Massacres du Constantinois en 1955

Massacres du Constantinois en 1955

Les massacres des 20 et 21 août 1955 dans ce qui s'appelait alors le département de Constantine (région Est de l'Algérie française) désignent la tuerie perpétrée par les indépendantistes du FLN contre la population d'origine européenne (Pieds-Noirs), des musulmans loyalistes, et plusieurs notables algériens modérés, qui avaient signé un appel condamnant « toute violence d’où qu’elle vienne »[1]. L'indignation suscitée par ces massacres de civils a entraîné la répression conduite par l'Armée française, qui fit entre cinq et six fois plus de victimes que les massacres du FLN.

Sommaire

Contexte

Les massacres ont éclaté à l’initiative de Zighoud Youcef, responsable du Nord-Constantinois du FLN dans le but de relancer un mouvement qui s'essouffle et de contrecarrer les avances faites par Jacques Soustelle, Délégué Général du gouvernement français en Algérie. Il s'agissait, selon le témoignage de Lakhdar ben Tobbal, ancien adjoint de Zighoud, recueilli par Yves Courrière, de prévenir le découragement du peuple en creusant un infranchissable fossé de sang entre les Algériens et les Français par des massacres aveugles[2].

Déroulement des massacres

La répression s'organise suite aux massacres du Constantinois (25 août 1955).

Dans la zone Collo-Philippeville-Constantine-Guelma, d’une part, quelques centaines de soldats de l’ALN s’attaquent sans grand succès à des gendarmeries et des postes de police, d’autre part, plusieurs milliers de paysans mal armés se lancent à l’assaut d’une trentaine de villes et villages et assassinent à coup de haches et de pioches. À la mine de Pyrite d'El Halia, 140 personnes (hommes, femmes et enfants) dont 70 des 130 européens et environ 70 musulmans sont massacrés, parfois dans d'horribles souffrances[3],[4]. Dans le reste du Constantinois, une trentaine de personnes, et plusieurs personnalités (le neveu de Ferhat Abbas, etc.) sont assassinés.

La répression

La réponse des autorités françaises était comparable à celle de 1945 lors des massacres de Sétif et Guelma[5] et une application concrète du principe de responsabilité collective[5]. De même qu’en 1945, des milices de colons ont été formées sous l’ordre du préfet de Philippeville (Skikda) Benquet-Crevaux qui a tenu plusieurs discours incitant au meurtre et à la vengeance[6]. À partir du 23 août, une totale liberté d’action pour réprimer ainsi qu’un ordre de conduire les opérations avec rigueur fut donné à l’armée par le général Lorillot, commandant militaire de l’ensemble de l’Algérie[7].

Des milliers de prisonniers formés d'hommes âgés de 14 à 70 ans sont capturés et emmenés au stade municipal de la ville qui fut transformé en véritable camp pour interrogatoire[8]. Malgré les efforts de Dupuch, préfet de Constantine, pour leur éviter une mort certaine[6], ces prisonniers ont été massacrés à la mitrailleuse, et enterrés dans une fosse commune[9].

Selon un soldat français présent : « Toutes les mitraillettes et les mitrailleuses étaient alignées devant la foule de prisonniers qui se mirent immédiatement à hurler. Mais nous avons ouvert le feu ; dix minutes plus tard, c’était pratiquement fini. Il y en avait tellement qu’il a fallu les enterrer au bulldozer. »[10].

Le nombre des victimes algériennes dans la ville de Skikda est estimé à 2000[11].

Des villages entiers comme El Harrouch ou Oued Zenati, furent désertés par leurs habitants masculins[7]. Dans la mechta de Zafzaf, les algériens qui étaient rencontrés dans les rues ou les cafés par les militaires français, furent tués[12], les hameaux brûlés et le bétail massacré. Un rapport militaire mentionnait le chiffre de 750 morts pour le seul secteur d’El Harrouch[13].

À El-Khroub, un des officiers français raconte : « Soixante suspects ont été arrêtés la nuit suivant les attaques repoussés sur El Khroub. Ils ont été exécutés le lendemain entre 6 :30 et 9 :30. L’endroit où ils ont été enterrés a été nivelé par un bulldozer. »[14].

Un rapport officiel des autorités françaises de l’époque avance 1273 algériens victimes de la répression, alors que le FLN recensa 12 000 morts et disparus[6]. D'autres sources estiment le nombre de victimes à près 20 000[15].

Conséquences

Bilan humain

Les sources divergent quant au nombre des victimes. Ainsi, Claire Mauss-Copeaux affirme que lors des affrontements 26 militaires ont été tués, et que 96 civils dont 71 européens ont été massacrés[16]. Suivant d'autres sources, le total des morts atteint au total, 171 européens[17].

Conséquences politiques

Jacques Soustelle, Délégué Général du gouvernement français en Algérie, va à El Halia. Plus tard, il écrit :

« Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats…. Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout, maculant ces humbles intérieurs, les photos pendues aux murs, les meubles provinciaux, toutes les pauvres richesses de ces colons sans fortune. A l'hôpital de Constantine des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissaient dans leur fièvre et leur cauchemars, des doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée. Et la gaieté claire du soleil d'août planant avec indifférence sur toutes ces horreurs les rendait encore plus cruelles[18]. »

Au plan politique il en conclut qu'il n'est pas possible de discuter avec l'ALN, qualifiée de « terroriste ». Le gouvernement d'Edgar Faure riposte en décidant le rappel du contingent libéré et ainsi que le rappel du premier contingent de 1954. La répression par l'armée française, disproportionnée, fait plusieurs milliers de victimes[19]. La violence conjointe du FLN et de l'armée française, plus particulièrement lors de sa répression aveugle et disproportionnée ne firent qu'élargir le fossé entre le gouvernement colonial et les musulmans d'Algérie, et les pieds noirs et les musulmans.

Conséquence militaire

Article détaillé : Unités Territoriales.

Les massacres du Constantinois ont entraîné la création d'une formation de réservistes originaires des départements d'Algérie, les Unités Territoriales.

Discours de Constantine du président Sarkozy

Articles connexes : Repentance et Union pour la Méditerranée.

Le 5 octobre 2007, le président de la République française Nicolas Sarkozy déclare, à l'occasion du discours de Constantine, et au sujet de ces massacres :

« Les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit ici couler le sang pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. (...) Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région et tua tant d'innocents étaient le produit de l'injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligé au peuple algérien. L'injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui étaient venus s'installer en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l'intention d'asservir, ni d'exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d'asservissement et d'exploitation[20]. »

Notes et références

  1. Guy Pervillé Le terrorisme urbain dans la guerre d’Algérie Article en ligne
  2. Guy Pervillé, article cité, se référant à Yves Courrière Les fils de la Tousaint Fayard 1998 pp. 176-182
  3. Pierre Miquel, La Guerre d'Algérie, Fayard 1995, page 204
  4. René Rostagny, La Grande Honte, Vicente Gonzalés, 1967, page 45
  5. a et b Bernard Droz et Evelyne Lever. Histoire de la guerre d'Algérie, 1954-1962. p. 76
  6. a, b et c Bernard Droz et Evelyne Lever. Histoire de la guerre d'Algérie, 1954-1962. pp. 76-77
  7. a et b Le Matin. Le 20 août 1955 c’est quoi au juste, partie 3
  8. Pierre Miquel, La Guerre d’Algérie, (Paris : Fayard, 1993), p. 295
  9. Mahfoud Kaddache, ‘Les tournants de la guerre de libération au niveau des masses populaires’, in La guerre d’Algérie et les algériens 1954-1962, pp. 53-54
  10. Kaddache Mahfoud, Et l’Algérie se libéra, 1954-1962, op. cit., page 40
  11. Daniel Guérin, Quand l’Algérie s’insurgeait 1954-1962 : Un anticolonialiste témoigne, 1979, p. 21
  12. Mahfoud Kaddache, ‘Les tournants de la guerre de libération au niveau des masses populaires’, in La guerre d’Algérie et les algériens 1954-1962, p. 65
  13. Meynier Gilbert, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, op. cit., page 281
  14. Charle Robert Ageron, L’insurrection du 20 aout 1955 dans le constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple, in La guerre d’Algérie et les algériens 1954-1962, p. 39
  15. M’hamed Yousfi, Les otages de la liberté : Quelques aspects des dessous de la guerre d’Algérie (Alger, Éditions Mimouni, 1990), p. 101
  16. « l’insurrection du Constantinois, 20 août 1955, par Claire Mauss-Copeaux ». Voir aussi Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, LDH de Toulon, 5 avril 2007.
  17. Historia, n° 206, décembre 71, page 406
  18. Aimée et souffrante Algérie, pages 119 et 120
  19. Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, éd. Flammarion, avril 2005, pages 47-52 voir en ligne.
  20. discours de Constantine, prononcé par Nicolas Sarkozy, à l'Université Mentouri, le 5 octobre 2007

Voir aussi

Liens externes


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