Langage construit

Langage construit

Langue construite

Une langue construite ou langue artificielle est une langue créée par une ou plusieurs personnes dans un temps relativement bref, contrairement aux langues naturelles dont l'élaboration est largement spontanée. Pourtant, toutes deux sont in fine des créations de l'espèce humaine. Il est donc parfois difficile de cloisonner les langues dans ces deux catégories.

En particulier :

  1. Contrairement à une représentation fort répandue, toutes les langues naturelles sont dans une certaine mesure des langues mixtes, puisqu'elles ont connu des interférences au cours de leur développement.
  2. Certaines langues naturelles actuelles ont subi des processus de planification. C'est le cas de l'indonésien, du serbo-croate, de l'hébreu et du norvégien (nynorsk), de l'allemand. Ces langues ne sont pourtant pas considérées aujourd'hui comme des langues artificielles : le terme qui leur est appliqué en sociolinguistique est celui de « langue ausbau ». A contrario, les langues construites visant à l'intercommunicabilité entre des formes dialectales non mutuellement intelligibles, souvent à cause de la distance, sont qualifiées de « langue-toit » : cas de l'arabe littéraire, du français (principalement formé à partir de la langue d'oïl) ou du romanche.

La différence tient donc davantage à un facteur d'échelle :

  • les langues construites ont été créées dans un passé plus ou moins proche par un groupe limité, voire par une seule personne et ce, de façon volontaire ;
  • leur processus de création s'étale sur un temps assez bref (quelques années ou quelques décennies) ;
  • les langues naturelles ont une origine beaucoup plus reculée et se créent plutôt qu'elles ne sont créées à partir d'une langue mère par divers processus généralement non planifiés de transformation et d'adaptation (comme la phonétique historique) ;
  • les langues construites sont porteuses d'un but : création d'une identité (comme le nynorsk, l'hébreu), maintien d'une cohésion « nationale » (arabe littéraire), simplification de la communication internationale (espéranto) ;
  • les langues construites sont normalement plus faciles à apprendre (car, issues d'un processus planifié, elles ont moins de risques de comporter des irrégularités historiques , il existe toutefois des langues construites ayant un degré de complexité égal ou supérieur à celui des langues naturelles par exemple : le volapük).

Sommaire

Les motivations

On peut distinguer six types de motivations pour la création d'une langue :

Une langue internationale

La volonté de créer une langue internationale est avant tout un acte politique :

  • Le peuple qui réussit à imposer sa langue comme langue internationale, impose également sa culture et son style de vie. Une langue construite permettrait de sauvegarder la diversité des cultures. Cependant, elle contient également une partie de la culture de son constructeur (choix des racines, grammaire choisie, prononciation...), et l'impose donc aussi si les choix de son initiateur n'ont pas été éclairés par une grande connaissance des autres cultures et des autres langues.
  • Les langues nationales sont complexes à apprendre, et seule une élite peut parvenir à les maîtriser suffisamment bien pour jouer un rôle international de premier plan. Certaines langues de type lingua franca comme l'indonésien ou le kiswahili sont également faciles à apprendre.

Il est d'usage de considérer comme langues internationales, les six langues officielles des Nations unies à savoir : l'anglais, le français, l'espagnol, l'arabe, le russe et le chinois. Cependant la pratique des ces langues dans le monde est inégale. Certaines sont utilisées principalement comme langue vernaculaire (cas du chinois, qui est d'ailleurs pour cette raison, la langue la plus parlée dans le monde), d'autres sont utilisées à la fois comme langue vernaculaire et langue véhiculaire dans des proportions variables. Il est à noter que même dans le cas de l'anglais, la plus grande partie des échanges (écrits et oraux) dans cette langue sont le fait de locuteurs natifs (et non d'échanges internationaux) qui fait que l'anglais reste principalement une langue vernaculaire et seulement accessoirement une langue véhiculaire.

L'espéranto occupe une place à part. Malgré un nombre de locuteurs réguliers inférieur au million, l'espéranto est une des langues les plus utilisée comme langue véhiculaire (certes loin derrière des langues comme l'anglais, le français, l'espagnol ou l'arabe). Cependant contrairement aux autres langues dites internationales, l'espéranto est la seule langue qui est utilisée exclusivement comme langue véhiculaire. Conçu dès le départ comme langue internationale, l'espéranto bénéficie d'une grammaire et d'un vocabulaire réguliers qui en font l'une des langues les plus rapide à apprendre et à maitriser.

Différence entre langue universelle et langue internationale

La langue universelle prétend devenir la langue maternelle de l'ensemble de l'humanité. Même si cette idée semble partir de bons sentiments, elle véhicule intrinsèquement l'idée de nivellement de toutes les cultures humaines, bien que l'on ne puisse pas réduire la culture à la langue. La langue internationale a un objectif radicalement contraire : celui de devenir une langue auxiliaire destinée aux échanges internationaux, venant en complément des langues nationales qui doivent rester les langues maternelles privilégiées.

La question est de savoir si un système de double langue peut perdurer, et de quelle manière. Car une fois ce système mis en place, rien n'empêcherait un système politique totalitaire de tenter de faire disparaître certaines langues nationales, voire toute langue autre que la langue internationale, si un tel système politique parvient à dominer la planète entière. Ce danger existe cependant quelle que soit la langue internationale (devenant alors « universelle ») utilisée, construite ou non.

L'application d'un principe théorique

Certaines langues construites, comme le lojban, ont été créées pour illustrer des théories linguistiques.

Un besoin utilitaire nécessitant une interface de communication

Deux cas de figure se présentent :

  • Des situations spécifiques, par exemple la prise en considération d'un handicap et l'adaptation de la communication aux performances du handicapé. De telles langues, comme les langues des signes pour les sourds, suivent une logique différente de celle des langues ordinaires. Certaines ne sont par contre que des translittérations de langues communes (alphabet Braille).
  • La communication avec des destinataires non-humains, par exemples des robots en tous genres. Il ne s'agit parfois que de quelques mots ou bruits seulement.

Une langue de fiction

La création d'une langue (comme celle d'une mythologie ou d'une histoire par exemple) permet de donner une profondeur à une civilisation. Plusieurs auteurs ont ainsi créé des langues pour les héros de leur œuvre (par exemple les langages elfiques de J. R. R. Tolkien). De même, des groupes de musique comme Magma (musique progressive des années 1970) ne chantait qu'en kobaïen, langue créée pour l'occasion, ou encore Sigur Rós qui chante en vonlenska. Dans le domaine de la BD, le schtroumpf peut être considéré comme une langue.

Le plaisir de la création

Cette motivation peut sembler étonnante lorsque l'on songe au temps que nécessite la création d'une langue. Pourtant, il suffit de lancer une recherche sur Internet avec le mot clef conlang pour voir que le nombre de langues construites sans autre finalité que le plaisir de créer est impressionnant.

La résolution d'un conflit précis

Lorsque deux camps sont engagés dans une guerre longue, une meilleure compréhension est indispensable, et la création d'une langue locale commune, basée sur les deux cultures en jeu uniquement, permettrait de limiter les influences étrangères. Le russenorsk est un exemple de ce cas de figure.

Un peu d'histoire

Le premier essai vaguement connu de création d'un langage universel nous ramène au IIe siècle. Précurseur dans le domaine de l'expérimentation médicale, Claude Galien construit un système de signes dont il ne reste pour traces que quelques notes historiques. Dix siècles s'écoulent ensuite sans événement notable dans ce domaine jusqu'à ce que l'abbesse Hildegarde de Bingen élabore un système de langue écrite (a-t-elle été parlée ?) par elle seule, Lingua Ignota.

Dante Alighieri (1265- 1321) poète italien, rédigea, entre 1304 et 1307, Il Convivio (Le Banquet), où il entrevoit la possibilité d'une langue commune à toute l'Italie : « Il y a une langue qui n'est la propriété de personne, qui est audible dans chaque ville, dans chaque région mais qui n'appartient à aucune ville ou région définie. C'est un nouveau soleil qui brillera là où était l'obscurité. Et... on la critique par fierté personnelle... parce que l'on connaît.

Francis Bacon (1561-1626), savant et philosophe anglais, chancelier d'Angleterre sous Jacques Ier. Adversaire de la scolastique et partisan de la méthode expérimentale dans Instauratio magna, il établit une théorie de l'induction dans Novum Organum (1620) et une nouvelle classification des sciences ; il élabora le schéma d'une langue universelle.

René Descartes (1596-1650) philosophe et savant français :

20 novembre 1629. Lettre à son ami, le Père Marin Mersenne :

« Il faudra que l'humanité crée une langue internationale ; sa grammaire sera si simple qu'on pourra l'apprendre en quelques heures ; il y aura une seule déclinaison et une seule conjugaison ; il n'y aura point d'exceptions ni irrégularités et les mots dériveront les uns des autres au moyen d'affixes. »

Comenius (1592 - 1670) humaniste tchèque, auteur de Porte ouverte sur les langues (1631), il est un précurseur de la pédagogie moderne. Une langue commune est nécessaire pour le monde. Elle doit être « entièrement nouvelle » et « plus facile que toutes les langues ».

Montesquieu (1689 - 1755) écrivain français : La communication des peuples est si grande qu'ils ont absolument besoin d'une langue commune.

André-Marie Ampère (1775 - 1836) physicien et mathématicien français a inventé à 18 ans, « une langue universelle au service de la paix et du rapprochement des peuples. »[réf. nécessaire]

Monument à Zamenhof : « Quand les peuples pourront librement se comprendre, ils cesseront de se détester. »

Ludwik Lejzer Zamenhof (1859 -­ 1917), médecin ophtalmologiste et linguiste polonais : Initiateur (en 1887) de l’espéranto.

Léon Tolstoï (1828 - 1910) écrivain russe : « J'ai trouvé le volapük très compliqué et, au contraire, l'espéranto très simple. Il est si facile qu'ayant reçu, il y a déjà six ans, une grammaire, un dictionnaire et des articles en cette langue, j'ai pu arriver, au bout de deux petites heures, sinon à l'écrire, du moins à la lire couramment. Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen en consacrant quelque temps à l'étude de l'espéranto sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu'on ne peut pas se refuser à faire cet essai. » Lettre aux Éditions Posrednik du 27 avril 1894.

Gandhi (1869 - 1948), philosophe, ascète et homme politique indien, il fut le principal artisan de l'indépendance de l'Inde, qu'il entreprit d'obtenir de la Grande-Bretagne par la non-violence active. « Je suis pour un même calendrier pour le monde entier, comme je suis pour une même monnaie pour tous les peuples et pour une langue auxiliaire mondiale comme l'espéranto pour tous les peuples. »

Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique, Cours de linguistique générale : « L'homme qui prétendrait composer une langue immuable, que la postérité devrait accepter comme telle, ressemblerait à la poule qui a couvé un œuf de canard : la langue créée par lui serait exportée bon gré mal gré par le courant qui emporte toutes les langues. »

Antonio Gramsci (1891 - 1937), le penseur révolutionnaire italien, décrivit l'espéranto comme un « cadavre qui empeste qui agresse la vie dans son devenir » : « La réussite et la diffusion d'une langue donnée dépend strictement de la complexité et de l'activité sociale du peuple qui la parle. […] L'espéranto, la langue unique, n'est rien d'autre qu'une superstition, l'illusion de mentalités cosmopolites, humanitaires, démocratiques, qui n'ont pas encore été rendues fertiles, pas encore démystifiées par le criticisme historique. »

La construction d'une langue

Fondamentalement, une langue se construit autour de cinq piliers :

Les types de langues construites

On distingue trois types de langues construites, selon que leur vocabulaire et leur grammaire s'inspirent ou non des langues naturelles : dans le premier cas on parle de langue construite a posteriori, dans le second cas de langue construite a priori. Les cas intermédiaires, plus difficiles à analyser, sont ceux des langues dites mixtes.

La tendance d'une langue à se rapprocher des langues naturelles se nomme le naturalisme. La tendance inverse est qualifiée de schématisme.

Il va de soi que cette classification n'est qu'un outil commode mais sommaire. Dans un même type, différentes langues construites peuvent présenter un plus ou moins haut degré de naturalisme ou de schématisme.

Ainsi, dans la catégorie des langues a posteriori, l'interlingua représente un cas extrême de naturalisme, le novial, l'occidental ou l'ido présentant cette tendance à des degrés moindres.

Une langue construite a posteriori peut souvent se reconnaître par l'utilisation qu'elle fait de mots provenant d'une ou plusieurs langues naturelles (ainsi en espéranto, terre = tero, ciel = ĉielo, eau = akvo, feu = fajro), encore que cette utilisation ne soit pas toujours immédiatement transparente (algorithme du lojban…).

La langue des oiseaux ou langue des anges est un type de langue secrète créée à partir des correspondances phonétiques et analogiques des mots.

Sans qu'il soit possible d'en faire une généralité, les langues construites a posteriori sont plutôt majoritaires et ont vocation à servir de langues auxiliaires internationales, pour des raisons évidentes d'aspect pratique d'apprentissage et d'enrichissement du vocabulaire courant (espéranto, afrihili...). Toutes les langues a posteriori n'ont pas pour autant cette prétention et certaines tiennent simplement de l'exercice théorique ou philosophique (brithenig, novlangue…).

Selon leurs objectifs, les langues construites a priori sont souvent plus théoriques ou à vocation artistique et fictionnelle - sans exclure cependant la communication internationale (cas par exemple du kotava). Elles possèdent un vocabulaire qui a son ton propre (klingon, langues d'Arda...), et utilisent même parfois des chiffres, des symboles (langage Bliss, pasigraphies...), des notes de musique (Solresol).

Les langues construites mixtes représentent pour leur part une catégorie plus vague et de multiples raisons peuvent conduire à y classer une langue. On citera tout d'abord le volapük procédant d'un mélange entre d'une part, une grammaire extrêmement schématique aux éléments souvent a priori (pronoms, conjonctions, terminaisons, etc.) et d'autre part des racines naturelles considérablement déformées par les idées et la fantaisie du créateur de la langue. Un cas apparemment très différent est celui du bolak qui associe une grammaire relativement naturaliste à des règles phonétiques arbitraires générant mécaniquement des mots tout aussi arbitraires.

Ces deux démarches presque inverses donnent naissance à deux langues présentant finalement plus de points communs qu'il peut y sembler dès l'abord.


Selon H.Masson l'ido serait responsable d'un processus de naturalisation qui complexifie allegrement les langues citation : " On peut dire que l’Ido, d’une certaine manière, a accentué la dérive naturaliste en inspirant d’autres projets qui l’ont finalement affaibli et supplanté, notamment l’Interlingua du professeur Alexander Gode, faussement attribué à l’International Auxiliary Language Association (IALA, 1951). "[1]

Autres catégories

Pour des besoins pratiques et transversalement à la classification présentée ci-dessus, on distingue différentes autres catégories de langues, bâties sur des critères variés. On distingue ainsi des langues flexionnelles (interlingua), isolantes (glosa), logiques (loglan), fictionnelles (klingon), simplifiées (latino sine flexione), philosophiques (projet de Delormel), etc.

Les anglophones distinguent :

  • Conlang : langue construite (le terme le plus utilisé)
  • Artlang : langue artificielle ou artistique, plutôt personnelle
  • Auxlang : langue auxiliaire, plus ou moins « mondiale », style espéranto
  • Modlang : de l'anglais Model Language : langue-maquette, langue en modèle réduit, langue-jouet...

Exemples de langues construites

Article détaillé : Liste de langues construites.

La liste qui suit est volontairement limitée à quelques exemples significatifs. Davantage de langues construites sont présentes dans la liste de langues construites (classées en nombre de locuteurs, par but, etc.) ainsi que dans la catégorie:Langue artificielle.

langue construite étatique


langue construite non étatique

  • espéranto, la seule des langues construites, qui compte un nombre significatif de locuteurs réguliers
    • signuno, espéranto en langue des signes (sourds-muets)
  • anglais basic, 850 mots standards, grammaire réduite et simplifiée
  • ido, dérivé de l'espéranto plus naturaliste que ce dernier
  • interlingua, langue latine naturaliste, se lisant aisément mais s'écrivant plus difficilement
  • langue universelle de Sudre, appelée souvent solresol, car ne nécessitant uniquement que les sept notes de la gamme musicale ; la plus ancienne langue construite encore entièrement documentée (1822–1868)
  • latino sine flexione, latin simplifié, inventé en 1903 par le célèbre mathématicien italien Giuseppe Peano
  • lingua sistemfrater (1957), vocabulaire pan-européen, avec une grammaire simplifiée de type asiatique, créée par un Vietnamien. Une des rares langues construites dont l'auteur est originaire d'Asie.
  • loglan, langue basée sur la logique des prédicats de premier ordre, créée par le linguiste James Cooke Brown
    • lojban, dissidence du loglan, basée sur les mêmes principes mais avec un vocabulaire différent
  • occidental, langue latine assez simple (devenue ensuite Interlingue)
  • toki pona, 120 mots, une grammaire très réduite
  • universal glot, langue composite naturaliste européenne par Jean Pirro en 1868 ; ressemble considérablement au plus jeune occidental mais contient beaucoup plus d'éléments germaniques
  • volapük, langage ayant eu un succès foudroyant à partir de 1879 et quasiment mort 10 ans plus tard
  • Baleybelen, seule langue construite ayant pour base des langues du Moyen-Orient.
  • la langue des signes peut être considérée comme une langue construite
  • la langue des oiseaux, ou langage des anges ou encore langage alchimique est une langue secrète fondée sur l'homophonie et les correspondances analogiques.

Exemples de langues construites dans des œuvres de fiction

Exemples de langues construites dans des œuvres musicales

Voir aussi

Bibliographie

  • Dictionnaire des langues imaginaires, Paolo Albani et Berlinghiero Buonarroti, éd. Les Belles Lettres, 2001, ISBN 2-251-44170-0
  • Les Langues imaginaires, Marina Yaguello, éd. du Seuil, 2006, ISBN 2-02-082364-0
  • Le Phalanstère des langages excentriques, Stéphane Mahieu, Ginkgo éditeur, 2005, ISBN 2-84679-025-6
  • À la recherche de la langue parfaite, Umberto Eco, Paris, éd Seuil 1994

Liens externes

Notes et références

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