Tranchee

Tranchee

Tranchée

Deux cadavres de soldats allemands gisant dans une tranchée, peints par William Orpen en 1917

Les tranchées sont à la fois des lignes de défense[1] et des chemins de bataille et de protection creusés dans le sol, parfois fortifiés et souvent consolidés par des palissades ou clayonnages de bois, dans le but de protéger les mouvements de soldats contre les attaques ennemies. Elles n'ont jamais été autant utilisées que lors de la Première Guerre mondiale, mais elles ne datent pas de cette époque.

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessous, et à cause de la boue, des rats, des poux, des mouches, des excréments, de la proximité des cadavres ou des amis et ennemis qui agonisaient parfois durant des jours à quelques mètres des tranchées, air vicié des abris ou pollué par les gaz chimiques, la fumée et les vapeurs émises par les armes et munitions, les incendies.. la (sur)vie dans les tranchées de 1914-1918 a été particulièrement difficile, étant en partie à l'origine de nombreuses séquelles psychologiques et sanitaires pour les soldats de la « Grande Guerre ». De très nombreux écrits et carnets de guerre en témoignent

Depuis la période moderne (XVIIe ‑ XVIIIe siècles), des tranchées ont été creusées pour le siège des places-fortes et des villes. La poliorcétique est alors savamment organisée : les tranchées sont construites selon trois séries de parallèles avant de prendre la place. Cette approche est notamment codifiée par Sébastien Le Prestre de Vauban.

Sommaire

Avant 1914

Au XIXe siècle et au début du XXe, plusieurs conflits se distinguent par l'emploi des tranchées :

Durant la Première Guerre mondiale

Vue aérienne des réseaux de tranchées d'Hulluch et Loos-en-Gohelle. Les tranchées allemandes sont sur la droite, plus larges et profondes, les tranchées allées sont à gauche
La « tranchée-type » de la Première Guerre mondiale
Une tranchée, Bataille de la Somme, 1916

En 1914, l'armée d'invasion allemande se heurte à une résistance supérieure à ses attentes, mais elle est trop puissante et préparée pour que les alliés puissent la faire reculer. Les armées rivales (franco-britannique d'une part et allemande d'autre part) se figent donc dans une guerre de positions en Europe de l'ouest. L'emploi des tranchées prend une nouvelle ampleur avec un front presque totalement continu qui s'étend sur 750 kilomètres de la Mer du Nord aux Vosges[2]. Les conditions de vie dans ces tranchées sont épouvantables, bien que les tranchées allemandes soient les mieux aménagées[2].

Les tranchées sont d'abord destinées à protéger les soldats des tirs horizontaux et de la vision de l'ennemi. Un système typique de tranchée était à l'époque triple :

  1. Une tranchée de première ligne était creusée en zig zag, ou en ligne droite entrecoupée de redents et ou de créneaux pour éviter les tirs en enfilade.
    Elle a 3 fonctions principales : on y fait feu contre l'ennemi, c'est le tremplin pour les attaque de fantassins, et en cas d'attaque c'est la première ligne de défense pour repousser l'assaut ennemi. On y trouve donc de nombreux postes de tir et de guet, des nids de mitrailleuse et quelques abris (souvent très sommaires car c'est la plus exposée et les soldats y étaient (théoriquement) régulièrement relevés).
  2. Un peu plus en arrière (70 à 100 m derrière la première ligne), une tranchée de seconde ligne sert de repli et d'appui ou de base pour une contre-attaque. On y trouve des abris, parfois profonds (dits « muches » chez les français picards), des postes de guet et de soins sommaires.
  3. Encore plus en arrière (de 150 m à parfois 2 km de la première ligne, une troisième ligne (tranchée de réserve) était en théorie plus sûre, servant de chemin de ravitaillement, ou le cas échéant de chemin de retraite. Cette zone était néanmoins souvent exposés à l'artillerie ennemie à longue portée. Fréquemment, il ne s'agissait pas d'une vraie tranchée mais d'une zone de stockage de vivres, matériels et munitions, plus ou moins protégée ou fortifiée, où les soldats pouvaient aussi prendre un peu de repos.

Chaque ligne était reliée aux autres par des boyaux également creusés dans le sol, parfois aménagés en chicane pour être mieux défendus.

La vie dans les tranchées alliées et allemandes : La première ligne est battue par le feu des mitrailleuses et des tireurs de l'autre camp. Le danger de mort ou blessure est permanent, même en période de calme quand l’activité du front est faible, Une balle survient ou une mine explose n’importe quand ; lors d’une patrouille, d'un repos, d’une corvée, d’une relève ou d’un bombardement d’artillerie. Les tranchées portaient souvent des noms ou des numéros, et malgré une signalétique sommaire, les soldats eux-mêmes se perdaient parfois dans le labyrinthe de certains réseaux sans cesse bouleversés par les tirs ennemis, certains se retrouvant même involontairement dans une tranchée adverse, par exemple lors de déplacements nocturnes. Avant et pendant les attaques, ou de manière aléatoire, les obus pleuvent de jour comme de nuit sur les tranchées : Rien que pour l'année 1918 et rien qu'en France, environ 250 millions d'obus auraient été tirés sur le front[3]. Les soldats ne sont en sécurité qu’à une dizaine de kilomètres derrière les lignes, hors de portée de l’artillerie lourde.
Les témoignages d'époques, comme l'observation des photographies d'archives laissent penser que les tranchées allemandes étaient plus complexes, plus profondes, plus sophistiqués, incluant des réservoirs d'eau, l'électricité, des cuisines et parfois des aménagements de confort (tapis, miroirs, photos sur les murs), et ces réseaux pourraient parfois atteindre dix tranchées sur la largeur de la partie allemande[4] [5] [2].

Linéaire, et superficie couverte par les aménagements de tranchées : Elle était considérable : cette triple ligne de défense s'étendait sur plus de 700 kilomètres de front (740 km ou 460 miles en ligne droite, de la mer du Nord aux abords de la Suisse). Les Français et les Britanniques ont conçu des systèmes de tranchées de 1200 m de large (non-compris les zones couvertes d'enchevêtrements de barbelés et pièges divers, parfois sur plusieurs centaines de mètres, et non-compris les 200 à 300 m de no man's land séparant les belligérants. En raison des conditions de terrain, ce no man's land ne faisait en Flandre généralement qu'environ 150 m de large en moyenne).
Hormis dans les Vosges, le terrain couvert par les tranchées des deux camps l'était donc généralement sur une largeur de 2 à 3 km.
Si l'on additionne les différents linéaires de tranchées, comme si on les mettait bout-à-bout, la longueur totale obtenue correspond à 80467 km (50 000 miles), soit plus de deux fois le tour de la Terre à l'équateur.

Sauf exception, durant 3 ans, le front s'est peu déplacé, au gré des attaques et des replis successif, dans un système de tranchées et parfois d'entonnoirs aménagés beaucoup plus large, les lignes de chaque adversaire pouvant s'étendre sur 10 à 20 km.

Volume de terre déplacée : Si l'on retient une valeur moyenne de 12 km de large (8 miles) pour la ligne de front et les aménagements des deux belligérants, une estimation[6] a conclu qu'environ deux cent soixante-cinq millions de mètres cubes de terre, sable et pierres déplacés et/ou terrassées lors du creusement des tranchées en France.

Évolutions : Rapidement les belligérants des deux blocs ont utilisé l'avion et des munitions de type shrapnell, alors que les artilleurs amélioraient leurs instruments ballistiques et bénéficiaient de canons plus rapides et précis, ce qui a rendu la tranchée moins sûre. On y a donc construit des abris plus solides et diverses protections de type galerie couverte. Elles sont en outre protégées de l'ennemi par de denses réseaux de barbelés et d'autres obstacles ou pièges. Pour ces raisons, la largeur de la « ligne » de front tendait à s'élargir au fur et à mesure que la guerre progressait[7].

La protection qu'offraient les tranchées est devenue encore plus relative avec les « progrès » techniques des armes et moyens d'observation :

  • modifications apportées sur les armes blanches (barbelures, lestage, ...) ainsi que sur les munitions (taillage de la balle en croix, ...), afin d'apporter plus d'efficacité en espace réduit (où les mouvements amples et le rechargement étaient difficiles).
  • invention et l'utilisation conjointe des ballons et avions d'observation,
  • utilisation massive d'obus shrapnel dotés d'un système individuel de minuterie, programmable par l'artilleur de manière à ce que l'obus explose au-dessus de la tranchée en y dispersant de 300 sous-munitions (balles de plomb durcies à l'antimoine) propulsées par une charge interne de mélinite, avec les éclats vulnérants de la coque de l'obus lui-même.
  • utilisation de bombes aéroportées,
  • armes chimiques (produites industriellement et utilisées à grande échelle),
  • invention du fusil lance-grenade ou encore du lance-flamme
  • ...puis - dès 1917, lors de la Bataille de Cambrai - utilisation en masse de chars d'assaut.

Par ailleurs, des compagnies de sapeurs ont dès le début de cette guerre de tranchée perfectionné l'art de creuser des galeries sous les positions ennemies pour y poser des explosifs directement sous les tranchées adverses. C'est l'origine des énormes cratères (parfois surnommées « marmites »), dont certaines peuvent encore être observées dans l'ancienne Zone rouge.

Le no man's land

Littéralement « Le lieu où il y a aucun homme », le no man's land est l'espace qui sépare deux tranchées ennemies. Il est large d'environ 50 à 200 m. C'est la zone où se font les attaques, où de très nombreux soldats mourraient, parfois après une longue agonie. Il était donc constamment surveillé par des observateurs parfois équipés de périscopes. En Flandre, sur terrain argileux les tranchées ennemies étaient parfois très proches l'une de l'autre, au point que les soldats pouvaient se parler (ce qui a été l'occasion de quelques rapprochements non belliqueux, notamment évoqués dans le film « Joyeux Noël »).

Le double réseau de tranchées du front ouest : équivalent d'une mégapole enterrée ?

Quelques auteurs ont cherchés des comparaisons ou métaphores appropriées pour donner une idée de l'importance quantitative des impacts et pressions environnementales du front-ouest, et du caractère nouveau de ces impacts.

Cowley a par exemple comparé le réseau enterré des tranchées, bunkers et caches à une immense métropole… dont l'activité tout entière aurait été vouée ... « à la destruction ». De 1914 à 1918 c'est en effet l'équivalent de la plus grande ville du monde qui a vécu dans les tranchées et juste en arrière du front. En Juillet 1916 la population active sur le front-ouest (allemands + alliés) était d'environ six millions cent mille personnes. A titre d'exemple, la seule population anglaise combattant en Flandre belge et en France était (en nombre d'habitant) l'équivalent de toute la population londonnienne de l'époque.

Si comme Cowley, on compare ce front à une grande ville habitée, on peut y voir une structure et une géographie et sociologique (de classe) reproduisant ici la hiérarchie militaire, qui modulait le confort et l'exposition de chacun selon son grade ; les quartiers généraux étaient les mieux protégés (plus à l'arrière) des balles, obus mais aussi du froid, de la faim, des poux, etc. Les responsables et gestionnaires de l'intendance et de la logistique (matériel, nourriture) étant dans une situation intermédiaire (MR Mulford les assimile aux administratifs et aux bureaucrates urbains) alors que les fantassins souvent issus du milieu agricole (les ouvriers étant nécessaires dans les usines) étaient au front "logés" dans l'équivalent de taudis et exposés aux plus grands risques avec les moindres récompenses et les plus petites soldes.

Cette équivalent-militaire d'une mégapole semi-enterrée disposait d'une administration et de modes de communication efficaces, mais manquait cependant de réseaux d'assainissement et de gestion des déchets nécessaires à toute ville de cette taille. Elle n'a pas connu la pollution d'origine automobile de nos villes, mais les soldats étaient fortement exposés à de nombreux toxiques, poussières, gaz et autres fumées, sans même évoquer les pathogèness qui se développaient sur la nourriture avariée, les cadavres et à partir des excréments.
Une autre différence avec la vraie ville, c'est qu'ici la "population" des premières lignes devait régulièrement être renouvelée, reposée ou remplacée, mais si les soldats changeaient, les tranchées où l'on ne vivait pas mieux et plus dangereusement que dans un bidonville, elles, restaient.

Cette mégapole "en tranchées" a développé certaines des caractéristiques propres aux villes linéaires qu'on trouve par exemple le long des cours d'eau ou de certaines routes ou dans des vallées encaissées, si ce n'est que c'est le contexte militaire du front qui en décidait la taille et la configuration, et non la nature du sol et peu celle du relief. Il ne s'agissait pas d'une ville agréable ; ceux qui y ont vécu (jusqu'à 4 ans durant) l'ont tous décrit comme un enfer sur terre, de nuit comme de jour : un environnement "lunaire", torturé et dégradé à l'extrême. Les chroniqueurs des tranchées les ont décrites comme recouverte d'un brouillard perpétuel, brun-gris (acre et verdâtre après les attaques chimiques au chlore). Localement toute forme de vie végétale et animale (hormis mouches, rats et poux) semblait avoir disparu. Ce brouillard peut être rétrospectivement interprété comme un indice de pollution permanente de l'air, mais les sols l'étaient aussi, par les munitions chimiques notamment. Là où le chlore (plus lourd que l'air) oxydait de la matière organique avant d'être exposé au feu ou à de hautes températures, il était inévitablement source de dioxines, furanes et PCB toxiques (Idem pour l'ypérite et d'autres gaz à base de chlore). Les tranchées fortement exposées aux gaz pouvaient être "inhabitables" jusqu'à 1 mois après leur exposition aux gaz sans mesure de protection. Le gaz moutarde est connu pour laisser des composés persistants qui contaminent la terre jusqu'à plusieurs semaines durant, voire des organochlorés stables pour des dizaines d'années s'il y a combustion de la matière contaminée, alors que le chlore pur se dilue plus rapidement dans l'environnement. Une certaine "persistante" des agents est une caractéristique qui a été recherchée par les chimistes œuvrant pour les militaires.

Les cadavres

Le nombre des morts est difficile à appréhender tant il dépasse nos références. Rien qu'à Verdun, un million d'hommes sont morts ou portés disparus. 700 000 combattants environ n'ont pas été retrouvés, soit qu'ils aient littéralement été désintégrés dans les explosions, soit qu'ils aient été enfouis par les retombées de terres soulevées par les explosions. Le front était également jonché de dizaines de milliers de cadavres d'animaux (chevaux, mulets, baudets, vaches..). Dans les tranchées et le no-man's-land qui les séparait, 8000 soldats en moyenne tombaient chaque jour et leurs corps venaient s'ajouter à ceux des jours et semaines précédents, qu'on ne pouvait enterrer immédiatement, quand on les retrouvait.
Les déplacements des soldats, la continuité et linérarité du front et les conditions sanitaires déplorables des tranchées ont favorisé les épidémies (les médecins avaient à soigner 3 malades pour 2 blessés en moyenne[8]). Les tranchées ont peut-être contribué à l'expansion de la pandémie de grippe espagnole ; la plus virulente et mortelle que l'humanité ait historiquement connu).

Séquelles

Séquelles physiques : Au vu des chiffres précédemment cités, Martin R. Mulford[9] a conclu qu'environ trois mille sept cent soixante miles carrés (soit plus de 6050 km2) ont été directement affectés, rien que par le creusement des tranchées et leurs installations annexes sur la ligne du front Ouest ; A titre de comparaison, c'est à peu près l'équivalent de la surface totale du département du Pas-de-Calais. Onze départements français et le sud-ouest de la Belgique ont été bouleversés et fortement pollués par les combats. L'ampleur du bouleversement pédologique et de la végétation, l'ampleur de l'introduction de composés toxiques dans l'eau, l'air et les sols, la violence et le caractère incessant des opérations de combat, et l'ampleur des pertes de vie pour nombre d'espèces, ne semblent pouvoir être rapporté qu'aux dégâts physiques induits par la bombe atomique (sans comparaison "qualitative" directe possible : les superficies rasées à Hiroshima et Nagazaki étaient bien moindres, mais l'avaient été en quelques instants, avec vitrification et irradiation).

Séquelles environnementales : Après la guerre, de nombreuses tranchées et casemates attenantes ont été trop rapidement comblées ou mal nettoyées, et parfois en y enfouissant des déchets dangereux (munitions non explosées), armes chimiques, terres polluées, ou en laissant des cavités qui provoquent encore, des décennies après, des effondrements (dont lors de la construction du TGV Nord) et restant des sources graves de risques humains et environnementaux. Dans les champs, 90 ans après, on en voit encore les traces de certaines tranchées, notamment vue d'avion, malgré plus de 80 ans de labour annuel.

Guerre Iran-Irak

La guerre Iran-Irak (1980-1988) présentait des similitudes avec la guerre de 1914-1918 : des deux côtés, il y avait une infanterie nombreuse équipée d'armes individuelles modernes, mais très peu d'aviation et d'entraînement aux opérations combinant plusieurs armes, et relativement peu de blindés. Les tactiques utilisées incluaient largement celles de la Première Guerre mondiale : des tranchées munies de fil de fer barbelé et séparées par des no man's land, les charges à la baïonnette et les armes chimiques comme le gaz moutarde.

Galerie d'images

Références

  1. Pierre Miquel, La Grande Guerre, Fayard, 1983, p.186-224.
  2. a , b  et c Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, op. cit., p.30.
  3. Jean Ruhlmann, Histoire de l'Europe au XXe siècle, Bruxelles, p.320.
  4. Cowley, Robert. « The Unreal City ». MHQ: The Quarterly Journal of Military History. 6, #2, 1994: 12-16
  5. Mottram, RH Journey to the Western Front: Twenty Years After. London: G. Bell & Son, Ltd., 1936: 4
  6. Mottram, RH Journey to the Western Front: Twenty Years After. London: G. Bell & Son, Ltd., 1936: 4.
  7. Cheyne, GY The Last Great Battle of the Somme; Beaumont Hamel, 1916. Edinburgh: John Donald Publishers, Ltd., 1988: 32, 35
  8. Webster, Donovan. Aftermath: The Remnants of War. NY: Pantheon Books, 1996: 25.
  9. page de M R Mulford sur les séquelles environnementales de la 1ère guerre mondiale

Voir aussi

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