Honore Muraire

Honore Muraire

Honoré Muraire

Honoré Muraire, personnage de la Révolution française et magistrat français, est né à Draguignan le 5 novembre 1750, et on le voit, dans un registre des délibérations de cette ville, qualifié du titre de seigneur de Favas, petit bourg des environs. Il meurt le 22 novembre 1837.

Sommaire

Biographie

Reçu avocat à la suite d'excellentes études, le jeune Muraire s'établit dans sa ville natale. Bientôt sa réputation d'habileté et de prudence fut faite. Nommé en 1785 maire et premier consul de Draguignan, il préluda aux grands emplois qu'il devait occuper plus tard, en déployant une activité judicieuse qui, en peu d'années, transforma la ville qu'il administrait. À l'expiration de son mandat, il fit imprimer un compte rendu à ses concitoyens, s'inspirant, sur un modeste théâtre, de l'exemple donné auparavant par Necker et qui avait eu un si grand retentissement. Deux fois, en 1785 et en 1786, il avait été nommé député aux états de Provence.

Quand commença le mouvement de 1789, Honoré Muraire fut chargé par la municipalité de Draguignan de préparer un plan de réforme des tribunaux et un projet de règlement concernant la milice bourgeoise. Un an plus tard, en 1790, ses concitoyens lui confièrent une importante mission. L'assemblée nationale s'occupait de l'organisation des départements, et le bruit s'était répandu dans le Var que la ville de Toulon, bien que située sur le littoral et à l'une des extrémités de la nouvelle circonscription administrative, prétendait en être le chef-lieu.

La mission de Muraire était d'éclairer l'assemblée nationale et de prévenir tout à la fois une injustice à l'égard des populations qui réclamaient contre cette prétention et une faute grave au point de vue administratif. Dans un mémoire qu'il composa à ce sujet et qui est un modèle de raisonnement et de bon sens, Muraire prouva que le véritable chef-lieu, le chef-lieu indiqué, obligé, du département du Var, était la ville de Draguignan, et qu'on ne pouvait le placer ailleurs sans violer les droits manifestes des trois quarts de la population du district.[1]

Dans l'espace de six ans, Muraire avait été élu tour à tour maire, député aux états de Provence, président du district, membre de toutes les commissions locales, et partout il avait fait. preuve d'un sens droit, d'une grande modération, d'une habileté à laquelle chacun rendait hommage ; ferme d'ailleurs et sachant résister aux vœux de ses concitoyens quand leurs prétentions ne lui paraissaient pas fondées.

En 1791, les électeurs du district, de Draguignan eurent à envoyer un député à l'assemblée législative. Muraire obtint leurs suffrages, vint à Paris, fut nommé peu de temps après membre du comité de législation et fit à l'assemblée, le 15 février un rapport relatif au mode de constatation de l'état civil des citoyens qui le classa parmi les hommes destinés à exercer une légitime influence sur les affaires de leur pays.[2]

Il estimait en outre qu'à la législation civile seule il appartenait de déterminer les cas d'empêchements aux mariages dans une même famille. D'autre part, la faculté que le comité proposait de donner aux enfants de se marier dès l'âge de vingt et un ans sans le consentement de leurs parents[3] Une seule voix s'éleva avec énergie dans l'assemblée législative contre les conclusions du rapporteur : ce fut celle de François de Neufchâteau. Mais ses avis ne furent pas écoutés ; Muraire lui-même les combattit et entraîna l'assemblée.

La nouvelle loi sur l'état civil fut donc votée, mais peut-être un peu prématurément. Une page fâcheuse se rencontre ici dans la vie de Muraire. Chargé de faire à l'assemble nationale un rapport sur la conduite du maire de Paris, Pétion, dans la journée du 20 juin, il conclut à ce que la suspension dont le directoire du département avait frappé Pétion pour sa désobéissance flagrante fût levée. Cette proposition, où la justice était sacrifiée à une indulgence pour le moins excessive, fut approuvée, mais le Moniteur constate qu'une partie de l'assemblée ne prit point part à la délibération.[4]

Mais, si ces faits n'étaient pas connus encore, on avait pu voir Pétion féliciter publiquement, malgré les insultes commises par lapopulace dans son irruption aux Tuileries, les citoyens et citoyennes des faubourgs d'avoir exercé avec modération et dignité leur droit de pétition. Comprenant enfin, mais trop tard, que la royauté était poussée vers l'abîme, le général Lafayette était accouru à Paris après le 20 juin, s'était présenté à la barre de l'assemblée, et là, dans un langage ferme et catégorique, il avait demandé, « au nom de tous les honnêtes gens », que les auteurs et instigateurs des derniers événements fussent sévèrement punis. Les girondins, auxquels Pétion devait sa réintégration, demandèrent de leur côté que le général Lafayette fût mis en accusation pour avoir quitté l'armée sans congé et adressé à l'assemblée, comme chef militaire, des pétitions relatives à des intérêts en dehors de ses attributions. L'affaire s'envenima, et le général Lafayette fut accusé d'avoir, à la suite des événements du juin, exprimé l'intention de marcher sur Paris.

Sur ces entrefaites, on lut à l'assemblée une lettre qu'il avait écrite au maréchal Luckner et qui renfermait des passages peu propres à concilier à son auteur la sympathie des clubs. Muraire, à qui la commission extraordinaire des Douze avait confié le rapport sur les griefs imputés au général Lafayette, mit toute son adresse à les atténuer. Il fut bien obligé de reconnaître qu'il était- dangereux de voir des généraux d'armée formuler des pétitions qui pouvaient devenir des ordres pour les autorités à qui elles étaient adressées. Mais, dit-il, ni la constitution ni la loi n'avaient mis de limite à l'exercice du droit de pétition. D'autre part, la Déclaration des droits de l'homme portait expressément que nul citoyen ne pouvait être condamné qu'en vertu d'une loi antérieure au délit dont il était accusé. Conformément à ce principe, la commission n'avait rien vu dans la conduite du général Lafayette qui fût contraire aux lois en vigueur. À la suite de longues et violentes discussions, l'assemblée rejeta le décret de mise en accusation contre le général, à la majorité de 406 voix contre 224.

Résolue à l'établissement du divorce, rassemblée en avait adopté le principe dans la discussion relative à la constatation des actes de l'état civil. Il fallait cependant prendre sur cet important sujet une décision formelle. Aussi le comité de législation, dont Muraire faisait partie, était souvent invité à la formuler. Le 30 août 1792, un député exposa sur le divorce une théorie qui fut accueillie par l'assemblée avec une grande faveur. Après avoir qualifié la simple séparation autorisée par l'ancien code de loi barbare, vouant, sans réciprocité, une femme vertueuse au malheur ou lui commandant l'adultère, Aubert-Dubayet dit que le contrat qui liait les époux devait être commun. Suivant lui, ils ne pouvaient être véritablement heureux qu'autant que la loi leur permettrait le divorce. Des applaudissements bruyants et réitérés accueillirent cet étrange plaidoyer.

Muraire prit la parole pour expliquer que si le comité de législation n'avait pas annexé à la loi sur l'état civil une disposition concernant le divorce, c'est qu'il avait pensé qu'elle devait faire un objet distinct. Il croyait d'ailleurs que le divorce était conforme à la morale, à la politique, à la Déclaration des droits de l'homme, et il était d'avis que le comité fût invité à formuler un projet de loi à ce sujet. Sans attendre de nouvelles explications, l'assemblée, impatiente de ramener l'âge d'or dans tous les ménages où les liens conjugaux auraient pu être mal assurés, déclara que le mariage était un contrat dissoluble par le divorce. L'assemblée législative se sépara peu de temps après.

Muraire y représentait un département essentiellement religieux. Dans le Midi de la France, comme au surplus dans toutes les autres provinces, la majorité des populations pensait que la faculté légale de dissoudre les liens conjugaux porterait à la famille et aux mœurs une atteinte irréparable. Ces dissentiments fondamentaux nuisirent sans doute à Muraire, qui ne fut pas réélu par ses compatriotes. Il dut aussi probablement à cette retraite forcée de la scène politique de traverser le régime de la terreur sans payer de sa vie son attachement réel pour la liberté amie de l'ordre.

Il avait cependant été emprisonné à Sainte-Pélagie, et il allait être traduit devant le tribunal révolutionnaire, quand la réaction de thermidor le sauva d'une mort certaine. Nommé au mois de septembre 1795 député au conseil des Anciens par le département de la Seine, Muraire fit sa profession de foi dans un rapport relatif au règlement de l'Institut, que le gouvernement venait de reconstituer. « La France, dit-il, gémissait sur les longs malheurs d'une trop longue tyrannie ; la philosophie épouvante tée abandonnait une terre sur laquelle la lift berté semblait n'avoir pu s'établir ; les sciences et les arts, persécutés par le vandalisme, fuyaient devant lui ; les hommes les plus recommandables par leurs lumières, leur savoir, leurs talents, étaient proscrits et immolés Moniteur universel du 21 germinal an 4 (10 avril 1796). » Cette indignation généreuse inspira de nouveau Muraire dans la discussion d'une mesure importante que le conseil des Cinq-Cents avait approuvée et renvoyée, conformément à la constitution, au conseil des Anciens. Il s'agissait d'obliger les pères, mères et autres ascendants des émigrés à faire le partage de leurs biens, afin de pouvoir saisir et mettre sous le séquestre, au profit de l'État, ceux de ces biens qui seraient échus à des émigrés.

Convaincu d'après les dispositions de ses collègues que la proposition serait adoptée, Muraire la combattit néanmoins avec énergie, en invoquant les principes sociaux les plus sacrés. Sa protestation demeura sans succès et la proposition relative aux biens des émigrés fut adoptée par 108 voix contre 94. Une loi de la convention nationale avait accordé aux enfants nés hors mariage le droit de succéder à leurs père et mère au même titre que les enfants légitimes, Muraire appuya de sa parole et le conseil des Anciens adopta la proposition qu'avait faîte le conseil des Cinq-Cents de modifier cette législation antisociale. Ce fut le point de départ des dispositions depuis insérées dans le Code civil. Une autre loi de la convention nationale, celle du brumaire an 4, avait en quelque sorte divisé la France en deux catégories et déclaré incapables de toutes fonctions législatives, administratives, municipales et judiciaires, non-seulement tous ceux qui auraient provoqué des mesures séditieuses et contraires aux lois, mais encore les pères, fils et petits-fils, frères et beaux-frères, alliés, oncles et neveux des individus compris dans les listes d'émigrés et non définitivement rayés de ces listes.

Effrayé de cette législation draconienne, le conseil des Cinq-Cents avait proposé, en attendant mieux, de rapporter l'article 1er de la loi relatif à la provocation aux mesures séditieuses, lequel laissait à l'autorité un pouvoir discrétionnaire dont les mauvaises passions pouvaient abuser si facilement. Muraire, récemment élu président du conseil des Anciens, appuya avec la plus louable insistance la résolution des Cinq-Cents. Il exposa que la rejeter serait faire revivre la loi du 3 brumaire, qu'un orateur avait si bien qualifiée en disant qu'elle ressuscitait le régime de Robespierre sous celui de la constitution.

Peu de temps après, chargé d'un rapport sur la question de savoir quelle devait être la qualification de la peine appliquée pour vente et achat de suffrages en matière d'élection, Muraire se rangea, par les meilleures raisons, fondées principalement sur la dignité des citoyens et l'utilité publique, à l'avis des Cinq-Cents, qui avaient déclaré cette peine infamante. Cependant de fâcheuses rumeurs commençaient de nouveau à circuler. On prévoyait que le directoire, préoccupé à l'excès de quelques réunions royalistes et visiblement débordé par la faction jacobine à qui elles servaient de prétexte pour ses desseins, se laisserait dominer, comme l'avaient fait tous les pouvoirs depuis 1789, par les partis extrêmes.

Muraire était, et il le savait fort bien, du nombre de ceux que menaçaient les soi-disant amis de la révolution. Il faut lui rendre justice : il suivit la ligne qui lui était tracée par son devoir avec une fermeté des plus honorables. Il avait invoqué avec éloquence le principe et le droit sacré de la propriété pour empêcher que les pères, mères et autres ascendants des émigrés ne, fussent forcés de disposer, vivants, de tous leurs biens. La qualification de chouan, que cet acte de courage lui avait value de la part d'un de ses collègues, ne l'intimida pas dans une autre discussion ayant, au point de vue politique, de l'analogie avea la première. Vers la fin d'août, le conseil des Anciens eut à examiner une résolution prise par le conseil des Cinq-Cents, dans le but de rapporter toutes les lois pénales rendues contre les prêtres non assermentés. Ces lois exigeaient en effet une réforme devenue urgente, si l'on ne voulait s'aliéner profondément les populations.

Muraire posa d'abord en principe que l'indépendance de l'opinion, de la pensée, de la conscience, devait être absolue auprès des législateurs. La constitution ne reconnaissant que des citoyens, il éviterait donc de faire intervenir la religion dans une discussion exclusivement politique. Il résuma ensuite, en termes énergiques, les lois qu'il s'agissait de rapporter. C'étaient, suivant lui, des lois d'exil et de mort portées contre des hommes en masse, sans distinction, sans jugement, sur la dénonciation de six personnes et l'attestation de deux témoins, soit pour des faits qui n'étaient pas déclarés criminels et qui ne pouvaient pas l'être par leur nature, car la prestation et la rétractation d'un serment avaient toujours été des actes parfaitement libres ; soit contre des gens dont l'unique crime était d'avoir donné l'hospitalité à des ecclésiastiques ou de les avoir soustraits à la persécution.

Son discours produisit sans doute une impression profonde, car le conseil des Anciens le fit distribuer à trois exemplaires. Cependant, les craintes de la partie influente du directoire étaient, depuis quelque temps, devenues très vives. Dix jours après le rappel de la loi sur les prêtres, le 18 fructidor an 5 (4 septembre 1797) le bruit se répandit dans Paris qu'un grand nombre de membres du conseil des Cinq-Cents et du conseil des Anciens avaient été saisis et déportés. Muraire figurait avec Portalis, Siméon, Pastoret, Camille Jordan, Boissy d'Anglas, Barbé-Marbois, sur la liste des victimes : il devait même, comme la plupart d'entre elles, être déporté à Cayenne. Il trouva d'abord le moyen de se cacher et obtint ensuite de passer le temps de sa détention à l'île d'Oléron, où il resta plus de deux ans, à l'expiration desquels un décret spécial en date du 5 nivôse an VIII l'autorisa, ainsi que ses compagnons d'exil, à se rendre à Paris et à y demeurer sous la surveillance du ministre de la police générale.

L'avènement d'un gouvernement, que tout le monde prit au sérieux, devait nécessairement remettre en évidence tous ceux, législateurs ou administrateurs, dont la capacité s'était manifestée dans les débats et les luttes de la révolution. Muraire ne tarda pas à se trouver porté, par la force des choses, à une position éminente. Nommé d'abord commissaire au parquet de Paris, il entrait peu après au tribunal de cassation. Le président Tronchet ayant été nommé sénateur, le tribunal de cassation choisit à l'unanimité Muraire pour le présider.

Jamais, on peut le dire, élection plus flatteuse. Muraire eut à cœur de prouver qu'il en comprenait tout le prix. « Pénétré de cette conviction, a dit de lui un appréciateur des plus compétents, que l'autorité du magistrat n'est que la soumission à l'autorité de la loi, M. Muraire ne mettait dans les délibérations ni amour^propre, ni opiniâtreté. Il combattait avec égards les avis contraires aux siens ; il les acceptait avec déférence s'ils l'éclairaient et le ramenaient : aimable d'ailleurs à tout ce qui l'approchait, simple de mœurs, modéré en toutes choses, nul mieux que lui ne savait répondre quand il était interrogé. Les in-, terpellations imprévues ne le troublaient pas. Habile à rattacher aux questions de législation les théories de l'ordre social, il les développait avec force et sobriété, et sa parole, toujours appropriée, charmait l'esprit en l'éclairant (Eloge de M.le comte Muraire, par M. Delangle, procureur général à la cour de cassation (audience de rentrée du 11 novembre 1852). »

Appelé par sa position à haranguer souvent le chef de l'État, le président Muraire, qui voyait de près les résultats de l'administration du premier consul, lui exprimait sans adulation, mais avec force, son admiration et la reconnaissance de la France entière. Après le concordat, le cardinal légat Caprara vint à Paris.[5]

Obéissant docilement à l'impulsion partie d'en haut, le président Muraire demandait et obtenait, quelques mois après, que le tribunal de cassation, comme les parlements avant 1789, inaugurât ses travaux par une cérémonie religieuse. Aux termes d'un arrêté consulaire du 3 ventôse an 10, chaque année, le tribunal de cassation devait présenter aux membres du gouvernement, en présence du conseil d'État, le tableau des parties de la législation réputées vicieuses ou insuffisantes. À la suite de l'exposé du tribunal de cassation, le grand juge était tenu de faire connaître les observations qu'il aurait recueillies sur les mêmes questions. Cette cérémonie eut lieu pour la première fois le troisième jour complémentaire de l'an XI. Le président Muraire y porta la parole au nom du tribunal de cassation. Dans son discours, œuvre mûrie et de longue haleine, il insista sur quelques points d'une importance considérable. La principale de ses préoccupations eut pour objet l'institution du jury, fondée, comme on sait, par la loi du 29 septembre 1791. Il dit que le triste résultat de l'impunité des plus grands crimes l'avait presque conduit à douter si cette institution, si belle en théorie, n'avait pas été jusqu'alors plus nuisible qu'utile. Il se demanda si elle offrait des avantages bien réels dans un pays où il n'y avait plus ni féodalité, ni distinction, ni privilèges ; s'il était bien vrai que, pour prononcer sur un crime et sur-toutes les circonstances qui le nuancent, il suffisait d'avoir du sens commun et des lumières naturelles ; si l'institution du jury s'adaptait parfaitement au caractère national ; si enfin elle s'alliait bien avec le sentiment trop ordinaire de générosité et d'indulgence dans les uns, de timidité et d'insouciance dans les autres, qui portera toujours à la commisération la plupart des hommes habitués à ne considérer la société que comme un être abstrait, et ne voyant que celui qu'ils vont frapper.

Le président Muraire croyait, quant à lui, que l'ordonnance de 1670, modifiée par les décrets de 1789, offrait une garantie plus grande et des motifs plus réels de sécurité. Il estimait, dans tous les cas, que l'essai peu rassurant fait jusqu'alors de l'institution du jury tenait à ce que trop peu de conditions étaient requises de ceux qui étaient investis de cette fonction redoutable. Une question non moins grave, celle de savoir s'il y avait lieu de supprimer la peine de mort, comme le demandaient déjà quelques publicistes, fixa ensuite l'attention de Muraire. Son opinion à cet égard ne pouvait être douteuse. L'intérêt social, la nécessité des exemples, la trop grande facilité. d'échapper aux peines purement temporaires, fut lui paraissait faire une loi du maintien de la peine de mort. Le droit de faire grâce, justement attribué au chef de l'État, paraissait au président Muraire le seul adoucissement qui pût être apporté, dans certaines circonstances favorables, à la rigidité des lois. Ayant à constater le grand nombre des infanticides, il exprimait le vœu que l'administration, remontant à la cause du mal pour en tarir la source, établît et multipliât des asiles où les filles-mères trouveraient secours et discrétion, et où leurs enfants, adoptés par la patrie, recevraient d'abord les premiers secours, et plus tard une éducation qui leur permît de se rendre utiles. Enfin, au sujet des condamnés libérés, dont la rentrée dans la société était un continuel sujet d'alarme pour elle et de graves préoccupations pour la magistrature, le président Muraire demandait que la police leur assignât une résidence et les attachât à des ateliers déterminés, afin de contenir, sans porter réellement atteinte à la liberté civile. La première partie du discours du président de la cour de cassation avait traité principalement de la proportion entre les crimes et les peines, et l'on vient de voir avec quelle ampleur ce plan avait été conçu et exécuté.

N'ayant pas à s'occuper, comme le prescrivait l'arrêté du 5 ventôse an X, du perfectionnement des différents codes non encore publiés, la réforme des abus intéressant l'administration de la justice fut le second point qu'il examina. Un sénatus-consulte récent avait statué, dans l'intérêt et pour l'honneur de la magistrature, que les magistrats pourraient être soumis à une censure. Le président Muraire demanda plus encore d'après lui, cette mesure d'ordre et de sagesse voulait être complétée, et elle ne pouvait l'être efficacement que par une loi qui, organisant l'exercice de la censure dans des cas préalablement déterminés, serait le code de discipline judiciaire. Il estimait qu'une pareille loi, prévoyant tous les cas punissables, obviant également à l'impunité et à l'arbitraire, serait pour les magistrats un avertissement toujours présent, et produirait par cela même, sans avoir besoin d'être appliquée, les plus heureux résultats.

La cérémonie que nous venons de rappeler ne se renouvela pas. Cependant le gouvernement s'empressa d'adopter la plupart des vues exprimées par le président Muraire. Quant à lui, il était l'objet constant de la faveur du chef de l'État. En 1802, au moment où l'on discutait les divers codes au conseil d'État, le premier consul l'avait nommé conseiller hors section, « pour donner, disait le décret, un témoignage d'estime et de satisfaction au tribunal de cassation et à son premier président ». Quelques années plus tard, en 1806, l'empereur le créa comte de l'empire. Il l'avait déjà fait grand officier de l'ordre de la Légion d'honneur et grand-croix de l'ordre de la Réunion. Il lui avait encore donné, dans une circonstance critique, des preuves de sa munificence[6]

En reconnaissance de tant de bienfaits, le comte Muraire servait l'empereur avec un zèle et un dévouement qu'aucune tâche ne lassait. D'une assiduité irréprochable à la cour de cassation, il prenait aussi une part active aux travaux du conseil d'État. On raconte qu'un jour, dans une des séances du conseil, il soutint contre l'empereur en personne son opinion avec tant de force, que déjà le bruit de sa disgrâce commençait à circuler. Il s'agissait d'une question fiscale dans laquelle deux cours inférieures avaient jugé contrairement à deux arrêts de la cour de cassation. Loin d'amener sa disgrâce, cette fermeté, appréciée comme elle méritait de l'être, ajouta plutôt à sa faveur.

Plusieurs années se passèrent pendant lesquelles il continua de remplir avec le même zèle ses doubles fonctions, donnant aux actes de l'empereur, dans toutes les circonstances solennelles où il était appelé à le haranguer, une adhésion sans réserve, mais sincère. En 1806, un avocat jadis célèbre, à côté même du fameux Gerbier, Target, alors conseiller à la cour de cassation, mourut. Muraire était un de ses amis les plus anciens. Il prononça, suivant l'usage, son éloge devant la cour. Seulement, et à raison sans doute des liens d'amitié qui avaient existé entre lui et Target, l'éloge de ce dernier prit les allures d'un discours académique. Il y avait dans cette vie, très honorable à tant d'égards, une difficulté grave pour le premier représentant de la magistrature française ; c'était le refus que, dans un jour de faiblesse à jamais regrettable pour sa mémoire, avait fait Target de défendre Louis XVI. Muraire aborda cette difficulté de front. « Non, dit-il, je ne louerai pas ce qui ne doit pas être loué ; je n'essayerai pas de justifier ce qui ne pourrait pas être justifié, et fidèle à l'engagement que j'ai pris de me défendre de toute prévention et de toute partialité, je plaindrai sincèrement M. Target d'avoir refusé le ministère que Louis XVI lui demandait et que l'humanité réclamait. »

A la suite du coup d'État de fructidor et de la déportation qui avait frappé Muraire, la municipalité de sa ville natale s'était vue forcée de mettre les scellés sur son mobilier et le séquestre sur ses biens. On se figure si elle eut plus tard à cœur de se dédommager de la contrainte qui lui avait été imposée. À deux reprises, en 1804 et en 1811, le collège électoral du Var porta parmi ses candidats au sénat le président Muraire, qui était de la part de ses concitoyens, chaque fois qu'il allait visiter la Provence, l'objet d'ovations enthousiastes. Cependant, le temps avait marché et les jours difciles étaient revenus. Le 12 avril 1814, le comte Muraire et la cour de cassation avaient, dans une courte adresse, adhéré aux actes émanés du sénat et du gouvernement provisoire.

Le comte Muraire échappa pendant quelques mois à la réaction royaliste ; mais, le 16 février 1815, une ordonnance royale mit M. de Sèze à sa place. Il était d'ailleurs nommé premier président honoraire de la cour de cassation, et le roi lui conservait, par grâce spéciale, la moitié de son traitement cumulé avec sa pension de conseiller d'État. Quarante jours après, le comte Muraire haranguait de nouveau l'empereur aux Tuileries à la tête de la cour de cassation. Autant l'adhésion aux actes du sénat et du gouvernement provisoire avait été laconique, autant la harangue du 26 mars 1815, œuvre du premier président, votée à l'unanimité par la cour, fut chaleureuse, abondante, expansive.

La carrière politique et judiciaire de Muraire fut brisée définitivement quelques mois plus tard. « Destitué après Waterloo, disait en 1852 à la cour de cassation un de ses premiers magistrats, M. Muraire quitta cette enceinte que pendant quinze années il avait remplie de son nom, emportant la sympathie des collègues auxquels il avait dû son élévation, emportant aussi les regrets du barreau, qui l'avait trouvé constamment bienveillant, accessible, affectueux[7]. »

Le comte Muraire aimait les lettres, et on le trouvait souvent-occupé à lire Montaigne, qu'il appelait son meilleur ami. La franc-maçonnerie remplirent aussi, pendant les longues années qu'il lui fut donné de parcourir, le vide qu'avait fait dans sa vie une retraite prématurée. Au mois de novembre 1837, le comte Muraire fut atteint d'une maladie dont il vit tout d'abord la gravité, et qui l'emporta le 22 du même mois.

Publications

On a de lui plusieurs opuscules :

  1. Eloge de Target, in-8° ;
  2. Discours prononcé en la R... de la clémente amitié, le jour de son installation au rite écossais ancien et accepté, Paris, in-12 ;
  3. Discours prononcé aux obsèques maçonniques du lieutenant général baron Maransin, célébrées le 26 juin 1828, Paris, in-8° ;
  4. Loge d'Emeth. Obsèques maçonniques du T... Hon... F. Henri Ricard. Dernier adieu, Paris, 1830, in-8° ;
  5. Souv... chap... des Trinitaires, vallée de Paris. Discours d'installation du Souv... chap... du 18e degré, sous le titre distinctif : les Trinitaires établis près la R... L... écossaise du même titre 0... et vallée de Paris, Paris, 1831, in-8°.

Pour plus de détails sur le comte Muraire, consulter la notice étendue dans les Études financières et d'économie sociale, page 203 à 249, Paris, 1859, 1 vol. in-8°.

Notes et références

  1. Il aurait pu ajouter que, pour être forte, imposante, entourée de tout son prestige, l'autorité civile devait se trouver au centre des populations civiles, et que fixée à Toulon, ville essentiellement maritime et militaire, elle n'y aurait pas occupé, moralement et matériellement, son rang naturel : En effet, dans un pays de centralisation comme la France, où les yeux des populations cherchent sans cesse l'autorité, il est essentiel que le fonctionnaire qui la concentre en quelque sorte dans sa personne soit le plus près possible de ceux dont il est non-seulement l'administrateur, mais le tuteur et le défenseur. Cette vérité, un instant méconnue pour, ce qui concernait le département du Var, triompha bientôt, et le chef-lieu de ce département finit par être définitivement établi là où il aurait dû l'être tout d'abord.
  2. Ce rapport, qui obtint un grand succès, portait l'empreinte de l'esprit et des passions du temps. Le comité de législation, qui l'avait nommé son rapporteur, était très fondé à demander que la constatation des naissances, des mariages et des décès fût confiée exclusivement aux municipalités. Le citoyen, disait à ce sujet M. Muraire, appartient à la patrie, indépendamment de sa religion. »
  3. « Nos lois actuelles exigent jusqu'à vingt-cinq ans le consentement des parents pour les mariages. Ce ne sera pas sous le règne de la liberté que vous autoriserez cet abus de pouvoir. Les motifs de cette loi sont énoncés dans, diverses ordonnance ces ; c'était pour prévenir le flétrissement des familles illustres par l'inégalité des conditions, pour empêcher ce que, dans le dictionnaire de l'orgueil, on appelle mésalliance..»
  4. On ne savait pas alors, il est vrai, qu'instrument et complice des girondins, Pétion avait assisté aux conciliabules nocturnes où l'émeute avait été concertée, et que l'inexécution de l'arrêté qui défendait la manifestation, était un acte de trahison.
  5. Chargé de le féliciter au nom du tribunal de cassation, le président Muraire lui adressa, le 22 germinal an X, ces paroles, indice des tendances du nouveau gouvernement et qui furent remarquées : La religion et la justice se prêtent un mutuel appui. Heureux les Etats où l'action des lois est à la fois aidée et tempérée par l'influence des institutions religieuses. et où le salutaire effet des institutions religieuses est garanti par la sagesse et parla protection des lois !
  6. On a ait que Muraire avait fait des spéculations imprudentes qui auraient été pour lui la source de grands embarras. M. Delangle affirme, d'après un témoignage irrécusable, qu'un emprunt destiné à remplir des obligations de père de famille avait été la cause unique des embarras dont il s'agit. Voir ce que M. Thiers raconte dans son Histoire du consulat et de l'empire, t. 16, p. 199, au sujet du fait dont il s'agit.
  7. Eloge de M. Muraire, par M. Delangle

Source partielle

« Honoré Muraire », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition]

Précédé par Honoré Muraire Suivi par
François Denis Tronchet Président du Tribunal de Cassation
puis Premier président de la Cour de Cassation
15 ventôse an IX au 15 février 1815
Raymond de Sèze



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