47 Ronin

47 Ronin

47 rōnin

Tombes des 47 rônin au temple Sengakuji

L'histoire des 47 rōnin (aussi connu sous le nom de 47 samouraïs, ou la « vendetta d'Akō », ou en japonais « Akō rōshi » (赤穂浪士) ou encore « genroku akō jiken » (元禄赤穂事件)) est le prototype de l'histoire japonaise classique. Elle est décrite dans les manuels d'histoire japonais comme une « légende nationale » [1] où les 47 rōnin sont aussi appelés les 47 gishi ou Akô gishi.

La légende des 47 rōnin n'est pas une pure fiction; elle correspond à un fait historique. L'histoire commence en 1701 dans la région d'Ako située dans la préfecture de Hyōgo au Japon. Un groupe de samouraïs est laissé sans chef (rōnin) après la condamnation de leur daimyô, Asano Naganori, au suicide rituel (seppuku) par le shogun Tokugawa Tsunayoshi pour avoir blessé Kira Yoshinaka (1641-1703), maître des cérémonies de la maison du shogun, qui l'avait insulté. Les 47 rōnin décident de le venger en tuant Kira.
L'attentat a lieu le 14 décembre 1702 après avoir patiemment attendu et planifié l'attaque pendant près de deux ans. Par la suite, ils furent eux-mêmes condamnés au seppuku pour meurtre et s'exécutèrent le 4 février 1703. Ils connaissaient tous les conséquences de leur acte et c'est pour cette raison que leur action est considérée comme particulièrement honorable.

Quelque peu enjolivée, cette histoire authentique a trouvé sa place dans la culture populaire japonaise, par les valeurs de loyauté, de sacrifice, de dévouement et d'honneur dont tout Japonais était censé s'inspirer dans sa vie quotidienne. Cette popularité a connu un regain avec la rapide modernisation de l'ère Meiji, qui bousculait les traditions, et où beaucoup de gens cherchaient à y retrouver une part de leurs racines perdues.

Le cimetère de Sengakuji existe toujours. On voit le puits, le bassin où a été lavée la tête de Kira. On y voit le tombeau d'Asano et les quarante huit stèles dressées et alignées sous les arbres. Trois siècles après, de nombreux Japonais viennent encore y brûler des baguettes d'encens sur ces tombes pour honorer la mémoire des rōnin. Le thème est resté populaire : dans la seule décennie 1997-2007, la télévision japonaise a consacré dix réalisations à cette épopée.

Sommaire

L'histoire

Les sources étant parfois divergentes, la version donnée ici compile prudemment de nombreuses sources, et notamment le récit de témoins oculaires sur différents épisodes de cette « saga ».

Prologue

En 1701, deux daimyō (seigneurs) sont appelés à la cour du Shōgun à Edo (l'actuelle Tokyo). Il s'agit de Kamei Korechika et d'Asano Naganori, le jeune daimyō du fief d' Akō dans la province de Harima (à l'ouest du Honshū). Ils sont chargés d'organiser la cérémonie d'accueil pour le cortège de l'empereur Higashiyama, attendu à la cour du Shōgun à l'occasion du Sankin kōtai, la réunion périodique des daimyō.

Pour être instruits de l'étiquette très rigide de la cour, ils se présentent au maître des cérémonies Kira Kōzuke no Suke [2] Yoshinaka, haut fonctionnaire dans le Shōgunat de Tokugawa Tsunayoshi. Or Kira se montre particulièrement mal disposé à leur égard, probablement à cause de la modicité des présents qu'il reçoit en contrepartie de la formation qu'il leur a donnée alors que, selon l'usage, il attendait beaucoup plus. Selon certains témoins, Kira était un personnage assez cassant, d'autres le décrivent comme quelqu'un de corrompu. Comme Asano, très croyant et conformément à l'enseignement de Confucius, refuse d'entrer dans ce jeu de corruption, le maître de cour Kira devient plus arrogant, commence à se conduire de façon injurieuse à l'égard des deux daimyō et néglige totalement la formation qu'il est censé leur donner[3] .

Tandis qu'Asano supporte stoïquement les humiliations, son compagnon Kamei en est de plus en plus irrité et décide de tuer Kira, pour laver cet affront. C'est alors que les conseillers avisés de Kamei, inquiets de la tournure prise par les événements, soudoient en cachette et grassement Kira, ce qui évite un meurtre qui aurait été un désastre aussi bien pour leur prince que pour la Cour. De fait, Kira se montre maintenant tout miel envers Kamei, ce qui atténue le courroux de ce dernier[4].

Kira reporte désormais sa hargne grossière contre Asano, qui n'a fait aucun geste dans le même sens. Il ne rate aucune occasion de le bafouer et finit par le traiter de cul-terreux. Pour le coup, Asano sort de ses gonds. Il bondit sur Kira une dague au poing, le blesse d'abord au visage, manquant son second coup qui éventre un coussin, avant que la garde accourue ne sépare les deux adversaires[5].

Matsu no Ōrōka, le couloir des pins, au château d'Edo, où Asano agressa Kira

Certes, la blessure de Kira était bénigne, mais oser attaquer un haut fonctionnaire du Shōgunat à Edo et dans l'enceinte du palais du Shōgun était en soi un acte gravissime [6] - le simple fait d'y tirer une arme y était passible de la peine de mort. Selon d'autres sources, le crime d'Asano aurait plutôt été d'avoir endommagé dans l'action une célèbre porte coulissante dorée. C'est pourquoi Asano se voit contraint à exécuter sur le champ un seppuku (suicide rituel)[7].

Aussitôt après le suicide d'Asano, tous ses biens sont confisqués, le fief d'Akō revient au Shōgun et les samouraïs d'Asano se retrouvent rōnin, chevaliers sans seigneur.

Quand l'information parvient au principal conseiller à la cour d'Asano, Ōishi Kuranosuke Yoshio, celui-ci prend les affaires en main, met la famille d'Asano en sécurité avant de remettre les clefs du château aux envoyés du gouvernement.

Le plan de vengeance des Rōnin

Deux des 47 Ronin: Horibe Yahei et son fils adoptif, Horibe Yasubei. Yasubei porte un ōtsuchi.

Parmi les quelque 300 personnes qui composaient la suite d'Asano, se trouvaient 47 chevaliers (50 à l'origine, selon certaines sources) qui ne pouvaient admettre la mort de leur seigneur sans qu'une vengeance en fût tirée, et notamment leur chef Ōishi Kuranosuke, et cela bien que la vendetta soit proscrite dans un tel cas. C'est en pleine connaissance de la lourde sanction qu'ils encourent qu'ils s'unissent dans un serment secret : ils vengeront la mort de leur maître en assassinant Kira.

Mais ils savent pertinemment que Kira est bien gardé, sa maison fortifiée et qu'une attaque dans l'immédiat serait inéluctablement vouée à l'échec. Pour l'emporter, il fallait d'abord surmonter ce dispositif.

Pour rassurer Kira et les autres fonctionnaires du Shōgunat, ils se dispersent et se font passer pour des commerçants ou des moines. Ōishi lui-même s'établit à Kyōto, fréquentant assidûment tavernes et bordels, pour dissiper les suspicions de vengeance qu'on pouvait lui prêter. Le maître des cérémonies Kira reste cependant méfiant et fait espionner Ōishi ainsi que quelques autres hommes d'Asano.

Il advint alors que, au cours d'une de ses tournées très arrosées, Ōishi complètement ivre s'effondre dans la rue, et s'endorme tout bonnement là, sous les rires et quolibets des passants.

Un homme de Satsuma, qui passait par là, ne put admettre un comportement aussi lamentable d'un samouraï, déjà incapable de venger son maître. Non seulement il insulta, mais encore il frappa Ōishi au visage et lui cracha dessus. Or c'était une grande offense ne serait-ce que d'effleurer le visage d'un samouraï, sans parler de lui « casser la figure ».

Peu de temps après, Ōishi se rendit auprès de son épouse, qui lui était fidèle depuis 20 ans, et divorça d'elle afin qu'il ne lui soit fait aucun tort si les partisans de Kira voulaient se venger. Il la renvoya chez ses parents avec leurs deux plus jeunes enfants. Il laissa cependant à l'aîné le choix entre rester pour se battre ou partir. Chikara choisit de rester avec son père. Ōishi vira alors à une complète débauche, à l'opposé des valeurs du samouraï. Pilier des tavernes, habitué des maisons de geisha (en particulier Ichiriki Ochaya), il multipliait les obscénités en public. Ses hommes lui payèrent même une concubine, dans le but de le calmer un peu, mais ce qu'ils voulaient calmer était surtout la vigilance des espions de Kira...

Car tous ces faits sont bien entendu rapportés à Kira, assoupissant peu à peu sa méfiance. En effet, il paraît désormais clair que le ban d'Asano n'est qu'un ramassis de samouraïs de pacotille, qui n'ont même pas le courage de venger leur maître. Puisqu'ils paraissent décidément inoffensifs, une année et demie s'étant écoulée, il peut relâcher la surveillance.

Désormais, les anciens vassaux d'Asano se rassemblent à Edo et obtiennent sous leur couverture d'artisans ou de commerçants leurs entrées dans la maison Kira. Ils se familiarisent ainsi avec les lieux et les usages du personnel. L'un de ces hommes (Kinemon Kanehide Okano) va même jusqu'à épouser la fille de l'architecte afin de se procurer les plans du système de défense très élaboré. D'autres se procurent des armes et les introduisent dans Edo, dans la plus stricte illégalité, mais en intelligence avec Ōishi.

L'assaut

En décembre 1702, Ōishi Kuranosuke est enfin persuadé que la situation est mûre et que la garde de Kira est suffisamment relâchée[8]. Subrepticement, il quitte Kyōto pour se rendre à Edo où sa petite troupe s'est rassemblée dans un lieu secret et a renouvelé le serment de la conjuration.

L'assaut contre la maison de Kira Yoshinaka est lancé à l'aube du 14 décembre [9], dans la neige et la tourmente. Le plan est minutieusement étudié : les assaillants vont se diviser en deux groupes, armés d'épées et de grands arcs. Tandis que le premier, sous la conduite d' Ōishi attaquera la porte principale, le second, commandé par son propre fils Chikara prendra la maison à revers. Un bruyant coup de gong donnera à tous le signal pour l'assaut et un coup de sifflet leur signalera que Kira est mort[10]. Aussitôt, on lui coupera la tête pour aller la porter en offrande sur la tombe du seigneur Asano. Ensuite, ils se rendront et attendront la sanction inéluctable : la mort. Tout cela est décidé au cours d'un dernier repas pris en commun, où Ōishi et ses hommes font serment de ne faire aucun tort aux femmes, enfants et autres personnes sans défense[11] Le code du bushido n'impose pas de respecter les civils, mais ne l'interdit pas non plus.

L'attaque - Chushingura, Acte 11, scène 2 (estampe de Hokusai)

Ōishi ordonne à quatre hommes d'escalader la clôture pour surprendre les portiers, les neutraliser et les ligoter. Ensuite, il fait informer tout le voisinage qu'il ne s'agit pas de cambrioleurs, mais de chevaliers qui veulent venger la mort de leur seigneur, et qu'il n'arrivera rien à quiconque, hormis Kira. Les voisins, qui détestaient eux aussi Kira, se tiennent tranquilles[12].

Il place alors des archers en couverture (certains prennent position sur le toit) pour s'assurer que ceux qui dorment encore ne puissent s'échapper et aller chercher de l'aide.

Tout est prêt. L'assaut débute sur un violent coup de gong à l'avant de la maison. Dix hommes de Kira y sont affectés, mais l'escouade d' Ōishi Chikara les prend à revers.

Kira, terrifié, s'enfuit avec sa femme et ses servantes, dans un réduit au fond de la véranda, tandis que le reste de ses hommes, qui dormaient dans des baraquements à l'extérieur, tente désespérément d'entrer dans la maison pour le délivrer. N'y parvenant pas, ils tentent d'envoyer quelques uns d'entre eux chercher du secours, mais les archers veillent et abattent tous ces messagers[13].

Au terme d'un combat furieux, le dernier homme de Kira est enfin maîtrisé. Seize de ses hommes ont été tués, vingt-deux ont été blessés, parmi lesquels le petit-fils de Kira, mais pas la moindre trace de ce dernier. Ils fouillent fébrilement la maison, ne trouvant que des enfants ou des femmes en pleurs. Ils commencent à désespérer lorsque Ōishi s'aperçoit que le lit de Kira est encore chaud : il ne peut être bien loin.[14].

La mort de Kira

Au terme d'une nouvelle fouille minutieuse, ils découvrent soudain, caché par une grande tapisserie, un passage vers une cour intérieure. Quand ils y parviennent, ils se heurtent encore à deux hommes de Kira qu'ils tuent au combat. Dans cette cour intérieure se trouve un appentis servant à entreposer du bois et du charbon. En le visitant, ils tombent sur un homme qui s'y cachait et bondit sur eux un poignard à la main, mais ils le désarment sans peine.

Bien que le prisonnier refuse de donner son nom, les assaillants sont persuadés qu'il s'agit bien de Kira et ils sifflent la fin de la partie. Les Rōnin se rassemblent et, à la lueur d'une lanterne, Ōishi identifie Kira. D'ailleurs, la cicatrice qu'il garde à la tête depuis le coup porté par Asano lève les derniers doutes.

Ōishi, en hommage au rang de Kira, s'agenouille alors devant lui, lui expliquant qui ils sont, et leur exigence de tirer vengeance pour la mort de leur prince. On lui offre néanmoins de mourir honorablement en samouraï en exécutant un seppuku. Ōishi propose même son assistance et présente à Kira la dague même qui avait servi à Asano pour se donner la mort[15].

Insensible à ces marques de déférence, Kira demeure là, muet et tremblant de peur. Le groupe se rend alors compte qu'il est vain d'attendre davantage de sa part. Ōishi charge un rōnin de faire agenouiller Kira et il le décapite avec la dague[réf. nécessaire]. Ils éteignent alors tous les feux et lumières de la maison (pour éviter tout risque d'incendie, qui aurait pu s'étendre au voisinage). Emportant la tête de Kira, ils quittent les lieux[16]. En chemin, Ōishi envoie le plus jeune Rōnin, l'ashigaru Terasaka Kichiemon porter la nouvelle à Akō afin que tout le monde sache que la vengeance était enfin accomplie. (Bien que cette version faisant de Kichiemon le messager est la plus communément admise, certains ont prétendu qu'il se serait enfui avant ou après la bataille, ou qu'il aurait reçu l'ordre de partir avant le rassemblement des Rōnin[17].)

Les suites

Le retour des Rōnin - Acte 11, Scène 5 Chushingura

Dans le courant de la journée, les rōnin s'empressent d'apporter la tête de Kira sur le tombeau de leur maître, au temple Sengaku-ji, ce qui fait sensation dans les rues. Le récit des événements a vite fait le tour de la ville, et on rapporte que c'est un chœur de louanges qui accompagnait le cortège, certains les invitant même dans une auberge pour leur offrir à boire [18].

En se retrouvant au temple, les 46 rōnin restants lavent et purifient la tête de Kira et la placent à côté de la dague fatale sur la tombe d'Asano. Après s'être recueillis en prière, ils font don à l'abbé de tout l'argent qui leur restait, en lui recommandant de leur faire des funérailles dignes et de veiller à ce qu'on dise des prières en leur mémoire.

L'heure de la reddition a sonné. On les divise en quatre groupes, sous la garde de quatre Daimyō différents[19].

Arrivent alors au temple deux amis de Kira, qui viennent chercher sa tête pour l'enterrer. De nos jours, le temple possède encore le reçu signé à cette occasion par l'abbé et les deux amis [20].

Les autorités du Shōgunat se trouvent fort embarrassées. D'un côté certes les samouraïs s'étaient bien conformés aux usages guerriers du Bushidō, qui leur imposait de venger la mort de leur maître, mais d'un autre côté, ils avaient violé l'interdiction des vendettas édictée par le Shōgun à Edo. Comme prévu, ils sont condamnés à mort, mais le Shōgun leur accorde la mort honorable par seppuku, plutôt que de les faire exécuter comme de vulgaires criminels[21]. Tous vont se plier au rite pour finir en guerriers[7].

C'est le Genroku 15, le 19e jour du 12e mois (元禄十五年十二月十九日? Dimanche, 4 février, 1703)[9] que les 46 rōnin s'appliquent la sentence (elle concerne 46 sur les 47 qui avaient participé à l'action, ce qui induit encore en erreur, car du coup on parle parfois à tort des „46 rōnin”).

Conformément à leurs dernières volontés, les condamnés sont enterrés au temple Sengaku-ji, sur une seule rangée face à la tombe de leur seigneur. Quant au 47e rōnin, revenu plus tard de sa mission à Akō, il sera gracié par le Shōgun (en raison, dit-on, de son jeune âge), vivra jusqu'à 78 ans et sera finalement enterré aux côtés de ses camarades[7][21].

Les tenues et les armes que portaient les rōnin se trouvent encore aujourd'hui au Temple, ainsi que le tambour ( Ōtsuchi) et le sifflet. La majeure partie de l'armement était de leur propre fabrication, car ils voulaient éviter d'éveiller la curiosité en achetant ces articles militaires à un forgeron.

Les tombes des rōnin deviennent tout de suite un lieu public où les gens s'assemblaient pour prier[7]. Parmi ceux-ci, on retrouve cet homme de Satsuma qui avait bafoué Ōishi, alors que celui-ci gisait ivre mort dans le caniveau. Désormais, il s'en repent amèrement, demande pardon d'avoir cru que Ōishi n'était pas un vrai samouraï, puis, inconsolable, se suicide. On lui accorde finalement d'être enterré à côté des 47 rōnin[21].

La réhabilitation

Même si l'on considère ces événements comme une action purement dictée par le sens de l'honneur et la loyauté, il faut aussi admettre qu'ils ont eu des effets très concrets sur la restauration du clan Asano. La mort du seigneur avait privé d'emploi des centaines de samouraïs, et il leur était en général impossible de trouver une autre place, issus qu'ils étaient d'une maison déshonorée. Beaucoup avaient alors dû se reconvertir en ouvriers agricoles ou journaliers. L'affaire des 47 Rōnin ayant réhabilité le nom, beaucoup des samouraïs au chômage retrouvèrent en peu de temps un emploi très honorable. Asano Daigaku Nagahiro, frère cadet de Takuminokami et son héritier, fut rétabli par le Shōgunat Tokugawa dans ses titres, même s'il ne retrouvait qu'un dixième de l'ancien domaine.

Controverses

Bushidō ou vengeance ?

Certains pensent que les 47 rōnin ont bien appliqué le code du bushidō lors de cet événement mais d'autres, comme Yamamoto Tsunetomo, auteur de l' Hagakure, pensent qu'en laissant passer plusieurs mois avant de venger leur maitre, les 47 rōnin ont pris le risque de laisser ce crime impuni dans le seul but d'être certains de tuer Kira, ce qui aurait été peu probable s'ils avaient réagi immédiatement. En effet, Kira s'était préparé à l'attaque. Les détracteurs de cette légende pensent donc qu'il s'agit d'une bonne histoire de revanche mais pas d'une histoire de bushidō.

Ōishi Kuranosuke, le chef des rōnin, souhaitait absolument la mort de Kira, alors que selon le code du bushidō, la mort de l'agresseur compte peu. Il faut avant tout montrer son courage et sa détermination par une réaction forte et immédiate sans accorder d'importance à la victoire ou la défaite. En laissant passer du temps avant de se venger, Oishi a pris le risque de déshonorer le nom de son clan (si, par exemple, Kira était mort accidentellement entre-temps), ce qui est la pire chose qu'un samouraï puisse faire.

Distinguer l'histoire et la légende

Le thème ayant été abondamment exploité et édifié en mythe (voir ci-dessous), comment faire la part de la réalité historique et celle de la fiction ?

On sait que les daimyō Kamei et Asano ont bien existé et on a la trace des événements Genroku 14, le 14ème jour du 3ème mois (元禄十四年三月十四日? Jeudi, 21 avril, 1701)

[9] Le célèbre « incident d'Akō » est bien réel[7].

La source Mitford, longtemps admise comme une source fiable est aujourd'hui contestée, mais elle offre néanmoins une bonne base de départ pour tout travail sur cette affaire.Par clause de style ou par ambition ethnographique, Mitford se justifie :

« Blotti au cœur d'un vénérable bosquet, à Takanawa, un faubourg de Yedo, se cache Sengakuji, dit aussi le Temple de la Colline du Printemps, renommé dans le pays entier pour son cimetière, car c'est là que s'élèvent les tombes des Quarante-sept Rōnin, illustres dans l'histoire japonaise, héros d'un drame japonais, dont je vais ici transcrire la geste.  »

— Mitford, A. B[22].

Mitford précisait qu'il s'appuyait sur des traductions de documents de Sengaku-ji qu'il avait étudié personnellement. Il les avançait comme « preuves » authentifiant la trame de son récit

[23] Ces documents étaient :

1....le reçu donné par les vassaux du fils de Kôtsuké no Suké pour la tête de son père, reçu établi lorsque le prieur du monastère avait restitué cette tête à la famille du défunt [20].

2. ... un document justifiant la démarche des 47 Rōnin, dont une copie a été retrouvée sur chacun des guerriers daté du 12e mois de la 15e année de Genroku[24]

3. ...un papier que les 47 Rōnin ont déposé sur la tombe de leur seigneur, à côté de la tête de Kira Kôtsuké no Suké.[25]

la construction de la légende

Statue du chef des 47 Rōnin, Ōishi Kuranosuke, sur sa tombe au Sengaku-ji, Tōkyō

Le drame des Quarante-sept Rōnin devient l'un des thèmes favoris de l'art japonais, et connaîtra plus tard un certain succès artistique même en Occident.

Aussitôt après les faits, les milieux cultivés au Japon ont des sentiments assez mitigés sur le bien-fondé de la vengeance. La plupart admettent que, parce qu'ils ont exécuté les dernières volontés de leur seigneur, les Quarante-sept ont fait ce qu'ils devaient faire, mais sans trancher sur la légitimité de mener cette vengeance à son terme. Avec le temps, néanmoins, l'histoire devient un symbole non de bushido (comme on vient de le voir) mais de loyauté envers son maître, et plus tard de loyauté envers l'empereur. Ainsi, l'adéquation de l'aventure avec les valeurs morales de la société japonaise transforme très vite l'équipée en épopée, puis en légende.

Le théâtre et la littérature

C'est aussitôt après les faits une floraison de pièces de théâtre (Kabuki et Bunraku). Deux semaines seulement après la mort des Rōnin sort déjà une pièce :Soga, l'attaque nocturne à l'aube, mais elle est immédiatement interdite par les autorités. Cela n'empêche pas la parution d'innombrables autres pièces, d'abord à Ōsaka et Kyōto, c'est-à-dire un peu à l'écart du pouvoir central. Certaines de ces œuvres sont exportées jusqu'à Manille et popularisent l'épopée dans tout l'Extrême-Orient.

La plus célèbre mise en scène est certainement le spectacle de marionnettes Bunraku Kanadehon Chūshingura (le plus souvent abrégé en Chūshingura qui est resté le terme consacré pour désigner les versions romancées de l'histoire, ou encore le Trésor des fidèles gardiens), composé en 1748 par Takeda Izumo et deux collaborateurs. Par la suite, il en sortira une pièce du théâtre Kabuki, qui est jouée jusqu'à nos jours dans tout le Japon.

Dans toutes les œuvres d'époque, les noms des Rōnin ont été maquillés et les faits situés dans une époque bien antérieure, sous le règne du shogun Ashikaga Takauji, au XIVe siècle, ceci afin de contourner la censure du Shōgunat, car pendant la période Genroku, il était interdit de représenter l'actualité ou des faits réels. Nombre de ces alias sont au demeurant parfaitement connus du public japonais. Ainsi chacun sait qu'Enya Hangan Takasada est le pseudnonyme d'Asano, que derrière Kō no Moronao se cache Kira et que Ōboshi Yuranosuke Yoshio est le nom de scène d' Ōishi. Il en va plus ou moins de même pour les noms des autres Rōnin. De même, les auteurs ont pris quelques libertés avec les faits, ainsi voit-on Moronao qui tente de séduire la femme de Enya, ou encore un Rōnin qui meurt avant l'assaut, déchiré par un dilemme entre famille et loyauté chevaleresque (c'est encore une raison à la confusion dont on a parlé sur les „46” Rōnin).

Quoi qu'il en soit, trois quarts de siècle après les faits, la censure du Shōgun s'étant relâchée, le "nipponologiste" Isaac Titsingh relevait l'histoire des 47 Rōnin comme l'un des événements les plus marquants de l'époque Genroku [7] C'est Titsingh qui publie la première relation de l'”incident d'Akō” en Occident, en 1822 dans un ouvrage posthume Illustrations of Japan[7].

La version la plus diffusée en Occident paraît en 1871 sous la plume de Algernon Bertram Mitford Tales of Old Japan.

Jorge Luis Borges reprend l'histoire dans sa première collection de nouvelles Une histoire universelle de l'infâmie, sous le titre „le maître de cérémonies impoli, Kotsuke no Suke."

L'épisode "Samurai Goodfellas" dans History Bites mêle l'histoire d'éléments issus du Parrain (The Godfather).

Le roman historique de Lucia St. Clair RobsonThe Tokaido Road est une autre adaptation des Quarante-sept ronin, et on trouve également des références à la légende dans le roman de Martin Cruz Smith, December 6.

Les acteurs Dylan et Cole Sprouse ont créé une collection de livres d'aventures intitulée 47 R.O.N.I.N. (publiée par Simon & Schuster Inc.). Il s'agit de deux jumeaux de 15 ans, Tom et Mitch qui apprennent que leur père et leur majordome sont membres d'une organisation de lutte contre les gangs qui remonte au Japon féodal, R.O.N.I.N. Leur père étant en danger, ils rejoignent l'organisation.

Le roman The Fifth Profession, de David Morrell fait référence comme leitmotiv à la légende des 47 rōnin pour montrer la fidélité au-delà de la mort.

Un passionné du Japon, le chorégraphe français Maurice Béjart a composé le ballet Kabuki sur le même thème en 1986. En 20 ans, Kabuki a été représenté à plus de 140 reprises et dans 14 pays.

Le cinéma et la télévision

Au XXe siècle, naturellement, le cinéma s'empare de la légende. Le premier film, avec Onoe Matsunosuke, a été réalisé entre 1910 et 1917 (la date est incertaine). Dès 1928, Shozo Makino en est à sa seconde version des 47 Rōnin (Jitsuroku Chushingura). Mais le mythe s'exporte lorsque Kenji Mizoguchi réalise en 1941-42 la vengeance des 47 Rōnin(Genroku chushingura). C'est au départ une commande de l'armée qui voyait dans cette histoire un outil de propagande pour galvaniser le sens de la fidélité et du devoir dans le peuple. Mizoguchi a le „mauvais esprit” d'aller chercher l'argument dans le Mayama Chūshingura, version intellectuellement ambitieuse, et son film sera un échec commercial, étant sorti une semaine avant Pearl Harbour.

Les militaires et le grand public boudent la première partie, qu'ils jugent trop ardue, mais le studio et Mizoguchi la considèrent comme suffisamment importante pour engager le tournage du second volet. Célèbre chez les cinéphiles qui ont eu la chance de le voir au Japon, les 47 Ronin n'ont été présentés aux Américains que dans les années 1970[26]. Ensuite, le thème ne cessera d'inspirer les cinéastes japonais, à raison d'un ou deux films par an ! Citons entre autres Tatsuo Osone, Kunio Watanabe en 1954, Hiroshi Inagaki (Chūshingura ). C'est par la version de 1962, Chūshingura: Hana no maki yuki no maki, dans l'adaptation de Seika Mayama, que le grand public occidental découvrira le mythe. Toshiro Mifune y interprète le lancier mythique Genba Tawaraboshi. Mifune revisitera la légende à plusieurs reprises dans sa carrière. Ainsi, on le retrouve en 1971 dans le rôle d' Ōishi dans une série télévisée, et à nouveau en 1978 comme Maître Tsuchiya dans l'épopée Ako-Jo danzetsu (Les épées de la vengeance).

On peut encore citer la version de Kon Ichikawa en 1994 (Shiju-schichinin no shikaku) [27],[28] et encore un film de Hirokazu Koreeda en 2006, Hana yori mo naho, où l'histoire des 47 rōnin apparaît en filigrane, l'un des rōnin étant voisin des protagonistes.

Le cinéma occidental reprend le thème, mais "adapté" aux valeurs américaines. Ainsi, John Frankenheimer tourne en 1998 un film intitulé Rōnin, en fait une histoire de mercenaires qui seraient guidés par une morale proche de celle des samouraïs (le parallèle avait déjà été osé lorsque John Sturges tourna les Sept mercenaires en s'inspirant des Sept Samouraïs d'Akira Kurosawa).

La télévision n'est pas en reste : de nombreuses chaînes japonaises ont exploité le thème sous forme de dramatiques, de séries saisonnières voire annuelles (telles la série en 52 épisodes Daichushingura diffusée en 1971, avec Toshiro Mifune dans me rôle d'Ōishi, ou plus récemment un Taiga drama (en)[29], Genroku Ryōran.

Certains de ces films ou programmes TV sont relativement fidèles aux faits, d'autres les romancent en épiçant le récit de faits purement fictifs, en particulier les gaidens (en), petits épisodes imaginaires greffés de nos jours sur la trame historique.

Même Matt Groening, dans sa série populaire Les Simpson, réserve un épisode aux Rōnin, "Trente Minutes sur Tokyo", dans lequel Homer et Bart, prisonniers au Japon, se voient contraints d'interpréter une pièce de kabuki tirée de la légende.

Le jeu de Nickelodeon consacre un épisode "Légendes du Temple Caché" autour d'un "Eventail de Guerre des Quarante-Sept rōnin".

Les arts graphiques

Les Quarante-Sept Rōnin sont l'un des thèmes favoris de l'estampe ouUkiyo-e; et les graveurs les plus fameux ont voulu l'illustrer. Un livre consacré aux thèmes ayant inspiré les graveurs ne consacre pas moins de sept chapitres aux différentes représentations des 47 Rōnin.

Parmi ces artistes, citons Utamaro, Toyokuni, Hokusai, Kunisada et Hiroshige. Mais il faut réserver une place d'honneur à Kuniyoshi qui a réalisé au moins 11 séries distinctes et plus de 20 triptyques sur ce sujet !

En Occident, c'est la bande dessinée qui exploite le thème. Ainsi la BD anglo-saxonne Beckett Comics met en scène en 2005 une parodie de Robin des bois (Rōnin des bois !)au Japon[30].

Bibliographie

  • Screech, Timon. (2006). Secret Memoirs of the Shoguns: Isaac Titsingh and Japan, 1779–1822. London.
  • Titsingh, Isaac. (1820). Mémoires et Anecdotes sur la Dynastie régnante des Djogouns, Souverains du Japon. Nepveu, Paris, 1820.
  • A. B. Mitford (Lord Redesdale), Tales of Old Japan (1871; réimpression éd. Charles E. Tuttle, 1982) * (en) Algernon Bertram Freeman-Mitford, Lord Redesdale Mitford, Tales of Old Japan, University of Michigan, London, 1871  un classique même sans l'histoire des Rōnin...
  • John Allyn, The Forty-Seven Ronin Story (Charles E. Tuttle, New York, 1981)
  • Hiroaki Sato, Legends of the Samurai (Overlook Press, 1995) – contient nombre de documents originaux, notamment le témoignage fascinant d'un spectateur qui a assisté à l'arrestation, au jugement et à la mort d'Asano.
  • Frederick V. Dickens, Chushingura, or The Loyal League, Londres, 1876; réimpression à Glasgow, 1930
  • Donald Keene, Chushingura: À Puppet Play (Columbia University, 1971)
  • Basil Steward, Subjects Portrayed in Japanese Colour-Prints, New York, 1922, rééd. Dover, 1979 – contient 7 chapitres concernant l'histoire de la représentation des Rōnin à travers l'estampe.
  • B. W. Robinson, Kuniyoshi: The Warrior Prints (Cornell University, 1982) – liste toutes les estampes de Kuniyoshi consacrées aux Rōnin
  • David R. Weinberg, Alfred H. Marks, Kuniyoshi: The Faithful Samurai (Hotei, Leiden, 2000) – grandes illustrations avec toutes les séries les plus célèbres que Kuniyoshi a consacrées aux Rōnin, chacune étant accompagnée de la traduction de la notice biographique de chaque Rōnin .
  • Jorge Luis Borges, "Kotsuke no Suke, maître des cérémonies impoli", dans un recueil de nouvelles, Une histoire universelle de l'infâmie

Liens externes

Notes et sources

  1. Kanadehon, Columbia University
  2. de la province de Kōzuke, no Kokushi, qui indique un rang de personnage officiel (Suke)
  3. Mitford, Tales of Old Japan, 1871, p. 7.
  4. Mitford, pp. 8–10.
  5. Mitford, pp. 10–11.
  6. Mitford, pp. 11–12.
  7. a , b , c , d , e , f  et g Screech, T. Secret Memoirs of the Shoguns: Isaac Titsingh and Japan, 2006, p. 91. Ouvrage en anglais, problème sur la page, voir la „discussion”
  8. Mitford, p. 16.
  9. a , b  et c Tsuchihashi conversion
  10. Mitford, pp. 16–17.
  11. Mitford, pp. 17–18.
  12. Mitford, pp. 18–19.
  13. Mitford, pp. 19–20.
  14. Mitford, p. 22.
  15. Mitford, pp. 23–24.
  16. Mitford, pp. 24–25.
  17. Henry D. II Smith, « The Trouble with Terasaka: The Forty-Seventh Ronin and the Chushingura Imagination », dans Japan Review, 2004, p. 16:3–65 [[pdf] texte intégral] 
  18. Mitford, pp. 25–26.
  19. Mitford, pp. 26–27.
  20. a  et b Mitford, p. 30.
  21. a , b  et c Mitford, p. 28.
  22. (1871). Contes de l'Ancien Japon, pp. 5–6.
  23. Mitford, pp. 28–34.
  24. Mitford, 31.
  25. Mitford, 32.
  26. archives du Chicago Reader]
  27. Jean Tulard, Guide des Films, coll "Bouquins", éd. Robert Laffont, 1991.
  28. Dictionnaire du cinéma, Jean-Loup Passek dir., coll. In Extenso, éd. Larousse, 2003
  29. le "Taiga Drama" est une dramatique historique longue (elle est diffusée sur une année) de la chaîne japonaise NHK
  30. Ronin Hood des 47 Samouraï (en)
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