Camp d'extermination de Belzec

Camp d'extermination de Belzec

50° 22′ 18″ N 23° 27′ 27″ E / 50.3717, 23.4575

Localisation des camps d'extermination nazis.

Le camp d'extermination de Bełżec a été l'un des trois centres de l'extermination des Juifs d'Europe dans le cadre de l'Aktion Reinhardt, avec Sobibor et Treblinka. De mars à décembre 1942, plus de 450 000 personnes y furent gazées.

Sommaire

Contexte

Le 20 juillet 1941, Heinrich Himmler se rend à Lublin et y rencontre le SS-Brigadeführer Odilo Globocnik afin de préparer la transformation du district de Lublin en bastion de la police et de la SS, en en évacuant la population polonaise et juive ; lors de cette réunion, il donne l'ordre à Globocnik de construire une nouveau camp à Maidanek. Selon l'historien Richard Breitman, il est vraisemblable que les deux hommes ont évoqué lors de cet entretien la déportation des Juifs vers un système de camps de concentration et d'extermination[1]. En août, Himmler et Philipp Bouhler envisagent de mettre sous les ordres de Globocnik une partie du personnel spécialisé dans les gazages, inactif depuis l'arrêt de l'Aktion T4, afin de l'affecter au massacre de Juifs[2].

Le 13 octobre, Himmler, Globocnik et son supérieur l'Obergruppenführer-SS Friedrich-Wilhelm Krüger se mettent d'accord[3] sur la création d'un camp d'extermination à Belzec[2]. Avec les deux autres camps d'extermination de l'Action Reinhard, Sobibor et Treblinka, ces centres de mise à mort sont destinés à l'assassinat des quelque 1 500 000 Juifs qui vivent dans le Gouvernement général[4]. Si l'on suit la chronologie établie par Édouard Husson, la décision de créer un camp d'extermination à Belzec précède « l'ordre (ou l'autorisation ou l'indication sans ambiguïté donnée par Hitler que le moment était venu) de passer à un génocide immédiat des Juifs de toute l'Europe », qu'il date de début novembre 1941[5]-[6].

Choix du lieu et construction

Comme Sobibor et Maidanek, Belzec est choisi en raison de son isolement et de la proximité des voies ferrées[7].

Courant octobre 1941, les autorités SS prennent contact avec l'administration communale de Belzec pour que 20 travailleurs polonais réquisitionnés soient mis à leur disposition et choisissent l'emplacement précis pour la construction du camp ; les travaux débutent le 1 er novembre[8]. Belzec sert de prototype pour les camps de Sobibor et Treblinka, tous trois construits selon le même modèle « où l'on peut reconnaître la patte de Christian Wirth ». Mesurant quelques centaines de mètres en longueur et en largeur et comprenant un quai de chemin de fer, le camp est entouré d'une clôture de barbelés entrelacés avec des branches d'arbres de 3 mètres de haut ; les baraquement des SS sont situés à l'entrée du camp, à l'extérieur du périmètre de celui-ci. Le camp proprement dit est divisé en trois secteurs : le camp I où se trouvent les logements et ateliers d'une partie des déportés affectés au Sonderkommando, le camp II, avec des hangars pour l'entreposage des bagages et objets de valeur, des salles de déshabillage et où l'on coupe les cheveux des femmes, et, relié par le « boyau », le camp III qui comporte les chambres à gaz, un autre baraquement pour les membres du Sonderkommando et les fosses communes[9].

Courant novembre ou début décembre, les travaux s'achèvent : 70 prisonniers de guerre soviétiques libérés de captivité pour participer aux activités du camp posent une voie ferrée à écartement étroit et une clôture ; après le renvoi des travailleurs polonais, le site est ceinturé par des miradors en janvier-février 1942[8]. Selon le témoignage de Josef Oberhauser, sur les plans du camp, sont dessinées des installations de gazage[10].

À l'origine, le camp d'extermination est doté de trois chambres à gaz en bois divisé en trois compartiments, pourvus de canalisations au sol et dont les portes d'entrée et de sortie sont munies de joints en caoutchouc[8] ; au cours de l'été 1942, les anciennes installations sont remplacées un bâtiment[11]contenant six chambres à gaz en pierre, ce qui porte la capacité de gazage simultané à 1 500 personnes[12].

Les exécuteurs

Dans la deuxième quinzaine du mois de décembre 1941[9], le commandement du camp est confié à Christian Wirth, qui a pris une part active dans l'assassinat des malades mentaux en Allemagne, puis en Pologne ; Wirth dépend hiérarchiquement à la fois de Viktor Brack, l'adjoint de Philipp Bouhler à la chancellerie du Führer et d'Odilo Globocnik[13]. Lorsque Wirth est nommé inspecteur des trois camps d'extermination de l'Opération Reinhard en août 1942[9], Gottlieb Hering lui succède.

Une trentaine de participants à l'Aktion T4 est affectée aux opérations d'extermination[14]. Le reste du personnel du camp est constitué de prisonniers de guerre ukrainiens libérés, « ayant conquis leurs galons au camp d'entraînement de Trawniki »[15].

Le Sonderkommando

À l'arrivée des convois, les hommes jeunes et vigoureux sont séparés des autres déportés et affectés au Sonderkommando ; certains sont chargés de couper les cheveux des femmes avant leur assassinat, d'autres d'évacuer les cadavres des chambres à gaz, d'arracher les dents en or ou d'enterrer les corps dans des fosses communes. Ils sont assassinés à intervalles réguliers[9].

Après la dissolution du camp, les survivants du Sonderkommando sont conduits, en avril 1943, à Sobibor où il sont gazés[16].

L'extermination

Déportés tziganes devant la clôture du camp de Belzec

Les premiers gazages sont effectués avec du gaz en bouteille, sans doute du monoxyde de carbone, déjà utilisé lors de l'Aktion T4[N 1] ; courant février 1942, Christian Wirth alterne ce procédé avec l'utilisation des gaz d'échappement d'un moteur de char russe T 34. Cette dernière méthode est finalement retenue et est également utilisée à Sobibor et Treblinka[9]. Les gazages à grande échelle débutent le 16 mars 1942 avec les Juifs de Galicie[17] suivis le lendemain le 17 mars 1942, avec l'arrivée de convois provenant du ghetto et du district de Lublin et de Lemberg ; fin mai, 80 000 Juifs ont été exterminés dans les trois chambres à gaz du camp, au rythme de 150 à 200 victimes par chambre à gaz et par séance[9].

Lors de l'arrivée des convois, les personnes âgées, faibles ou malades, sont séparées des autres déportés et immédiatement conduites aux fosses communes du camp III où elles sont abattues. Après un discours rassurant, les hommes, puis dans un second temps, les femmes et les enfants, sont forcés de se déshabiller et de remettre leurs vêtements et objets de valeur à des membres du Sonderkommando ; ils sont ensuite conduits par le « boyau » vers les chambres à gaz[9].

En août 1942, Hans Günther, l'adjoint d'Eichmann et Kurt Gerstein se rendent à Belzec, afin de tester l'utilisation du Zyklon B dont ils disposent d'une centaine de kilos : ils y assistent à un gazage qui dure plus de trois heures, en raison d'un panne du moteur produisant le gaz. « confronté à l'incident le plus compromettant de sa carrière, Wirth abandonna toute fierté et demanda à Gerstein de ne pas proposer un autre type de chambre à gaz à Berlin » ; les boîtes de Zyklon B sont enterrées, sous prétexte que le gaz aurait été abîmé[18].

Les opérations d'extermination s'arrêtent à Belzec fin décembre 1942 ou début janvier 1943, soit avant la visite qu'y effectue Heinrich Himmler, fin février 1943[19].

Le sort des cadavres

Vestiges d'un bûcher de Belzec

Les cadavres sont enterrés dans des fosses communes pouvant contenir plusieurs milliers de corps, dont la vision horrifie Franz Stangl qui se rend à Belzec début avril 1942 avant son affectation à Sobibor[20].

La fin du camp

Le premier commandant du camp, Christian Wirth, a été tué en Italie par des partisans près de Trieste à la fin mai 1944. Son successeur Gottlieb Hering a servi après la guerre pendant une courte période en tant que chef de police criminelle de Heilbronn et est mort en automne 1945 dans un hôpital. Lorenz Hackenholt a survécu à la guerre, mais n'a jamais été retrouvé.

Sept anciens membres des Einsatzgruppen de Belzec ont été accusés à Munich (Allemagne), mais seulement un, Josef Oberhauser, a été déféré aux autorités judiciaires en 1965 et condamné à quatre ans et demi de prison. L'ancien gardien Samuel Kunz, qui devait être jugé en 2011, est décédé le 18 novembre 2010[21],[22].

Bilan

Le télégramme Hoeffle

Selon un télégramme du SS-Sturmbannführer en:Hermann Hoeffle, membre de l'état-major de Globocnik, 434 508 juifs ont été tués à Belzec[23]. L'historien allemand Uwe Dietrich Adam estime le nombre total des victimes à 600 000 personnes[19].

Notes et références

Notes

  1. Raoul Hilberg n'exclut pas l'emploi, lors des premiers gazages, d'acide cyanhydrique, R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1620, hypothèse réfutée par Uwe Dietrich Adam, A 259 note 72

Références

  1. R. Breitman, Himmler, p. 227-229
  2. a et b E. Husson, Heydrich, p. 424
  3. selon Christopher Browning, c'est Globocnik qui soumet à Himmler un projet de construction d'un camp avec des chambres à gaz à Belzec, plan approuvé par Himmler, in les origines de la solution finale, Points/Histoire Seuil p.763
  4. A. J. Mayer, La solution finale, p. 423 et 436
  5. Ian Kershaw, pref., E. Husson, Heydrich, p. 11
  6. Selon Raul Hilberg la décision d'Hitler sur la solution finale date de la fin de l'été, in Raul Hilberg, op.cit. p.345, selon Christopher Browning, Hitler prend la décision en septembre 1941, in Christopher Browning op.cit. p.788
  7. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1613
  8. a, b et c R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1614
  9. a, b, c, d, e, f et g U. D. Adam, Les chambres à gaz, p. 246-247
  10. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1616
  11. U. D. Adam, Les chambres à gaz, p. 248
  12. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1621
  13. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1658-1659
  14. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1660
  15. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1664
  16. U. D. Adam, Les chambres à gaz, p. 250
  17. Christopher Browning les origines de la solution finale, Points/Histoire Seuil 2009 p.887 (ISBN 978-2-7578--0970-9)
  18. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1656
  19. a et b U. D. Adam, Les chambres à gaz, p. 249
  20. Gitta Sereny, Au fond des ténèbres, Paris, 1975, p. 118-119
  21. [1]
  22. Le vieil homme muré en son passé, Le Monde, 6 octobre 2010
  23. R. Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, p. 1654

Annexes

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Bibliographie

  • Uwe Dietrich Adam, « Les chambres à gaz », dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1985, 600 p. (ISBN 2-02-008985-8) 
  • (en) Yitzhak Arad, Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps, Bloomington, Indiana University Press, 1999, 437 p. (ISBN 978-0-253-21305-1) 
  • Richard Breitman, Himmler et la Solution finale. L'architecte du génocide, Paris, Calmann-Lévy, Mémorial de la Shoah, 2009 (éd. or. (en) 1991), 410 p. (ISBN 978-2-7021-4020-8) 
  • Saul Friedländer, Les Années d'extermination. L’Allemagne nazie et les Juifs. 1939-1945, Paris, Seuil, 2008, 1028 p. (ISBN 978-2-02-020282-4) 
  • Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2006, 2400 p. (ISBN 2-07-030985-1) 
  • Édouard Husson, Heydrich et la Solution finale, Paris, Perrin, 2008, 484 p. (ISBN 978-2-262-01784-2) 
  • Eugen Kogon, Hermann Langbein, Adalbert Ruckerl, Les chambres à gaz, secret État, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1984, 300 p. (ISBN 2-773-0691-6) 
  • Arno J. Mayer, La « solution finale » dans l'histoire, Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2002, 566 p. (ISBN 2-7071-3680-8) 
  • Annette Wieviorka, Eichmann. De la traque au pocès, Paris, André Versaille éditeur, 2011, 287 p. (ISBN 978-2-87495-139-8) 

Filmographie

Documentaire : Guillaume Moscovitz, "Belzec", VLR Production, 2005.

Articles connexes

Liens externes


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