plaisir de vous annoncer votre promotion au grade de brigadier général au service des États-Unis d'Amérique et de vous envoyer ci-inclus votre commission.
Permettez-moi de vous féliciter pour cet événement et pour les circonstances très honorables dans lesquelles votre mérite et vos services vous ont procuré cette promotion.
J'ai seulement à me plaindre que ce témoignage de la confiance que le Congrès met dans votre intelligence, dans votre zèle et votre bravoure ait été différé comme il l'a été réellement pendant quelques temps par les affaires urgentes et importantes qui l'ont occupé.
J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute estime, mon cher Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur[57]. »

On songeait alors à la constitution de forces armées en temps paix, La Rouërie fut invité par le Congrès à donner son avis sur la composition de la cavalerie. Dans sa réponse écrite à Washington, La Rouërie se proposa à continuer de servir dans l'armée américaine, il recommanda le lieutenant-colonel de Ternant pour prendre sa succession dans son ancienne légion qui était alors passée à 340 soldats parfaitement bien disciplinés, dans cette lettre il souligna également « son attachement à Votre Excellence et à la forme du gouvernement républicain[58] », lui qui par la suite, devint un des chefs de la contre-révolution en France.

La fin de la guerre

Le 3 septembre 1783 avec la signature du Traité de Paris, la guerre d'indépendance américaine prit officiellement fin.

Le 3 novembre 1783, la légion Armand fut démobilisée sur décision du commandement. Malgré quelques regrets, La Rouërie s'y plia sans discuter. Il s'occupa alors avec ses officiers à régler la liquidation du corps et à délivrer des certificats pour les soldats ayant servi dans la légion.

Le 25 novembre, les soldats de la légion Armand défilèrent pour la dernière fois à Philadelphie devant le général Washington, le 29 novembre La Rouërie écrivit à celui-ci :

« Il est impossible d'exprimer cette scène de tristesse, les officiers et les soldats en larmes, venant tous me trouver pour dire leur chagrin de la séparation ; même les hommes qui avaient encouru des punitions demandant à leurs officiers de leur pardonner ; et toute la troupe me jurant de me retrouver si jamais on avait à nouveau besoin de nos services dans ce pays[59]... »

La Rouërie régla alors ses dernières affaires avant de repartir pour la France. Il souhaitait continuer sa carrière dans l'armée française. Aussi il écrivit à Washington pour être recommandé, par son intermédiaire, au comte de Rochambeau afin qu'il l'aide à bénéficier d'une promotion dans l'armée française.

La Rouërie reçut de nombreuses lettres de remerciements qui témoignaient tout le bien que l'on pensait de lui : Benjamin Lincoln, général américain et secrétaire à la Guerre[Note 14], Thomas Mifflin, président du Congrès[Note 15] les habitants de York, où sa troupe avait été cantonnée[Note 16], les officiers de sa légion dans une lettre qui lui fut remise la veille de son départ pour la France[Note 17].

Le 15 décembre 1783, le général George Washington écrivit à La Rouërie :

« Mon cher Marquis,
Parmi les dernières actions de ma vie comme homme public, il n'y en a point qui me donne plus de plaisir que celle qui me met à portée de reconnaître les secours que j'ai reçus de la part de ces hommes honorables que j'ai eu l'honneur de commander et dont les démarches et la conduite ont tant contribué à la sûreté et à la liberté de mon pays.
Je ne puis m'empêcher, en vous mettant au nombre de ces braves guerriers, de reconnaître que je vous dois les remerciements les plus vifs et les plus sincères pour le grand zèle, l'intelligence et la bravoure que vous avez rendus et où vous vous êtes si fort distingué.
Il m'est impossible de vous rappeler dans cet instant toutes les circonstances particulières dans lesquelles vous vous êtes signalé.
Votre conduite à l'action de Short Hills où, sur quatre-vingts hommes, vous en avez eu trente de tués et où vous avez sauvé une pièce d'artillerie qui, sans votre grand courage, aurait été prise par l'ennemi ; votre conduite à la Tête-d'Elk où vous commandiez l'arrière-garde dans la retraite ; votre conduite dans les actions de Brandywine et de White Marsh, et surtout lorsque vous étiez sous le commandement de La Fayette et que, second par le commandement, avec la milice et quelques chasseurs vous attaquâtes avec succès l'arrière-garde de lord Cornwallis ; votre conduite, dis-je, dans ces circonstances, en vous faisant un honneur infini, a été d'un avantage singulier pour le pays.
Mais, parmi tous les services que vous avez rendus, toutes les actions que vous avez faite, il ne faut pas que j'oublie le beau coup de partisan que vous fîtes en Westchester où, avec toute l'adresse et la bravoure d'un officier partisan consommé, vous suprîtes un major et quelques soldats de l'ennemi dans des quartiers à une distance considérable de leurs piquets et les amenâtes sans la perte d'un seul homme de votre côté.
Quoique je n'aie pas eu l'occasion d'être témoin de votre conduite en 1780 où vous vous trouviez au sud, les détails que j'en ai reçus n'ont pas diminué l'opinion que j'avais de vous auparavant ; et l'année d'ensuite, je vous eus une obligation particulière pour la conduite courageuse que vous montrâtes en devenant volontaire et en allant sous ce caractère à la tête de la colonne attaquer et livrer l'assaut à la redoute de Yorktown.
Pendant que je vous donne ce dernier témoignage public de mon approbation et de mon contentement, je vous prie de croire que rien ne me donnerait plus de satisfaction que d'avoir en mon pouvoir de vous donner des preuves plus solides de l'amitié et de l'estime avec lesquelles j'ai l'honneur d'être, mon cher Marquis, votre très humble et très obéissant serviteur[60]. »

Après avoir fini de régler le licenciement de sa légion, La Rouërie s'embarqua pour la France lors du printemps de l'année 1784 et quitta définitivement l'Amérique.

Vie entre deux Révolutions

Retour en France

Château de La Rouërie à Saint-Ouen-la-Rouërie

De retour en Bretagne, La Rouërie fut accueilli en héros à son retour à Fougères et Saint-Ouen-la-Rouërie où il retrouva sa famille[61].

Un singe qu'il avait adopté et qui l'accompagnait souvent, « assis sur la croupe de son cheval », attira notamment la curiosité. Il rapportait de son voyage des plantes d'Amérique et notamment des tulipiers de Virginie. Offerts par Washington, plusieurs furent plantés au château de Saint-Ouen-la-Rouërie où ils sont encore visibles aujourd'hui.

Un ancien officier de sa légion, le major Georges Schaffner, était devenu l'un des ses plus fidèles amis, et avait tenu à le suivre en France.

Cependant, La Rouërie était criblé de dettes dues à ses emprunts lors de la guerre pour équiper sa troupe. Il passa un certain temps à essayer de les régler. Finalement, il décida de régler ce problème par un mariage. Il se fiança et épousa Louise Caroline Guérin de Saint-Brice, qui vivait au château de La Motte, près de Saint-Ouen, et était issue d'une famille fortunée[62].

Le 27 décembre 1785, le Marquis de La Rouërie et Louise Caroline Guérin de Saint-Brice se marièrent dans la chapelle du château de La Motte. Bien que ce mariage fût un mariage d'argent, le couple vivait en très bonne amitié. Armand invita même Washington et son épouse, Lady Washington, à son mariage. Naturellement Washington dut se faire excuser : « Le moindre de mes regrets de ne pouvoir venir en France ne sera pas de manquer à la participation de votre bonheur[63]. »

Échec de réintégration au sein de l'armée française

Au début de l'année 1786, La Rouërie chercha à reprendre le métier des armes, grâce à ses services en Amérique où il avait été nommé général, il espérait se voir accorder le même grade au sein de l'armée française.

Le général Washington avait recommandé le marquis auprès du Comte de Rochambeau dans une lettre datée du 16 mai 1784[Note 18].

Mais La Rouërie était revenu trop tard en France pour bénéficier des récompenses et des promotions qui avaient déjà été distribuée aux autres officiers.

Anne César de la Luzerne, ambassadeur français aux États-Unis tenta toutefois d'intervenir en sa faveur [Note 19].

Louis XVI crut le satisfaire en le nommant colonel d'un régiment de Chasseurs à pied. Mais La Rouërie refusa, moins pour le grade de colonel que pour le fait que s'étant spécialisé de la cavalerie, il ne concevait pas de servir dans l'infanterie[64].

Il espérait pouvoir obtenir mieux mais il eut beau arguer auprès du ministre de la Guerre Louis-Marie-Athanase de Loménie, comte de Brienne qu'il avait notoirement obtenu l'estime de Washington, qu'il avait été nommé colonel avant même que La Fayette soit arrivé en Amérique, que son prédécesseur au ministère de la Guerre, le maréchal de Ségur, lui avait assuré que ses services en Amérique seraient comptés comme s'ils eussent été au service de la France, ce fut en vain[65].

Mort de Madame de La Rouërie

La Rouërie finit par rentrer à Saint-Ouen-la-Rouërie. Il songea ensuite à partir en voyage pour la Prusse avec le major Schaffner, afin d'étudier la stratégie militaire de l'armée prussienne, particulièrement réputée à cette époque. Mais il dut oublier un temps ses affaires militaires, car son épouse, de santé fragile, tomba gravement malade. Pour la soigner, le marquis fit appel au docteur Valentin Chevetel, médecin réputé de Bazouges-la-Pérouse. Madame de La Rouërie souffrait en fait d'une tuberculose pulmonaire. Chevetel avança que seul l'air de la montagne pourrait guérir la marquise, il fut donc décidé de l'envoyer à Cauterets, dans les Pyrénées. La Rouërie et Chevetel s'étaient rapidement pris d'amitié, aussi le marquis se rangea à ses vues. Et bientôt Louise de La Rouërie, se mit en route pour les Pyrénées, accompagnée du docteur Chevetel. La Rouërie, resté à Saint-Ouen, continua de s'occuper de son voyage pour la Prusse, il se fit recommander par son ami d'Amérique François Jean de Chastellux auprès du Prince de Condé et à l'ambassadeur de France en Prusse. Mais il apprit bientôt que son épouse, était morte le 18 juillet 1786, peu de temps après son arrivée à Cauterets[66].

Lutte entre Versailles et le Parlement

La Rouërie renonça à son voyage en Prusse. Désœuvré et attristé, le marquis s'adonna principalement à la chasse. À cette période, il fréquentait principalement le major Schaffner et sa cousine Thérèse de Moëlien. Ces trois personnes ne se quittaient presque jamais, Schaffner et Moëlien s'étaient même installés au château de La Rouërie. Il fut parfois avancé que le marquis de La Rouërie et Thérèse de Moëlien avaient été amants mais cela est probablement faux, il semble leur relation ait été davantage de l'ordre de l'amour fraternel[67]. Devenu l'ami de Valentin Chevetel, La Rouërie obtint pour lui une place de médecin des bâtiments à Paris au sein de la maison du comte de Provence, frère du Roi[67].

La Rouërie s'ennuyait, mais les événements qui se passaient alors en Bretagne allaient lui donner l'occasion de sortir de sa retraite. Une querelle commençait à opposer la Cour de Versailles, représentée en Bretagne par le duc d'Aiguillon Emmanuel Armand de Vignerot du Plessis, gouverneur de la Bretagne, au Parlement de Bretagne, avec à sa tête Louis-René Caradeuc de La Chalotais, procureur général au Parlement. Breton, La Rouërie prit fait et cause pour La Chalotais.

Le 8 mai 1788, le roi avait fait passer les édits de Brienne et de Lamoignon. Ces édits annulaient les pouvoirs politiques et diminuaient la compétence judiciaire des Parlements. Mais le Parlement de Bretagne refusa d'appliquer ces édits, qu'il estimait contraire au Traité de l'Acte d'union de la Bretagne à la France en 1532. Antoine François Bertrand de Molleville, intendant de Bretagne, se présenta à Rennes pour faire enregistrer les édits au Parlement. Les Rennais élevèrent alors des barricades et accueillirent l'intendant par des huées, des jets de pierre, et même de quelques coups de fusils[68]. La troupe fut envoyée pour rétablir l'ordre, mais certains officiers étaient eux-mêmes bretons et répugnèrent à réprimer[69]. Des affrontements opposèrent les Rennais et les soldats, finalement ces derniers finirent par être désarmés.

Le Parlement décida d'envoyer une députation de douze nobles bretons porter une remontrance à Versailles. Les douze nobles choisis étaient : le chevalier de Guer, le marquis de Tremargat, le comte de Bedée, de La Fruglaye, des Nétumières, de Becdelièvre, de Carné, de La Ferronière, de Cicé, de Montluc, de Chatillon ainsi que le marquis de La Rouërie[70].

La députation commença par porter une déclaration à Henri de Thiard de Bissy, commandant des troupes royales à Rennes :

« Déclarons infâmes ceux qui pourraient accepter quelques places, soit dans l'administration nouvelle de la justice, soit dans l'administration des états, qui ne seraient pas avouées par les lois constitutives de la Bretagne[71]. »

Le 5 juillet, elle arriva à Versailles, mais la situation était tendue, aussi les députés furent assez mal accueillis. Le Roi refusa de leur accorder audience. Après en avoir avisé le Parlement, Les Bretons restèrent à Paris, attendant le « bon plaisir de Sa Majesté ». Pour patienter, ils organisèrent quelques fêtes ou dîners où ils convièrent leurs compatriotes habitant à Paris, mais suite à l'un de ces soupers, le 14 juillet 1788, les députés bretons furent arrêtés à leur retour chez eux par des agents munis de lettres de cachet. Les Bretons furent ensuite conduits et enfermés pendant la nuit à la Bastille[72].

Le Parlement de Bretagne s'employa alors à pourvoir à leurs besoins et même à leur assurer un certain confort. On leur livra ainsi 240 bouteilles de vins de Bordeaux[73]. Et, le 21 août, un billard fut même loué pour les détenus[74].

Le major Schaffner écrivit notamment une lettre au marquis de La Fayette pour se plaindre de l'emprisonnement des députés bretons. La Fayette lui répondit :

« Vous n'avez rien à craindre pour notre ami que l'ennui de l'emprisonnement, et ceci, j'ai bien lieu de le croire ne sera pas long. Les souffrances d'Armand pour son pays ajouteront à sa renommée et lui garderont un respect plein d'honneur aux états généraux[75]. »

Le 25 août 1788, le ministère dirigé par Étienne-Charles de Loménie de Brienne tomba, ce qui provoqua le jour même la libération des douze députés. Le retour en Bretagne, et notamment à Fougères pour le marquis La Rouërie, fut un triomphe. Par son action et son embastillement, La Rouërie avait gagné une très grande popularité en Bretagne[69].

La Révolution française

Émeute à Rennes

Les discordes n'étaient toutefois pas terminées, et une autre querelle, cette fois-ci interne apparut. Elle opposa les députés de la noblesse à ceux du tiers état.

Les états de Bretagne furent convoqué lors du mois de décembre 1788, les députés du tiers reprochèrent à la noblesse sa suprématie, ils réclamèrent plusieurs mesures, principalement le vote par tête et non plus par ordre. La noblesse refusa et, par mesure de protestation alla siéger au couvent des Jacobins. Jean Victor Marie Moreau prit alors la tête d'un rassemblement d'étudiants et se porta au couvent qui fut encerclé. En empêchant les nobles de sortir, les étudiants entendaient les forcer à accepter les revendications du tiers état.

Les nobles firent alors une sortie, La Rouërie fut le premier à faire irruption hors du couvent, l'épée hors du fourreau. La vue de La Rouërie, s'avançant à la tête des nobles déconcerta quelque peu les étudiants auprès desquels il était si populaire[76]. Les assiégés tentèrent d'en profiter pour effectuer une percée, il y eut une succession de combats, de duels, de nombreuses personnes furent blessées, à la fin de la journée, deux hommes Bois-Hue et Saint-Riveul, tout deux nobles, avaient été tués.

Après cette journée, La Rouërie se retira quelques temps à Paris, où il rencontra une nouvelle actrice, Mademoiselle Fleury, avec laquelle il eut une courte liaison[77].

La date d'ouverture des États généraux approchait et La Rouërie songeait à se faire élire député. Mais lorsqu'il se présenta à Rennes, il se heurta à l'opposition du reste de la noblesse. En effet, la noblesse et le haut clergé de Bretagne refusèrent purement et simplement de siéger aux États généraux. Selon eux, l'ordonnance de Jacques Necker qui avait réglé le mode d'élections aux états généraux ne prenait pas en compte des lois et coutumes de la Bretagne. De plus la noblesse entendait protester contre l'augmentation des députés que le Parlement avait accordée au tiers état. La Rouërie fut un des rares nobles bretons qui s'opposa à cette mesure. Il tenta de convaincre, presque un par un, tous les députés nobles du Parlement mais sans succès.

La Rouërie, accompagné de Bois-Berthelot et de La Feronnière tenta alors de se réconcilier avec les étudiants à l'école de droit. Il écrivit :

« Je parlais à cette jeunesse des sentiments de justice et de concorde qui animaient les deux autres ordres, je la priai de s'y joindre immédiatement ; je lui représentai les dangers évidents d'une plus longue séparations, et tous les avantages d'une réunion. [...] J'eus bientôt l'inexprimable jouissance de voir cette jeunesse qui seule pouvait sauver son pays prendre le ton et le langage d'une parfaite réconciliation[78]. »

Mais La Rouërie écrivit que l'orateur suivant fit changer les jeunes gens d'avis et « détruisit toute nos espérances[79]. »

La Rouërie fit tous ce qu'il put pour tenter de faire changer d'avis la noblesse bretonne mais en vain, au final il ne put être présent, comme il l'aurait souhaité, aux États généraux.

Suppression des lois et coutumes de la Bretagne

Statue de La Rouërie, sculptée par Jean Fréour et érigée en 1993 à Fougères, devant l'hôtel de La Belinaye, maison natale d'Armand Tuffin de La Rouërie, à l'occasion du bicentenaire de sa mort.

La Rouërie était un monarchiste libéral. Ayant combattu pour les États-Unis, il avait une réelle admiration pour la Révolution américaine et il s'était dit très attaché au gouvernement républicain américain. Mais en France, La Rouërie restait farouchement royaliste.

En philosophie, La Rouërie se sentait surtout proche des idées d'Edmund Burke[80], philosophe contre-révolutionnaire de tendance libérale, qui devait écrire par la suite ses Réflexions sur la Révolution de France.

Dépité de ne pouvoir participer aux États généraux, La Rouërie regagna Saint-Ouen-la-Rouërie, il continua toutefois de suivre les événements à Paris et Versailles. Il était favorable aux réformes, mais le tour que prenaient les événements lui déplut fortement. Très attaché aux droits de la province de Bretagne, il désapprouva totalement la mise en place de l'Assemblée constituante qui supplantait les Parlements. Il estimait que les pouvoirs du Roi devaient être limités par les parlements provinciaux et non par une seule et unique assemblée siégeant dans la capitale. Assez indifférent à la prise de la Bastille, il s'opposa particulièrement aux événements de la Nuit du 4 août, où avec l'accord des députés bretons du tiers état, les lois et coutumes particulières de la Bretagne, considérées comme des privilèges, furent supprimés.

Très irrité, profondément déçu par la Révolution française et impuissant à s'opposer aux événements, La Rouërie songea un moment à se rendre aux États-Unis mais son entourage l'en dissuada. Il se mit ensuite à fréquenter un de ses voisins, le comte Ranconnet de Noyan, vieil homme habitant La Mancelière, à Baguer-Pican, qui partageait les idées du marquis. Leurs conversations leur donnèrent l'idée de créer une association pour la défense des lois particulières de la Bretagne[81].

Au milieu de l'année 1789, La Rouërie écrivit à George Washington, où il lui fit part de ses vues :

« Nos affaires dans cette partie du monde ne vont pas comme les gens honnêtes et impartiaux le voudraient. Votre Excellence doit s'attendre avant longtemps à de très affligeantes nouvelles de ce côté-ci. Je crains deux grands maux pour ce pays : l'anarchie et le despotisme. [...] Chaque esprit ici se prétend un génie et se croit être un législateur. Des hommes d'esprit, nous en avons. Des hommes de savoir, des virtuoses des arts et des sciences, nous en avons. Mais des hommes remarquables par la profondeur de leurs vues et leur dévotion au bien public, ceux-là, nous n'en avons pas. La noblesse se cramponne à ses droits de naissance. Quant au clergé, il se battrait s'il avait plus de courage et moins d'enfants naturels. [...] Mon cher Général, ce n'est pas ainsi que vous et votre pays avez conquis la liberté[82].  »

Dans un autre courrier à Washington, qui entre-temps était devenu Président des États-Unis, datant du mois d'août 1790, il écrivit à propos des députés bretons de l'Assemblée nationale :

« J'ai gardé tous mes amis d'autrefois, à l'exception de ceux qui ont un siège à notre Assemblée nationale, que je méprise profondément, quel que soit le camp qu'ils ont choisi, car ils ont tous trahi leur charge[83]. »

Le 22 mars 1791 à Fougères, le marquis de La Rouërie reçut la visite de François-René de Chateaubriand qui devait partir pour l'Amérique. La Rouërie lui écrivit une lettre de recommandation pour Washington, ce devait être le dernier courrier écrit par le marquis au président des États-Unis [84].

La suppression des lois particulière de la Bretagne indigna surtout la noblesse, qui regretta fortement son boycott des états généraux. Au début de l'année 1791, René-Jean de Botherel du Plessis, procureur général syndic des États de Bretagne dénonça les mesures de l'Assemblée constituante :

« Des envoyés des sénéchaussées et des diocèses se sont portés aux états généraux comme députés du peuple breton, et là, infidèles à leurs mandats, comme ils l'avaient été à la constitution de leurs provinces, ils n'ont pas rougi de tromper et de trahir leurs commettants, ni même de violer leurs serments ; ils ont, au nom du peuple breton qui, quelques mois auparavant réclamait ses libertés et son union à une monarchie, cherché à consommer la ruine des nos immunités et contribué à détruire en France tous les caractères, toutes les traces de la monarchie.
Indignés des attentats et fidèles à nos serments, nous protestâmes, dès le mois de décembre 1789, contre une assemblée qui, de mandataire se constituant elle-même nationale, s'arrogeait tous les pouvoirs, détruisant tout et ne pouvant faire autorité dans une province qui, se gouvernant par ses propres lois, ne fut jamais soumise à un régime étranger, qui d'ailleurs n'y a point de représentant et ne peut et ne doit adopter ses établissements qu'après en avoir mûrement délibéré dans l'assemblée des gens des trois états.
Nous déclarons solennellement au nom et pour le bonheur du peuple breton la soi-disante Assemblée nationale comme illégalement constituée, comme contraire à la constitution et aux droits et franchises de la Bretagne, comme tendant à surcharger cette province d'impositions dont les autres parties du royaume voudraient alléger leur fardeau, et nous adhérons formellement à toutes autres prestations contraires aux actes de ladite Assemblée, et nous adoptons toutes les précautions prises et à prendre pour les annuler, rétablir la majesté du trône, et conserver à la province des droits qu'aucune autorité ne peut détruire, et dont elle ne pouvait être dépouillée que par l'injustice et la mauvaise foi[85].  »

Pendant toute l'année 1790, La Rouërie s'employa à convaincre des voisins ou ses connaissances à se joindre à l'Association, il s'adressa aussi bien aux aristocrates qu'aux personnalités influentes issues du peuple. Il tenta surtout de lutter contre l'émigration des nobles, mais sans grand succès, même de nombreuses personnes qui avaient promis leurs concours à l'Association finirent par émigrer, dont René-Jean de Botherel du Plessis. La Rouërie adressa un premier courrier au comte d'Artois, alors chef de l'émigration :

« Il faudrait, Monseigneur, s'opposer à ce que le nombre des émigrants augmentât. Ici ou en Angleterre, ils ne sont d'aucune utilité ; dans les provinces, ils peuvent reconquérir leur influence de famille et au besoin combattre avec les hommes qui se dévouent. Il y aura peut-être des attentats isolés contre leurs personnes, mais plus on nous verra nombreux et bien décidés, moins on essaiera de nous attaquer[86]. »

Voyage auprès du comte d'Artois

Le comte d'Artois, frère de Louis XVI.

Pour que cette association pût gagner une véritable légitimité, il fallait qu'elle fût approuvée par le roi. Mais Louis XVI était considéré par les royalistes comme prisonnier des révolutionnaires. La Rouërie décida donc de s'adresser au comte d'Artois, frère du roi, alors émigré à Coblence dans le Saint Empire.

Pour ne pas être soupçonné d'émigration, La Rouërie s'embarqua à Saint-Malo pour l'Angleterre lors du mois de mai 1791. Il était accompagné du major Schaffner, de Thérèse de Moëlien, de son cousin Gervais Marie-Eugène Tuffin de La Rouërie, et de trois de ses domestiques. Après un bref passage par l'Angleterre, les voyageurs gagnèrent ensuite Ostende, il arrivèrent à Coblence le 20 mai, puis se rendirent à Ulm où ils furent reçus par le comte d'Artois. Celui-ci approuva leur projet. Mais manquant d'argent, il ne put leur fournir des fonds. Il leur recommanda toutefois de s'adresser à Charles Alexandre de Calonne. Celui-ci fit quelques suggestions sur l'organiser l'association, notamment sur la nécessité d'un trésorier et d'un agent de liaison.

La Rouërie n'appréciait guère les émigrés, il retrouva cependant quelques-uns de ses amis parmi eux et notamment Georges de Fontevieux, un des ses anciens officiers en Amérique. Fontevieux, originaire du Palatinat-Deux-Ponts, était d'origine franco-allemande. La Rouërie lui proposa de se joindre à l'Association, il accepta et le marquis fit de lui un agent de liaison, chargé de transmettre dépêches et courrier entre Coblence et la Bretagne.

Après avoir reçu du comte d'Artois un document signé qui confirmait son accord sur la création de l'Association, les Bretons traversèrent la frontière et regagnèrent la France. Le document, cousu dans une ceinture, était porté par Thérèse de Moëlien. Pendant que les Bretons cheminaient à travers la Lorraine, le roi Louis XVI et sa famille, en fuite, étaient arrêtés à Varennes, non loin de là. Les Bretons apprirent cet événement en cours de route. Ils arrivèrent à Paris le 25 juin 1791, soit le jour même du retour du roi dans cette même ville[87].

Cherchant un endroit pour passer la nuit à Paris, La Rouërie se rendit avec ses compagnons chez son ami Valentin Chevetel qui les hébergea. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés La Rouërie et Chevetel étaient rapidement devenus amis, ils avaient discuté politique et au départ avaient tout de suite partagé les mêmes idées libérales, aussi La Rouërie lui fit-il part de ses projets sans la moindre méfiance. Il ignorait cependant que, depuis, les idées politiques de Chevetel différaient totalement des siennes. Chevetel habitait alors l'hôtel La Fautrière[88], rue de l'Ancienne Comédie, tout près du Club des Cordeliers. Devenu patriote, il était notamment devenu proche de Jean-Paul Marat et de Danton, ce dernier était d'ailleurs son voisin[89]. S'il accueillit La Rouërie et ses compagnons chez lui, il se garda bien de faire part de ses convictions révolutionnaires à ses hôtes.

L'Association bretonne

Article détaillé : Association bretonne.

Au départ les associés, faisant état de leurs civisme, se présentaient comme une « Association simplement défensive des honnêtes gens contre attroupement de factieux, brigands ou malfaiteurs[90] » , mais le républicanisme progressant à Paris et la guerre extérieure devenant de plus en plus inévitable, l'association se radicalisa dans le début de l'année 1792, privilégiant désormais la lutte armée.

De retour en Bretagne, La Rouërie rapportait le pouvoir octroyé par le comte d'Artois :

« Déclarations du Monseigneur le comte d'Artois:
1) Qu'il est fort éloigné de tout projet tendant au despotisme, que ses principes sont fort opposés au gouvernement arbitraire, et qu'il ne veut que mettre le roi en état de raffermir les bases de la monarchie et de reprendre pour le bonheur de ses peuples l'exercice d'une autorité tempérée par les lois, et de rétablir la véritable Constitution française qui peut aisément se concilier avec une liberté raisonnable.
2) Que les secours qui lui sont promis sont gratuits ; et qu'il n'est point à craindre que le rétablissement de l'ordre soit acheté par le démembrement d'aucune partie du royaume.
3) Qu'on peut compter qu'un des premiers effets de la contre-révolution sera de réintégrer les provinces dans leurs droits et de leur rendre les états dont la convocation aura lieu à l'instant même que le retour du bon ordre le permettra.
4) Qu'on épargnera les voies de rigueur le plus qu'il sera possible ; qu'on n'emploiera la force que pour subjuguer la rébellion opiniâtre ; que tous ceux qui, au moment de la publication des manifestes, rentreront dans le devoir de sujets fidèles seront à couvert de recherches sur leur conduite antérieure, à l'exception des chefs des séditieux et des coupables de grands crimes qui, ne pouvant être soustraits aux poursuites de la justice, seront jugés suivant les lois et les formes judiciaires[91]. »

Par la suite, l'association reçut également le soutien du comte de Provence, qui depuis, avait également émigré. Le 4 octobre 1791, il écrivit :

« Vous pouvez, Monsieur, assurer de ma part M. le marquis de La Rouërie qu'instruit par le comte d'Artois du plan d'Association qu'il lui a proposé pour le bien de la province de Bretagne, je n'hésite pas à joindre mon approbation à celle de mon frère et que, sachant pareillement combien les sentiments, les principes et la sage conduite de M. de La Rouërie méritent de confiance, je partage celle que mon frère lui a donné. Je l'exhorte à continuer de s'occuper de cet objet qui aura certainement notre appui[91]. »
Le marquis de La Rouërie, gravure du début du XIXe siècle

La Rouërie s'attela ensuite à l'organisation de l'association. Dans chaque ville d'évêché, furent placés six commissaires et un secrétaire de l'association issus des trois ordres. L'administration était tenue par deux secrétaires : Deshayes et Loaisel. Le trésorier de l'association se nommait André Désilles[Note 20]. Thomazeau, de Saint-Malo, fut chargé de l'intendance. Deux hommes, Henri, aubergiste à Saint-Servan et Vincent étaient chargés des liaisons sur mer avec Jersey. Les associés reçurent ainsi la livraison, par l'intermédiaire de l'Angleterre, d'argent, de 6 600 fusils, de poudre, de 300 uniformes complets et de 4 canons[92].

Il fallait lever des troupes. Un recrutement de volontaires s'organisa. Des mesures furent prises pour rallier le soutien des garnisons des Gardes nationales. Il fut prévu de régler les grades par « la quantité d'hommes que chacun fournira, en sorte que, par exemple, celui qui fournira vingt hommes d'armes sera enseigne ; trente, sera sous-lieutenant ; quarante, lieutenant, etc., le tout sans exiger la noblesse pour aucun grade et sans en faire la base des distinctions[93]. »

La Rouërie trouva désormais un appui auprès de la population bretonne, très déçue de la Révolution, après y avoir d'abord été favorable, et fortement hostile à la Constitution civile du clergé.

La Rouërie était catholique, aussi, bien que peu pratiquant[94], il désapprouva la Constitution civile du clergé et le fit savoir dans le manifeste de l'association qu'il préparait :

« On ne peut pas dissimuler que le mécontentement du peuple se propage de plus en plus ; que l'éloignement général qu'il témoigne pour les prêtres constitutionnels, que la désertion également générale de leur église n'annoncent que trop clairement que le vœu de la grande majorité du peuple est contraire aux lois qui ont divisé l'ancienne église et anéanti le clergé français, sans aucun motif d'utilité publique[95]. »

Il avança également que depuis la suppression des États de Bretagne, la pauvreté augmentait et que les impôts étaient désormais trois fois plus élevés.

« On ne peut pas dissimuler davantage que la misère publique s'aggrave de jour en jour, que le commerce languit de plus en plus ; que les anciennes ressources du peuple s'anéantissent ; et que cependant il voit, en murmurant, ses charges s'accroître, et jusqu'à la religion devenir pour lui la matière d'un nouvel impôt[96]. »

La Rouërie prit également auprès de lui trois aides de camps : Aimé Picquet du Boisguy, âgé de seulement quinze ans, Picot de Limoëlan, père de Joseph Picot de Limoëlan et son cousin Gervais Marie-Eugène Tuffin de La Rouërie, devenu agent de liaison avec Fontevieux. D'autre nobles, qui plus tard se distingueraient dans les guerres de la chouannerie adhérèrent à l'association bretonne, parmi lesquels : Amateur-Jérôme Le Bras des Forges de Boishardy, Charles Sévère de La Bourdonnaye, Toussaint du Breil de Pontbriand, Vincent de Tinténiac, Sébastien de La Haye de Silz, Louis du Pontavice, les frères Charles-Edouard et Louis-Joseph de La Haye-Saint-Hilaire, Auguste Hay de Bonteville, ainsi que le prince de Talmont. Si des gens du peuple, comme Pierre Guillemot, avaient adhéré à l'Association, la majorité des associés étaient cependant issus de l'aristocratie.

La Rouërie et Noyan s'étaient également attelés à la rédaction d'un manifeste, chargé de présenter les revendications de l'association :

« L'objet de l'association est de contribuer essentiellement et par les moyens les plus doux au retour de la monarchie, au salut des droits de la province, celui des propriétés et l'honneur breton[97]. »

L'autre manifeste, présenté au comte d'Artois à la fin de l'année 1791 débutait ainsi :

« Nous soussignés citoyens de la province de Bretagne, croyons devoir donner les motifs de notre présente Association, déclarons d'abord unanimement que le vœu le plus cher à notre cœur est celui de vivre libre ou mourir, qu'exprimait, par son organisation, notre ancien gouvernement breton et que prescrit, d'ailleurs, l'article 6 de la section 5 du chapitre premier de la Constitution française du 3 septembre 1791, et que notre intention n'est que propager aucuns principes ni de nous permettre aucuns actes qui puissent être pris pour une violation même indirecte de ce serment.
Nous déclarons de plus qu'il doit être bien entendu qu'il n'exclut de notre part l'obéissance et la fidélité que nous devons au roi, notre légitime souverain, et que nous regarderons au contraire comme nos ennemis déclarés tous ceux qui abusent de ses bienfaits et de sa tendre sollicitude pour son peuple, cherchant à affaiblir son autorité tutélaire, à diminuer ses prérogatives et à anéantir son trône par l'insinuation criminelle d'idées républicaines, à la propagation desquelles il est de notre devoir, en bons et fidèles sujets, de nous opposer de toutes nos forces.
Nous déclarons enfin que nous adoptons sans restriction ce principe élémentaire de la Constitution actuelle, et qui se trouve consigné dans l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que la loi est l'expression de la volonté générale, et que tous les citoyens ont droit de concourir personnellement à sa formation. Et, à ce sujet, nous observons que le principe des malheurs publics qui affligent, à ce moment, le royaume, et en particulier la province de Bretagne, ne provient que de ce que, dans la pratique, on a trop méconnu cette théorie de législation, sans laquelle il n'y a plus de vraie liberté publique, que de là sont nées successivement ces factions dangereuses qui divisent le royaume et que l'on connaît sous les dénominations de factions républicaines, royalistes, monarchiennes et autres, que par là encore le respect dû à la loi s'est naturellement affaibli, dès que, d'un côté la naissance de toutes ces factions, et de l'autre les murmures du peuple n'ont que trop clairement manifesté qu'elle n'avait pas pour elle cette expression de la volonté générale, qui seule forme son plus imposant caractère.
Nous observons, de plus, que c'est surtout la province de Bretagne qui peut plus que toute autre encore se plaindre qu'ont ait violé envers elle ce principe de la Déclarations des droits que nulle loi ne peut être regardée comme telle, si elle n'est l'expression de la volonté générale, puisqu'elle n'a été convoquée ni représentée régulièrement aux états généraux de 1789, et puisqu'elle n'en a pas moins perdu son antique Constitution et ses droits, franchises et libertés, contre le vœu formel de ses trois ordres, et même les dispositions précises de la grande majorité des cahiers des assemblées des sénéchaussées, formées pour éluder et suppléer alors la convocation constitutionnelle du tiers comme ordre politique et indivisible..[98]. »

Le 20 avril 1792, le Royaume des Français déclara la guerre à l'Archiduché d'Autriche et au Saint Empire. Ceux-ci reçurent le même jour, le soutien du Royaume de Prusse et de l'Armée des émigrés, la première coalition contre les Révolutionnaires était formée.

L'Association bretonne était prête pour le combat, ses effectifs étaient alors forts de 10 000 soldats[99].

Perquisition au château de La Rouërie

De leur côté, les révolutionnaires du pays de Fougères, intimidés, ne savaient trop comment agir. Ils se doutaient que le marquis entretenait des hommes armés et que des rassemblements de troupes étaient effectués. De plus La Rouërie n'avait alors manifesté aucune volonté d'attaque, présentant son Association comme purement défensive afin de se protéger d'éventuels brigands. Quant à Valentin Chevetel, il avait toujours ses amitiés dans chacun des deux partis, mais sans en informer l'autre. Aussi, jusqu'au mois de mai 1792, les autorités patriotes du pays ne prirent aucune mesure contre le marquis ou les membres de son association.

Mais le 27 mai 1792, un rassemblement ostensible, de plusieurs dizaines ou centaines de personnes, et où se trouvaient tous les chefs de l'association, eut lieu à Saint-Ouen-la-Rouërie, au château du marquis. Le lendemain, les administrateurs des communes de Saint-James et Pontorson signalèrent au district d'Avranches qu'une sédition se tramait au château du marquis. Le maire de Saint-Ouen-la-Rouërie Thomas de Lalande, jusque là timoré, dut se résoudre à agir. Ses gardes nationaux n'ayant pas d'armes, il s'adressa au général de Chevigné à Rennes qui ordonna une perquisition. Le 31 mai, les troupes envoyées furent importantes, menées par Varin et Hévin, membre du directoire du département de l'Ille-et-Vilaine, les forces étaient de 400 hommes : gendarmes, gardes nationaux, fusiliers, cavaliers. Mais la perquisition fut sans effet. Le château était vide, hormis quelques domestiques et le singe du marquis qui effraya des soldats. Rien de compromettant ne fut trouvé, aucun document, pas d'armes. Les soldats battirent alors la campagne des environs avec guère plus de succès. Seul Deshayes fut arrêté.

Château de Launay-Villiers

Pendant ce temps, les associés s'étaient dispersés. La Rouërie se réfugia alors en Mayenne, au château de Launay-Villiers qui appartenait à un des ses amis, le chevalier de Farcy[Note 21] . En changeant de département il échappait à la juridiction de l'Ille-et-Vilaine. La Rouërie avait alors adopté le faux nom de Monsieur Milet, de Bordeaux, négociant en vins. Il était toujours en contact avec Schaffner, Moëlien, Fontevieux, Gervais et du Pontavice afin de transmettre les dépêches. Il ne lui restait désormais plus qu'à attendre le signal prévu pour le soulèvement.

Les Chouans

Article détaillé : Chouans.

En bordure du parc du château Launay-Villiers, se trouvait la forêt de Misedon. Cette forêt était le repaire de Jean Cottereau, dit Jean Chouan et de ses hommes qui avaient pris le nom de Chouans. Cottereau et ses compagnons s'étaient révoltés le 15 août 1792 contre les révolutionnaires à Saint-Ouën-des-Toits. Depuis ils avaient organisés divers coups de mains contre les patriotes. Aucune source ne prouve que La Rouërie et Jean Chouan se soient rencontrés, ou que ce dernier eût été recruté par l'Association, mais La Rouërie resta trois mois à Launay-Villiers jusqu'au début du mois de septembre. La Rouërie se pouvait ignorer les troubles qui secouaient la Mayenne à ce moment-là[100].

À cette période au Bourgneuf-la-Forêt, un combat opposa les Chouans aux révolutionnaires. Ces derniers furent battus avec perte de 18 morts. Les sources royalistes rapportèrent qu'un inconnu serait apparu soudainement lors de la bataille, aurait pris le commandement des chouans et se serait retiré une fois la victoire acquise. Bien que ce récit semble en partie légendaire, et magnifié par les auteurs royalistes, la présence à proximité du chef de l'Association bretonne fit penser que l'homme en question pouvait être La Rouërie[101].

Les guerres de la Révolution française

Jean Cottereau, dit Jean Chouan
Peinture de L. de Labarre, 1840.

Pendant plusieurs semaines, les associés attendirent les directives des frères du roi. L'attente provoqua un certaine nervosité chez certains des associés. D'un côté La Rouërie dut calmer l'ardeur de certains d'entre eux qui souhaitaient prendre les armes sur-le-champ, de l'autre il rappela fermement à l'ordre le comité de Saint-Malo qui avait contesté ses ordres et demandait d'attendre la prise de Paris par les coalisés avant de prendre les armes[102].

De son côté, Valentin Chevetel arriva, lors de cette période, au château de La Fosse-Hingant, à Saint-Coulomb qui appartenait à Desilles, et était le quartier général de l'Association. Chevetel demanda à rencontrer La Rouërie, celui-ci fit le déplacement, le reçut chaleureusement, et, toujours sans la moindre méfiance, lui fit part de ses projets et de sa situation.

Enfin, vers la fin du mois d'août, Fontevieux arriva à Launay-Villiers, il était porteur d'une lettre de Calonne datée du 11 août. Celle-ci annonçait l'offensive prochaine en France des armées de la coalition. La Rouërie fit diffuser la nouvelle à tous les comités. Il fixa la prise d'armes pour 10 octobre[103], date prévue de la prise de Châlons-en-Champagne, par les armées de la coalition[104].

Le 19 août 1792, après avoir repoussé l'offensive des révolutionnaires, les troupes prussiennes et autrichiennes entrèrent en France.

Valentin Chevetel retourna alors à Paris, et le 2 septembre, jour même de son arrivée, il se présenta, à 3 heures du matin, à Danton qui était alors Ministre de la justice. Chevetel informa Danton du danger que représentait l'Association bretonne, et lui fit part de tout ce qu'il savait[105].

Cependant, Danton choisit de négocier avec La Rouërie. Informé par Chevetel des opinions libérales du marquis et du fait que celui-ci pourrait par la suite jouer un rôle politique important, Danton remit à Chevetel la lettre suivante :

« Si tout ce que m'a dit le porteur de la présente des dispositions de M. de La Rouërie et de la Bretagne a quelque fondement, j'estime que, pour sauver la France du mauvais pas dans laquelle on l'a engagée, les hommes qui ne veulent pas la ruine du pays doivent se réunir dans un commun effort. Il ne s'agit plus ici de discussions de principes plus ou moins contestables ; il faut sauver le trône constitutionnel et l'intégrité du territoire. Dans le cas probable où la Bretagne pourrait offrir quelque réalité à un mouvement combiné sur ces bases, j'autorise le porteur de la présente à traiter en mon nom et en celui de mes amis qui, comme moi, ne veulent pas s'enfoncer jusqu'au fond de l'anarchie[106]. »

L'avancée des forces de la coalition semblait irrésistible, Danton espérait ainsi qu'en cas de défaite des forces armées de la Révolution une monarchie constitutionnelle pourrait être maintenue avec l'appui du marquis de La Rouërie, au lieu d'un retour à l'Ancien Régime.

Le lendemain, Chevetel repartit pour la Bretagne. À son arrivée, il se présenta de nouveau au château de La Fosse-Hingant. Il fut reçu de nouveau par La Rouërie, mais cette fois-ci ce fut beaucoup plus froidement. Louis du Pontavice, alors en observation à Paris, avait fini par découvrir les liens de Chevetel avec les Cordeliers et avait écrit au marquis afin de l'en avertir. Sommé de s'expliquer, Chevetel ne nia pas ses relations avec les Cordeliers, il montra la lettre de Danton à La Rouërie et parvint à le convaincre qu'il avait réussi à le gagner à la cause royale[107]. La Rouërie s'excusa de ses soupçons et félicita Chevetel qui fut blanchi aux yeux des associés.

Sans doute afin de lui prouver sa confiance, La Rouërie choisit Chevetel pour participer à une mission à Jersey auprès de Fontevieux, le but étant d'organiser une nouvelle livraison d'armes.

Le soulèvement était imminent, La Rouërie fit placarder des affiches dans les villes et les villages:

« Citoyens. Malgré toutes les recherches et tous les efforts des factieux, je parais au milieu de vous, à la tête d'une force imposante, au nom et sous les ordres des princes, frères du roi. Rassurez-vous, je ne suis armé que pour défendre vos personnes et vos propriétés.
Et vous Bretons, mes chers amis, je veux vous aider à recouvrer vous-mêmes les anciennes franchises, et les anciens droits qui étaient à la fois, le rempart le plus solide de votre liberté politique et religieuse, comme le plus sûr garant de votre paix intérieure et de la prospérité qu'elle produit[108]. »

Mais à la fin du mois de septembre, La Rouërie reçut les nouvelles de la victoire des Révolutionnaires, le 20 septembre, à Valmy, située à seulement 35 kilomètres de Châlons. Les troupes de la coalition firent ensuite retraite, ils repassèrent la frontière et quittèrent la France. Le 22 septembre, la monarchie fut renversée et la République proclamée.

L'issue de la bataille de Valmy fut un véritable désastre pour l'association bretonne. Aussitôt qu'il apprit la nouvelle, La Rouërie organisa une réunion au château de La Fosse-Hingant. Outre La Rouërie, les seuls qui purent être présent furent Thérèse de Moëlien, Désilles, Schaffner, du Buat de Saint-Gilles, Fontevieux et Chevetel[109]. La Rouërie, espérant un sursaut populaire royaliste en Bretagne et l'aide des émigrés d'Angleterre proposa, mais sans guère d'illusion, de maintenir la date du 10 octobre, mais il se heurta à l'opposition de Fontevieux, Désilles et Saint-Gilles qui affirmèrent que si la date était maintenue la défaite était certaine[110]. La Rouërie se rangea rapidement à leur vues et la date de l'insurrection fut reportée pour le 10 mars 1793[111]. Étant le principal recherché, il dut entrer en clandestinité, on lui conseilla de fuir à Jersey, mais il refusa de quitter la Bretagne[111].

La trahison de Valentin Chevetel

Après la réunion, Chevetel et Fontevieux s'embarquèrent pour Jersey afin d'accélérer la prochaine livraison d'armes. Ils y rencontrèrent René-Jean de Botherel du Plessis qui avait réuni 3 000 fusils, de la poudre, des munitions et six canons pour l'association. La cargaison fut embarquée sur un navire, mais le gouverneur britannique de Jersey s'opposa à son départ. Chevetel, dans son rapport à Danton, affirma avoir personnellement convaincu le gouverneur de mettre cet embargo[112].

Il retourna ensuite à Paris où il remit son rapport à Danton. Désormais il n'était plus question pour le ministre de la justice de traiter avec les conjurés. Celui-ci engagea Chevetel à faire sa déclaration au Comité de sûreté générale mais il refusa. Par la suite, le 5 octobre, Danton chargea Chevetel d'arrêter La Rouërie, ainsi que les autres chefs de la conjuration. Sur les conseils de Fabre d'Églantine, on adjoignit à Chevetel un nommé Lalligand, dit Morillon qui avait joué un rôle contre une conspiration à Grenoble[113].

Le 7 octobre, les deux hommes, qui se détestaient[114], partirent séparément pour la Bretagne. Chevetel, qui avait adopté le surnom de Latouche auprès des républicains, fit le voyage avec Fontevieux. Jamais celui-ci ne soupçonna le double jeu de son compagnon de voyage. De retour à la Fosse-Hingant il se vit confier une nouvelle mission, toujours avec Fontevieux il partit le 13 octobre pour Liège auprès des frères du roi, afin de recevoir des nouvelles de la situation à l'Est ainsi que pour recevoir d'éventuelles nouvelles directives.

Sur les conseils de Chevetel, Lalligand resta inactif à Saint-Servan, attendant le moment propice[114].

La Guyomarais

Manoir de La Guyomarais

Pendant ce temps La Rouërie, proscrit, errait dans les campagnes de Bretagne, comme l'écrivit plus tard Claude Basire :

« La Rouërie ne perdit rien de son ardeur. Ce conspirateur infatigable, se reposant rarement, courait de château en château, de comité en comité pour ranimer les espoirs. Sans cesse en vagabondage dans les forêts ou les collines, toujours armé, il ne prenait jamais les routes battues, et passait souvent la nuit dans des grottes, inaccessibles à d'autres, au pied d'un chêne, ou dans un ravin. Toutes les cachettes lui étaient bonnes ; et il ne deumeurait jamais deux fois au même endroit. On peut imaginer la difficulté de se saisir d'un homme aussi prudent qu'il était intrépide[115]. »

Il avait adopté le faux nom de Gasselin et était accompagné seulement de Loaisel dit Fricandeau, son secrétaire et de Saint-Pierre, un de ses domestiques. Ces chevauchées lui firent quitter de plus en plus l'Ille-et-Vilaine, pour se porter davantage sur les Côtes d'Armor.

Le 12 janvier 1793, après avoir galopé dans les environs de la forêt de La Hunaudaye, La Rouërie et ses deux compagnons allèrent trouver refuge au proche château de La Guyomarais, qui appartenait à la famille du même nom, en la paroisse de Saint-Denoual. Il avait neigé ce jour-là et Saint-Pierre était atteint de fièvres.

Monsieur de La Guyomarais était membre de l'Association et avait déjà hébergé La Rouërie trois fois lors des mois précédent. Ils furent logés dans une chambre du château, mais l'état de Saint-Pierre ne s'améliora pas. Le lendemain, Loaisel alla chercher le chirurgien Morel à Plancoët. Le 18 janvier Saint-Pierre fut guéri, mais La Rouërie tomba à son tour malade le 19 janvier[116]. La Guyomarais rappela le docteur Morel, puis par deuxième mesure de précaution, fit quérir le docteur Taburet de Lamballe. Atteint de frissons et de violentes quintes de toux, il souffrait en fait d'une pneumonie.

Le 24 janvier, la garde nationale de Lamballe fit une descente sur le château de la Guyomarais. Avertis par un voisin, les Guyomarais purent cacher le marquis, à la ferme de La Gouhandais, située à une centaine de mètres du château. Les républicains ne découvrirent rien, mais ce traitement ne pouvait améliorer l'état de santé de La Rouërie[117].

Le lendemain, Schaffner et Fontevieux arrivèrent à la Guyomarais, ils apportaient avec eux un journal qui leur avait appris de l'exécution de Louis XVI le 21 janvier. Cependant les associés décidèrent de ne pas révéler la mort du roi au marquis, estimant que cela aggraverait la fièvre alors que malgré l'épisode de la veille on entretenait l'espoir de son rétablissement. Alité, La Rouërie demanda toutefois à ce qu'on lui fît lecture du journal, car il voulait avoir des nouvelles du procès du roi. Ce fut son domestique Saint-Pierre qui s'en chargea, mais le marquis pressentant peut-être qu'on lui cachait quelque chose, demanda à Saint-Pierre d'aller lui chercher à boire. Celui-ci commit l'imprudence de laisser le journal dans la chambre, La Rouërie le lut et apprit la mort de Louis XVI[118].

La Rouërie eut alors une crise de délire, il sauta de son lit, s'habilla, déclara vouloir repartir mais s'effondra, totalement affaibli. Pendant trois jours, il agonisa, il alternait entre la prostration, le délire et l'inconscience[119]; un troisième médecin, Lemasson fut dépêché mais ne put rien faire.

La Rouërie mourut le 30 janvier 1793, à quatre heures et demie du matin[120].

Sépulture de La Rouërie

Tombeau du marquis de la Rouërie dans le bois du château de la Guyomarais.

Il fallait cependant cacher le corps, le 31 janvier, pendant la nuit, Schaffner, Fontevieux, Loaisel, Lemasson, le jardinier Perrin, des domestiques et des membres de la famille La Guyomarais, enterrèrent le corps de La Rouërie en cachette dans le bois de Vieux Semis, qui appartenait au château[121]. Jusqu'au milieu du mois de février, la mort de La Rouërie resta secrète[122].

Peu après l’enterrement, Schaffner et Fontevieux quittèrent le manoir. Quant à Saint-Pierre, il prit les papiers et la correspondance du marquis et les porta à Désilles, à la Fosse-Hinguant, où il lui apprit également la mort du chef de l'association. Désilles mit ensuite les papiers dans un bocal qu’il enterra[122].

Mais auparavant, à la fin du mois de janvier, Thérèse de Moëlien, qui savait La Rouërie malade, avait écrit à Valentin Chevetel. Elle lui demandait son aide, se souvenant de sa profession de médecin. Chevetel arriva alors à La Fosse-Hinguant. Il y apprit de Désilles la mort du marquis de La Rouërie, ainsi que le lieu et les circonstances de son décès. Chevetel transmit aussitôt toutes ces informations à Lalligand-Morillon[123].

Le 25 février, celui-ci, à la tête de soldats républicains, fit irruption à La Guyomarais. Il y fit arrêter tous ses occupants, soit la famille de La Guyomarais, ainsi que leurs domestiques. Les trois médecins qui avaient soigné le marquis furent également arrêtés et conduits au manoir. Lalligand-Morillon interrogea ensuite les détenus, un par un, pendant de longues heures et dans le manoir même. Tous les accusés nièrent avoir hébergé La Rouërie. Cependant Lalligand enivra le jardinier Perrin qui finit par parler. Celui-ci mena Lalligand et quelques soldats devant la tombe. Le corps du marquis de La Rouërie fut exhumé, Lalligand le fit décapiter[124].

Il retourna alors à La Guyomarais et jeta au sol la tête de La Rouërie qui roula aux pieds des accusés. Monsieur de La Guyomarais dit alors :

« Soit, il n'y a plus à nier. Voilà bien la noble tête de l'homme qui si longtemps vous a fait trembler[125]. »

Le corps de La Rouërie fut ensuite remis en terre. Sa tête, abandonnée après le départ des républicains et de leurs prisonniers, fut récupérée par les deux filles de La Guyomarais et cachée sous une dalle de la chapelle du château. Le crâne fut découvert en 1877 et remis à la famille La Belinaye[126].

Fin de l'Association bretonne

Sur les dénonciations de Chevetel, Lalligand fit arrêter plusieurs membres de la conjuration bretonne. Il découvrit également les papiers enterrés par Désilles. Mais la plupart associés purent échapper aux recherches grâce à Thérèse de Moëlien, qui peu après la mort de La Rouërie, avait brûlé la liste des membres de l'Association.

Au total, Lalligand fit arrêter 27 personnes, qui furent conduites à Paris pour y être jugées. Le procès s'ouvrit le 4 juin 1793, et se termina le 18 juin. Au terme du jugement treize accusés furent acquittés, deux furent condamnés à la déportation, le jardinier Perrin et le médecin Lemasson, qui, envoyés à Bicêtre, y furent exécutés le 26 juin 1794 lors de la conspiration des prisons[127], douze furent condamnés à mort, il s'agissait de Monsieur et Madame de La Guyomarais, Louis du Pontavice, la Chauvinais, Madame de la Flonchais, Morin de Launay, Locquet de Granville, Jean Vincent, Groult de La Motte, Picot de Limoëlan, Georges de Fontevieux et Thérèse de Moëlien[128]. Ils furent tous exécutés le jour même.

La Chouannerie

Le bataillon carré, peinture de Julien Le Blant, 1880.
Article détaillé : Chouannerie.

La date prévue du soulèvement de l'association bretonne était le 10 mars 1793, cependant les survivants de l'association ne songèrent pas à reprendre les armes et la plupart se retirèrent chez eux.

Mais une insurrection eut tout de même lieu lors du mois de mars 1793. L'application de la Levée en masse provoqua la révolte des paysans en Bretagne, dans le Maine, en Vendée. Les paysans révoltés se donnèrent ensuite le nom des premiers insurgés de Mayenne : les Chouans. Ils choisirent des militaires et des nobles pour chefs, la plupart étaient d'anciens membres de l'Association bretonne, les principaux furent Sébastien de La Haye de Silz, Aimé Picquet du Boisguy, Vincent de Tinténiac et Amateur-Jérôme Le Bras des Forges de Boishardy. En 1794, Joseph de Puisaye se présenta comme le successeur de La Rouërie[129], afin d'unifier les groupes de la Chouannerie, il tenta de ressusciter l'Association bretonne.

Regards contemporains

« Brave jusqu'à l'intrépidité, entreprenant, actif, impatient, infatigable et d'une ténacité dans ses projets dont rien ne pouvait le distraire, ambitieux, jaloux, avide de distinctions et du commandement, jaloux de ses égaux, encore plus jaloux de sa noblesse, ce fut moins la cause de la liberté qu'il servit en Amérique que son ambition particulière. Il n'avait d'ailleurs pas le choix des moyens et c'était le seul qui lui restât pour pouvoir rentrer un jour dans sa patrie et faire oublier les écarts de sa jeunesse.
Le désir de se venger du peu de cas que la Cour avait fait de lui et l'espoir d'être député de son ordre aux états généraux l'avaient fait se jeter dans le parti de la noblesse bretonne dont il n'aimait pas les chefs et dont il n'était pas aimé. Son attente trompée par les événements ayant pris une autre direction, il s'attacha à se faire des partisans parmi la haute bourgeoisie et surtout parmi la classe des anoblis et des nobles peu favorisés par la fortune, qui se trouvaient flattés de ses prévenances »

— Valentin Chevetel[130]

« Le colonel Armand, c'est-à-dire, M. de La Rouërie, neveu de M. de La Belinaye. Il a été célèbre en France pour sa passion pour Mademoiselle B..., il l'est en Amérique par son courage et sa capacité. [...] Son caractère est gai, son esprit est agréable et personne ne voudrait qu'il fût voué au silence. M. de La Rouërie était très jeune alors : sa conduite a montré depuis, que la nature en lui donnant une âme sensible et passionnée, ne lui avait pas fait un présent qui dut toujours lui être funeste : la gloire et l'honneur en ont employé toute l'activité, et c'est une observation qui trouverait place dans l'Histoire aussi bien que dans ce journal, qu'en portant en Amérique le courage héroïque et chevaleresque de l'ancienne Noblesse française, il a tellement su se plier en même temps aux mœurs républicaines, que loin de se prévaloir de sa naissance, il n'a voulut s'y faire connaître que sous son nom de Baptême, de là vient qu'on l'a toujours appelé le Colonel Armand »

— François Jean de Chastellux[131]

« Il s'est trouvé partout et partout s'est distingué par un zèle infatigable, un amour violent de son métier... Les qualités du cœur ne le cèdent pas à ses qualités militaires. »

— La Fayette[132]

« Armand Tuffin de La Rouërie, un aristocrate breton, un personnage vraiment extraordinaire qui joignait aux passions les plus fortes un esprit souple, au machiavélisme de l'aristocratie un talent de négociateur, et à l'intrépidité du soldat les vues d'un grand général, fut l'auteur principal de cette stupéfiante conspiration. Après avoir conçu le plan intégral, son vaste génie en a prévu jusqu'au plus infimes détails. Il en préparé l'exécution avec une habileté réellement incomprarable. »

— Claude Basire[133]

« M. Armand Tuffin de La Rouarie naquit en 1753 (sic). Après des études brillantes, il entra dans le régiment des Gardes-Françaises, et fut nommé colonel en 1777. Sa jeunesse fut orageuse; quelques affaires qu'il eût lui occasionnèrent des désagréments, qui le déterminèrent à passer en Amérique. [...] Il se mit au service de cette République naissante; il fut fait officier général et [...] se distingua durant toute la guerre. Ses passions s'amortirent dans ces climats; il revint en France en 1785 (sic); c'était alors un homme grave et réfléchi. Les principes qu'il avait puisés en Amérique lui firent d'abord voir avec satisfaction le commencement de la Révolution française, parce qu'il espérait qu'elle se bornerait à réprimer les abus qui s'introduisent toujours dans les vieilles sociétés; mais il fut promptement détrompé, et il jugea bientôt qu'elle allait bouleverser le Royaume et détruire toutes les institutions qui en faisaient la force. Le marquis était attaché aux privilèges de la Bretagne, et, déjà, il s'était prononcé si fortement, à l'époque des premiers troubles, dans la lutte entre la Cour et le Parlement, en 1788, qu'il fut un des douze députés envoyés auprès du Roi, pour réclamer la conservation des privilèges de la Province; il fut mis à la Bastille; cet emprisonnement excita l'intérêt et lui acquit la considération générale, en sorte que sa réputation lui assurait l'entière confiance des Royalistes, lorsqu'il forma son association. M. de La Rouarie avait un génie remarquable, un grand caractère, et joignait, aux talents de général, la plus rare intrépidité; il était affable et savait s'attacher tous ceux qui avaient des relations avec lui. »

— Toussaint du Breil de Pontbriand[134]

« Il n'y avait en Bretagne qu'un homme capable de grandes choses, M. de La Rouërie »

— Maurice Gigost d'Elbée[135]

« Rival de La Fayette et de Lauzun, devancier de La Rochejaquelein, le marquis de La Rouërie avait plus d'esprit qu'eux : il s'était plus souvent battu que le premier ; il avait enlevé des actrices à l'Opéra comme le second ; il serait devenu le compagnon d'armes du troisième. Il fourrageait les bois, en Bretagne, avec un major américain, et accompagné d'un singe assis sur la croupe de son cheval. Les écoliers de droit de Rennes l'aimaient, à cause de sa hardiesse d'action et de sa liberté d'idées : il avait été un des douze gentilshommes bretons mis à la Bastille. Il était élégant de taille et de manière, brave de mine, charmant de visage, et ressemblait au portraits des jeunes seigneurs de la Ligue. »

— François-René de Chateaubriand[136]

Annexes

Articles connexes

Mémorial du marquis de la Rouërie situé devant le château de La Guyomarais sur l'actuelle commune de Saint-Denoual, dans les Côtes d'Armor.
Épitaphe du tombeau du marquis de la Rouërie.

Bibliographie

  • François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe.
  • François Jean de Chastellux, Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, dans les années 1780, 1781 et 1782 (1786) (réédition : Tallandier, Paris 1980)
  • Théodore Lemas, Le district de Fougères pendant les Guerres de l'Ouest et de la Chouannerie 1793-1800, Rue des Scribes Editions, 1894 
  • G. Lenotre, Le Marquis de La Rouërie, conspirateur, 1895
  • Toussaint Du Breil de Pontbriand, Mémoire du colonel de Pontbriand, édition Plon, Paris, 1897 (réimpr. Y. Salmon, 1988) 
  • Paul Delarue, Charles-Armand Tuffin, Marquis de la Rouërie, Chef de la conjuration bretonne. Généalogie, Notes, Documents et papiers inédits. Une Famille bretonne du XIIIe au XIXe siècle. J.Pilhon et L. Hervé, Libraires - Rennes - 1899
  • G. Lenotre, Un agent des Princes pendant la révolution : le marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne (1790-1793), Perrin, Paris, 1899
  • G. Lenotre, Le Marquis de la Rouërie et la Conjuration bretonne., Perrin, 1927 
  • Job de Roincé, Le Colonel Armand Marquis de la Rouerie, Fernand Lanore, 1974 
  • Christian Le Bouteiller, La Révolution dans le Pays de Fougères, Société archéologique et historique de l'arrondissemnet de Fougères, 1989 
  • Christian Bazin, Le marquis de la Rouerie "Colonel Armand" de la guerre américaine à la conjuration bretonne, Perrin, 1990 
  • Ghislaine Juramie, La Rouërie, la Bretagne en Révolution, Fernand Lanore, 1991 
  • Philippe Carrer, La Bretagne et la guerre d'Indépendance américaine, Les Portes du Large, 2005 

Romans

  • Gérard de Nerval, Le Marquis de Fayolle, 1849.
  • Michel Mohrt, Tombeau de La Rouërie, Gallimard, 2000.
  • Hervé Le Bévillon, Colonel Armand, Marquis de la Rouërie, Éditions Yoran Embanner, 2006.

Liens externes

Références

« Armand Tuffin de La Rouërie », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition]

  1. Son nom se prononce « La Rouarie » et non « La Rouérie », il est parfois orthographié « La Royerie ».
  2. Bazin, p.25-28
  3. Bazin, p.27
  4. Bazin, p.15
  5. Bazin, p.29
  6. Carrer, p.173-174
  7. Ghislaine Juramie, p.59
  8. Bibliothèque nationale de France, Manuscrit FM2.12
  9. Bazin, p.31
  10. Bazin, op. cit., p.19
  11. Bazin, p.37
  12. Bazin, p.38
  13. Bazin, op. cit., p.46
  14. Bazin, p.49
  15. Bazin, p.53
  16. Bazin, op. cit., p.53
  17. Bazin, p.59
  18. Lenôtre, op. cit., p.16
  19. Bazin, p.60
  20. Bazin, p.68
  21. Bazin, op. cit., p.64
  22. Carrer, p.182
  23. Eelking, Max von The German Allied Troops in the North American War of Independence, 1776-1783.
  24. Bazin, op. cit., p.74
  25. Bazin, p.77-78
  26. Bazin, op. cit., p.78
  27. Bazin, op. cit., p.81
  28. Bazin, op. cit., p.81
  29. Carrer, p.185
  30. Bazin, op. cit., p.83-84
  31. Bazin, op. cit., p.84
  32. Bazin, p.86
  33. Bazin, p.87
  34. Carrer, p.186
  35. Bazin, p.88
  36. Bazin, op. cit., p.89
  37. Bazin, op. cit., p.89
  38. Bazin, p.89
  39. Carrer, p.186-187
  40. Thomas Fleming, Beat the Last Drum
  41. Bazin, op. cit., p.91
  42. Bazin, op. cit., p.92-93
  43. Bazin, p.100
  44. Bazin, op. cit., p.101
  45. Bazin, op. cit., p.102
  46. Bazin, p.103
  47. Bazin, p.108
  48. Bazin, p.109
  49. Bazin, p.110
  50. Bazin, op. cit., p.113-114
  51. Carrer, p.194
  52. Bazin, p.114
  53. François Jean de Chastellux, Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, op. cit., Tome II, p.37-38
  54. François Jean de Chastellux, Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, op. cit., Tome II, p.38
  55. Bazin, op. cit., p.118
  56. Bazin, p.125
  57. Bazin, op. cit., p.258
  58. Carrer, p.196
  59. Bazin, op. cit., p.134-135
  60. Bazin, op. cit., p.138-139
  61. Bazin, p.143
  62. Bazin, p.146
  63. Bazin, op. cit., p.147
  64. Carrer, p.197
  65. Bazin, p.148
  66. Ghislaine Juramie, p.41
  67. a  et b Bazin, p.150
  68. Bazin, p.153
  69. a  et b Carrer, p.219
  70. Lenôtre, p.24-25
  71. Carrer, op. cit., p.219
  72. Lenôtre, p.26
  73. G. Lenôtre, op. cit.
  74. Lenôtre, p.27
  75. Bazin, p.154
  76. Bazin, p.156
  77. Lenôtre, p.32
  78. Bazin, op. cit., p.157
  79. Bazin, op. cit., p.157
  80. Bazin, p.151
  81. Lenôtre, p.46
  82. Bazin, op. cit., p.163-164
  83. Bazin, op. cit., p.164
  84. Bazin, p.164
  85. Bazin, op. cit., p.166
  86. Bazin, op. cit., p.165
  87. Bazin, p.173-174
  88. Ghislaine Juramie, p.87
  89. Bazin, p.174-175
  90. Bazin, p.169
  91. a  et b Archives nationales, W.274
  92. Lenôtre, p.89
  93. Bazin, op. cit., p.176
  94. Bazin, p.121
  95. Bazin, op. cit., p.247
  96. Bazin, op. cit., p.247-248
  97. Lenôtre, op. cit., p.66
  98. Bazin, op. cit., p.245
  99. Journal de Bretagne, collection Jacques Marseille, éditions Larousse, 2003, P.67
  100. Bazin, p.195
  101. Bazin, p.196-197
  102. Lenôtre, p.137-138
  103. Ghislaine Juramie, p.116
  104. Ghislaine Juramie, p.110
  105. Lenôtre, p.156-157
  106. Bazin, op. cit., p.207
  107. Bazin, p.207
  108. Guislaine Juramie, op. cit., p.113
  109. Lenôtre, p.167
  110. Bazin, p.209
  111. a  et b Bazin, p.210
  112. Bazin, p.216
  113. Lenôtre, p.172-173
  114. a  et b Bazin, p.215
  115. Bazin, op.cit. p.211
  116. Lenôtre, p.209
  117. Lenôtre, p.211
  118. Lenôtre, p.218
  119. Bazin, p.220
  120. Lenôtre, p.220
  121. Lenôtre, p.222-224
  122. a  et b Bazin, p.222
  123. Lenôtre, p.227
  124. Bazin, p.224
  125. Lenôtre, op. cit., p.250
  126. Lenôtre, p.251
  127. Théodore Lemas, Le district de Fougères pendant les Guerres de l'Ouest et de la Chouannerie 1793-1800, Rue des Scribes Editions, 1894 , p.20
  128. Lenôtre, p.361
  129. Toussaint du Breil de Pontbriand, Mémoires du colonel de Pontbriand sur les guerres de la Chouannerie, p.85
  130. Réçit de Chevetel, écrit en 1807, op. cit..
  131. François Jean de Chastellux, Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, op. cit., Tome I, p.161-162
  132. Yves-Marie Rudel, Histoires de Bretagne, op. cit., 1963, p.169
  133. Rapport de Basire au Comité de Salut public.
    Christian Bazin, Le marquis de la Rouerie "Colonel Armand" de la guerre américaine à la conjuration bretonne, Perrin, 1990 
  134. Toussaint du Breil de Pontbriand, Mémoires du colonel de Pontbriand sur les guerres de la chouannerie, op. cit., p.11-12
  135. Bazin, p.7
  136. François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, op. cit., tome I, p.111-112

Notes

  1. Henriette-Adélaïde Villard, dite Beaumesnil (1748-1813)
  2. Charles Albert de Moré de Pontgibaud écrivit dans ses mémoires :
    « M.de La Rouërie s'étant présenté au Congrès avec son domestique un nommé Lefebvre, très bel homme et de plus fort brave, il reçut de suite un brevet de colonel, et telle était la simplicité de la commission gouvernante qu'elle allait expédier un brevet pareil à celui du maître à son valet de chambre sur sa bonne mine, si celui-ci n'eût pas été le premier à remercier et à refuser messieurs du Congrès. »

    Mémoires du comte de Moré.
  3. Lettre de La Rouërie à Georges Washington:
    « Mon général,
    Je viens dans votre pays pour servir et perfectionner mes faibles talents pour la guerre sous le commandement de l'un des plus grands généraux au monde, vous, mon Général.

    Depuis dix ans, j'ai été au service de la France, auprès de mon roi ; ma destinée était de prendre part à la prochaine guerre. J'ai proposé au Congrès d'entrer au service de votre armée comme partisan, sous réserve de votre accord. Mon intention était, toujours après votre accord, de lever soixante à quatre-vingts soldats français, dont le nombre pourrait augmenter considérablement avec le temps et les circonstances.
    J'ai souligné au Congrès que si mes talents étaient dans l'avenir jugés insuffisants par Votre Excellence, Elle me remplacerait par un autre officier, et que je lui obéirais en toutes circonstances. Certains membres du Congrès m'ont suggéré de demander à Votre Excellence quelques soldats français qui appartiennent à votre armée et, ne parlant pas l'anglais, seraient plus utiles à vos desseins sous les ordres d'un chef français.
    Si Votre Excellence accepte ma requête, je la prie de me donner ses directives qui dicteront ma conduite. Je serai heureux, à tout moment, de donner les ordres qu'il plaira à Votre Excellence de me donner, ou à tous autres supérieurs sous ses ordres.

    Votre Excellence voudra bien fixer le nombre de soldats qui constitueront cette petite troupe. »
    Bazin, op. cit.,p.46
  4. Lorsque des paysans croisaient ses troupes, s'ils se déclaraient patriotes, Ottendorf faisait passer ses hommes pour des Hessiens, et s'ils se déclaraient loyalistes, il se révélait comme insurgent, dans tous les cas, les paysans étaient perdant et leurs biens réquisitionnés. Il s'attira les foudres de Washington, « M.Ottendorf n'aura jamais mon consentement pour un grade de major ou d'officier de quelque capacité que ce soit dans l'armée. » Il finit par changer de camp et déserta pour passer dans l'armée britannique en même temps que Benedict Arnold.
  5. La Rouërie se justifia dans un courrier à Washington :
    « Il se peut que quelques uns de mes soldats aient trompé la vigilance de trois sentinelles, puis la garde d'un officier et de neuf hommes, qui se sont contentés de les laisser passer, alors qu'aucun de mes soldats et même de mes officiers ne sont autorisés à sortir sans permission signée de moi, afin d'empêcher, par dessus tout, quelques violations que ce soit de la propriété privée. Je veille même non seulement à prévenir ce désordre, mais à en supporter personnellement le dédommagement. Quand j'arrive quelque part, même si c'est pour une courte halte, je prends le soin de dire au habitants que, si des vêtements sont volés, ou s'ils sont dérangés ou insultés de quelques manières, ils ont à se plaindre à moi ; l'homme reconnu coupable sera immédiatement puni et je paierai l'amende que le commandement fixera. Cela s'est produit, j'ai puni et j'ai payé. »
    Bazin, op. cit., p.63-64
  6. Le général Howe écrivit :
    « Je suis instruit par le général d'avoir à prendre le commandement dans cette région, avec une partie de ma division, à savoir la brigade Glover, les escadrons de Moylan et de Scheldon et le corps indépendant d'Armand, pour couvrir le pays et protéger autant que possible ses habitants contre les insultes et les ravages de l'ennemi. »
    Bazin, op. cit., p.76
  7. Certificat donné par George Washington:
    « Je certifie que M. le marquis de La Rouërie a servi dans l'armée des États-Unis depuis le commencement de 1777 avec le rang de colonel, pendant lequel temps il a commandé un corps de indépendant, et s'est acquis beaucoup d'honneur et d'avantage au service.
    Il s'est conduit en toutes les occasions comme un officier d'un mérite distingué, d'un grand zèle, activité, vigilance, intelligence et bravoure.
    Pendant la dernière campagne, il a rendu des services très importants, et, sur la fin, il a frappé un coup hardi de partisan par lequel, avec beaucoup d'adresse et de courage, il a surpris un major et quelques troupes ennemies qui étaient en quartier à une distance considérable de leurs piquets, les prit et les amena sans aucune perte des siens.
    Je lui donne ce certificat comme un témoignage de ma parfaite approbation de sa conduite, et de l'estime que j'ai pour lui personnellement. »
    Lenôtre, op. cit., p.16
  8. Le 12 mai 1781, le comte Philippe Henri de Ségur lui écrivit :
    « Je viens de rendre compte au roi, Monsieur, de vos services dans le régiment de ses gardes françaises et de la conduite distinguée que vous avez tenue en Amérique, où vous avez fait quatre campagnes et où vous commandez un corps ; Sa Majesté, pour vous en marquer sa satisfaction d'une manière particulière a bien voulu vous accorder une place de chevalier dans l'ordre de Saint-Louis, et elle m'a autorisée à vous mander qu'Elle voudra bien vous tenir compte de vos services en Amérique comme si vous fussiez resté dans le régiment des gardes françaises.
    Je ferai expédier les lettres nécessaires pour vôtre réception dans ledit ordre, lorsque vous m'aurez mandé le nom et les qualités de l'officier le plus à portée de vous conférer la croix.
    Je suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
    Bazin, op. cit., p.99-100.
    Le roi Louis XVI, lui adressa également la lettre suivante :
    « À Monsieur Armand, marquis de La Rouerie, ci-devant sous-lieutenant dans le régiment de mes gardes françaises.
    Lettre close du roi en la forme ordinaire... pour associer à l'ordre militaire de Saint-Louis. Le Seigneur Comte de La Belinaye, Mestre de camp, Lieutenant Commandant du régiment de Condé-Infanterie est commis pour, en mon nom, vous recevoir et admettre à la dignité de chevalier de Saint-Louis. Et mon intention est que vous vous adressiez à lui pour prêter en ses mains le serment que vous êtes tenu de faire en ladite qualité de chevalier dudit ordre et recevoir de lui l'accolade et la croix que vous devrez dorénavant porter sur l'estomac, attaché d'un petit ruban couleur de feu. »
    Bazin, op. cit., p.100
  9. « J'ai l'honneur de vous envoyer, Monsieur, un mémoire dont j'ai eu celui de vous parler. Il contient un projet de M. le marquis de La Rouërie tendant à lever en Amérique une nouvelle légion qui serait jointe à celle qu'il y commande. Ce projet me paraît digne d'attention en ce que le corps dont il s'agit ne serait composé que de gens acclimatés, qui ne coûteraient aucun frais de transport et que, les déserteurs y étant reçus, ils ne seraient pas perdus pour le roi. Je crois devoir vous en faire part. Vous le considérerez sans doute, dans tous les cas, comme une nouvelle marque du zèle dont M. de La Rouërie a déjà donné plusieurs preuves. Les certificats que je joins à cette lettre vous convaincront que sa conduite en Amérique mérite les plus grands éloges. Loin d'avoir été, comme plusieurs Français, rebuté des désagréments qu'il a éprouvé dans le principe, il a montré la plus grande constance à servir les alliés du roi, et au lieu de perdre du temps à venir ici solliciter des grâces, il l'a efficacement employé à les mériter. Il me prie de vous en demander une, qui me semble juste et d'un bon exemple ; c'est la commission de colonel. Il est dans sa quinzième année de service et à sa quatrième campagne. Il s'adresse à moi comme ayant servi sous mes ordres. À ce titre, je lui dois de l'intérêt. Je lui dois encore plus par la manière distinguée dont il s'est conduit et je serais flatté que mes instances pussent vous déterminer à lui accorder la grâce qu'il désire. »
    Bazin, op. cit., p.101
  10. « M. le marquis de La Rouërie a obtenu du Congrès la commission de colonel. Son ambition n'étant pas satisfaite à ce titre, il a demandé le grade de brigadier, que le Congrès lui a refusé, ayant à son service des colonels plus anciens que lui. M. de La Rouërie, pour forcer les Américains à lui accorder ce grade, sollicite en France celui de colonel, à la faveur duquel il lui paraît qu'il aura plus de droit pour renouveler sa demande au Congrès et en obtenir l'effet. Mais les insurgents y auront-ils égard? Il propose, pour mériter le rang qu'il demande dans les troupes du roi, de lever une légion en Amérique pour le service du roi et celui du Congrès : que ce corps sera formé du premier fond de la troupe qu'il commande, il paraît, par le certificat du Congrès, que la troupe est nationale, et qu'il la complètera et l'entretiendra tant des nationaux que des déserteurs français. Ce serait en Amérique ouvrir une porte à la désertion, et actuellement que nous y avons des troupes, il serait plus raisonnable de faire un traité pour la restitution de nos déserteurs que de leur offrir un asile.
    Si on veut lui accorder la commission de colonel, à la bonne heure. Mais il serait préjudiciable à la France d'accueillir sa demande pour ce qui regarde cette légion. »
    Bazin, op. cit., p.102
  11. Chacun des duellistes était accompagné de 8 témoins, dont le général Daniel Morgan pour le capitaine Snikers. Plusieurs coups de feu furent échangés, mais sans que le sang ne coule. Pour que le duel cesse, La Rouërie exigea que Snikers publiât un démenti. Celui déclara qu'il n'y consentirait qu'à la condition que Armand lui présentât des excuses pour les insultes qui lui avaient été faites, ce que La Rouërie refusa. Le général Morgan intervint alors et menaça de mettre les deux officiers aux arrêts s'ils ne cessaient pas immédiatement leur duel. La Rouërie lui répliqua qu'ayant accepté d'être témoin, il n'avait, malgré son grade de général, plus aucune autorité sur eux tant que le duel ne serrait pas fini. La Rouërie et Snikers échangèrent au total quatre coups de feu chacun mais aucun d'eux ne fut touché. Les pourparlers finirent par mettre les deux officiers d'accord et on en resta là, La Rouërie envoya même le procès-verbal du duel à Washington.
    Bazin, p.118-119
  12. « Les États-Unis d'Amérique réunis en Congrès,
    À Monsieur Armand, marquis de La Rouërie,
    Salut,
    Mettant d'une façon toute spéciale notre espérance et notre confiance en votre patriotisme, votre vaillance, votre conduite et votre fidélité, nous vous constituons et vous nommons par ces présentes brigadier général dans l'armée des États-Unis, pour prendre rang comme tel à partir du 26 mars 1783. Vous avez en conséquence à remplir avec soin et diligence les fonctions de brigadier général en accomplissant et exécutant toute espèce de chose y afférant. Et nous chargeons strictement et requérons tous officiers et soldats sous votre commandement d'obéir à vos ordres comme brigadier général. Et vous avez à observer et à suivre tels ordres et instructions, que de temps à autre vous recevrez, soit du futur Congrès des États-Unis, soit du Comité du Congrès désigné dans ce but, ou bien de la Commission des États, ou encore du commandant en chef momentané des États-Unis, ou de tout autre officier votre supérieur, selon les règles de la guerre en rapport avec la confiance mise en vous. Cette mission devra demeurer en vigueur jusqu'à ce qu'elle soit révoquée soit par un futur Congrès, Comité de Congrès susmentionné, soit par une Commission des États.
    Témoignage de Son Excellence M.Elias Boudinot, président du Congrès des États-Unis à Philadelphie le 27 mars anno Domini 1783, la septième année de notre indépendance.
    Par ordre du Congrès,
    Lincoln, secrétaire à la Guerre.
    Elias Boudinot »
  13. Lettre de George Washington au Congrès, le 7 mars 1783:
    « Monsieur,
    Tandis qu'on a fait des demandes en faveur de plusieurs autres officiers, je ne puis m'empêcher de faire mention au Congrès de la situation du colonel Armand à l'égard de la promotion. La justice due à cet officier m'oblige à témoigner l'estime que j'ai pour lui comme rempli d'intelligence, d'activité et de mérite. Il a montré le plus grand zèle pour le service des États-Unis et je suis persuadé qu'il a dépensé des sommes considérables pour l'établissement de son corps et pour d'autres objets, desquelles il ne sera pas probablement remboursé d'ici quelques temps, si tant est qu'il s'attende à l'être jamais.
    Je prends un plaisir particulier à fixer l'attention du Congrès sur le colonel Armand, parce que son caractère et son mérite lui ont attiré mon respect, et sa promotion, je pense, peut avoir lieu sans inconvénient. Comme il est du nombre des plus anciens colonels au service des États-Unis et qu'il n'appartient à aucun de leurs districts, il ne peut jamais être pourvu d'après les derniers règlements pour la promotion adoptée par le Congrès.
    C'est avec beaucoup de respect et d'estime que j'ai l'honneur d'être, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur. »
    Bazin, op. cit., p.257
  14. Lettre de Benjamin Lincoln à La Rouërie, le 6 novembre 1783
    « Mon cher Marquis,
    Le Congrès, sur ma demande, a eu la bonté de m'assurer que le 12 du présent mois, il acceptera ma démission de la place de secrétaire de la Guerre. Avant de quitter le Bureau, permettez-moi de remplir le devoir agréable de vous assurer que dès les premiers instants de notre connaissance, j'ai eu les yeux ouverts sur vos talents militaires ; je les ai envisagés sous un grand point de vue et je les ai regardés comme importants pour les États-Unis d'Amérique. La grande habileté, la bravoure et l'activité avec lesquelles vous avez rempli les différents devoirs de tous les commandements que vous avez eus, ont toujours confirmé les sentiments que j'ai eu dans tous les temps le bonheur d'avoir sur votre caractère.
    Si je voulais tenter de rendre justice à votre haute réputation, comme je suis porté par les motifs du devoir et de l'amitié qui sont si persuasifs, en détaillant vos actions militaires, il faudrait que j'échouasse dans mon entreprise.
    Permettez donc que, de la manière la plus explicite et comme la seule façon de donner de nouveaux témoignages de mon respect, je vous assure que les premières impressions favorables que j'ai reçues ont toujours été augmentées par la connaissance certaine de vos talents, de votre bravoure, de votre zèle et de votre activité.
    Il faut que je me livre encore au plaisir d'ajouter que j'ai vu avec la plus grande satisfaction vos efforts courageux, votre activité pour lever et discipliner un nouveau corps et l'obéissance exacte dans laquelle il a été tenu dans des circonstances particulières qui venaient de l'insubordination d'un corps qui était proche de votre cantonnement.
    Permettez-moi, mon cher Marquis, d'assurer aux officiers dont vous m'avez parlé que j'ai une haute idée de leur bravoure, de leur zèle, de leur bonne conduite et que s'il se trouve des choses particulières et qui sont à ma connaissance sur lesquelles ils désirent que je donne des certificats, je répondrai avec plaisir à tous leurs désirs.
    Je me trouverai heureux d'apprendre de vos nouvelles dans tous les temps et de trouver l'occasion favorable de vous prouver avec quelle vérité et quelle estime j'ai l'honneur d'être, mon cher Marquis, votre très humble et très obéissant serviteur.
    B.Lincoln
    N.B : J'ai fait mention à nos délégués en Congrès de la promotion des officiers dont vous m'avez parlé. »
    Christian Bazin, op. cit., 259-260
  15. Lettre de Thomas Mifflin à La Rouërie, le 28 février 1784
    « Monsieur,
    Le Congrès étant pénétré avec un sentiment de justice de votre grande bravoure, l'intelligence, le zèle et l'activité déployés par vous durant le cours de la dernière guerre avec la Grande-Bretagne au service des États-Unis et étant informé par une lettre de l'ex-commandant en chef datée de Philadelphie du 15 décembre 1783 et à vous adressée que joint au mérite d'une bonne conduite, vigilance et bravoure, vous vous êtes dans diverses circonstances signalé comme un excellent officier et grand partisan, avez rendu fréquemment aux États-Unis des services importants, « m'a chargé de vous écrire cette lettre » qui est l'expression des hauts sentiments dont il est pénétré pour les services que vous avez rendus aux États-Unis dans la dernière guerre avec la Grande-Bretagne et de l'entière approbation que les États-Unis assemblés en Congrès ont conçue de votre grande bravoure, de l'activité et du zèle que vous avez si souvent montrés pour la cause de l'Amérique.
    Pour ajouter à ce témoignage public de votre très grand mérite dans la dernière révolution, permettez-moi de vous dire que toute votre conduite publique a donné la plus haute satisfaction au Congrès, de même que votre conduite privée et les efforts amicaux en faveur des officiers étrangers qui servaient en Amérique durant la dernière guerre ; cela vous a mérité l'approbation et l'estime de tous les individus qui ont eu le plaisir de vous connaître.
    Je vous souhaite sincèrement un voyage prospère et une heureuse réunion avec vos parents et amis d'Europe et je vous prie de croire que je considère votre départ d'Amérique comme une perte pour notre pays et qu'il sera sincèrement regretté de tous vos amis et particulièrement par votre sincère et affectionné ami,
    Thomas Mifflin,
    président du Congrès »
    Christian Bazin, op. cit., p.260-261
  16. 12 novembre 1783
    « Au brigadier général Armand, marquis de La Rouërie.
    Apprenant que votre légion va être dissoute et que vous retournerez bientôt dans votre pays natal, nous, les habitants souscripteurs de Yorktown en Pennsylvanie, demandant la permission de vous exprimer les hauts sentiments que nous avons de la sévère discipline, bonne conduite et bonne tenue des officiers et soldats de votre corps pendant qu'ils séjournaient parmi nous, pendant plus de dix mois, nous vous remercions de tout cœur aussi bien pour les services que vous avez rendus en Amérique sur le champ de bataille que pour l'attention que vous avez portée à la propriété et aux droits civils du peuple.
    Ayez la bonté de communiquer vos sentiments au major Schaffner et à tous vos dignes officiers et soldats et assurez-les de l'estime que nous aurons toujours pour eux.
    Nous prions pour que vous ayez un passage agréable sur l'Océan et que vous puissiez recevoir de votre illustre souverain la juste récompense de vos nombreuses actions méritoires exécutées en faveur de la liberté et des armées alliées.
    Et nous demeurons, avec une grande considération, vos très obéissants et très humble serviteurs. »
    Christian Bazin, Le marquis de la Rouerie "Colonel Armand " de la guerre américaine à la conjuration bretonne, Perrin, 1990
  17. « Possédés de la plus haute gratitude, estime et respect pour votre personne, nous profitons de cette occasion de notre dernière assemblée pour exprimer les sentiments que nous a inspirés la manière impartiale, juste et obligeante avec laquelle vous vous êtes conduit avec nous pendant le long temps que nous avons eu l'honneur de servir sous vos ordres et particulièrement pour vos efforts nobles et heureux en notre faveur, dans un temps où personne autre que vous et rien de moins que l'attention zélée et la persévérence avec laquelle vous avez conduit nos affaires dans le Congrès avec le ministre des Finances ne pouvaient obtenir un arrangement final de nos affaires d'une manière si honorable pour vous et si avantageuse pour nous. Nous vous supplions d'accepter les remerciements les plus chaleureux de notre part et les souhaits les plus étendus pour vos succès.
    Signé par les officiers de la première légion américaine »
    Christian Bazin, Le marquis de la Rouerie "Colonel Armand " de la guerre américaine à la conjuration bretonne, Perrin, 1990
  18. Lettre de George Washington au comte de Rochambeau:
    « Mon cher Comte,
    Cette lettre vous sera remise par notre mutuel ami le général Armand, marquis de La Rouërie. Le mérite de ce gentilhomme et ses services militaires en cette contrée vous sont trop bien connus pour requérir aucune recommandation de ma part. En tout cas, il en possède les témoignages les plus complets.
    Il désire actuellement service et employement (sic) dans le service de son pays et comme il le mérite fort, je souhaite que cela lui soit accordé, mais quels que soient les désirs vifs que je puisse y apporter, je me suis établi pour principe de ne faire moi-même aucune demande personnelle.
    La disposition de votre souverain à récompenser les services braves et méritoires, la justice de votre gouvernement, me persuadent qu'il recevra les honneurs qu'il a si bien mérités, et si je n'étais retenu par les considérations ci-dessus, j'en ferais la demande moi-même.
    Permettez-moi de vous répéter les assurances de l'estime, du respect et de la considération. »
    Bazin, op. cit., p.135-136
  19. « Au moment de la paix, les coffres du congrès étaient si épuisés qu'il ne lui restait aucune ressource pour venir au secours des officiers français qui l'avaient si dignement servi. Ces officiers malheureux étaient sans chef et sans appui. M. de La Rouerie que des objets intéressants devaient naturellement rappeler en France oublia ce qu'il devait à son propre avancement pour ne s'occuper que des affaires de ses camarades. Il est resté ici jusqu'au moment où, par ses sollicitations et ses offices auprès du Congrès et des ministres, il a pu leur faire rendre la justice qui leur était due. Je suis très persuadé qu'un procédé aussi généreux ne peut qu'avoir votre agrément et que vous approuverez qu'il ait passé ce temps en Amérique dans la seule vue d'y servir ses compatriotes. »
    Bazin, op. cit., p.147-148
  20. C'était le père de Antoine-Joseph-Marc Désilles, tué lors de l'affaire de Nancy.
    Bazin, p.232.
  21. Les Tuffin de la Rouairie étaient alliés avec la famille de Farcy, dont les deux frères habitaient l'un le château de Mué, en Parcé, l'autre le château de Launay-Villiers. M. de Mué avait encouragé un royaliste sûr de sa paroisse de Parcé, Jean-Louis Gavard à prendre les fonctions de maire. Il le mit plus tard en rapport avec le conspirateur, qui le chargea spécialement d'organiser la coalition sur la lisière de la Bretagne. Voir : Jean Chouan.
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