Problematologie

Problematologie

Problématologie

La problématologie – ou théorie du questionnement – a vu le jour il y a plus de 26 ans sous la plume de Michel Meyer. Cette théorie questionne les mécanismes fondamentaux de la pensée.

Sommaire

Présentation

La problématologie est une théorie philosophique prenant comme prémisse le concept du refoulement problématologique, inspiré du refoulement de Freud, mais appliqué au questionnement.

Un refoulement problématologique faible consiste ainsi en un refoulement faible des questions. Une période de refoulement problématologique faible est donc une période ou l'on se questionne davantage : par exemple le temps de Socrate, Platon, Aristote, Kant, Heidegger, Wittgenstein, ou plus généralement la Renaissance et les Lumières.

À l'inverse, un refoulement problématologique fort est caractérisé par un plus grand refus des questions ; les identités y sont fortes. Les mathématiques en sont un exemple : A est égal à A, A ne peut être non-A, Pi = 3,141592654, sont des identités fortes. Elles contrastent alors avec celles du refoulement problématologique faible, dans lequel les identités sont faibles : A peut être A, mais aussi B. Dans ce cas, il y a confusion : « J'ai un tigre dans mon moteur ». S'il y a confusion des sens, cet excès de littéralité conduit à l’humour, au rire (voir Le Rire de Bergson), à la comédie au théâtre. À l’inverse, un excès de métaphoricité conduit à la tragédie au théâtre.

On peut contrer le refoulement problématologique, si l'on veut favoriser le questionnement. On peut dans ce but faire appel à un refoulement apocritique (apocrisis : la réponse), consistant à refuser les réponses, permettant ainsi de compenser le rejet des questions.

Pourquoi théoriser le questionnement ?

Le travail de recherche de Michel Meyer a pour but essentiel de montrer que les réponses de la philosophie ancienne sont épuisées. Et l’homme ordinaire d’aujourd’hui n’aime pas le problématique, il cherche et veut des certitudes. Or, dans le monde actuel, il est nécessaire d’apprendre à cultiver et à gérer les incertitudes. Théoriser le questionnement revient à penser le fondamental, ce qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais été questionné : le questionnement même. Dès lors, dans la question de ce qui est fondamental, quoi de plus naturel que de s’interroger sur le point de départ. Cette question est la première de toutes. Si l’on pose la question de l’origine de l’univers - du monde comme des choses - la réponse que l’on va amener renvoie inévitablement à sa question, la question de ce qui est premier : c’est l’effectivité du questionnement.

Enfin, l’être est une question qui nous interpelle. L’homme qui se pose des questions c’est celui qui ne va pas se limiter aux conversations de café en avalant les réponses sans les soumettre à interrogation. Penser, c’est questionner. Penser, c’est se questionner (question du soi). Penser, c’est partager et demander à l’autre (la question d’autrui). Penser, c’est s’émerveiller, assimiler et s’accommoder des interrogations du monde et des choses (c’est la question du monde). Soi, monde et autrui, les trois grandes questions de la philosophie que Michel Meyer tente de raviver dans les esprits – esprits trop avares de quotidien, conversations de marché et faits divers – afin de cerner au mieux les enjeux essentiels de la philosophie.

La réalité est une thématique où il faut s’arrêter pour l’interroger. « Une fois que la réponse est trouvée, que la question ne se pose plus et qu’on ne doit donc plus évaluer ce qui peut ou doit y répondre parce que ce répondre a déjà eu lieu, on a le concept de réalité » . Car pour Michel Meyer – comme pour nous – la réalité est ce qui pose problème et l’on y répond en l’interrogant. Si la réalité est égale à X, il ne nous est pas possible de pouvoir l’appréhender totalement en tant que X. Pourquoi ? Le réel est voilé et ce voile translucide laisse apparaître une certaine idée du réel mais non le réel lui-même. Imaginons que la réalité soit égale à un X. X est ce à quoi je suis en train de penser. Il est, pour vous, indéterminé. Devinez. Au départ, mon X est indéterminé, et, à côté de ce X indéterminé s’additionne le champ des surdéterminations, c’est-à-dire l’ensemble des réponses possibles à ce qu’est mon X en tant qu’il est indéterminé. Une catégorie ou un interrogatif peuvent réduire le champ des surdéterminations, auquel cas X est un peu moins indéterminé tout en l’étant encore malgré tout. Attribuons une catégorie à X, par exemple : courageux. En qualifiant mon X indéterminé de courageux, nous réduisons le champ des surdéterminations en déterminant l’objet même de notre interrogation davantage. Car si X est courageux, il ne peux pas ne pas l’être et nous justifions le principe de non-contradiction. De même, il est possible que X soit un homme (disons « être humain ») ou un non-homme, reste à vérifier. Ce sont des « questions rhétoriques ». En affirmant un nombre déterminé de déterminations nous parviendrons à identifier X. Au fond, n’est-ce pas là le mythe de la caverne ? – le passage le plus connu (ou le plus professé) de tous les philosophes et professeurs de morale - de « la république » de Platon. Ou, n’est-il pas plutôt cet adage sacré des phénoménologues ; pire encore, n’est-ce pas ce fameux dilemme Kantien ? Bref, une réponse qui reste problématique car on ne sait toujours pas combien d’erreurs peuvent être présentent entre l’objet en tant que tel et l’objet tel qu’on le voit, tel qu’on voudrait le voir et tel qu’on croit le voir… Partons de l’hypothèse que la réalité est le présent et rien que le présent. La conscience, dit Bergson, est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. Nous voilà dans l’inutile car effectivement on ne peut vivre qu’au présent (Comte-Sponville). Si la réalité est présente – elle ne peut donc être absente -, il reste alors à attribuer toutes les propriétés et principes pour le déterminer un peu plus. La réalité est l’a priori du questionnement. Mais de quel a priori s’agit-il ? Elle est l’ a priori de tout questionnement qui n’est pas son propre « objet » : on sait qu’il faut chercher les réponses en dehors de l’interrogation même et on le sait avant même que l’on connaisse les réponses exactes.

Questionner le réel, c’est questionner ce qui fait problème, un ce qui qui exprime l’effectif dans l’effectivité, lequel seul compte pour elle. La réalité est à la fois problématologique et apocritique. Apocritique, car elle s’impose en réponse aux questions qu’elle résout. Elle est problématologique car elle est issue du questionnement. La réalité se définit par ce dont il est question dans les réponses, question refoulée par elle.

2. Problématologie, langage et littérature

La théorie du langage de Michel MEYER vise à articuler ses différentes dimensions - pragmatique, herméneutique et rhétorique entre autres – sur l’idée de questionnement. Si l’on parle, c’est que l’on a une question en tête ou un problème qui nous agite l’esprit. Comme le dit B. Timmermans sur Michel MEYER: « On essaie de la communiquer si on attend de l’autre qu’il vous aide à la résoudre, ou bien alors on lui propose directement une réponse ». A départ de cela, Michel MEYER peut rendre compte aussi bien de l'argumentation rationnelle que de la théorie de la littérature, dont nous parlerons ci-après, qui met aussi en œuvre l’énigmaticité et en appel au lecteur pour répondre à la sollicitation du sens.

Pour Michel MEYER, la rhétorique est une négociation de la distance entre les individus sur une question donnée. Cette négociation est également valable en littérature, elle est implicite avec le lecteur. Il y a toujours quelqu’un qui parle et un auteur implicite, le narrateur. La rhétorique littéraire s’apparente à des figures de langage. Toutefois, elle peut tenir compte des arguments. Pour MEYER : « Un mauvais roman est un roman trop argumenté ». La rhétorique littéraire conserve comme réponse ce qui ne l’est déjà plus. D’ailleurs, Nietzsche estimait que le sens littéral était un sens que nous créions nous même.

Y a-t-il un lien entre la rhétorique et l’argumentation ? Oui et non. C’est à la fois identique et différent. En effet, un lien identique car il est toujours question d’un orateur (Ethos) face à un auditoire (Pathos) – on pourrait aussi considérer que ce sont les passions ; quant au « Logos », c’est la question même du discours, celui dont on est en train de parler et dont on développe une nouvelle conception – et, parfois, dans un discours argumenté, le côté passionnel est mis en avant. Le Logos doit pouvoir exprimer les questions et les réponses en préservant les différences . Un lien différent, car l’argument se détache des interlocuteurs, on peut avoir de bon arguments et n’avoir aucune rhétorique. L’argumentation, c’est le niveau du discours, c’est la recherche de la vérité, la raison ; dans l’argumentation nous avons une question qui divise l’auditoire. Dans la rhétorique, les arguments sont là mais en dessous de la table, et l’on joue sur le registre des émotions. De ce fait, la rhétorique pourrait être définie comme une négociation de la distance sur une question donnée soit sur base d’un style élégant et beau, soit par des arguments solides.

La rhétorique prend toutes nos valeurs, nos réponses et un débat se noue déjà au moment où nous proposons comme réponse quelque chose que nous croyons intangible.

Ethos (Soi), Pathos (Autrui), Logos (le Monde =les choses), sont, en définitif, les trois grandes questions de la philosophie, celles qui animent les hommes depuis toujours et qui alimentent ses soucis et ses préoccupations les plus fondamentales depuis toujours .

Soi, monde et autrui sont ainsi les points d’ancrage de la réflexion philosophique de puis toujours, et le lecteur contemporain, s’il est sincère avec lui-même, trouvera en ces trois grands problèmes, ceux qui sous-tend les siens encore à l’heure actuelle .

La Rhétorique n’est pas seulement un « art de bien parler ». Qu’est-ce qu’une rhétorique noire ou Blanche ? Qu’est-ce qu’un lieu commun ou un lieu propre ? Michel Meyer nous dresse ici le portrait idéal de ce qu’est la rhétorique conçue problématologiquement.

Hitler, sous couvert d’un empire rhétorique voir d’une mise à nu de la rhétorique (pour reprendre un titre avancé par Michel MEYER dans « questions de rhétorique »), d’un savoir-faire monstre, d’une aptitude extraordinaire à parler, à réussi à convaincre « démocratiquement » des millions de personnes.

La différence entre la rhétorique et l’argumentation tient au fait que la première aborde la question par le biais de la réponse, la présentant comme disparue, donc résolue, tandis que l’argumentation part de la question même, qu’elle explicite pour arriver à ce qui résout la différence, le différend, entre les individus .

Nous ne pouvons faire l’impasse sur la problématologie et le langage. Les êtres humains agissent par rapport aux problèmes qui se posent à eux, il s’efforcent de les résoudre et de les traiter. Communiquer avec d’autres, ne fait pas exception à cette règle, mais c’est si naturel pour nous, si peu problématique pour la plupart d’entre nous, que nous nous rendons à peine compte du problème . Le langage est aussi problem-solving, activité de résolution de problème. Le langage nous permet de communiquer ce que nous pensons, de dialoguer et d’obtenir satisfaction en réponse de nos questions. « Les hommes n’aiment pas le problématique, ils veulent des certitudes  ».

Par exemple, les deux lois du préjugés – exposées dans « langage littérature » - (ils ne sont jamais questionnés ; ils répondent – et voici encore une preuve que l’homme aime les réponses et les certitudes – à toutes les questions) permettent de contrecarrer et ainsi comprendre les supercheries de l’extrême droite, mais aussi, si l’on prend, les principes de contradiction, de raison et de tiers-exclu, on constate facilement que la phrase de Le PEN est problématique si l’on prend sa négation, c’est à dire : les non-français.

Le langage est un moyen d’exprimer la différence entre les questions et les réponses. Parfois, quelques réponses se meublent dans des questions ou l’inverse. Exemples : « N’est-il pas malhonnête ? », est une question qui est en même temps réponse. On pourrait dire qu’elle a un statut de réponse-problème, car, elle affirme une question tout en donnant une réponse: elle incite le lecteur à répondre dans le sens du locuteur. Prenons un autre exemple : « Je vous demande ce qu’il se passe avec les enfants de nos jours », cette phrase sous-tend le point de vue du locuteur et sollicite le point de vue de l’interlocuteur.

La problématologie ne se résume pas en une théorie brute qui n’aurait pas d’autres objectifs que des spéculations sur un monde meilleur. Pourquoi ? Parce que questionner le questionnement revient également à interroger les facettes multiples des disciplines qui sont communes entre tous les hommes. Or, l’interrogation de départ, à savoir, la question de ce qui est premier, est posée. La réponse de Michel Meyer est bel et bien le questionnement lui-même non en tant qu’il est répondre mais en tant qu’il y a effectivement question.

Le langage et la littéralité sont également fortement présents dans le théâtre. L’insolence et le théâtre sont les lieux mêmes de l’incarnation de la différence. Cependant qu’en est-il exactement ? Le vieux roi Lear par sa différence, par la passion dont il est incarné, est ramené devant les faits par son propre bouffon, faits qu’il n’interroge pas bien évidemment. Pourquoi vouloir d’un bouffon alors que ce roi, par son accumulation de bêtises et d’actes irréfléchis, devient lui même son propre bouffon. L’insolence pointe du doigt les personnes qui incarnent la différence. Dans un monde comme le nôtre, les comiques (les guignols de l’info ?) – ceux qui nous font rire par les vérités qu’ils professent et que seuls eux peuvent dévoilés – sont la matérialisation de la différence car ils sont illégitimes, le groupe (nous ?) leur a donné une légitimité qui les rend illégitimes. On ne tient donc pas pour vrai ce qu’ils proclament. Or, l’ordre est-il autre que cela ? Je est-il si « différent » que cela ? De même, par « De l’insolence », Michel MEYER nous ramène au seuil de notre liberté constituée. Je suis bel et bien libre de partir de mon travail pour aller à la mer, ma liberté constituante me l’autorise, seulement, les conséquences de mon acte vont me ramener à ma liberté constituée, c’est-à-dire celle qui est effectivement. Est-ce la loi ? Le comique, au sens de l’individu humoriste qui plaque les vérités, ne fait pas d’infraction à la constituée car il est légitimé par le peuple. Or, Michel MEYER nous expose dans « petite métaphysique de la différence » les problèmes liés au corps. La question est sans conteste métaphysique. Le corps est le lieu des problèmes, il est l’autre en nous que nous sommes et que nous ne voulons pas être. Mon autre à moi c’est mon corps, corps que je refoule car je ne l’aime pas. L’autre, c’est le corps ; le corps, c’est l’autre ; La mort, c’est l’autre ; la mort, c’est notre corps.

De plus, rien ne nous empêche d’élever le niveau du débat (Roland Crahay) en confrontant les valeurs de chacun. Aussi, je ne trancherais pas la question, je voudrais simplement citer : « Les hommes sont différents, les peuples sont différents et on ne peut faire l’impasse sur le droit à la différence. La seule façon d’y répondre n’est pas de la nier, mais de la rendre compatible avec l’égalité de tous les hommes en tant que personnes libres » (MEYER, 2000, dernières phrases de « petite métaphysique de la différence »). Tout au long de ses ouvrages, il tente de nous apporter quelques réponses que l’ont peut nommer aisément : réponses problématologiques.

Shakespeare fait vivre la différence non seulement au cœur du « Roi lear » mais également au sein nombreuses autres pièces. Le jaloux ne rend-t-il pas son existence différente par les problèmes qu’il va ou peut se créer comme Othello l’a fait ? Les Capulet ou les Montaigu symbolisent les différences d’origine familiales. Les sorcières auxquelles Macbeth doit comprendre les propos métaphoriques accréditent de nouveau cette mise en place de la différence. De nos jours, dans différentes villes du Congo des enfants sont catalogués de sorciers car, par les maladies qu’ils contractent, ils sont étiquetés de « différents ». Il est maintenant facile de voir que le corps, la différence, les excès de littéralité ou de métaphoricité ne sont pas seulement des discours philosophiques, où seuls quelques intellectuels peuvent s’y perdre.

Penser le théâtre revient à poser les faits présentés en questions. Ce qui nous est donné, présenté et joué est une forme de réponse apocritique que l’auteur va progressivement, grâce également à un tact et une lucidité hors du commun, modifier en réponse problématologique sous couvert de l’énigmaticité présente au sein de l’Histoire mais aussi des histoires. L’écrivain Eric Emmanuel Schmitt ne me contredirait pas, je pense. Bref, voilà encore une petite démonstration qui prouve que la mécanique problématologique est au cœur de la vie quotidienne. Pour l’enseignant que je suis, « penser le théâtre » devrait figurer comme compétence au programme du cours de français dans le secondaire. Pourquoi ? Simplement parce que les enseignants ont la manie d’enfermer les élèves dans diverses traditions de lectures fortement limitées. Molière est – même si certains vont venir me dire que les temps ont changé, ce que bien sûr je ne réfute pas vu le refoulement problématologique faible qui sévit en ces temps – est l’auteur qu’on lit dans les classes le plus souvent, surtout « l’école des femmes » et « les femmes savantes ».

Henriette (des femmes savantes !) : Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir, Il nous est bien aisé de nous en éclaircir. Je l’aperçois qui vient, et sur cette matière Il pourra nous donner une pleine lumière.

Ce texte n’est-il pas un peu dur pour des rhétoriciens et ce, bien qu’il s’agit là des textes favoris des philologues romanistes ? La tâche que Michel MEYER s’est imposée par ces lignes est bien plus conséquente que ma vitupération passagère. Au cœur du « comique et du tragique », l’histoire du théâtre s’échelonne des courants présocratiques à aujourd’hui. La mentalité évolue, les formes de mise en scène aussi. L’auteur met clairement en avant ce bouleversement théâtrale de la renaissance, les différents auteurs, mais aussi et surtout l’impact d’une pièce sur l’époque dans laquelle elle est plongée. L’auteur nous plonge ainsi dans l’historicité du théâtre, philosophie de fonctionnement qui est largement plus riche et créatrice de sens que n’importe quelle lecture limitée à un auteur ou un ouvrage (pour ne pas citer « les femmes savantes » de Molière).

Ainsi, par la différence explicitée, le dévoilement de la différence comme moteur du théâtre, nous avons déjà une vision plus étendue de l’œuvre de Michel Meyer, qui, au risque de me répéter, n’a rien d’une philosophie quotidienne et banale qui ne fait que ressasser ce qu’on a déjà dit depuis des milliers d’années.

3. Le Logos comme nouvelle vision de la pensée

De nombreuses recherches ont été menées afin d’esquisser une histoire de la philosophie. De nombreuses philosophies s’y sont essayées, mais peut-on vraiment la cerner ? Pour les philosophes antiques, la réponse à la question de ce qui est premier était une « réponse en soi ». Prenons par exemple Hésiode qui voit en la théogonie un des points de départ de la constitution du monde. Très vite, s’y opposera Thalès de Milet – ce scientifique qui n’a pas finit d’éblouir les mathématiciens et de faire travailler les élèves sérieux – avec son point d’origine : l’eau. C’est elle qui selon lui constitue le « fond de l’univers ». Il s’ensuit ainsi Anaximène avec l’air ou encore Héraclite avec le feu. Tant de points de départ à la question de ce qui est premier qui vont justifier l’arrivée d’une nouvelle théorie, intempestive, fondamentale, qui repense les fondements mêmes car elle repense ce qui est premier.

La philosophie se caractérise par le fait qu’elle résout ses problèmes en parvenant à les formuler. La raison à cela est que la philosophie, comme questionnement radical, ne peut que se questionner elle-même en tant qu'elle questionne, précisément. Toute philosophie questionne mais aucune jusqu’à présent n’avait questionné le questionnement. La démarche de Michel MEYER est de rappeler à l’évidence que l’homme de la rue et le philosophe sont égaux devant les questions. La rhétorique – dont nous venons de parler ci-dessus - n’échappe pas à cet enracinement dans l’histoire de la philosophie. Or, la théorie du questionnement de (ou problématologie) prend son point de départ avec deux grands penseurs de la philosophie : Martin Heidegger et René Descartes. Heidegger et Descartes, des précurseurs du questionnement

Pour Heidegger, l’être est une question qui nous interpelle toujours : « la détermination de l’essence de l’homme n’est jamais une réponse, mais essentiellement une question ; le questionner de cette question est historial (Geschechen), c’est-à-dire que c’est par lui que pro-vient la pro-venance ; il en est ainsi parce que la question « qui est l’homme ? » ne peut être demandée que dans le questionner sur l’être …» . Le questionnement ontologique chez Heidegger est la base même de son Dasein (l’être-là humain). L’homme ne peut pas se passer de l’être comme l’être ne peut pas se passer de l’homme. Sa philosophie, surtout au travers de « Sein und Zeit » (l’être et le temps) va apparaître comme une unique question : la question du sens de l’être (sinn des seins), posée dans l’horizon de la temporalité (Zeitlichkeit). De même, le cœur de « l’être et le temps » est constitué par l’analyse de la temporalité dans ses rapports avec l’historicité.

A la lueur de ses théories, Heidegger est un pilier central pour l’émergence de la problématologie. L’homme est une question pour lui-même. Ce qui importe de voir est que Heidegger représente la radicalisation de l’interrogation métaphysique à une époque où la science semble la rendre plus impossible que jamais. « C’est parce que Heidegger voit le défi en termes de différence ontologique que ce qui aurait pu devenir philosophie du questionnement va n’être que questionnement de la philosophie (impensé comme tel) » . Heidegger a parlé du questionnement mais l’a vite rabattu sur autre chose et ce, dès « Sein und Zeit ». Tout question, dit-il, a en tant que telle, un objet dont elle s’enquiert : ce qui est demandé (Gefragtes). Demander est toujours, en quelque manière, adresser une question à quelque chose. Toute question comporte, outre ce qui est demandé, un objet interrogé (Befragtes) …» . Le sens de l’être est l’Erfragte, tandis que l’étant est le Befragte, et l’être, le Gefragte. L’interrogation porte sur l’étant quant à son être, mais on doit s’interroger sur les raisons de cette interrogation. Afin de ne pas enfermer Michel MEYER dans une réponse, c’est ici que la théorie du questionnement prend son point de départ en interrogeant le questionnement, car, quoi de plus premier dans la question de ce qui est premier – y compris vis-à-vis de l’ontologie – que le questionnement même.

Le cogito de Descartes comme déduction problématologique. Descartes doute de tout et, en doutant, on ne peut pas douter du fait qu’on doute (Or, le doute est porteur de la réflexivité de la pensée). Or, douter, c’est penser ; douter, c’est questionner ; « je pense donc je suis ». Ce point de départ de Descartes est une prémisse à la question de ce qui est premier. Descartes nous apporte une réponse, or, toute réponse implique une question – oubliée, en dérivée – mais qui est bien réelle. Le cogito cartésien est assertorique, il affirme sa propre certitude. On peut poser l’hypothèse qu’il est, au premier abord, apocritique en ce qu’il répond à la question de savoir ce qui est premier. Cependant, cette réponse apocritique devient vite problématologique du fait que cette réponse « cogito ergo sum » soulève un bon nombre d’autres nouvelles questions, d’où la déduction problématologique. La déduction problématologique est la déduction d’une réponse à partir de la question même.

Douter, pour Descartes, c’est affirmer une certitude, une proposition absolument indubitable. On a une déduction problématologique du fait que l'inférence problématologique permet de conclure une réponse . Tout d’abord, on n’a pas d’interrogation proprement dite sur le point de départ. Toutefois, on parle quand même un peu de ce qui est premier mais de manière seconde, dérivée, car on lit la question d’affirmer, de poser le point de départ.

Dès lors, quoi de plus naturel, au départ, de s’interroger sur le point de départ. A cette heure, le cœur même de la théorie du questionnement avancée par Michel MEYER peut être développée ici : il s’agit de la mécanique philosophique du double refoulement.


4. Le Logos comme nouvelle vision de l’histoire et de l’historicité

Le double refoulement La philosophie est un questionnement radical. Ce questionnement radical amène des réponses qui soulèveront d’autres questions. Par exemple, la réponse « Oui, demain je viens à l’université », est une réponse qui répond à une question précise comme : « Demain venez-vous à l’université ? ». Cependant, rien ne nous interdit par rapport à cette réponse de nous interroger sur ce qu’est l’université. Ici, la notion de dérivé intervient. La question n’est certes pas posée, mais est pourtant implicitement présente, c’est ce que Michel Meyer appelle « l’effectivité » du questionnement ou encore « dérivée » du questionnement. Car, oui, la question ne se pose pas mais elle est pourtant envisageable effectivement. De ce principe, l’on en déduit que tout fait est hors question. Ainsi « Kant est l’auteur de la critique de la raison pure » est un fait hors question, car d’une part cette phrase est affirmative et non interrogative et, d’autre part, elle apporte une réponse. Cependant, rien ne nous oblige à rester de marbre à ce fait. On peut l’interroger : qui est Kant ? Qu’est-ce que « la critique de la raison pure » ? Ce type d’interrogation permet de dévier sur des phrases manipulatrices, rhétoriques, qui mettent en tension l’aspect de réponse ou de question, nous y reviendrons. Avant tout, reculons encore un peu dans la théorie du questionnement.

La philosophie a toujours été interrogativité radicale. Dès lors, il n’est pas concevable de ne pas articuler l’historique et l’historicité. Il doit y avoir articulation du variable (l’historique) et du constant. Ce rapport s’appelle l’historicité, celle-ci lit le passé à la lumière du présent. L’historique, pour la philosophie – comme pour l’Histoire d’ailleurs – c’est bien la succession des doctrines, des faits historiques dans leurs diversité et leurs oppositions. L’historicité est le caractère problématologique de ces conceptions. Ainsi, Descartes (1596-1650) quitte le Moyen Âge pour amorcé la renaissance. Un peu vite dit, je vous l’accorde. Toutefois, si l’on s’accorde pour dire qu’un refoulement problématologique faible s’opère à la renaissance c’est à cause du lien de causalité plausible entre « a » (le moyen âge) et « b » (les modernes). L’interrogativité de la philosophie demeure dans son histoire même.

« … Remarquons que si le refoulement problématologique diminue, il faut qu’un refoulement de compensation se produise pour qu’au total la différence problématologique demeure. Si les questions peuvent se dire de plus en plus, le risque est grand, sans ce refoulement compensatoire, que les réponses avalent et réduisent les questions, comme si les unes et les autres étaient in-différentes et interchangeables. Il faut donc que l’on ait une distinction au niveau même des réponses qui permettent de faire la différence : on appelle ce second refoulement le refoulement apocritique … ».

Posons la question autrement. Au sortir du moyen âge, le refoulement problématologique s’affaibli, les réponses – qui étaient apocritiques, c’est-à-dire qu’elles répondaient bien aux questions – sont prises en tension entre leur aspect de « réponse » et de « question ». Les réponses apocritiques deviennent dès lors problématologiques. Ce sont des réponses problèmes. Les identités s’affaiblissent, et les réponses ne sont plus suffisantes face à l’émergence de ces nouvelles questions dues à l’arrivée de la Renaissance.

Prenons l’exemple du mal de dent. Au moyen âge, face à une douleur atroce comme la question du mal de dent, il n’y a qu’un seule réponse « l’arracher » (réponse apocritique), l’identité est forte, il y a correspondance exacte entre la question et la réponse. A ce jour, avec une accélération de l’histoire très rapide, face à la question du mal de dent, de nombreuses réponses sont possibles : l’arracher, dévitaliser, plomber, arranger, etc… D’autres questions ont vues le jour : couleur du plombage, anesthésie, fausse dent, etc… Résumons. Si aujourd’hui, face à une douleur atroce aux dents on vous présente comme seule solution de l’arracher, vous aller probablement rechercher un autre dentiste, car, vous savez, que face à ces innombrables questions relatives aux dents, il existe un éventail de solutions.

De plus, au début de cet affaiblissement de l’être, avec l’accélération de l’histoire, les progrès de la science, l’évolution rapide des phénomènes – aujourd’hui combien de temps faut-il attendre pour que deux modèles de voitures se succèdent ? et il y a 50 ans ? - le refoulement problématologique diminue créant ainsi une inégalité entre la multitude des questions qui se posent dorénavant – qui ne se posaient pas avant parce qu’elles étaient refoulées – et les réponses qui, elles, ne sont plus adaptées. La réponse devient une réponse-problème, c’est-à-dire une réponse problématologique, une réponse tiraillée entre son aspect de réponse et son aspect de question. Pour réinstaurer un équilibre, il faut un refoulement de compensation, il s’agit du refoulement apocritique, qui lui, va rétablir une distinction claire entre les questions et l’ordre des réponses. Le mouvement apocritique rejette l’être faible.

Cette mécanique philosophique – que Michel Meyer nous présente depuis plusieurs années - est le nœud même de la problématologie. Tout individu qui parvient à poser les bonnes questions et surtout, à mettre en question plutôt qu’à mettre en réponse, parviendra à distinguer l’essentiel de l’accessoire, à maintenir une sérénité constante et optimale au sein même de son existence, à jouir d’un ordre un peu plus adéquate en privilégiant le qualitatif et non le quantitatif, parce qu’au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : questionner les solutions et guider son existence dans la voie la plus juste possible.

Concluons sur le rapport entre ces deux refoulements. Un refoulement fort engendre des réponses que l’on prend pour des identités (comme les mathématiques), même si, après coup, on se rend compte que ce sont des identités faibles, fondées sur des analogies et de la métaphorisation. L’identité faible correspond à un lien « faible » voire « étroit » entre deux choses : Richard est un lion, c’est une métaphore – à moins que l’on connaisse en pleine savane un lion au nom de Richard  ! Il n’y a aucun risque de voir les problèmes confondus avec les réponses, puisque le refoulement est fort, et que l’équivalence qui règne au niveau problématologique ne risque pas d’être confondue avec les identités fortes qui traversent les réponses ainsi que les liens qui les structurent les unes par rapport aux autres.

De l’histoire à l’historicité

Comme la plupart des hommes, nous nous appuyons sur l’histoire pour interpréter et étudier le présent voire l’avenir. « Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés » disait Bergson. Pour Michel Meyer, l’histoire est une succession de faits historiques, et, leur interprétation à la lueur du présent est ce qu’il appelle « l’historicité ». Sans l’histoire – l’histoire de la philosophie, ce que nous apprennent les anciens – il n’est pas possible de passer par l’historicité. Celle-ci est le caractère problématologique de ces faits historiques.

L’historicité s’est imposée à nous comme refoulement du changement historique auquel la pensée répond tout en niant ce répondre par un questionnement originaire ou, jadis, par une réponse originaire encore que niée comme répondre .

L’historicité est la partie en évolution de l’histoire, cette dernière est composé de faits, qui se suivent ou s’impliquent tandis que l’historicité étudie à la lueur du présent les imbrications de ces faits historiques.

Mais l’historicité, pour nous, est avant tout une question, celle de la différence problématologique qui se réfléchit plus ou moins, une réflexivité qui est elle-même une forme de son effectuation à un moment donné de l’Histoire. Le refoulement du refoulement qu’opère l’historicité à l’égard de l’Histoire est lui-même une manifestation de la différence problématologique. Rappelons que la différence problématologique est la différence question-réponse, différence qui doit être maintenue par le principe des double refoulements.

En guise de conclusion Finalement, ce questionneur des fondements est un bouleversement d’interrogations successives des trois grandes questions, qui sont, pour lui, les trois grandes questions de la philosophie mais aussi les trois grandes questions de tous les hommes. Soi, autrui et monde (les choses) apparaissent comme un triptyque criant de vérité.


L’esprit qui va s’interroger sur ces grandes questions va trouver au travers de ce tableau l’ensemble de ce qui nous préoccupe, chaque question renvoyant évidemment un flot de questions auxquelles il faut, pour l’instant, s’accommoder. Ce tableau peut partir dans tous les sens. Prenons un dernier exemple afin de conclure.

« … l’ensemble de ce que nous désirons, l’ensemble de ce que nous nous autorisons et interdisons à nous-mêmes par rapport à une sphère publique, détermine notre morale, nos mœurs, et orientent nos choix (politiques ?) - choix dans la plupart des cas, exercés par la demande – qui, eux-mêmes, détermineront l’ensemble nos besoins y compris le système économique que nous avons politiquement choisi… ».

Bibliographie

  • L'éthique interrogative : herméneutique et problématologie de notre condition langagière ;Olivier Abel; Paris : Presses universitaires de France, 2000. (OCLC 54046237)
  • L'Homme et la rhétorique : l'École de Bruxelles ; Alain Lempereur; Paris : Méridiens Klincksieck, 1990. (OCLC 22307445)
  • De la problématologie : philosophie, science et langage ; Michel Meyer; Bruxelles : P. Mardaga, 1986.(OCLC 21596866)
  • Découverte et justification en science : kantisme, néo-positivisme et problématologie ; Michel Meyer; Paris : Klincksieck, 1979. (OCLC 5798930)

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