Enfant sacrifié

Enfant sacrifié

Sacrifice

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Sacrifice, étymologiquement « fait de rendre sacré » (du latin sacrificium, de sacer facere).

Le sacrifice retranche du monde des hommes l'objet, l'être vivant, ou la partie du corps, concerné. Cette chose passe dans le monde des choses divines, dont les hommes ne doivent pas toucher, se servir. Ce passage se traduit le plus généralement par une destruction au sens commun, une dématérialisation : la mort, l'incinération, l'inhumation ou l'envoi sous l'eau, la clôture (pour les zones), le renversement (pour les liquides), la diffusion (pour les fumées, les matières odorantes), etc.

Étymologiquement, le terme de sacrifice s'emploie pour une grande variété d'actes. Habituellement, on l'utilise surtout pour les sacrifices sanglants. Dans le cas d'offrandes de nourriture ou de liquide, on parle de sacrifice non sanglant ou libation, et, dans le cas d'une portion du sol, d'inauguration.

Le terme est également passé dans le langage courant pour désigner le fait de détruire ou laisser détruire stratégiquement une partie d'un ensemble en vue d'un objectif global jugé plus important : sacrifier un pion au jeu d'échecs, sacrifier une escouade afin de gagner une bataille ou une guerre, etc.

Sommaire

Les sacrifices animaux

XVe siècle. Sacrifices dans le rituel juif.

Antiquité

Antiquité gréco-romaine

Le mythe de Prométhée expose l'origine du sacrifice[1]. Il a connu de nombreuses interprétations et représentations.

Le théatre antique témoigne de l'importance du sacrifice dans la vie de la cité.

Quelques exemples de culte aux dieux romains :

Mars : on lui offrait le taureau, le verrat (porc), le bélier et plus rarement le cheval. Vénus : on lui consacre le bouc. Jupiter : La chèvre, le taureau blanc aux cornes dorées et la brebis lui sont consacrées ainsi que des libations de farine de sel et d'encens. Pluton : souvent de couleurs sombres et en nombre impair, ses victimes sont brûlées. Neptune : Libations ordinaires Junon : voir Jupiter.

Voir : Religion grecque antique (culte), Iphigénie en Aulide, Iphigénie, les Bacchantes

Rome

A Rome, les comptes-rendus épigraphique des frères Arvales constituent une des sources les plus précises en matière de sacrifices[2]. Tite Live raconte le cas d'un sacrifice monstrueux fait par les romains à l'occasion de la guerre contre les Samnites. Le sacrifice est monstrueux sur ce point que des victimes humaines et animales sont égorgées côte à côte.[3]

Dans la Bible

  • Le sacrifice de la fille de Jephté par son père[4]
  • La substitution d'un bélier à Isaac, lors du "sacrifice" d'Abraham, marque l'abandon des sacrifices humains par la civilisation naissante.
  • Le sacrifice du premier-né est évoqué en Exode 22.29 : "Tu me donneras le premier-né de tes fils."
  • Les sacrifices rituels d'animaux prescrits au peuple d'Israël font l'objet de nombreux versets du Lévitique.
  • Pour les chrétiens, Jésus-Christ s'est sacrifié lui-même pour sauver le genre humain, tel que cela est relaté dans plusieurs versets du Nouveau Testament.

Dans l'islam

Sacrifice ou "Dhabiĥa";
L'aïd el-Kebir qui commémore le sacrifice d'Ibrahim est la fête musulmane la plus importante. Elle marque chaque année la fin du Hajj (pèlerinage à La Mecque), le dernier mois du calendrier musulman. Chaque famille musulmane, dans la mesure de ses moyens, sacrifie un mouton, ou un autre animal, en l'égorgeant couché sur le flanc gauche et la tête tournée vers La Mecque.

Extrait du Coran, sourate II, 196 :

« Et accomplissez pour Dieu le pèlerinage et l'Umra. Si vous en êtes empêchés, alors faite un sacrifice qui vous soit facile. [...] Quand vous retrouverez ensuite la paix, quiconque a joui d'une vie normale après avoir fait l'Umra en attendant le pèlerinage, doit faire un sacrifice qui lui soit facile. S'il n'a pas les moyens, qu'il jeûne trois jours pendant le pèlerinage et sept jours une fois rentré chez lui, soit en tout dix jours. [...]. »

Le sacrifice humain

L'origine des sacrifices humains est inconnue mais pourrait remonter au moins au paléolithique supérieur[5].

Il semble cependant que les pratiques sacrificielles ont toujours été hiérarchisées et que le sacrifice humain était le dernier et le plus puissant recours en cas de détresse extrême. Au sein des sacrifices humains, il existait également une gradation, le sang d'un esclave ennemi n'ayant pas la même valeur sacrificielle que celui d'un fils de roi. Lorsqu'une société se sent forte, elle peut bannir ces sacrifices humains dont elle ne ressent plus le besoin, mais cela ne l'empêche pas pour autant de renouer avec cette pratique lorsque elle se retrouve menacée.

Actuellement, plus aucune des principales religions ne pratique le sacrifice humain en tant que rite. Cependant, certains comportements contemporains aboutissant à la mise à mort d'êtres humains, comme la peine de mort, bien que non reliés à une pratique explicitement religieuse, sont parfois analysés comme des sacrifices humains.

Le meurtre rituel

Selon certaines hypothèses[Qui ?], les premières traces de meurtre rituel remonteraient au paléolithique et seraient un vestige d'un culte des crânes. Les participants en extrayaient la matière grise pour s'en nourrir au cours d'un banquet rituel. En fait on sait peut de choses sur les religions préhistoriques. Les rares témoignages sont difficiles à interpréter. Dans un premier temps, il est possible que ces crânes vidés de leur substance fussent ceux des défunts de la communauté, dont on absorbait l'âme. Mais certaines civilisations montrent des sujets jeunes présentant les mêmes blessures.

L'anthropophagie rituelle fascine les ethnologues et les anthropologues qui la rencontrent en Océanie, en Afrique et dans le Nord de l'Amérique latine et en Europe. L'étude de l'une de ces civilisations a permis récemment de comprendre les causes d'une encéphalopathie transmissible, le kuru proche de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Le sacrifice de l'ennemi

Sacrifice aztèque, Codex Mendoza

C'est une part de butin qui est ainsi offerte aux dieux, et une façon de s'approprier la force de l'ennemi. Presque toutes les civilisations primitives ou archaïques l'ont pratiqué. Les sacrifices humains sont attestés chez les Gaulois par les fouilles des puits sacrificiels. Selon Hernán Cortés (conquistador espagnol), les Aztèques offraient ainsi des milliers de prisonniers de guerre[6] dont le cœur était arraché pour nourrir le soleil et lui donner la force de se lever chaque jour. Le corps des prisonniers était réparti et partagé entre tous les habitants.

Le sacrifice des enfants

En face du sacrifice de l'ennemi, d'autres civilisations ont préféré le sacrifice des enfants, êtres innocents par excellence. Nombre de cosmogonies, telle celle de Cronos présentent le récit d'un dieu dévorant ses enfants.

Massacre des innocents par Giacomo Paracca, 1587

Dans la Palestine ancienne, les cultes cananéens virent perdurer le sacrifice des enfants jusqu'au premier millénaire avant l'ère commune. Ce sacrifice est appelé MLK, royal, d'où la Bible a tiré l'idée fausse du culte de Molok. En fait, le sacrifice s'adressait à Baal, divinisation du pouvoir politique. On s'accorde donc à dire aujourd'hui que le molek n'était pas une divinité mais le nom du rite sacrificiel. Les Phéniciens sacrifiaient ainsi des enfants au dieu Baal, les Carthaginois à Ba'al Hammon et/ou Tanit pour obtenir la faveur du dieu, ou à Tanit seule lors de rites de fécondité.

Au Moyen Âge, spécialement pendant les épidémies de peste noire, les Juifs étaient facilement accusés de sacrifier des enfants chrétiens, et souffraient souvent de ces horribles accusations (voir accusation de crime rituel contre les Juifs).

La ligature d'Isaac dans le judaïsme et l'Aïd al-Kebir dans l'Islam commémorent l'abandon du sacrifice des enfants en leur substituant un bélier, animal de grand prix car reproducteur. On sacrifie donc une source de revenus monétaires dans une civilisation où le numéraire est rare.

Au sacrifice d'Isaac par Abraham répond le sacrifice de la fille de Jephté, pour laquelle aucune substitution n'est nécessaire.

La mythologie grecque connaît deux traditions narratives du sacrifice d'Iphigénie. Racine nous transmet celle où aucune substitution n'est nécessaire. Dans un autre récit, une biche survient au dernier moment et de sacrifiée, Iphigénie devient sacrificatrice en immolant la bête. Préposée au sacrifice des prisonniers étrangers, elle refusera de sacrifier Oreste, son frère, déclarant qu'il suffit de le purifier. Son geste symbolise la fin du sacrifice humain dans la Grèce ancienne.

Le sacrifice animal

Typologie des sacrifices

L'offrande

Préparatifs d'un sacrifice, Rome, IIe siècle

D'une façon la plus commune, le sacrifice est un don fait au(x) dieu(x) ou esprit(s), une offrande ; on parle alors de sacrifice latreutique. S'il est donné aux fins de rendre grâce pour un bienfait passé, il est dit eucharistique. Enfin, s'il est donné en vue d'obtenir d'autres bienfaits, il est dit impétratoire.

Le destinataire peut être une entité précise et déterminée, un groupe d'entités, voire une entité inconnue de celui qui fait le sacrifice (cas des abandons de choses à l'extérieur).

Un tel sacrifice-donation doit évidemment porter sur des objets adaptés au donataire :

  • un animal sans défaut (Ainsi Lévitique XVI,20-28 définit le bouc émissaire)
  • ou inversement un individu portant la marque divine, sous forme d'une couleur ou d'un défaut rare et spécifique).

Il peut être accepté ou refusé (par exemple : le feu qui doit consommer l'objet ne prend pas). Des spécialistes sont chargés de déterminer ce qu'il en est et comment cela doit être interprété, notamment par rapport aux événements futurs.

L'apothéose

Plus rarement, le sacrifice est explicitement une divinisation, une apothéose, et donc un véritable « cadeau » non pas aux dieux mais à la chose ou personne sacrifiée. Les pratiques funéraires relèvent de la même logique, le défunt rejoignant le monde des « esprits », bien que cela soit maintenant assez implicite et que le lien avec la divinité soit moins vu. Les pratiques funéraires incluent parallèlement à ce sacrifice-apothéose des offrandes de choses propres au défunt (armement, bijoux, objets quotidiens...).

La frontière entre les deux types de sacrifice peut d'ailleurs s'estomper dans ce cas : autant le sacrifice du cheval ou du bateau du défunt est clairement une donation, autant le sacrifice de la veuve (connu de nombreuses civilisations, et qui subsistait en Inde au moins jusqu'au XIXe siècle : sati) est plus ambigu, et variable selon la place de la femme dans la société (c'est-à-dire si les femmes sont ou non dotée d'une « âme », une capacité à passer dans le monde des esprits comme une personne à part entière).

Enfin, et plus communément, si l'apothéose consacre (littéralement) les vertus du défunt, le sacrifice peut être suscité par les défauts (réels ou supposés) de la victime, ce qui la transforme en une sorte de démon. L'ironie et l'ambiguïté de la chose est que les survivants en déduiront (ou conforteront) des règles sur les comportements adéquats, dont le démon incarne l'opposé, ce qui fait de lui à la fois une force négative et l'origine de l'ordre. Ainsi le démon devient-il dieu, par une sorte d'apothéose inverse. En Amérique du Nord, les Natchez pratiquaient des sacrifices humains à l'occasion des funérailles de leur Grand Soleil ou de leur Grande Reine[7].

Le sacrifice et la profanation

Sacrifice et espace sacré

Dans les sociétés anciennes, le trait de sillon s'accompagne d'un sacrifice le plus souvent humain. Ainsi s'interprète le meurtre de Rémus par Romulus (source : école américaine). La disposition du temple se conçoit donc comme un intérieur et un extérieur géographiques matérialisant la séparation cosmologique du eux (les impurs) contre nous (les purs, les intègres). Dans ce sens, tous les groupes fortement intégrés reposent sur des mécanismes de discrimination.

Ils ne peuvent exister sans ennemis ni victimes sacrificielles et dépendent donc de la répétition constante du mensonge sur l'ennemi s'ils veulent parvenir à un degré de stress autogène nécessaire à la stabilisation interne. […] Il n'est nul besoin de croire aux dieux ; il suffit de se rappeler la fête meurtrière constitutive pour savoir en quoi ils nous concernent. Le souvenir angoissé d'un crime caché est ce qui constitue la religiosité profonde des cultures anciennes ; dans cette ambiance religieuse, les peuples sont proches des mensonges et des spectres qui les fondent. Dieu est l'instance qui peut rappeler à ses adeptes le mystère occulté de la faute (Peter Sloterdijk Finitude et ouverture - vers une éthique de l'espace - 330e conférence de l'université de tous les savoirs donnée le 25 novembre 2000)

.

Peter Sloterdijk [8] désigne alors une telle tribu comme utérotechnique. Est dite utero-technique une société refermée sur elle-même, que cet enfermement soit matériel, intellectuel ou spirituel. Le confort d'une telle société est dû à la relation du même au même et maintenue par une classe de prêtres assumant la royauté. Peter Sloterdijk expose qu'un tel confort, quand il se perd, par l'introduction de nouvelles manières de produire ou plus généralement de nouvelles idées dégénère en conformisme. Il devient alors nécessaire d'expulser l'intrus, désigné par les augures, c'est-à-dire les prêtres.

Le sacrifice apparaît, dans ce cadre, comme un effort pour expulser le mal de l'espace intérieur de la communauté. Elle produit un effet momentané d'extension de la sphère d'influence de celle-ci au moyen de l'établissement d'une distance symbolique, vécue comme un espace immunitaire, une distance de sécurité entre et le groupe et celui ou ceux qui en sont exclus. Les exclus sont supposés l'avoir corrompu tandis que le monde intérieur délimité par les fossés et murailles moraux est supposé pur ou intègre.

L'expulsion du bouc ou son sacrifice produisent une élimination de la tension auto-stressante endogène pendant la période précédant le sacrifice. Un verset biblique décrit ce phénomène : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ». Si, dans le contexte de la pensée de l'ancien testament, le sang appartient à Dieu comme siège du principe de vie, dans ce type de sacrifice, le point d'application devient tout à fait immanent. Il purifie les instigateurs du meurtre rituel.

Il constate la permanence de ce phénomène dans des sociétés supposées modernes où le meurtre, à défaut l'expulsion, ressoude une société quand elle ne parvient pas à résoudre ses propres contradictions et se croit alors menacée par un ennemi de l'intérieur (exemple : l'immigration clandestine, stigmatisée comme une invasion, mais qui, parce que clandestine, ne peut être réellement dénombrée ; faute de recensement exact d'un point de vue scientifique, son importance est mesurée à l'aide d'un instrument de mesure non-fiable : le fantasme de la perte d'identité).

Désauguration

Le processus inverse (du monde divin au monde des hommes) est possible, soit « naturellement » (terme moderne, qui n'a évidemment pas de sens dans une cosmologie où le divin est omniprésent), soit à l'initiative des hommes ; dans ce cas, il convient de respecter des règles précises, sinon c'est une profanation (littéralement : un retour au monde profane).

Ainsi, chez les Romains, une chose donnée aux dieux peut, exceptionnellement, être rendue aux hommes par une exauguration.

On peut se référer à ce propos au discours de Cicéron, Pro domo : lorsque Cicéron est exilé, Clodius rase sa maison afin d'en faire un temple à Minerve (dans ce cas, le sol est consacré). Cicéron conteste cependant la régularité de cette cérémonie et veut y remédier par une exauguration.

Sacrifice et martyre

Sens du sacrifice dans le christianisme

Jésus de Nazareth s'est sacrifié sur la Croix pour sauver le genre humain.

L'Eucharistie pour les uns, la Sainte-Cène pour les autres, célèbre le sacrifice, la mort et la résurrection du Christ ; c'est une action de grâce; il est donc aussi appelée le Saint-Sacrifice.

La tradition rapporte qu'à la crucifixion de Jésus, deux crucifiés l'entourent. Ce sont des larrons, dont le récit crédite l'un d'eux d'être bon.

La théologie chrétienne, néanmoins, réprouve le suicide, et tout acte de provocation conduisant autrui a nous tuer : si le martyre est saint, rechercher le martyr est au contraire un péché, voire une tentation démoniaque.

Sens du sacrifice dans l'Islam

Si le sunnisme se méfie du martyre (qu'il distingue du sacrifice), le chi'isme développe fréquemment une conception christique du sacrifice [9] :

Sens du sacrifice en politique

Les 6000 compagnons de Spartacus crucifiés en -71 (bien avant Jésus Christ), piteux restes de sa glorieuse armée d'esclaves et de fuyards, ne sont aux yeux du pouvoir romain que des esclaves révoltés ayant reçu leur juste châtiment. L'interprétation révolutionnaire les concernant n'interviendra qu'au début du XXe siècle quand Rosa Luxembourg (1870-1919) et Karl Liebknecht (1871-1919) en feront les héros du peuple et les martyrs de la liberté sacrifiés par un État répressif, figure moderne du Moloch antique.

Notions connexes

La tentative d'extermination (parmi d'autres groupes) des juifs durant la Seconde Guerre mondiale a été nommée holocauste. Cette appellation induit que ce génocide peut être vu comme un sacrifice à la race qui serait l'entité divine du nazisme. C'est pourquoi le terme d'holocauste est rejeté et on préfère utiliser le terme shoah qui signifie cataclysme.

Certains suicides présentés sous forme de protestation politique peuvent être assimilés à des sacrifices :

On peut s'interroger sur la peine de mort dans les sociétés modernes. Celle-ci, née de la loi du Talion (une vie pour une vie), pourrait être vue comme un sacrifice aux mânes de la victime.

Analyse sociologique du sacrifice

Don et contre-don

Le sacrifice peut se comprendre comme un échange entre les hommes qui le pratiquent et les puissances divines qui le reçoivent. Dans les sociétés primitives, non-monétaires, tout commerce suppose un échange, dons contre dons, à proportion de la situation et de la qualité des personnes engagées dans l'échange. Do ut des, je donne pour que tu donnes, selon la formule latine bien connue... Le don n'est jamais gratuit mais s'effectue selon des codes sociaux précis et réglés par la tradition.

Il en va de même dans l'échange entre hommes et puissances divines. De même que les langues anciennes n'ont pas de mot pour désigner la "religion" en soi, comme une activité et surtout une idéologie, séparée du reste des activités humaines, le sacrifice, ou ce que nous nommons tel, est d'abord à comprendre dans le cadre plus large des règles de l'échange et du fonctionnement des relations sociales. Les Dieux étant les plus puissants des êtres, la communication et l'échange avec eux sont régis par des règles certes spéciales mais qui doivent s'entendre dans un cadre plus large donc. Plus une personne est puissante et haut-placée, plus elle est censée répondre au don par un contre-don encore plus prestigieux et de plus haute valeur. On offre aux Dieux le meilleur parce qu'on attend en retour des dons inestimables, la pluie, de bonnes récoltes, la victoire, la paix, la prospérité, la santé... En latin, sacrifier veut dire faire passer dans le monde du sacré un objet profane, généralement par une forme de destruction (mais pas nécessairement, que l'on songe aux dédicaces, objets votifs et ex-voto de toutes sortes). Cette définition peut être généralisée mais n'oublions pas qu'en grec, thysia, le sacrifice est un mot de la même racine que thyein, brûler et thyo, encens, parfum. Il n'a un sens "technique" et religieux que secondairement. Sacrifier, c'est faire monter une fumée d'agréable odeur vers les Dieux, comme il est dit dans la Bible aussi.

Le sacrifice étant un échange, il est un partage... Une des formes est donc le repas sacrificiel où la victime est "sacrifiée" puis consommée de concert entre Hommes et Dieux, chaque partie recevant sa part, différence qui marque la séparation en le Ciel et la Terre mais aussi leur communion. Le sacrifice doit donc s'entendre comme une frontière, mais une frontière où l'on se rencontre et où l'on échange, aux dons des hommes devant répondre les dons des Dieux.

Dans la Bible, en Grèce, à Rome, tuer un animal pour la boucherie ou le sacrifier, n'a point de différences. Une seule manière de le mettre à mort qui est toujours sacrificielle. Puis après que la part des Dieux a été prélevée et leur a été offerte, les hommes prennent leur part, soit pour la consommer sur place dans un grand banquet commun soit pour l'amener chez eux. Dans ces temps anciens, on mangeait rarement de la viande, d'abord aux fêtes qui étaient toujours "religieuses" et donc accompagnées de "sacrifices".

Efficacité régulatrice et apaisante

Le sacrifice apparaît comme un moyen assez efficace de supprimer un problème potentiellement source conflit qu'on ne sait pas résoudre.

Thèse Girardienne

Selon René Girard (Quand les choses commenceront. Entretiens avec Michel Treguer, Paris, Arlea, 1996), toute culture locale est une clique issue du meurtre fondateur dans un système d'envie et de jalousie. Le jeu de langage central d'une telle société est, à chaque fois, l'accusation collective et univoque et la condamnation d'une victime sacrificielle qui doit assumer tout le mal et la négation aussi monotone que conséquente de sa propre responsabilité à l'égard des évolutions en cascade qui ont motivé l'éclosion de la violence. N'appartient à une culture dans ce sens du terme que celui qui participe réellement ou symboliquement au sacrifice du bouc émissaire. La victime devient alors le lien étroit de la culture qui le sacrifie.

C'est en tant que communautés de narration et d'émotion — c'est-à-dire dans le culte — que les cultures, ces groupes de criminels enchantés par leur méfait, sont le plus elles-mêmes. C'est là où les émotions et le récit se recoupent que se constitue le sacré. […] L'objet sacrifié est ainsi placé au cœur de l'espace spirituel d'une société. […] La fusion des groupes fondée sur les émotions et les récits, les peurs et les mensonges, se trouve aussi consolidée politiquement. (Peter Sloterdijk, op. cit.)

.

Ainsi, plutôt que de risquer un combat entre différentes personnes revendiquant une chose (héritiers, par exemple), il peut être (ou seulement sembler) moins nocif de dissoudre le litige en supprimant un de ses constituants. La communauté y perd, mais elle retrouve (provisoirement) une paix préférable à ses yeux, car permettant de construire d'autres choses au lieu de se battre sur les reliques. Encore faut-il ne pas se tromper.

Le choix de l'élément du conflit qui sera sacrifié est assez fondamental.

  • Ce peut-être, bien évidemment, l'objet du conflit (le navire d'un grand marin, l'armement d'un chef de guerre ou l'épouse d'un noble, et la légitimité au commandement qui vont avec). Les mythes nous montrent quelques exemples : Iphigénie en Aulide (sacrifice propitiatoire) ou la fille de Jethro (sacrifice eucharistique).
  • Ce peut être aussi un des protagonistes du conflit, le moins soutenu évidemment (indépendamment des droits réels qu'il pourrait avoir sur la chose, selon les règles en usage dans la société), ou même tous les protagonistes.
  • Ce peut être enfin, et même plus souvent, une chose apparemment sans le moindre rapport « naturelle » avec le litige, mais dont on constate a posteriori qu'elle a été efficace pour rassembler la communauté (ce qui prouve son appartenance aux catégories divines : elle a une capacité d'action « surnaturelle », et son sacrifice était donc nécessaire pour remettre le monde en ordre).
    • Le code de loi religieuse peut donner la liste des objets de substitution (Voir, par exemple, Lévitique III et IV)
    • Par exemple, deux tribus kanakes ennemies jurées se sont réconciliées sur le sacrifice d'un Poindi (fils cadet de chef, traditionnellement doté d'une puissance magique comme cœur de la tribu).

Si le sacrifice fonctionne, on peut observer de sa bonne marche les règles à suivre et à ne pas suivre (notamment, pour les sacrifices humains : le comportement de la personne sacrifiée avant sa désignation, qui devra, le plus souvent, être préalablement déshumanisée pour justifier le meurtre), qui pourront être sédimentées sous forme de lois ou de caractéristiques divines, tabous, caractéristique du prochain sacrifice.

En raison de ses supposées vertus apaisantes et régulatrices, le sacrifice reste une pratique très commune, même s'il est généralement associé au monde « primitif » (un passé révolu ou des peuplades « attardées »).

Limites et perte d'efficacité

On imagine l'avantage comparatif des sociétés capables de réellement éviter ou gérer les conflits sans être obligé de détruire les objets ou d'éliminer des humains. D'où les évolutions vers des sacrifices de plus en plus doux, limitant la destruction. Ainsi la mythologie grecque garde-t-elle en mémoire le passage du sacrifice de la bête entière à seulement les parties les moins utiles (la peau et les os).

Mais surtout, plus profondément, le sacrifice n'est peut-être pas aussi efficace qu'il en a l'air. Si le conflit vient d'ailleurs, de l'état d'esprit des participants, l'élimination de l'objet du conflit ou l'élimination d'un seul participant ne change rien. On peut essayer de se rabattre sur un innocent (relatif), mais ce sacrifice ne marche plus vraiment dans le monde où le Christ a posé sa marque : le respect des perdants, des victimes.

Aussi, selon René Girard, il y a maintenant toujours des empêcheurs de tourner en rond qui vont dénoncer le sacrifice comme inadapté au problème, et comme fausse solution à un vrai problème. L'unanimité n'est plus acquise, la règle dérivée du sacrifice est contestée, et le problème reste entier. On aura beau expulser à son tour « celui par qui le scandale arrive », un autre se lève derrière et tout recommence.

Seule peut marcher une solution juste, impliquant selon cet auteur un renoncement au conflit par l'amour, non pas en refusant ou niant le conflit, mais en le résolvant réellement une fois le conflit constaté.

Notes

  1. Théogonie, Hésiode
  2. J. Scheid, Commentarii fratrum Arvalium qui supersunt, Rome, 1998, notamment p. 146 et 150 : il s'agit d'un compte-rendu de l'année 87. Il s'agit de l'accomplissement vœux prononcés et acquittés au début de l'année pour le salut et la sauvegarde de l'empereur Domitien et de la famille impériale.
  3. Tite Live, Ab Ube condita, [réf. nécessaire]
  4. 40 Jg 11. 30- 40
  5. Selon Vincenzo Formicola, de l'université de Pise, les sites funéraires de Sunghir en Russie, de Dolní Věstonice en Moravie et de la grotte Romito en Italie permettent de penser que le sacrifice humain était pratiqué au Paléolithique supérieur (cf. «  », Current Anthropology, vol. 48, n°3, Juin 2007.
  6. 3 à 4000 par an selon le conquistador Cortès, lire Charles C. Mann, Marina Boraso (trad.), 1491. Nouvelles révélations sur les Amériques avant Christophe Colomb, Albin Michel, 2007, (ISBN 9782226175922), p.144
  7. Angie Debo, Histoire des Indiens des États-Unis, Paris, Albin Michel, 1994, p. 81 ; Havard Gilles, Vidal Cécile, Histoire de l'Amérique française, Flammarion, 2003, pages 297-298
  8. "Finitude et ouverture : vers une éthique de l’espace. Sur les fondements de la solidarité dans la forme inclusive", Conférence à l'UTLS, le 25 novembre 2000
  9. Henry Corbin, Face de Dieu, face de l’homme

Bibliographie

Sources

Sources anciennes pour traiter du sacrifice romain

Sources historiennes pour traiter du sacrifice romain

Lire aussi

  • Daniel Boyarin, Mourir pour Dieu, l'invention du martyre aux origines du judaïsme et du christianisme, éd. Bayard, Paris, 2003
  • Jean-Pierre Albert, Béatrix Midant-Reynes (ed), Le sacrifice humain, en Égypte ancienne et ailleurs, éd. Soleb, Paris, 2005, ISBN 2-9523726-0-8
  • Pierre Bonnechère, Le sacrifice humain en Grèce ancienne, Athènes-Liège, Centre International d'Étude de la Religion Grecque Antique, 1994 (Collection Kernos, suppl. 3), VII + 423 p.
  • Andrew Lang, Un côté négligé de la religion grecque, Études traditionnistes, Vol. VI, traduit par Henry Carnoy, Édition J. Maisonneuve, Paris, 1890, p. 46-56
  • Salomon Reinach, La théorie du sacrifice, Conférence faite à l’Université populaire (1902)
  • René Girard, Le sacrifice, éd. Bibliothèque nationale de France, Paris, 2003

Voir aussi

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