Alsace Lorraine

Alsace Lorraine

Alsace-Lorraine

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Drapeau de l'Alsace-Lorraine
Armoiries du Territoire impérial Reichsland Elsaß-Lothringen

L’Alsace-Lorraine (en l'allemand Elsaß-Lothringen) est le territoire annexé par l'Empire allemand sur la France en vertu du traité de Francfort, signé le 10 mai 1871 après la défaite française (en allemand actuel, le nom serait plutôt écrit Elsass-Lothringen, suite à une réforme orthographique). En fait, l'annexion ne concerne pas l'intégralité des territoires lorrain et alsacien, mais elle ampute la France des trois quarts du département de la Moselle, d'un quart de celui de la Meurthe (divisions administratives de l'époque) et de quelques communes situées à l'est du département des Vosges. Bien qu'une petite partie de l'Alsace, l'arrondissement devenu Territoire de Belfort, et une grande partie de la Lorraine soient restées françaises, un grand nombre de rues, avenues, boulevards, places et cours ont été baptisés du nom « d'Alsace-Lorraine » dans la France entière dès 1871, en mémoire des régions perdues. Sur la place de la Concorde à Paris, la statue représentant la ville de Strasbourg fut fleurie et voilée d'un drap noir jusqu'à l'armistice de 1918.

Sommaire

Introduction

La proclamation de l’Empire allemand (château de Versailles, 18 janvier 1871) : sur l'estrade le Kaiser Guillaume Ier, à sa droite le Kronprinz Frédéric-Guillaume, au pied de l'estrade, en blanc, le chancelier de l'Empire, prince de Bismarck

Intégrée au sein de l'Empire allemand dans un ensemble pan-germanique, le statut de cette province est particulier : elle n'est pas un État égal aux autres mais est régie directement par l'Empereur puis par les organes de l'Empire.

Les lois qui la concernent doivent être votées par le Conseil fédéral.

Théoriquement, il s'agit d'une propriété commune de tous les États allemands et certains souverains ne manquent pas de faire remarquer au gouverneur de l'Alsace-Lorraine qu'ils le considèrent comme leur représentant à eux aussi ; dans les faits l'influence des princes est nulle et seule compte la volonté de l'Empereur.

En décembre 1871, l'Alsace-Lorraine compte 1 549 738 habitants pour une superficie de 14 511 km².


Ce territoire (en allemand Reichsland, terre d'empire) recouvre les actuels départements de l'Alsace : le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, plus celui de la Moselle. En fait du point de vue des départements de 1870, il comporte celui du Bas-Rhin, celui du Haut-Rhin moins l'arrondissement de Belfort qui - resté français - devint le Territoire de Belfort, celui de la Moselle moins l'arrondissement de Briey qui inclut Longwy et des parties des arrondissements de Château-Salins et de Sarrebourg appartenant au département de la Meurthe d'alors. Il n'a jamais inclus les départements actuels de Meurthe-et-Moselle (issu de la fusion des parties non annexées de la Meurthe et de la Moselle), de la Meuse ni des Vosges (hormis les cantons de Schirmeck et de Saales, annexés en 1870, et rattachés au Bas-Rhin lors de leur retour à la France en 1918). Pour éviter la confusion avec la Lorraine actuelle, les textes administratifs français contemporains, (surtout quand il s'agit du droit spécifique hérité de la période 1871-1918) parlent de l'Alsace-Moselle ; en dehors du cadre administratif ou judiciaire, cette dénomination est rarement évoquée même si celle-ci est plus pertinente.

Le territoire ne comportait pas que des pays de langue ou de dialecte germanique. En effet la frontière linguistique passait au nord de la frontière territoriale dans une ville que les uns appelaient Thionville et les autres Diedenhofen. Des villes comme Metz (cité natale du poète Verlaine), Château-Salins, Vic-sur-Seille (cité natale du peintre Georges de la Tour) et Dieuze (cité natale du compositeur Gustave Charpentier, du mathématicien Charles Hermite, du peintre Émile Friant et du critique d'art Edmond About) étaient complètement francophones. Les hautes vallées de la Weiss (Orbey) et de la Liepvrette (Sainte-Marie-aux-Mines) forment le pays welche d'Alsace et sont d'ancienne tradition francophone.

Le présent article aborde plus la vision alsacienne et mosellane de l'annexion et de son retour dans le système national français, avec une approche plus sociologique qu'historique. Il cherche à montrer comment les Alsaciens et les Mosellans ont traversé le dernier tiers du dix-neuvième siècle ainsi que le vingtième.

L'annexion allemande (1871 à 1918)

Administration du Reichsland

L'Alsace-Lorraine est divisée en 3 districts (Bezirke) :

À la tête de chaque district se trouve un président (Bezirkspräsident) équivalent à un préfet français. Après la loi du 4 juillet 1879 un gouverneur (Statthalter) est nommé par l'empereur. En son nom, il gouverne et administre l'Alsace-Lorraine depuis sa résidence de Strasbourg. L'Alsace-Lorraine envoie 15 députés au Reichstag. En 1874 est créée la Délégation (Landesausschuß), une sorte de parlement provincial. Une nouvelle Constitution votée par le Reichstag le 27 mai 1911 accorde une plus grande autonomie au territoire. Bien que l'Alsace-Lorraine soit institutionellement encore très dépendante de Berlin, elle est dès lors considérée comme un Land à part entière. Mais c'est l'armée qui est en réalité au pouvoir en Alsace-Lorraine, comme le montre l'Affaire de Saverne.

La nouvelle administration entreprend une germanisation des toponymes lorrains et des toponymes alsaciens (voir Curiosités).

L'esprit de revanche français

Article détaillé : Revanchisme.
La perte des deux provinces vu par la France : La Lorraine pleurant sur l'épaule de l'Alsace, statue à Nancy


Deux provinces écartelées ;
Strasbourg en croix, Metz au cachot ;
Sedan, déserteurs des mêlées,
Marquant la France d'un fer chaud ;

Victor Hugo Avant la conclusion du traité

L'émigration des optants

Redécoupage des frontières départementales suite à l'annexion

Une clause du traité de Francfort permet aux Alsaciens-Lorrains la possibilité de conserver la nationalité française s'ils quittent la région avant le 1er octobre 1872. Ils sont environ 100 000 à pouvoir en bénéficier et à opter pour la France. Pour tous ces migrants, c'est un déchirement de quitter leur terre, leur maison, leur pays. Beaucoup s'installent autour de Belfort, ou près de Nancy en Lorraine restée française ; d'autres vont en Algérie ou en Argentine ou encore au Québec. L'Alsace-Lorraine perd des entrepreneurs, des jeunes bien formés comme Alfred Dreyfus, mais aussi des universitaires brillants et promis à un riche avenir comme Fustel de Coulanges, Hippolyte Bernheim ou Albin Haller qui quittent l’université de Strasbourg : tandis que le premier va à Paris, les deux autres rejoignent l'université de Nancy. De même, des acteurs de l'École de Nancy comme Jacques Grüber, les frères Daum, Émile Friant ou encore Louis Hestaux (collaborateur d'Émile Gallé) viennent des territoires perdus ; ils insufflent dans cette ville, un Art nouveau d'un esprit tout-à-fait particulier. La ville de Nancy voit sa population s'accroître notablement et son Université bénéficier grandement de ces arrivées, sources de développement et de dynamisme.

L’immigration allemande en Alsace-Lorraine

L'Alsace et la Moselle n'ont pas été, après la période historique appelée les "Grandes invasions" en français (mais Völkerwanderung en allemand c'est-à-dire les "migrations des peuples" !), des terres d'immigration et de mélange des peuples, du moins pas plus que d'autres provinces françaises. Certes après des moments troublés comme la guerre de Trente Ans, des nouveaux venus ont pu chercher fortune là où la population avait diminué ; encore s'agissait-il souvent d'hommes seuls qui trouvaient à se marier sur place, ce qui indique qu'ils n'arrivaient pas dans un désert et étaient destinés à s'assimiler en peu de temps : en Alsace, le père venu d'Outre-Vosges s'appelait Gérardin, le fils signait déjà Schirardin, écrit avec l'alphabet allemand ancien (deutsche Schrift), ce qui n'a rien d'étonnant pour des gens qui savaient à peine lire et qui ne connaissaient pas l'orthographe de leur patronyme. Dans le même temps, dans les Vosges les Waldner orthographiaient leur nom Valdenaire. Une fois la paix revenue, une natalité vigoureuse comblait rapidement les vides et, dès le XVIIIe siècle, réapparaissait dans les campagnes une forte pression démographique. Après les guerres napoléoniennes et le retour des soldats démobilisés la crise devint aiguë, aggravée par de mauvaises récoltes ; 1817 est l'année de la faim (en dialecte alsacien le Hungersjohr, conséquence à l'échelle planétaire de l'éruption cataclysmique du volcan indonésien Tambora) ; les Alsaciens fuient, que ce soit vers l'Amérique ou vers la Russie, où les tsars s'efforcent d'attirer des colons germanophones pour aller grossir les rangs des Allemands de la Volga. Ils doivent donner l'exemple aux moujiks, mais surtout Catherine II, elle-même d'origine allemande, leur donne le droit d'exercer leurs libertés religieuses. Une partie quittera la Russie quand les tsars tenteront de les enrôler dans l'armée et de les russifier, tandis que les autres seront quasiment exterminés par Staline. En 1827 le nouveau Code forestier restreint de façon draconienne les anciens droits d'usage et c'est un nouvel exode de gens affamés qui espèrent trouver du pain ailleurs. Autre saignée en 1846 avec la maladie de la pomme de terre.

L'Alsace-Lorraine au sein de l'Empire Allemand

Dans le même temps, des immigrants, essentiellement germanophones, sont venus régulièrement en Alsace et on voit assez comment l'immigration massive d'Allemands en Alsace-Lorraine après 1871 représente un bouleversement complet. Autant les Français répugnaient à s'installer dans ces régions, autant les Allemands y voient un pays de cocagne ; quand ils sont en Alsace, ils se retrouvent en des lieux où tout leur semble allemand mais agrémenté en même temps d'un je ne sais quoi, d'un art de vivre, d'une touche à la française. À la fois séduits et inquiets devant la culture des Welsches[1], si différente de la leur, ils voient dans la femme alsacienne un juste milieu entre l'ennuyeuse épouse teutonne et la Parisienne frivole (selon le cliché d'Offenbach), tandis que la femme lorraine leur échappe totalement. L'impression est évidemment moins nette au début quand ils sont à Metz, mais la ville connaît alors, du fait d'une émigration vers la France et d'une immigration allemande massive, un bouleversement complet de son peuplement : rapidement les germanophones y deviennent majoritaires tandis qu'un urbanisme d'Outre-Rhin donne à la ville un caractère prussien qui frappe encore aujourd'hui. Au reste, ne disait-on pas que Guillaume II préférait Metz, où il se sentait bien accueilli, à Strasbourg où il sentait toujours l'hostilité de la population ?

La gare de Metz

Comme avant 1870, on ne voit pas de colonisation agricole : toutes les terres sont occupées. C'est seulement vers la fin de la Première Guerre mondiale que les germanisateurs de la marche occidentale (en allemand Westmark) songeront à morceler les grandes propriétés agricoles pour y installer des paysans d'Outre-Rhin, sans d'ailleurs avoir réfléchi qu'il faudrait d'abord expulser les fermiers et les métayers qui les cultivaient. Ouvriers et fonctionnaires déferlent en revanche sur le territoire annexé, à la fois pour l'administrer et pour lui procurer la main-d'œuvre que réclame l'industrialisation qui s'accélère (car elle avait déjà commencé sous le régime français) et qui est caractérisée par sa dissémination à travers les zones rurales. Les populations rurales, qu'un trop maigre lopin ne serait pas arrivé à faire vivre, trouvent ainsi le complément indispensable qui leur permet de ne pas abandonner la terre.

C'est surtout en Lorraine allemande (c'est-à-dire la partie nord de la Lorraine annexée) que l'immigration est massive et aussi qu'elle se voit. En Alsace, le fils d'immigré badois se distinguait à peine de l'autochtone, et même Hansi le reconnaissait dans un album écrit vers la fin de sa vie. Au contraire toute la région francophone située entre le charbon de la Sarre et le fer de Briey voit se multiplier les usines alors que la population est déjà minée par la dénatalité ; il faut faire appel à l'immigration, ce sont des Italiens et des Polonais (choisis parce que, comme la population locale, ils étaient catholiques et pouvaient s'assimiler plus facilement). Au XXe siècle encore, quand dans certaines localités une discussion devenait un peu vive au conseil municipal, l'argumentation pouvait se poursuivre en italien.

L’Alsace-Lorraine dans l'empire

L'opposition au régime prussien était largement répandue, mais reposait sur des motifs très différents et parfois contradictoires. La haute bourgeoisie d'affaires, majoritairement protestante et libérale, voyait d'un mauvais œil cet Empire autoritaire où l'influence des junkers (aristocrates terriens d'origine prussienne) était encore considérable ; le clergé catholique, qui tenait en main sa paysannerie, redoutait le mauvais exemple, le periculum perversionis, que l'existence d'un souverain protestant pouvait donner à ses fidèles (n'avait-on pas vu, au début de la guerre de 1870, des curés badois faisant prier pour le succès des armées françaises ?). Au total le régime prussien pouvait compter surtout sur la paysannerie des villages protestants homogènes, comme dans le Kochersberg, l'Alsace Bossue et l'Outre-Forêt, autour de Wissembourg.

Un flot d'immigrants allemands, souvent fort patriotes envers leur pays d'origine, vint s'établir dans ce qu'ils pensaient être un pays frère enfin libéré. Contrairement à ce qu'affirmaient des romans comme Les Oberlé de René Bazin ou Colette Baudoche de Maurice Barrès, les nouveaux venus trouvaient très facilement à se marier, d'autant plus qu'il s'agissait souvent de fonctionnaires occupant des postes relativement élevés et donc de partis intéressants.

Pour autant cette immigration n'eut pas l'effet assimilateur escompté par l'occupant : malgré leur patriotisme, ces Allemands n'en privilégiaient pas moins chez les candidates au mariage celles qui possédaient une bonne culture française ; ils faisaient bruyamment l'éloge de la solide Hausfrau germanique, mais c'est à leurs amis qu'ils recommandaient d'épouser ce genre de femme. Il en résulta que dans nombre de ménages mixtes les enfants parlaient allemand avec leur père et français avec leur mère, si bien qu'il leur était difficile de haïr la culture française et ils n'auraient pas chanté le Lied célèbre du poète nationaliste Ernst Moritz Arndt qui comprend ces vers :

Frontière franco-allemande
« 

Das ist des Deutschen Vaterland,
Wo Zorn vertilgt den welschen Tand,
Wo jeder Franzmann heißet Feind,
Wo jeder Deutsche heißet Freund.

 »
« 

La patrie allemande,
C'est là où l'on se débarrasse de la futilité romane,
C'est là où l'on donne le nom d'ennemi à tout Français,
C'est là où l'on donne le nom d'ami à tout Allemand.

 »

Le sentiment français resta encore très fort, au moins pendant les quinze premières années d'annexion. Lors des élections au Reichstag, les 15 députés de 1874, 1881, 1884 (sauf un) et 1887 furent dits députés protestataires, car exprimant au Parlement leur opposition à l'annexion par la motion de 1874 « Plaise au Reichstag décider que les populations d'Alsace-Lorraine qui, sans avoir été consultées, ont été annexés à l'Empire germanique par le traité de Francfort, soient appelées à se prononcer spécialement sur cette annexion[2]. »

La situation à la veille de la Guerre et son évolution

L'empereur Guillaune II en manoeuvre en Lorraine, 1908

Quand éclate la guerre de 1914, l'image de l'Allemand dans l'opinion française est bien loin de ce qu'elle deviendra au bout de quelques mois. Dans les lycées de garçons, c'est plus de la moitié des élèves qui étudient la langue allemande contre à peine de plus de 40% pour l'anglais. Après le désastre de 1870 qu’on attribue à l'incompétence des généraux, mais aussi à l'ignorance linguistique des français, c’est désormais la langue à connaître pour eux. Parlant des écrivains qui possédaient bien l'allemand entre 1871 et 1914, Paul Lévy écrit : « Si autrefois il fallait péniblement rechercher quelques personnages parlant l'allemand, désormais toute énumération devient impossible parce que trop longue et forcément incomplète. » Et après avoir cité de nombreux écrivains il ajoute: « Mais pour connaître l'ampleur véritable des connaissances allemandes des savants français, il faudrait fouiller les bibliographies de toutes les publications de l'époque, quelle qu'en soit la branche. Enfin, il faudrait aussi nommer tous ceux qui ont traduit en français des œuvres allemandes ».

Avec ses cours souveraines et ses princes, l'Empire Allemand et son voisin l'Empire Austro-Hongrois sont des réservoirs de bons partis pour la noblesse de France ou d'Angleterre et vice-versa. Avoir des fils qui, en cas de guerre, porteront l'uniforme bavarois, autrichien, saxon, voire prussien, voilà qui effraie moins une jeune fille de l'aristocratie que la perspective de devoir épouser un roturier. Ne dit-on pas que la reine Victoria, qui a épousé le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, est la grand-mère de l'Europe ? Au reste la langue française est si répandue dans les châteaux que le dépaysement est bien léger.

En Alsace la situation de la langue française est paradoxale : officiellement elle est combattue et on la pourchasse dans les inscriptions publiques mais, victimes de l'illusion romantique, les dirigeants s'imaginent qu'il suffit que le peuple reste fidèle au parler germanique. Le français devient alors la langue chic, celle que parlent entre eux tous ceux qui ont les moyens de la faire apprendre à leurs enfants, et même parmi eux des Allemands.

Quant à la "Lorraine Allemande", en 1908 un député au Landesausschuss parle de familles allemandes d'Audun-le-Tiche qui envoient leurs enfants à l'école au Luxembourg voisin pour qu'ils puissent y apprendre le français.

Plus précisément, une loi de mars 1872 décrète que la langue commerciale officielle est l'allemand. Cependant dans les secteurs où la population est principalement francophone les annonces et décrets publics doivent fournir une traduction française. Dans une autre loi de 1873, l'utilisation du français comme langue commerciale a été autorisée pour les administrations de Lorraine et les administrations des arrondissements partiellement ou totalement de langue française. Une loi sur l'enseignement de 1873, demande à ce que dans les secteurs germanophones l'enseignement soit fait exclusivement en allemand tandis que dans les secteurs francophones, l'enseignement soit fait en français.

C'est que connaître le français est alors indispensable pour faire figure dans le monde. Pour une jeune fille à marier, une bonne éducation française est l'atout décisif; dans nombre de familles on parle allemand avec son père et français avec sa mère: Robert Ernst, qui fut le dernier maire allemand de Strasbourg et qui était nazi bon teint, avait reçu une éducation de ce genre et en dénonçait les dangers.

Cet attrait du français chez les Allemands, cette estime de l’allemand en France vont être balayés par la haine que développera la guerre de 1914-18. Ce sont quatre années d'un conflit interminable qui ont créé une véritable haine ethnique : à défaut de voir les troupes avancer, on essayait de compenser sa frustration par une surenchère d'agressivité verbale. Le drame, c'est qu'on introduisait dans l'esprit du peuple des idées absurdes, dont il ne pouvait se défaire une fois les armes déposées.

En France, la langue allemande se vit la cible d'attaques. « Dans la Revue de l'enseignement des langues vivantes des années 1915 à 1918, écrit Paul Lévy il y a eu des controverses passionnées pour et contre l'enseignement de l'allemand. » Encore s'agit-il de spécialistes qui, même emportés dans le tourbillon, s'efforcent de garder un certain bon sens et, le plus souvent, concluent en disant que l'allemand sera toujours nécessaire, même s'ils lui dénient la moindre valeur littéraire. Dans les revues destinées au grand public on ne s'embarrassait d'aucune réflexion sérieuse. Dans son numéro du 1er mai 1915, en pleine guerre, l'Illustration va jusqu'à voir dans l'allemand « l'idiome de la force brutale, excellemment approprié aux besognes viles et dégradantes, aux ordres de meurtres, d'incendie et de pillage… » On lit encore : « Sous la bière qui l'empâtait, le sang qu'elle aime et dont elle a la soif est revenu la teinter », et voilà la bière elle-même devenue suspecte. La conclusion était sans équivoque : « Cette langue n'est plus tolérable pour nous. La voir écrite nous outrage et nous exaspère. L'entendre et la parler sont un cruel supplice. Aussi le serment a-t-il été déjà prononcé par quelques-uns de bannir après la guerre la langue allemande non seulement du programme de nos études, mais de partout. Qu'elle soit chassée de France, de nos cerveaux et de nos bouches comme le pire des fléaux ! »

Pendant la Grande Guerre

Plaque rappelant à Gertwiller l'exécution sommaire de trois paysans de Belmont

Dès le début de la Première Guerre mondiale, Français et Allemands multiplièrent maladresses et vexations à l'égard des Alsaciens-Lorrains, mais les seconds, étant sur place, possédaient sur leurs rivaux une avance irrattrapable[3] . Des Alsaciens vivant en France se virent arrêtés et traînés dans des camps sous les crachats de la population ; dans les villages où les Français pénétraient on arrêtait d'ailleurs à tort et à travers, raflant parfois de vieux combattants médaillés de 1870[4]. Les Allemands devaient faire mieux encore : l'incident de Saverne avait persuadé le Haut-Commandement que la population tout entière était violemment hostile à l'Allemagne et qu'il fallait la terroriser pour la faire tenir tranquille pendant le temps des hostilités.

Les brutalités commencèrent donc tout de suite. Dès le 22 août, nous raconte Charles Spindler[5], eut lieu « l'exécution de trois pauvres paysans de Belmont, qu'on avait arrêtés et condamnés comme espions et qui, avant d'être fusillés, avaient dû, de leurs propres mains, creuser leurs fosses. Tout le village [de Gertwiller fut] révolté de cet acte de sauvagerie. » Spindler ajoute[6] qu'un jeune Alsacien, habitant Berlin, avait été mobilisé dans un régiment prussien ; avant de franchir la frontière alsacienne il entendit le colonel adresser à la troupe l'avertissement suivant : « Vous arrivez maintenant dans un pays de s..., et je vous prie d'agir en conséquence ! » À Bergheim, au témoignage de Wittich on conduisit à pied un simple d'esprit originaire d'une vallée francophone et qui n'avait pu s'expliquer en allemand ; on le contraignit à creuser sa tombe puis on le fusilla devant une population révoltée et impuissante[7].

Du fait de la proximité du front, on fut amené à loger l'armée chez l'habitant, dans des conditions qui s'apparentaient à des dragonnades. Évidemment tous ceux qui possédaient une mauvaise réputation, c'est-à-dire qui étaient suspects de francophilie, furent les mieux servis sous ce rapport. L'interdiction de parler français en public accrut encore l'exaspération des autochtones, depuis longtemps habitués à mêler de français la conversation ; or un seul mot, fût-il aussi innocent que « Bonjour », valait une amende [8] Les Allemands immigrés crurent faire preuve de patriotisme en participant à la traque : ils avaient l'oreille aux aguets pour dénoncer à la police tout ce qu'ils entendaient dans la langue maudite. La population se retrouvait ainsi divisée entre une minorité toute-puissante et une majorité qui ne pouvait que garder son poing dans sa poche et attendre l'heure de la vengeance [9]

Pour soulager leur colère les Allemands de souche en arrivaient même à prononcer contre les Alsaciens de telles menaces qu'ils en faisaient des ennemis irréductibles de l'Allemagne. Un chef de gare déclare tout de go à Charles Spindler[10] : « Et puis, vous savez, après la guerre, il faudra qu'on emploie ici une autre méthode. On a eu beaucoup trop d'égards pour ces gens. Je suis né Hessois et j'ai fait la guerre en 66 contre les Prussiens. Ils nous ont battus et annexés. Ce qui n'empêche pas que quatre ans plus tard nous avons marché avec les Prussiens contre la France, et pas un de nous ne s'est rappelé avoir jamais été Hessois. Il faut qu'on en fasse autant ici. On posera aux gens cette simple question: Vous voulez être Français? Bien, alors allez en France. Vous voulez être Allemand? Alors qu'on les envoie à l'autre bout de l'Allemagne, à Koenigsberg ou Posen, afin que l'assimilation soit complète. Mais, continuer comme jusqu'à présent, c'est perdre son temps. Plus de Terre d'Empire, une province prussienne tout simplement, et ceux qui ne voudront pas, seront expulsés. » C'était dire aux autochtones : « Quoi qu'il arrive vous serez chassés d'ici, soit vers l'Ouest soit vers l'Est » ; c'était leur faire comprendre que leur seul salut était dans une victoire de la France.

De tels propos pourraient passer pour de simples rodomontades dans la bouche de particuliers mais le 10 avril 1917 les Alsaciens peuvent lire une menace tout aussi violente dans la Strasburger Post, organe officieux de l'administration allemande en Alsace. Sous le titre « Wer zaudert noch? » (« Qui hésite encore? »), elle écrit :

«Ceux qui, partant du point de vue que l'Alsace, quel que soit le résultat de la guerre, sera du côté du vainqueur, et qui paient pour les valeurs alsaciennes des prix beaucoup plus élevés que pour les valeurs similaires allemandes, ne réfléchissent pas que la belle Alsace, avant d'être livrée à l'ennemi, serait mise dans le même état que les territoires de la Somme après la retraite, et que, par conséquent, il n'y a aucune raison pour coter les valeurs alsaciennes à des prix exagérés. »[11]

Et Spindler de conclure dans son journal : « Voilà, imprimé en toutes lettres et dans un journal archi-officieux, ce que le peuple raconte depuis longtemps. »

Considéré comme suspect, le soldat alsacien ou lorrain était évidemment envoyé sur le front russe où l'attendaient les missions les plus dangereuses. Les permissions lui étaient accordées plus difficilement qu’aux autres soldats [12] De toute façon, même s’il obtenait sa permission, le soldat alsacien-lorrain devait attendre trois semaines pour que la gendarmerie locale fît une enquête sur sa famille. En juin 1918 le député Boehle protesta contre la façon dont on s'y prenait : « À Strasbourg, ce fut longtemps un sergent de ville quelconque qui fut désigné pour faire cette enquête. Ce dernier tenait compte de tous les démêlés que l'intéressé avait pu avoir dans le passé avec la police, et tout fut interprété dans un sens politique. » S’il habitait trop près de la frontière suisse, on craignait trop qu'il tentât de déserter et il devait rester au Pays de Bade, où l'on donnait généreusement à sa famille le droit de venir le voir (Mülhäuser Volkszeitung du 8 juin 1918).

Dès 1917 l'Allemand Wittich se désespérait devant les résultats de cette politique: « Je suis outré de la manière dont on traite les Alsaciens. Notre gouvernement ne se rend pas compte de la haine qu'il provoque dans le peuple par des mesures aussi iniques qu'idiotes ». Et le résultat d'une telle conduite apparaît bien dans l'aveu du germanophile Philippe Husser quand il se rend compte que tout espoir est perdu et que l'Allemagne devra bientôt signer la paix[13] :

J'éprouve le besoin de noter ici ce que je pense de la manière dont on traite l'Alsace-Lorraine. On sait bien que les régions frontalières sont toujours les plus exposées... Ceux de l'intérieur n'en ont aucune idée. Mais ce qui est impardonnable, c'est d'avoir traité l'Alsace en pays ennemi[14]. À qui la faute si la sympathie pour l'Allemagne, qui était indéniable en Alsace-Lorraine au départ, s'est muée en son contraire pendant la guerre, sinon au manque d'égards des autorités militaires ? Quand les habitants de la zone évacuée du sud-ouest de l'Alsace vont rentrer chez eux, ils maudiront les soldats allemands à qui mieux mieux. Il paraît que les dégâts sont épouvantables.

L’entre-deux guerres (1918-1940)

L'expulsion des Allemands

Le retour des départements dans le giron de la France ne s'est pas fait sans douleur ni maladresse de la part de l'administration française.

Charles Spindler évoque ces mots qu'aurait dit en 1918 à un Alsacien manifestant beaucoup d'enthousiasme, un Français « de l'intérieur » : « Vous avez été jusqu'ici mal gouvernés et bien administrés, attendez-vous désormais à être mal gouvernés et encore plus mal administrés.» La réalité devait si possible dépasser la prévision, dégradant fortement l'image de la France au sein de la population. Il s’agit d’ailleurs d'une idée que tous les Alsaciens-Lorrains ont entendue, sous une forme ou une autre. Voici, dans Souvenirs de Jadis et de Naguère, ce que nous rapporte Robert Heitz, grand patriote français qui fut condamné à mort par les Nazis :

« 

Quelques jours après l'entrée des troupes, un lointain cousin par alliance vint nous rendre visite. C'était Auguste Spinner qui, ayant été, en 1909, le promoteur du monument français de Wissembourg, dont l'inauguration avait donné lieu à des manifestations violentes de patriotisme anti-allemand, avait dû quitter sa petite ville pour se réfugier à Nancy, et qui rentrait comme officier français. Connaissant, lui, les réalités françaises, inquiet de notre enthousiasme excessif, il voulut nous faire entendre raison. « Vous serez très bien avec les Français, mais il ne faut pas vous laisser faire. Montrez les dents, s'il le faut : ce sera indispensable, croyez-moi ».

Ébahis, indignés, nous eûmes vite fait de juger cet importun : « Spinner est, lui aussi, devenu un Boche. »

 »

Une des premières mesures fut de diviser la population en quatre selon son origine : ceux qui sans l’annexion de 1871 auraient été français reçurent une carte A marquée de tricolore, ceux dont un parent était allemand, ou encore les Allemands conjoints d’Alsaciens-Lorrains, furent munis d’une carte B, les étrangers eurent droit à une carte C et les Allemands enfin reçurent la carte D. Ce tri, uniquement fondé sur les origines, ne tenait ainsi aucun compte du sentiment de l'individu, son patriotisme pouvant être totalement indépendant de ses origines. Quelqu'un eut l’idée de placer une carte B dans la main de la statue de Jean Baptiste Kléber, le grand héros alsacien : il n’aurait pas en effet mérité plus.

Malgré la chute brutale de la monnaie allemande les titulaires de carte A purent lors du changement de monnaie recevoir l’argent français au taux ancien : 1,25 F pour 1 Mark ; ceux qui n’avaient que la carte D ne reçurent qu’un peu plus de 0,80 F pour la même somme, ce qui n’était pas un taux de spoliation, contrairement à ce qui a été dit, mais simplement le cours normal auquel les Alsaciens eux-mêmes s'attendaient et qu'ils auraient trouvé normal : « C'est un magnifique cadeau que la France fait à l'Alsace », disait Spindler admiratif[15]. L'échange brutal de 1940 au taux de vingt francs pour un mark, imposé par les Nazis, devait à l'inverse faire le plus mauvais effet sur la population.

Dès l'armistice, l'Alsace-Lorraine vit s'installer «les revenants», des fils d'Alsaciens ou de Lorrains qui, en 1871, avaient opté pour la France. Leurs parents leur avaient transmis de la Heimat (patrie, terre natale) perdue une idée mythique qui ne correspondait pas à la réalité. Revenus en force au pays, ils ne prétendaient pas moins en être les plus purs représentants, considérant parfois comme des traîtres ceux qui avaient préféré rester. A côté de « La Dernière Classe », il faut lire dans Les Contes du Lundi [16] le conte « La vision du juge de Colmar ». Dans l'Alsace pendant la Guerre Charles Spindler laisse même voir le fossé mental qui le sépare après quatre ans de guerre de son ami Laugel, un Alsacien réfugié en France dès août 1914.

C'est sans la moindre hésitation que Laugel, « revenu de Paris investi de pouvoirs assez étendus » confie aux second « le principe que l'administration française compte appliquer en Alsace-Lorraine » : « Tous les Allemands devront évacuer le pays, sauf de nombreuses exceptions ; tous les Alsaciens et Lorrains pourront rester sauf de rares exceptions ».

Dès l'entrée des troupes françaises, le pillage des magasins allemands commença, regardé d'un œil débonnaire par les nouvelles autorités : Spindler nous montre une populace prête à piller la maison du notaire allemand d'Obernai que la simple vue d'un planton mis en faction devant la porte suffit à disperser la foule.

Enfin, un certain nombre d'Allemands furent expulsés brutalement, contraints à passer le pont du Rhin à pied avec les seuls bagages qu'ils pouvaient porter personnellement, tandis qu'un « comité d'adieu », composé de voyous, les molestait au passage. Combien ont dû quitter l'Alsace et la Lorraine dans ces conditions ? Il est bien difficile de le savoir, d'autant plus que les uniques témoignages furent ceux de spectateurs ou de personnes y ayant participé, aucun expulsé n'ayant pris la plume pour commenter cette humiliation.

Quoi qu'il en soit, ces images restèrent gravées non seulement dans l'imaginaire allemand, mais surtout dans l'imaginaire du public, d'autant plus que Hansi, dessinateur populaire par la suite, immortalisa ces scènes. Les quelques centaines d'Allemands expulsés en passant le Rhin sont devenus dans l'inconcient collectif des cohortes interminables et on en trouve un écho dans Les Alsaciens ou les deux Mathilde, une série télévisée présentant l'histoire récente de l'Alsace. Ces expulsions se sont déroulées de façon beaucoup plus dramatiques et brutales que les départs de 1871. De même l'Evêque de Metz, Willibrord Benzler, bien que très respecté par ses ouailles et qui n'avait jamais fait acte de francophobie, fut chassé de son diocèse quand son prédécesseur de 1871, Paul Dupont des Loges, pourtant ouvertement patriote francophile, avait, à l'époque, conservé son siège épiscopal (voir ci-dessous).

Beaucoup ont cependant relativisé ces humiliations en soulignant qu'elles avaient lieu immédiatement après une guerre où les troupes allemandes s'étaient conduites dans les régions occupées avec force brutalité. On observera aussi que, si on lit le témoignage d'Allemands expulsés, on ne voit jamais qu'ils aient trouvé Outre-Rhin de difficultés à se loger alors que les villes françaises du Nord-Est étaient en ruines.

Pour s'être passée en règle générale dans des conditions moins dramatiques, l'expulsion des Allemands se déroula dans un mélange d'injustice et d'anarchie. Alors qu'en 1871 les nouvelles autorités avaient laissé en place les prélats nommés par le gouvernement français, Mgr Willibrord Benzler , évêque allemand de Metz, qui se mêlait pourtant fort peu de politique, fut brutalement chassé. L'évêque de Strasbourg, Mgr Fritzen, déjà malade, put au moins se retirer au couvent de la Toussaint où il mourut l'année suivante. On le remplaça par Mgr Ruch, de père alsacien (et protestant !), mais qui ne connaissait ni l'allemand ni le dialecte, tout en promettant cependant de s'instruire du mieux qu'il put.

Dans son journal Philippe Husser note le 17 décembre 1918 : «...Environ deux mille Vieux-Allemands, agents de police, fonctionnaires, sont expulsés et conduits en auto de l'autre côté du Rhin. Parmi eux, le collègue Schillinger avec sa famille. Il paraît qu'il a dénoncé des gens. D'autres convois suivront. On a procédé à des fouilles. Il est permis d'emporter seulement une malle et une somme de 300 marks.»

On estime que jusqu'au traité de Versailles 200 000 Allemands furent renvoyés Outre-Rhin ; la moitié d'entre eux put revenir par la suite grâce à la pression exercée par les États-Unis. Cette réintégration fut dénoncée par les francophiles Hansi et Émile Hinzelin[17] qui qualifièrent de « Français de Wilson »[18] ces expulsés rentrés au pays et leur attribuèrent la responsabilité des troubles autonomistes, pour lesquels les historiens s'accordent aujourd'hui à rejeter la responsabilité sur les erreurs du gouvernement français[19]. Ne rentrèrent en fait que ceux qui étaient décidés à « jouer le jeu » et ils firent preuve de la plus grande discrétion.

C'est qu'en fait, dans une société aussi fermée que la société alsacienne, où l'étranger (le hergeloffener, celui qui est venu d'ailleurs) est mal accepté, les minoritaires ont facilement tendance à chercher appui auprès du gouvernement central.

Beaucoup plus virulents en revanche furent d’authentiques Alsaciens qui souvent s’étaient opposés à l’Allemagne et avaient défendu la double culture, et que le gouvernement français avait expulsés en 1918 ou 1919 parce qu’ils s’opposaient aux mesures brutales d’assimilation, c’était le cas d’Eugène Ricklin, ancien président du Landtag, ou du baron Zorn de Bulach appartenant à une des plus grandes familles alsaciennes.

La francisation de l'enseignement

L'épuration du corps enseignant apparut aux gouvernants français comme une nécessité et même comme une urgence. Du jour au lendemain on demanda aux maîtres de faire cours en français; ceux qui en étaient incapables se voyaient, suivant l'humeur de l'inspection et les protections dont ils bénéficiaient, chassés de leur chaire ou envoyés en stage « à l'Intérieur », sans qu'on hésitât à s'en prendre à des Alsaciens. Revenons à Philippe Husser, il écrit au 1er février : « Ont été relevés de leurs fonctions à compter d'aujourd'hui, MM. Roell, Schmitz père et fils, puis les sœurs Neurohr, Mlle Gard, etc. La direction de l'école centrale revient dorénavant à M. Guignot, un maître soldat. M. Kühlmann vient d'être révoqué, semble-t-il. Il paraît qu'il s'est compromis dans quelque vilaine affaire. Mais j'ignore tout. Mme Schlienger aussi est relevée de ses fonctions et attend le jour de son expulsion », et au 26 : « Aujourd'hui paraît encore une longue liste de collègues révoqués. »

Lui-même attend philosophiquement que le couperet s'abatte sur lui, ancien rédacteur en chef de la très pro-allemande Schulzeitung, mais paradoxalement il reste en place ; sa fille est même envoyée en stage à l'Intérieur, ce qui est considéré comme une faveur qui fait enrager les patriotes chauvins. Comme tant d'autres, cependant, il doit provisoirement subir la présence d'un maître-assistant, plus jeune et beaucoup moins expérimenté que lui, mais qui jouit de l'avantage de parler français.

Pour remplacer le personnel révoqué, on fit appel à des enseignants « de l'Intérieur », qui souvent ne connaissaient ni la Lorraine, ni les Lorrains, ni l'alsacien, ni l'Alsace. Placer un maître devant des élèves hébétés qui ne comprenaient pas un mot de ce qu'il disait apparaissait alors comme le fin du fin de la pédagogie : c'était la méthode directe dont Paris attendait des merveilles[20]. S'il s'était encore agi de maîtres expérimentés ! Mais après l'hécatombe de la guerre on en était réduit à prendre ce qu'on trouvait. On cite une malheureuse normalienne fraîche émoulue de dix-huit ans, originaire du Midi protestant, qui se trouva projetée ainsi dans un village particulièrement isolé d'Alsace du nord où seuls le pasteur et sa femme connaissaient le français ; elle en fut réduite à aller pleurer auprès d'eux tous les soirs jusqu'à ce que, au bout d'un an, on la renvoyât chez elle.

Plus grave encore, dans un pays où les convictions religieuses apparaissaient à chacun comme inséparables de son identité, fut l'envoi d'instituteurs qui se proclamaient hautement laïcs, voire athées. Philippe Husser rapporte que l'un d'eux se retrouva devant une classe vide, les parents ayant refusé de lui confier leurs enfants. Et à ce personnel de fortune, beaucoup moins capable que celui, allemand, qu'il était amené à remplacer, on proposait pour l'attirer des primes dont les maîtres autochtones étaient privés[21]. Il en résultait des tensions entre le cadre national et le cadre local, tensions qui persistèrent même après que ces distorsions de salaire eurent pris fin. Un vieux professeur rapportait que dans son lycée, vers les années 1930, la salle des professeurs était divisée en deux clans entre lesquels, il essayait de jouer les bons offices.

Les premières victimes furent évidemment les élèves, et comme il se doit les plus faibles. Dans les milieux aisés on avait conservé l'usage du français, et même si pendant la guerre on se contentait de l'éviter en public. Dans tout milieu un peu cultivé ou aspirant à la culture, on s'efforçait de donner aux enfants l'occasion de parler français. Le changement de langue y fit moins de dégâts qu'on imagine. Une fille de pasteur raconte comment ses parents, vivant en milieu rural, ne lui parlèrent que le français jusqu'à ce qu'elle fût en âge d'aller à l'école, après quoi ils retournèrent au dialecte.

Mais dans les écoles de campagne on frisa vite la catastrophe : la plupart des maîtres, qui parlaient fort mal, étaient incapables d'enseigner une langue qu'ils connaissaient à peine à des élèves qui l'ignoraient complètement[22]. Et si les élèves s'en tiraient mieux le résultat pouvait être pire car ils se moquaient ouvertement de leur instituteur. « Je vous interdis de rier ! (sic) » hurlait un malheureux à sa classe déchaînée, à laquelle il fournissait ainsi le plus puissant motif de rire. À la fin des années vingt on a été obligé d'interroger en dialecte, les apprentis candidats à des examens professionnels : incapables désormais de s'exprimer en allemand, ils n'arrivaient toujours pas à parler français[23].

Cette offensive contre le dialecte n'est pas spécifique à l'Alsace ni à la Lorraine germanophone, à la même époque les petits Bretons ou les petits Occitans sont punis s'ils parlent leur langue. Ailleurs, comme en Lorraine romane le patois a tellement régressé qu'une telle lutte n'est pas nécessaire.

Il est à noter toutefois que, dans le domaine électoral et malgré l'absence de texte législatif ou réglementaire, les professions de foi légales des candidats à toute élection politique peuvent être accompagnées de leur traduction allemande par pérennisation d'une décision du président du conseil d'août 1919 disposée pour les élections législatives du 16 novembre 1919 (et elles seulement)[24].

La dernière offensive laïque

L’offensive laïque de 1924 n’avait fait que troubler inutilement l’Alsace-Lorraine et Painlevé, qui avait succédé à Herriot en 1925, avait tout de suite mis ses projets en veilleuse. Revenu au pouvoir en 1932, Herriot avait préféré continuer la politique d’apaisement qui s’esquissait depuis le départ de Poincaré. Mais après la victoire du Front Populaire, en 1936, Blum crut le moment venu de revenir à la politique d’assimilation.

Il commença par prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans par les lois du 9 et 11 août 1936. Cette mesure fut plutôt accueillie favorablement en Alsace-Lorraine car depuis 1871 c’était l’âge légal de sortie du système scolaire ; on étendait simplement la même mesure aux filles, ce que les protestants avaient dès le début demandé, et cela donnait à tous les enfants la possibilité de se présenter au certificat d’études, examen qui avait alors une réelle valeur.

Mais le 22 octobre 1936 les décrets d’application prévirent dans le cas de l’Alsace-Lorraine une prolongation d’un an pour les garçons, prolongation qui aboutissait simplement à garder un an de plus des enfants déjà munis du certificat d’études et qui n’étaient pas destinés à aller plus loin. Les élus protestèrent auprès du gouvernement en lui représentant les conséquences néfastes d’une pareille mesure, particulièrement en Moselle où la barrière des Vosges n’existait pas : un petit Nancéien de quatorze ans pourrait ainsi entrer en apprentissage à Metz , tandis que le petit Messin du même âge devrait attendre une année de plus et trouverait la place prise à l’issue de sa scolarité.

Dans sa lettre du 30 janvier 1937 au sénateur Eugène Muller, Blum reconnut à demi-mot qu’il s’agissait d’un chantage : comme les élèves Alsaciens-Lorrains avaient des cours d’allemand et des cours de religion qui alourdissaient leur programme, il était normal de leur imposer une année supplémentaire pour qu’ils pussent tout assimiler : il y avait risque de surmenage ! Qu’on renonçât à ces cours et la scolarité obligatoire serait ramenée à quatorze ans. Il réconciliait ainsi dans la même hostilité envers sa politique les germanophiles et les cléricaux.

Le 21 juin 1937, Blum démissionna et Chautemps mit en veilleuse les décrets contestés en attendant le verdict du Conseil d’État qui les annula à la fin de l’année. L’offensive, là encore, n’avait été qu’un coup d’épée dans l’eau, mais la crédibilité de la France était atteinte une nouvelle fois en Alsace-Lorraine.

L’échec de la résistance à la francisation

Le problème, c'est que cette bannière commune n'existait pas. Chaque Alsacien ou Mosellan pouvait très bien savoir ce qu'il voulait, mais ils étaient loin de vouloir tous la même chose. Parmi les adversaires de la France, les communistes étaient parmi les plus virulents et ils n'hésitaient pas à réclamer la sécession ; mais leurs dirigeants qui, de Paris, répercutaient les ordres de Moscou, leur interdisaient les alliances de classes contre-nature, c'est-à-dire avec les catholiques. Pendant un temps Charles Hueber réussit à passer outre, grâce à la protection de Marcel Cachin, et il n'hésita pas à conclure avec eux des ententes ponctuelles; cependant, quand grâce aux voix des cléricaux il réussit en 1929 à conquérir la mairie de Strasbourg, ses chefs parisiens ironisèrent contre les Herz-Jesu-Kommunisten et l'exclurent du Parti. Il ne resta plus aux dissidents qu'à évoluer peu à peu vers le nazisme après la prise de pouvoir par Adolf Hitler.

Le drame de l’autonomisme, c’est que la haute bourgeoisie, francophile et francophone avant 1914, l'était restée après la guerre. C’est d’ailleurs un point qui fait réfléchir, que le monde du commerce et de l’industrie n’ait éprouvé aucune nostalgie pour l’Allemagne malgré son avance industrielle. Quant à la moyenne et à la petite bourgeoisie, elles regardaient au-dessus d’elle et cultivaient leur caractère français dans leur désir de progresser socialement. Les germanophiles, d’ailleurs, n’avaient pas assez de mépris quand ils parlaient de la bourgeoisie à laquelle ils reprochaient d’avoir trahi ses origines : le reproche est récurrent chez Pierri Zind et on le retrouve encore constamment dans ce qu’il reste aujourd’hui de presse autonomiste.

Qu’il existât tout de même une bourgeoisie germanophile, même minoritaire, le fait est incontestable, mais Pierri Zind et les rapports administratifs qu’il cite s’accordent à montrer qu’elle se constituait de médecins, de pharmaciens, de notaires, de pasteurs, d’enseignants… quelques-uns pouvaient être à l’aise mais ils n’en restaient pas moins des notabilités seulement locales et qui manquaient singulièrement de prestige. Dans le village protestant de Voeglinshoffen, le cœur battait encore pour l’Allemagne : lors de l’inauguration du monument aux morts on refusa de chanter la Marseillaise puisque ce n’était pas l’hymne sous lequel on avait combattu, et l’on entonna « Ich hatt’einen Kameraden » ; il n’y avait en somme dans la commune qu’un seul francophile, passablement chauvin… mais c’était le maire. Les paysans avaient beau réprouver ses idées, ils ne s’imaginaient pas votant pour quelqu’un d’autre et se faisant représenter par un rustre ridicule.

Enfin, avec l’avènement d’Hitler, le prestige culturel de l’Allemagne déclina un peu plus. Il n’était plus question de s’appuyer sur les grands écrivains dont les livres alimentaient les bûchers. Au bord de la Méditerranée, Sanary-sur-Mer devenait une petite capitale du monde intellectuel allemand en exil (on trouvera, en allemand, un intéressant article du Spiegel [25]). À la Hunebourg dont il voulait faire un centre de rayonnement du germanisme, Fritz Spieser inculquait aux jeunes que leurs parents lui confiaient des chants et des danses folkloriques à haute dose, mais il ne pouvait rien leur proposer pour nourrir leur esprit.

La Seconde Guerre mondiale (1940-1945)

Le Reichsführer SS Himmler à Metz, 1940
L'Alsace sous domination allemande en 1940 (ville de Sélestat)
Défilé allemand à Forbach en 1940
Revue de troupes à Strasbourg, place de la gare (1940)

Lors de la seconde guerre mondiale, les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont été de nouveau annexés de facto au Reich allemand, entre 1940 et 1945[26]. L'Alsace-Lorraine de 1871 n'est pas reconstituée : l'Alsace est annexée au pays de Bade pour former le « Gau Baden-Elsaß » alors que la Moselle devient le « Gau Westmark » avec la Sarre-Palatinat[26].

Article détaillé : Annexion de la Moselle (1940).

L’exode puis le retour à l’été 1940

La Seconde Guerre mondiale frappa cruellement l’Alsace-Lorraine comme le reste de la France, notamment par les bombardements subis par toutes les couches de la population. Les épreuves avaient commencé dès septembre 1939 : le gouvernement français avait bien prévu qu’en cas de guerre, les populations vivant entre la ligne Maginot et la frontière allemande devraient être évacuées pour être mises à l’abri, mais rien n’avait vraiment été prévu pour leur évacuation. Dès le début de septembre, on obligea la plupart à abandonner leurs maisons, leurs fermes, leurs animaux et à gagner, parfois à pied, les gares ferroviaires où on devait les embarquer pour les trimballer vers le sud ou l'ouest de la France, n'emportant avec eux que ce qu’ils pouvaient porter à la main ou traîner dans des voiturettes de fortune. Après l'offensive allemande de mai 1940, une nouvelle vague de réfugiés, encore plus inorganisés, se jeta sur les routes pour fuir les combats. Certains Alsaciens eurent même à franchir les cols et gagner quelques gares des Vosges. Heureux ceux qui possédaient une auto et qui, disposant de suffisamment d’argent, avaient pu s’acheter une maison dans le midi ou le sud-ouest de la France ! Si des Mosellans - parmi lesquels se trouvaient aussi bien de purs francophones que des germanophones - furent expédiés dans la vallée du Rhône ou en Périgord, bien de ces Alsaciens se retrouvèrent dans le Limousin où pas plus qu'ailleurs, rien n'avait été prévu pour accueillir de tels réfugiés. La population locale regarda d’un œil mauvais ces nouveaux arrivants qui parlaient une langue étrange, une sorte d'allemand ; elle les appela des « yaya », puisqu’on les entendait dire « Ja » pour « Oui », ou carrément « des boches ». Beaucoup de ces réfugiés, souvent habitués à un certain confort en Alsace, durent parfois s’installer dans des granges en ruines ou des masures insalubres. Considérés comme orgueilleux par des autochtones qui ne comprenaient pas pourquoi ils faisaient la fine bouche au regard des conditions d'hébergement, ils furent souvent mal supportés, à la différence d'autres réfugiés francophones et peut-être moins exigeants qu'eux. Évidemment, les plus jeunes se débrouillaient mieux et, au bout de quelques semaines, bien des enfants alsaciens parlaient le limousin avec leurs nouveaux camarades.

Il s'ensuivit, entre les générations, une différence de perceptions de ces évènements qui a pu fausser les points de vue quand, après cinquante ans, on s’est décidé à faire parler les survivants. Les plus âgés étaient morts et ceux qui témoignèrent alors évoquaient leur enfance avec émotion. Certains avaient noué de réelles amitiés dans cette "France de l'intérieur" et y revenaient régulièrement en vacances. Malheureusement, ceux qui à l’époque avaient le plus souffert n’étaient plus là pour témoigner. Et comme on n’aime pas se remémorer les mauvais souvenirs, ceux-là n’en avaient jamais fait un sujet de conversation. Il ne reste alors pour évoquer tous ces drames que quelques lettres jaunies, dans la mesure où l’on était capable d’exprimer sa douleur sur le papier.

On comprend pourquoi, dans ces conditions, tant d’Alsaciens et de Mosellans aient eu envie de rentrer chez eux, une fois l’armistice du 22 juin 1940 signé, même si aucun d'entre d'eux ne se faisait trop d’illusion sur les intentions de l’Allemagne vis-à-vis de l’Alsace-Lorraine. Quelques uns des plus anciens imaginaient qu'ils retrouveraient l’Allemagne d’avant 1914. Beaucoup avaient souffert de ne pas être considérés comme de véritables Français, patriotes, malheureux de la défaite, de la part de ces « gens de l'intérieur ». Certains entendirent même : « Vous avez de la chance, vous les gens de l'Est, vous êtes toujours du côté des vainqueurs » ! Ces relations forcées avec des Français de la France profonde avaient malheureusement conduit bien des Alsaciens et des Lorrains germanophones à se demander s'ils étaient vraiment parmi des compatriotes. Pour les Lorrains francophones, la situation fut peut-être différente.

Le pire était à venir pour ceux qui décidèrent de rentrer au pays, à retrouver la maison ou ce qui pouvait en rester après plusieurs semaines de conflit, de destructions ou de pillage. L'occupant s'y était installé comme dans le reste de la France occupée, mais on espérait ne pas en souffrir là plus qu'ailleurs. Il fallut vite déchanter : dans l'irrespect total de la légalité, on assista, dès l'été 1940, à l'annexion de facto par l'État nazi, des territoires alsaciens et mosellans. Deux Gauleiter - sortes de préfets - Robert Wagner à Strasbourg et Josef Bürckel à Metz y furent nommés. Un troisième, Gustav Simon, étant chargé du Luxembourg, lui aussi annexé. On y imposa diverses mesures visant à « germaniser » les personnes et les pays. Le parler de la langue allemande fut imposé à tous, et celui du français interdit sous peine de lourde amende. Des villes et des villages perdirent leur nom sonnant trop « français », au profit d'un autre plus « allemand ». Certains de ceux qui vivaient là furent, pour divers motifs, jugés indignes de rester. On les expulsa - avec un maigre ballot et peu d'argent - vers les territoires restés sous administration française. La Poste, les Chemins de fer, comme les tous autres services publics et donc bien entendu la police, passèrent sous autorité allemande.

Les conditions de la vie quotidienne, avec ses cortèges de restrictions et de pénurie de toutes sortes du fait de l'état de guerre maintenu avec l'Angleterre, ne connurent aucune amélioration. Une des conséquences immédiate de cette annexion permit à l'occupant de tenter une « opération de charme », en ordonnant la libération et le retour au pays de la plupart des prisonniers de guerre Alsaciens et Mosellans. Ce qui suivit tomba comme la foudre sur la tête des familles : les jeunes garçons et les jeunes filles furent embrigadés de force dans les mouvements de jeunesse nazis, les adolescentes et les adolescents durent rejoindre quelques « camps de jeunesse » et participer à des opérations de défense passive, solidement encadrés pour en faire de « bons Allemands ». À partir d'août 1942, à l'initiative de Bürckel, un autre niveau fut atteint avec l'appel à des volontaires et la mobilisation, de tous les hommes jeunes dans les forces armées allemandes. Certains avaient déjà fait leur service militaire au sein des Armées ou de la Marine françaises et avaient combattu l'Allemagne entre septembre 1939 et juin 1940. Quelques uns avaient même connu les Stalags. Les « mobilisés contre leur gré », eurent à subir d'odieux chantages : les réfractaires ou les déserteurs risquaient la peine de mort, exposaient leurs familles à l'arrestation, l'internement dans des camps ou la déportation « à l'Est », en Silésie. L'Allemagne nazie avait besoin d'eux pour combattre essentiellement l'Armée rouge de l’Union soviétique sur le front de l'est. On les appela les Malgré-Nous. Malgré les efforts menés par leurs services de propagande, les Allemands ne parvinrent pas à susciter des masses d'engagements volontaires parmi les Alsaciens et les Mosellans. Ceux qui furent montrés en exemple étaient souvent des jeunes venus du pays de Bade, voisin, mais en vérité des Allemands installés en Alsace depuis l'armistice. Si la plupart des Malgré-Nous eut à combattre dans des forces militaires classiques, d'autres furent enrôlés dans la Waffen SS. Il faut reconnaître que la confiance en la fidélité et la "combativité" de ces recrues ne fut jamais totale de la part des autorités du Reich. Ceux qui purent déserter les troupes allemandes pour rejoindre les forces alliées (soviétiques, britanniques ou américaines) eurent parfois beaucoup de difficultés à faire admettre leur nationalité française. Si un certain nombre fut admis à reprendre le combat au sein des l'Armée française, d'autres furent contraints à passer de longues années dans des camps de prisonniers comme celui de Tambov en Union soviétique avant de recouvrer une légitime liberté, parfois plus de cinq ans après la fin des hostilités. Une douzaine de jeunes Alsaciens qui avaient été enrôlés dans la division SS Das Reich, ont eu à comparaître devant la Justice française, pour répondre des crimes accomplis à Tulle et à Oradour-sur-Glane. Cette comparution en justice fit grand bruit à l'époque et l'amnistie prononcée en faveur des jeunes condamnés reste encore mal comprise de certaines populations de la France « de l'intérieur ».

Une partie intégrante du IIIe Reich

Quand fut signé l'armistice du 22 juin 1940 le cas de l'Alsace-Lorraine n'était pas évoqué. Ce territoire restait donc juridiquement français, bien qu'il fît partie de la zone militairement occupée par l'Allemagne. Le régime nazi l'annexa en fait sans en faire la proclamation officielle[26] et, comme le gouvernement de Vichy se borna à des protestations secrètes chaque fois qu'était commise une nouvelle violation du droit, le bruit se répandit qu'une clause secrète avait livré l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne.

Timbres a l'effigie de Paul von Hindenburg surchargée de la mention "Elsass" datant de 1940

C’est seulement de retour chez eux que les Alsaciens et les Mosellans s’aperçurent que tout avait changé. L'Alsace fût rattachée au pays de Bade et la Moselle fût rattachée à une entité plus large. Le gouvernement allemand n’hésitait pas à proclamer son admiration pour la politique d’assimilation que la France avait menée après 1918 et il se déclarait prêt à la mettre en œuvre en sens inverse ; c’est-à-dire qu’il s’apprêtait à recommencer les mêmes mesures, mais avec une deutsche Gründlichkeit (une minutie allemande) qui les rendrait irrémédiables. Les troupes allemandes avaient libéré ceux qu’on appelait les Nanziger (Nancéiens), des Alsaciens partisans de l’Allemagne et qui avaient été un long moment internés à Nancy ; mis à part Karl Roos, il s’agissait partiellement de doux rêveurs, qui s’imaginaient une Alsace à la fois allemande et démocratique, espérant naïvement qu’on les mettrait à la tête de leur terre « libérée ». On les écarta et on plaça en haut lieu des hommes sûrs, c’est-à-dire des nazis allemands qui ne connaissaient rien de l’Alsace. Ainsi la rue principale de Mulhouse qui s'appelle la rue du Sauvage fut rebaptisée quelques jours Adolf-Hitler-Straße. Colmar dut s'appeler Kolmar.

En tout cas il faut remarquer que, dès le début, la population alsacienne, comme la population mosellane, adopta une attitude réservée par rapport aux Allemands. Marie-Joseph Bopp a pu avoir sous les yeux un rapport secret du Hilfsdienst, organisation alsacienne au service des Nazis, et en a fait un résumé. On s'y plaint que, lorsque des Alsaciens discutent entre eux de politique, ils se taisent immédiatement dès que s'approche un membre connu du Hilfsdienst. Les annexés facétieux remplacèrent la phrase de salut qu'on leur imposait par celle moins signifiante de « Ein Liter » (ce qui signifie « un litre »).

Dans les départements annexés, une résistance armée locale se développe indépendamment de la résistance intérieure française dans le reste de la France.

Héritage

De nos jours encore, l'Alsace et la Moselle conservent un statut spécial lié à la conservation d'acquis antérieurs à 1914. Rappelons que le vote des femmes, qui ne fut établi en Allemagne qu'en 1919, ne concerna pas les trois départements, et les habitantes des dits départements durent attendre, avec les autres Françaises, 1945 pour s'exprimer politiquement soit une génération supplémentaire.

Une conséquence de la dernière guerre est la faiblesse politique de la gauche dans la région. Malgré ses engagements, l’URSS a longtemps retenu au camp de Tambov dans des conditions abominables, les malgré-nous alsaciens et mosellans, incorporés de force dans la Wehrmacht et qui souvent s’étaient volontairement rendus ; il en est résulté un effondrement du Parti communiste français qui, dans le cadre d’un scrutin uninominal, privait le Parti socialiste français du renfort de voix nécessaires au deuxième tour. L’opposition traditionnelle entre électorat catholique et électorat protestant s’est donc reportée sur une opposition centristes-gaullistes, qui tend à s'effacer au profit d'une opposition extrême droite et droite démocratique. La région Alsace est en 2006, l'une des deux seules régions françaises gouvernées par un exécutif de droite. Concernant la Moselle, notons cependant que la gauche reste implantée dans certaines cités industrielles à « tradition rouge », mais est sujette à un effritement, suite aux grandes restructurations[27].

Quelques sources

Traditionnellement, à ceux qui voulaient s'informer sur l'âme alsacienne, on conseillait Psychanalyse de l'Alsace, de Frédéric Hoffet. L'ouvrage a aujourd'hui beaucoup vieilli : incapable d'expliquer l'Alsace d'aujourd'hui, très différente de celle qu'il décrit (le dialecte a presque complètement disparu chez les jeunes qui, de plus, ne savent presque plus l'allemand), il n'explique pas mieux celle d'hier car il passe (volontairement ?) sous silence un point essentiel : l'opposition entre catholiques et protestants.

Au contraire, cette opposition jusqu'alors tabou est au cœur de la thèse du professeur Alfred Wahl, Confession et comportement dans les campagnes d'Alsace et de Bade, 1871-1939 (1980) qui a fait sensation lors de sa parution. Une phrase a fait date : « Les protestants et les catholiques constituaient finalement deux groupes associés géographiquement ayant cependant conservé leur identité propre. La confession, l'histoire vécue formaient le vecteur de la solidarité quasi-nationale et de la cohésion sociale ». Le grand public, pour lequel cet ouvrage est difficilement accessible, trouvera une présentation plus abordable dans Petites haines ordinaires : histoire des conflits entre catholiques et protestants en Alsace (2004), du même auteur, qui confie son expérience personnelle dans la préface. En collaboration avec Jean-Claude Richez, spécialiste de l'histoire culturelle et des mentalités en Alsace, il a écrit La vie quotidienne en Alsace entre France et Allemagne, 1850-1950 (1993), ouvrage très clair et très complet.

Sans contester une telle interprétation pour le reste de l'Alsace, Bernard Klein s'est penché dans La Vie politique en Alsace bossue et dans le pays de la Petite Pierre sur le cas particulier de l'Alsace bossue, ce morceau de Lorraine que la Révolution a rattaché au Bas-Rhin, et il a montré la persistance entre les deux guerres d'un sentiment anti-français et d'un attachement à l'Allemagne qui transcendaient les confessions. Il montre aussi l'attitude brutale de l'administration française, avec pressions administratives et suppressions de journaux. Bien que l'auteur se présente comme un « chercheur-militant », ce qui inquiète pour son objectivité, l'ouvrage est bien documenté et constitue une monographie solide. Ce n'est que dans un appendice que le militant l'emporte peut-être sur le chercheur lorsqu'il se penche sur le fait que, dans cette petite région très anti-française, Jean-Marie Le Pen est venu en tête à l'élection présidentielle de 1988 avec plus du quart des voix, tandis que l'Alsacien Antoine Waechter qui représentait les écologistes avoisinait 10 % ; il y voit une persistance du malaise d'autrefois qui aurait conduit les électeurs les moins intelligents à voter Le Pen et les plus sages à voter écologiste. Il ne faut pas oublier que les générations ne sont plus les mêmes, que les femmes ne votaient pas avant la guerre et qu'il n’y a pas toujours un Alsacien candidat à l'éléction présidentielle.

Les oppositions religieuses, linguistiques ou nationales sont relativisées dans L'Alsace des notables par François Igersheim qui insiste sur les oppositions de classes et montre la bourgeoisie soucieuse de préserver ses privilèges sous tous les régimes. Cette conception marxiste ne séduira pas tout le monde, mais l'auteur est un historien reconnu et le livre est solide. On trouvera à la fin de l'ouvrage, sous forme d'index, des petites biographies qui, malgré leur brièveté, n'omettent rien d'essentiel.

Alfred Wahl a enrichi d'une préface et de notes le Journal d'un Instituteur alsacien tenu entre 1914 et 1951 par Philippe Husser. La lecture en est indispensable à qui souhaiterait explorer plus avant le vécu de la population durant cette période.

Pendant la guerre de 1914-18, Charles Spindler a tenu un journal très détaillé. Son honnêteté intellectuelle est incontestable et, le 2 juin 1926, Husser reconnaît avec quelque jalousie que l'auteur, ayant disposé de relations plus étendues, a écrit un livre plus intéressant que le sien. Il ajoute (ce qui est faux) que l'ouvrage n'est pas d'une totale franchise, l'auteur l'ayant rédigé en vue de sa publication : en fait c'est l'insistance de son ami André Hallays qui a d'abord fait publier quelques extraits dans la Revue des Deux-Mondes puis, en livre indépendant, la partie allant de 1914 à 1919. Le reste est toujours inédit et entre les mains de sa famille.

Aux premiers jours de l'occupation nazie en Alsace, Marie-Joseph Bopp a commencé lui aussi à écrire un journal de guerre, qui n'a été publié qu'en 2004 aux Éditions de la Nuée Bleue, sous le titre Ma ville à l'heure nazie. Lui aussi rapporte ce qu'il entend sans pouvoir toujours le garantir. Le 14 octobre 1940 il écrit ainsi: « Mon élève Chenet est revenu à Colmar. À Rouffach, on a examiné une dernière fois les dossiers : puisque son père, français de l'Intérieur, est mort, on a permis à la veuve alsacienne de rentrer avec les siens à Colmar. On prétend que les Allemands exigent que si la partie alsacienne d'un couple divorce, alors elle pourrait rester. La femme alsacienne divorcée devrait alors au bout d'un an se remarier avec un Deutschstämmig, un Allemand, si elle a moins de quarante ans. C'est incroyablement diabolique, on ne peut pas le croire, mais ce serait bien dans la manière nazie. »

Dans ses Souvenirs le Prince Alexandre de Hohenlohe, qui fut haut-fonctionnaire en Alsace a laissé des pages qui montrent de profondes intuitions. On tirera peu, au contraire, des Denkwürdigkeiten écrits par son père.

Le Malaise alsacien 1919-1924, de Geneviève Baas, publié en 1972, est un honnête travail de diplôme d'études supérieures. On y trouvera surtout des reproductions d'articles de journaux et de livres écrits à l'époque.

Tout au contraire, Jean Haubenestel, un chercheur particulièrement obstiné, a réussi à se faire remettre de vieux documents de famille grâce auxquels il a publié des brochures qui nous montrent la façon de sentir et de penser de la population. Les Malgré-Nous d'Ernolsheim contiennent des lettres poignantes, mais on ne négligera pas L'Oncle d'Amérique qui évoque les rapports des émigrés d'outre-Atlantique avec leur famille restée au pays, ni Active, propre, honnête, sur les bonnes alsaciennes de Paris.

Le point de vue autonomiste, et même séparatiste, est défendu avec passion par Pierri Zind dans Elsass-Lothringen, nation interdite. Publié en 1979, ce livre est surtout intéressant pour faire sentir les siècles qui se sont écoulés en quelques années, pour reprendre l'expression de Michelet. Les discours enflammés qu'il y reproduit et qui, entre les deux guerres, pouvaient agiter toute l'Alsace et, voici trente ans, éveillaient encore un certain écho, n'ameuteraient pas aujourd'hui dix personnes à Strasbourg.

La lecture des albums de Hansi offre un certain éclairage sur la question, en particulier Le Professeur Knatschke dont l'influence a été considérable sur les idées que les Français se sont forgées de l'Alsace-Lorraine.

Si on a les éditions en main, on comparera les Contes et Légendes d'Alsace, d'Émile Hinzelin, tels qu'ils ont paru en 1913, et ce qu'ils sont devenus dès 1915.
Du même, L'Alsace, la Lorraine et la Paix ; pour cet auteur, assimilationniste convaincu, tous les problèmes viennent des agissements de l'Allemagne ; s'il y a eu quelques erreurs, dit-il, elles sont déjà réparées. Pas un mot sur la crise autonomiste de 1924, issue de l'offensive laïque d'Herriot; il est vrai que l'auteur, à la fois franc-maçon et ami de nombreux curés, ne s'attarde pas dans les questions gênantes. Ce livre, publié en 1929 (l'année où Strasbourg et Colmar portaient à leur tête des municipalités autonomistes) et qui s'efforce pourtant de peindre la réalité en rose, montre l'abîme d'incompréhension qui séparait l'Alsace-Lorraine et la France.

On consultera les mémoires, qui permettent de pénétrer dans les mentalités :

  • Hans-Otto Meissner : Straßburg, o Straßburg
  • Elly Heuss-Knapp : Ausblick vom Muensterturm: Erlebtes aus d. Elsass u. d. Reich
  • Jean Egen : Les Tilleuls de Lautenbach
  • Jean Schlumberger : Éveils
  • Pierre Durand : En passant par la Lorraine, s.d. (1945), rapporte des détails intéressants.
  • Friedrich Lienhard : Westmark, nous montre sous une forme romancée l'état d'esprit des Allemands et des Alsaciens germanophiles aux derniers temps de la première guerre mondiale. Publié à l'origine en caractères fraktur, l'ouvrage a été récemment réimprimé en caractères romains.

Les Loups noirs, de Bernard Fischbach et Roland Oberlé (1990), nous montrent une survivance du séparatisme dans les années soixante-dix, avec la tentative avortée d'une campagne de terrorisme. La deuxième partie du livre, « Aspects de l'autonomisme alsacien » contient de nombreux et intéressants documents.

L'Alsace de Bismarck 1870-1918, Editions Muller, (2007), de Raymond Fischer, nous fait vivre avec force cette annexion d'un demi-siècle grâce aux trois grands mouvements du texte, qui présentent une vision historique, la vie des Alsaciens d'un hameau annexé et la guerre par l'engagement d'un Alsacien sur le front russe.

Sur la question des Malgré-nous, l'ouvrage essentiel est :
Eugène Riedweg, Les Malgré-Nous, Éditions du Rhin, 1995
Les Malgré-Nous et le drame d'Oradour, Le procès de Bordeaux, Éditions du Rhin, Strasbourg, 2003, de Jean-Laurent Vonau est plus particulièrement consacré au procès des incorporés de force de 1953, qui est considéré en Alsace comme une monstruosité juridique.

Les deux livres de Paul Lévy, Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine et La langue allemande en France sont remplis d'anecdotes et de documents fort bien choisis.

D'autres livres décrivant et/ou illustrant l'histoire de l'Alsace-Lorraine :

  • Alsace et Lorraine, terres françaises, Editions du Témoignage Chrétien, (1943), explique très clairement l'annexion "de fait" de l'Alsace-Lorraine entre 1940 et 1945.
  • Le retour de l'Alsace-Lorraine à la France, (1923), d’Alexandre Millerand, décrit avec précision le retour de l'Alsace-Lorraine à la France.
  • L'Alsace dans la guerre 1939-1945, Edition Horvath, permet de se rentre compte de l'intégration "de fait" de l'Alsace-Lorraine au sein du IIIe Reich.
  • Alsace-Lorraine, la carte au liséré vert, (1918), de Georges Delahache
  • Les débuts de l'administration française en Alsace et en Lorraine, (1921), Librairie Hachette
  • Témoignage pour les alsaciens-lorrains, (1925), Librairie Plon

Enfin, on recourra sans cesse au Nouveau Dictionnaire de Biographies Alsaciennes dont chaque article est rédigé par les meilleurs spécialistes. Il remplace avantageusement le Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l'Alsace, d'Édouard Sitzmann, paru en 1909 et qui a fait l'objet d'une réédition en 1973.

Liens internes

Liens externes

Sur la question des mariages transfrontaliers entre Alsaciens et Allemands à Strasbourg entre 1871 et 1914, on consultera, sur le site de l’Université de Marburg (ici), les pages que lui consacre M. François Uberfill, professeur à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg. Contrairement aux impressions que pourraient nous laisser des mémoires comme Straßburg, o Straßburg de Hans-Otto Meissner, les mariages entre fonctionnaires allemands et alsaciennes étaient fort rares, et il était exceptionnel qu’un instituteur se mariât sur place pendant les vingt premières années au moins. Cela peut permettre de comprendre autrement une caricature de 1918 faite par Émile Schneider : sous le titre L'Indésirable elle nous montre un Allemand, plus vrai que nature avec sa raie au milieu du crâne ; assis tristement sur une malle et attendant son expulsion il soupire : « Si seulement moi aussi j'avais épousé une Alsacienne ! »[28] On pourrait voir là la rancune de certains Alsaciens qui constataient que ces fonctionnaires bien payés auraient pu représenter de beaux partis mais que ceux-ci refusaient d'épouser leurs filles.

Curiosités

Refonte des régions

En 2009, le Comité Balladur propose la fusion de l'Alsace et de la Lorraine pour 2014.[29], ce qui conduit certains médias à employer le nom d'« Alsace-Lorraine » pour cette région potentielle.

Bibliographie

  • Laurence Turetti, Quand la France pleurait l'Alsace-Lorraine (1870-1914 : Les "provinces perdues" aux sources du patriotisme républicain), La Nuée Bleue, 2008. Analyse documentée de la perception au cours de cette période, côté français, de la perte de l'Alsace-Lorraine.

Filmographie

Références

  1. Expression du dialecte alsacien servant à désigner les francophones.
  2. Assemblée nationale http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/deputes-protestataires.asp
  3. Le 11 août 1918, Charles Spindler (v. Bibliographie) raconte dans son journal un incident significatif. Invité à un repas il entend un des convives adresser de violents reproches à la France : Alsacien francophile il avait été arrêté comme fonctionnaire allemand lors d'une incursion française et relâché seulement au bout de trois ans de mauvais traitements en entendant seulement bredouiller des excuses : c'était une erreur. Les autres convives l'écoutent mais n'en trinquent pas moins à la victoire de la France : après quatre années de tyrannie militaire et d'avanies de toutes sortes, ils ne veulent plus rien savoir de l'Allemagne. Le 22 août 1918, dans son journal, il parle encore d'Alsaciens qui ont subi en France de mauvais traitements et qui s'en plaignent, mais il ajoute : « Ces incidents sont regrettables, certes, mais chez nous l'opinion publique est tellement acquise aux Français qu'elle ne s'en émeut pas ».
  4. Dès 1914, Albert Schweitzer et son épouse furent mis en résidence surveillée à Lambaréné (Gabon, alors en Afrique-Équatoriale française) ; épuisés et malades en 1917, ils furent ramenés et internés en France jusqu'en juillet 1918.
  5. Spindler, L'Alsace pendant la Guerre, 6 septembre 1914.
  6. L'Alsace pendant la Guerre, 11 septembre 1915.
  7. Charles Spindler, L'Alsace pendant la Guerre, 7 juin 1917
  8. On lit dans le journal de Spindler dès le 26 octobre 1914 : « Puis il me recommande de ne pas parler français. Les rues sont infestées de mouchards, hommes et femmes, qui touchent des primes et font arrêter les passants pour un simple merci dit en français. Il va sans dire que ces mesures excitent l'esprit blagueur du peuple. Une femme du marché, qui probablement ignorait jusqu'à ce jour que bonchour et merci étaient français, est prise à partie par une dame allemande parce qu'elle a répondu à son Guten Tag par un bonchour&thinsp ;! Alors la bonne femme, les poings sur les hanches, interpelle sa cliente&thinsp ;: « Maintenant j'en ai plein le dos de vos bêtes d'histoires ! Savez-vous quoi?… ici, une invite très ordurière… Et ça, est-ce aussi du français?» (Jetz grad genua mit dene dauwe Plän! Wisse Sie was? Leeke Sie mich… ! Esch des am End au franzêsch?)
  9. On peut voir dans L'Alsace pendant la guerre comment l'exaspération de la population s'accroît peu à peu, mais dès le 29 septembre 1914 Spindler entend une phrase caractéristique : «… Le tapissier H., qui remet en état les matelas de la maison Ott me disait ce matin: « Si seulement c'était la volonté de Dieu que nous redevenions français et que ces damnés Schwowebittel soient f… hors du pays ! Et puis, vous savez, il y a des chances que cela arrive. » C'est la première fois depuis la guerre que j'entends un homme du peuple exprimer franchement ce vœu. »
  10. Charles Spindler, L'Alsace pendant la Guerre, 2 février 1915
  11. Wenn für die elsässischen Wertpapiere gegenwärtig sehr viel höhere Kurse bezahlt werden als für die gleichartigen Papiere des übrigen Deutschland, aus dem Gedanken heraus: uns kann nichts passieren, wir bleiben beim Sieger, so wird nicht bedacht, dass das schöne Elsass dem Rückzugsgebiet an. der Somme gleichsehen würde, bevor es in feindliche Hände fiele und damit der Grund zur Ueberwertung der elsässischen Papiere hinfällig würde...
  12. En mai 1918 les députés Peirotes, Boehle et Fuchs posèrent cette question au chancelier : « « Malgré les ordres émanant du Ministère de la Guerre, levant la suspension générale des permissions pour les soldats de l'armée allemande, les soldats alsaciens-lorrains n'obtiennent que très rarement les permissions auxquelles ils ont droit. M. le Chancelier a-t-il connaissance de cet état de choses et est-il prêt à faire le nécessaire pour que les soldats d'origine alsacienne-lorraine soient traités de la même façon que le sont les soldats des autres provinces de l'Empire ? »
  13. Philippe Husser, Un Instituteur alsacien, 27 octobre 1918, Hachette, 1989.
  14. Souligné par l'auteur lui-même.
  15. Charles Spindler, L'Alsace pendant la Guerre, 13 décembre.
  16. que l'on trouvera dans Gallica sous le titre La fantaisie et l'histoire et également librement téléchargeable et lisible ici.
  17. Émile Hinzelin, L'Alsace, la Lorraine et la Paix, Les Éditions de la Marche de France, Villemombre, s.d. (vers 1929) pp. 211, 212.
  18. É. Hinzelin, op.cit. p. 257.
  19. Hinzelin écrit : Hansi, aussi clairvoyant patriote que délicieux artiste, nous dit : « Après la signature de la paix, quelle déception pour les Alsaciens, quel soulagement pour les Allemands, quand l'Alsace a vu des Allemands revenir en foule ! La France, avec une mentalité de vaincue, appliquait pleinement, plus que pleinement, l'article du Traité qui confère la nationalité française à tout Allemand ayant épousé une Alsacienne ou une Lorraine. En vérité, la France n'était nullement obligée d'appliquer le traité, jusque dans ses articles qui lui nuisent le plus, alors que l'Allemagne vaincue déclarait son mépris pour le « chiffon de papier » signé à Versailles. Et, si la France pouvait se considérer comme obligée à rouvrir ses portes aux Allemands qui se sont mariés chez elle, était-elle obligée de leur rendre leurs places d'avant-guerre, avec tous les bénéfices d'après-guerre ? ».
  20. Le recteur Charléty n'hésitait pas à écrire : « Suivant le choix qu'on aura fait, les enfants d'Alsace et de Lorraine parleront le français comme on peut le balbutier à Zurich ou comme on le parle à Nancy. » (Cité par Geneviève Baas, Le Malaise alsacien).
  21. On lit dans La vie quotidienne en Alsace entre France et Allemagne, 1850-1950 d'Alfred Wahl et Jean-Claude Richez : « Les instituteurs venus de l'intérieur pour remplacer les Allemands d'origine révoqués obtinrent un supplément de salaire de 20 %, justifié par les autorités par les difficultés particulières aux conditions de travail en Alsace. Cela suscita la colère des instituteurs locaux ».
  22. Dès le 14 décembre 1918 Philippe Husser est convoqué pour entendre une conférence en français ; lui-même arrive à comprendre mais note scandalisé que l'orateur ne parle que le français et imagine que tout le monde le sait, ce qui n'est pas le cas du tout.
  23. Dans une enquête menée par la Chambre des Métiers d'Alsace et de Moselle en 1926 on peut lire: « Ne sachant plus l'allemand et pas encore le français de façon suffisante, la plupart des candidats sont incapables de s'exprimer autrement que dans le dialecte alsacien » (Cité par Geneviève Baas, Le Malaise alsacien).
  24. La question n° 51128 de l'Assemblée nationale au ministre de l'intérieur (entre autres) cite, dans sa réponse, cet état de fait.
  25. Spiegel
  26. a , b  et c Eberhard Jäckel, Frankreich in Hitlers Europa – Die deutsche Frankreichpolitik im Zweiten Weltkrieg, Deutsche Verlag-Anstalg GmbH, Stuttgart, 1966 ; traduction : La France dans l'Europe de Hitler (préface de Alfred Grosser, traduction de Denise Meunier), éd. Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », 1968, 554 p., chap. « L'annexion déguisée », p. 123-124
  27. Le département de la Moselle compte huit députés UMP pour deux députés PS.
  28. « Hätte ich doch auch so 'ne Elsaesserin geheiratet ! »
  29. http://www.lefigaro.fr/politique/2009/02/26/01002-20090226ARTFIG00352-le-comite-balladur-dessine-la-france-de-2014-.php

Voir aussi

Articles connexes

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