Guillaume Bonnecarrère

Guillaume Bonnecarrère

Guillaume Bonnecarrère ou Bonne-Carrère est un homme politique français qui joua un rôle de premier ordre dans l'histoire secrète de la Révolution. Éphémère ambassadeur à Liège il fut chargé d'un certain nombre de missions diplomatiques officieuses, un peu partout dans le monde, depuis Vergennes jusqu'à Talleyrand.

Sommaire

Jeunesse

Fils d'un notaire de Toulouse, il était né à Muret, en Languedoc, le 13 février 1754[1], issu d'une famille bourgeoise et non noble, ainsi qu'il l'indique lui-même dans une de ses justifications du temps de la Révolution[2]. Il vécut à Toulouse puis vint à Paris où il étudia le droit à l'université. Une fois diplômé, il postula une charge d'avocat au Parlement de Toulouse - qu'il ne put obtenir - et fit la connaissance de Barère de Vieuzac, Mailhe et Larrey avec lesquels il était entré en maçonnerie[3]. De retour à Paris, Bonnecarrère fréquenta le Palais-Royal et il fut un des habitués de la célèbre maison de jeu des Arcades tenue par Goury de Champgrand, ami et protégé du duc d'Orléans. Le journal les Révolutions de Paris évoque ces années :

« Bonnecarrères est un beau garçon et dans ce temps là, il ne lui fut pas difficile de se produire dans le monde. On l'accueillit avec transport dans les tripots, dans les académies de jeu, et le jeune Toulousain passa pour l'un des plus aimables roués de Paris. Il joua, fut heureux, gagna force argent et se fit à son tour des créatures parmi ces chevaliers escrocs qu'il payait à tant par chaque présentation, pour le conduire chez les hommes en place et chez les femmes de condition. À l'aide de ces connaissances, M. Bonnecarrère obtint des emplois de l'ancien gouvernement et dès l'an 1780, il était déjà important. »

Diplomatie secrète (1783-1789)

Guillaume Bonnecarrère était entré dans la carrière des armes et il servit quelque temps comme sous-lieutenant dans un régiment d'infanterie. Puis, grâce aux relations du Palais-Royal, il obtint en 1783, sur la demande de Vergennes, alors ministre des Affaires étrangères, un congé de quatre ans qu'il mit à profit pour diverses missions diplomatiques dans le monde. Il voyagea aux frais du département, notamment en Afrique et aux Indes. À son retour en France, à la fin de 1786, Montmorin lui confia quelques « voyages d'observation » en Europe, missions de diplomatie secrète qui le conduisirent aux Pays-Bas et en Allemagne. Ce fut au cours de l'un de ces voyages qu'il connut successivement Mirabeau et Dumouriez eux mêmes employés dans la diplomatie secrète, mais également Lebrun, le futur secrétaire girondin du département des affaires étrangères, qui exerçait alors les fonctions d'écrivain mercenaire, se mettant plus ou moins au service du meilleur offrant.

En 1788, Guillaume Bonnecarrère demandait le gouvernement de Chandernagor et se flattait de l'obtenir lorsque la Révolution survint.

Le Jacobin (1789-1791)

Admis à la Société des amis de la constitution, Bonnecarrère parvint à se faire nommer d’abord secrétaire de l’Assemblée générale des Jacobins, puis membre du Comité de correspondance[n 1], président du comité d’administration[n 2], membre du Comité de présentation et de vérification[n 3], secrétaire chargé des procès-verbaux, des lettres d’affiliation et des extraits de la correspondance. Comme tel il n’était pas non plus sans rendre des services à Montmorin, ministre des Affaires étrangères sous la Constituante, monarchiste prononcé, qui était ainsi tenu, au jour le jour, au courant des travaux secrets des Jacobins[réf. nécessaire].

Le comte de Mirabeau devenu un des plus influent personnage de la Constituante exerçait sur Bonnecarrère une sorte de fascination, aussi le prit-il comme modèle : « L’amitié qui existait entre eux était des plus vives, écrit la duchesse d'Abrantès, qui le connaissait personnellement. Il regrettait beaucoup que son ami fût mort lorsqu’il avait eu le porte-feuille des Affaires étrangères, car rien alors n’aurait empêché ce rapprochement tant désiré et si nécessaire ». Elle ajoutait : « J’ai vu dans ses nombreux papiers les pièces du plus haut intérêt relativement à ces époques... Il avait des lettres originales d’une foule de personnages intéressants, et surtout de Mirabeau et de Choderlos de Laclos. Son amitié pour Mirabeau avait survécu à son objet malgré tout le temps et tout ce qui s’était passé depuis 25 ans. Il avait l’original de ce beau portrait où il est représenté adressant au roi le fameux discours sur le renvoi des troupes. Puis un autre où il est peint écrivant dans son cabinet et puis un petit buste et un plus grand, et le beau buste si connu et enfin une gravure. Enfin, dans son appartement, on était entouré de Mirabeau »[4]. Lorsque Mirabeau, en partie pour des raisons financière, décida de se ranger sous la bannière de la cour, secrètement s’entend, Bonnecarrère se mit entièrement à la disposition du cabinet secret des Tuileries dont les agents divers (Sémonville, Rivarol, Mallet du Pan, etc.) étaient rémunérés sur les fonds de la liste civile. Bonnecarrère se fit une spécialité de débaucher les révolutionnaires les plus populaires et, aux Cordeliers, il approcha entre autres François Desfieux, Jean-Marie Collot d'Herbois avec lequel il participe aux travaux de secrétariat aux Jacobins, et d’autres futurs meneurs de la Commune de Paris, avec lesquels il entretint des relations suivies.

Le 27 mars 1791, le ministre des affaires étrangères Montmorin, qui était partie prenante dans les affaires de débauchage, nommait Bonnecarrère ambassadeur auprès du prince-évêque de Liège. Les Jacobins où il avait toujours des fonctions de responsabilité, l’autorisèrent à accepter la place. Mais ces fonctions devaient cesser le 1er juin 1791. Il demanda à être prorogé mais, le 5 du même mois, il fut exclu de la société à la suite d’une violente altercation avec Camille Desmoulins qui le dénonçait comme étant agent soldé du cabinet secret des Tuileries[5]. Les Révolutions de Paris ont résumé ce qu’on disait alors du personnage: « La Révolution s’opère, que fait M. Bonnecarrère ? On le paie pour aller aux Jacobins. Il y intrigue, se fait nommer dans les comités et rapporte fidèlement tout ce qu’il voit à ses commettants. Nous avons dit comment il avait su séduire certains législateurs en les appelant chez lui, en les distrayant dans des orgies, des grands intérêts qui devaient les animer. » Lors de la scission arrivée aux Jacobins pendant la révision de l’acte constitutionnel, M. Bonnecarrère passa aux Feuillants comme chef de file, et il y fut suivi de presque tous ses « amis ». Là, il acquit encore plus de consistance qu’il n’en avait eue aux Jacobins[6].

Entre temps, le prince évêque de Liège avait refusé les lettres de créance de Bonnecarrère. Demeuré à Paris, celui-ci rejoignit, avec Bertrand Barère de Vieuzac et quelques uns de ses amis, l’aristocratique club des Feuillants. Après la fuite du roi à Varennes et la fusillade du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791, il demanda un congé de quelques mois à Montmorin tout en continuant de toucher ses appointements de 20 000 livres par an. Il se rendit à Toulouse et à Muret sa ville natale.

Revenu à Paris à la fin d’octobre 1791, il fit ses préparatifs de départ pour se rendre à Liège où on était enfin disposé à l’accueillir. « Mon départ fut retardé, dit-il, ce qui nuisit infiniment aux dispositions révolutionnaires dans lesquelles se trouvaient les patriotes liégeois qui m’attendaient avec impatience pour les faire éclater. ».

Son ambassade à la principauté de Liège se termina avec la déclaration de guerre. Revenu à Paris, il se mit à la disposition du comité secret des Tuileries - mis en œuvre par le comte de Montmorin, Maximilien Radix de Sainte-Foix, Talon et quelques autres - tout en affichant « les couleurs du jacobinisme ». Il voulut se faire réintégrer au club des Jacobins mais ses amis François Desfieux, Collot d’Herbois et Tashereau de Fargues l’en dissuadèrent[2].

Bonnecarrère n’était guère aime des Brissotins qui avait formé un groupe à l’influence décisive à l’Assemblée législative. Madame Roland qui avait autant d’intuition que d’esprit le comparait à Jean-Marie Hérault de Séchelles : « Tous ces beaux garçons, écrivait-elle à un ami, semblent de pauvres patriotes ; ils ont l’air de trop s’aimer eux-mêmes pour ne pas se préférer à la chose publique, et je n’échappe jamais à la tentation de rabattre leur suffisance en ne paraissant pas voir le mérite dont ils tirent le plus vanité »[7]. La marque de Bonnecarrère était d’abord l’intelligence à laquelle se joignaient la culture générale, la souplesse, et les relations étendues. Jacques-Pierre Brissot lui reconnaissait des qualités intellectuelles[8] mais lui reprochait son faste et sa duplicité. Il est vrai que Bonnecarrère avait été à la fois aux ordres de Montmorin, puis de Claude Valdec de Lessart son successeur l’un et l’autre devant payer tragiquement leur dévouement à la monarchie, et membre influent des Jacobins puis des Cordeliers où, comme François Desfieux, Jean-Marie Collot d'Herbois, Bertrand Barère de Vieuzac et tant d’autres, il affichait un zèle patriotique exagéré[9].

Directeur général du département des Affaires étrangères

Malgré l'obstruction des Girondins et de Jacques-Pierre Brissot qui savait à qui il avait affaire, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Dumouriez - lui-même amené à cette place par l'influence de Radix de Sainte-Foix auprès de Louis XVI-, avait nommé Bonnecarrère directeur général du département des Affaires étrangères (6 mars 1792). Pour calmer les soupçons insistants que Camille Desmoulins, Mme Roland et beaucoup d'autres faisaient peser sur lui, le nouveau directeur fit procéder, avec l'aval de Dumouriez, à des nominations de commis susceptibles de donner le change : « Je voulus démettre les commis courbés sous le joug du despotisme, se vantait-il, et les remplacer par des Jacobins passionnés pour l'égalité (...) Déjà le 20 mars, quatre jours après ma nomination, au style trampant de l'esclavage succéda l'idiome de la liberté ».

Comme premier commis au premier bureau chargé des relations avec la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, les états hanséatiques et les États-Unis, il installa l'ex-abbé Tondu dit Lebrun-Tondu qui devait par la suite succéder à Dumouriez à la tête du ministère. Originaire de Noyon, Lebrun était un ancien écrivain mercenaire ou gagé qui avait créé le « Journal de l'Europe », à Liège, en juin 1785. Introduit auprès des Girondins par la citoyenne Louise de Kéralio, Lebrun-Tondu connaissait « passablement sa carte diplomatique », admettait Mme Roland qui le reçut chez elle[n 4]. En fait Lebrun alliait les facilités d'un journaliste à une instruction ni sérieuse ni profonde et, par son manque d'anticipation, il fut jugé en décembre 1793 au Tribunal révolutionnaire pour crime de haute trahison, ce qui ne fut jamais prouvé. Pour le 2e bureau, Bonnecarrère avait nommé Jean-François Noël qui fut chargé de la correspondance avec l'Allemagne. Ce personnage au passé mystérieux, avait été prêtre défroqué et professeur de collège, puis il s'était fait remarquer en co fondant la « Chronique de Paris » avec Millin de Grandmaison. Le 3e bureau fut confié à Baudry et les trois derniers bureaux à, respectivement, Thomas Geoffroy, Colchen et Mendouze. Mis à part Lebrun qui rallia les Brissotins, ces individus étaient faiblement identifiables d'un point de vue politique. Plus parlante fut la nomination de De Ribes en remplacement du banquier de cour Joseph Duruey. Comme De Ribes venait d'accepter la nomination de receveur général des fonds de la Liste civile, les Girondins forcèrent Bonnecarrère à prendre Bidermann, un ami de Etienne Clavières qui avait la confiance de Brissot. Mais suite à de nouvelles contestations, Joseph Duruey, qui n'était autre que l'un des banquiers de Louis XVI, fut réintégré au ministère le 22 juin 1792.

Le ministère Dumouriez ne laissa pas un souvenir impérissable. La guerre venait d'être déclarée et Bonnecarrère couvrit de son autorité une diplomatie bicéphale, inspirée par les Tuileries. Il fit envoyer en mission à l'étranger un certain nombre d'individus, comme le baron de Batz, les futurs ambassadeurs Maret et Sémonville et Pierre Benoit d'Angers - chargé d'affaires de Talon -, tous connus pour leur hostilité à l'établissement d'une république en France. Bonnecarrère, malgré les précautions qu'il prenait en se posant dans les clubs comme patriote, était un muscadin. Il fréquentait les salons et maisons de jeu du Palais-Royal notamment chez Aucane et Mme de Sainte-Amaranthe en compagnie de son ami le sans-culotte François Desfieux qui approvisionnait l'établissement en vins fins et spiritueux. On le voyait aussi dans l'hôtel particulier de Mme Griois où se trouvaient l'atelier de Adélaïde Labille-Guiard, l'appartement, au second étage, du baron de Batz, et celui de sa maîtresse la cantatrice Marie de Grandmaison et enfin, au premier étage, celui de Laurence Calenges, maîtresse de Bonnecarrère et sa future épouse.

Il est surtout mêlé à de sombres affaires d'argent avec les banquiers Walter Boyd et Guillaume Ker qui sont des agents payeurs à Paris du gouvernement britannique. Il accuse réception du gouvernement britannique et confie aux soins de ces banquiers une grosse somme d'argent (8 782 livres sterling ce qui représente à peu près la somme de 200 000 livres de France), une situation qui occasionnera par la suite avec Walter Boyd, un long procès qui durera jusqu'à l'époque du Consulat[10]. Lorsque Dumouriez fut remplacé, Bonnecarrère, redoutant d'avoir à rendre des comptes, demanda à être envoyé à Philadelphie[11]. Brissot s'interposa et fit casser cette décision par décret[n 5], et après le 10 août 1792, Bonnecarrère fut arrêté comme suspect de complicité avec la cour. Contre toute attente, c'est Jean-Paul Marat, l'Ami du Peuple, qui, à la veille des massacres du 2 septembre 1792, le tira de sa geôle, lui épargnant une mort certaine. À cette époque, Marat était membre de la Commune de Paris où le mouvement dit par la suite hébertiste est né. Le 11 septembre 1792, les scellés apposés à son domicile furent levés. Après l'invasion de la Belgique, il fut envoyé par le gouvernement à Liège « où, disait-il, il avait une dette à payer au petit tyran mitré ». Dans tous ses discours, Bonnecarrère allait désormais se montrer plus révolutionnaire que les révolutionnaires, prenant à cet égard exemple sur ses amis François Desfieux et autres exerçant une influence déterminante à la Commune de Paris. Revenu à Paris le 20 décembre 1792, il proposa un plan d'invasion de la Zélande - qui tomba dans les oubliettes- et se mêla activement des affaires politiques sans être élu. C'était véritablement un homme d'influence et de réseau dont l'activité infatigable visa désormais à éliminer les Girondins qui savaient à quoi s'en tenir sur sa sincérité et son patriotisme affiché.

Un Janus

Avec plusieurs régicides parmi lesquels Paganel, Bordas, Sevestre, Osselin, Julien de Toulouse, Delaunay d'Angers, etc., Guillaume Bonnecarrère fréquentait le salon des ex-comtesse de Beaufort et marquise de Pompignan, rue Saint-Georges[12]. Ces deux dames royalistes, émigrées rentrées, étaient très actives en cultivant leurs relations avec les hommes du jour, tous ennemis mortels des Girondins et proches de la Commune, afin d'obtenir de leur mansuétude des certificats de désémigration pour certains de leurs amis en difficulté. Elles avaient leurs entrées au premier Comité de sûreté générale et furent arrêtées par le second pendant l'instruction du procès des hébertistes.

Il voyait Laborde de Méréville, le fils du banquier Laborde et les représentants de la banque internationale[n 6]. il appartenait au camp de ceux qui, tenant la Commune sous leur influence, avaient pour projet de déstabiliser la Convention ou de la renverser. Plusieurs représentants des milieux financiers internationaux étaient alors en effet favorables à l'établissement en France d'un gouvernement « sur le modèle anglais (sic) » avec, par exemple à sa tête, un des trois fils du roi de Grande-Bretagne.

Le 2 avril 1793, à la suite de la trahison de Dumouriez et d'Égalité fils, Bonnecarrère fut recherché comme complice de Dumouriez et des orléanistes, dont l'abbé d'Espagnac, Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil, lady Fitzgerald, Lucrèce d'Estat[n 7], Louis-Marthe Gouy d'Arcy, le général Westermann, Choderlos de Laclos, le général Valence[13], les deux fils Égalité, la citoyenne Sillery-Genlis que l'on soupçonnait de financer ou de favoriser les projets factieux prêtés à Dumouriez. Arrêté à nouveau et conduit à l'Abbaye[14], il fut accusé le 3 avril par Brissot. Celui voulut éclairer ses collègues et avança que la nomination de Dumouriez aux Affaires étrangères était le résultat d'une intrigue concertée entre Talon et Bonnecarrère, actifs l'un et l'autre au comité secret des Tuileries et véhémentement soupçonnés d'être des agents d'influence du gouvernement britannique[15]. Remis en liberté par ordre du Comité de sûreté générale et notamment grâce à Jean-Paul Marat qui avait répondu à l'appel de sa cousine ou belle-sœur, Mme Montané, venue plaider sa cause[n 8], à nouveau, et à Charles-Nicolas Osselin, il fut le 6 avril suivant, sur proposition de Robespierre jeune, de nouveau arrêté. Le 7, il écrivait à la Convention pour protester de la pureté de ses intentions et affirmer qu'il n'avait jamais eu de relations directes ou indirectes avec le duc d'Orléans. Après le coup de force de la Commune contre la Convention et l'élimination des Girondins, Bonnecarrère sortit de prison.

Quand son ami Jean-Paul Marat fut assassiné, il manifesta bruyamment sa tristesse, et c'est son beau-frère, le président Montané, qui jugea Charlotte Corday avant d'être arrêté avec sa femme et incarcérés comme suspects[n 9]. Quant à Bonnecarrère, il continua à fréquenter les cercles révolutionnaires et de livrer à une surenchère démagogique. En septembre 1793, au moment du vote de la loi des suspects, on le retrouve président de la section de Fontaine-de-Grenelle dont dépend son domicile. Malgré les énormes soupçons qui pèsent encore sur lui malgré la mort programmée de ses ennemis de la Gironde, il bénéficie de la protection effective de Barère qui occupe la première place au tout puissant Comité de salut public[n 10].

Un agent de l'étranger ?

Dans ses Esquisses sur la Révolution, le Girondin Jacques-Antoine Dulaure l'a accusé d'avoir été un agent soldé du gouvernement britannique[16]. Les apparences pourraient en effet le laisser croire. Il semble plus évident que Bonnecarrère, après avoir été orléaniste, jacobin, monarchien et essentiellement agent secret des Tuileries avec Talon et Radix de Sainte-Foix, se soit rapproché du groupe informel de ceux qu'on a baptisé par la suite « Hébertistes ». Son nom fut d'ailleurs cité dans le cours du procès des (23) plus infortunés d'entre eux qui furent exécutés avec Jacques-René Hébert, le 24 mars 1794. L'itinéraire de Bonnecarrère après le 10 août 1792 établit assurément ses liens avec ceux des Cordeliers qui, au début de l'hiver 1793-1794, ayant préparé un coup d'État comparable à celui du 31 mai 1793, furent arrêtés avant d'avoir pu mettre leur projet à exécution. Désigné à la vindicte de Robespierre et Saint Just, Bonnecarrère fut arrêté le 23 nivôse an II, dans la série d'arrestation visant tous ceux qui désiraient installer Jean-Nicolas Pache, comme grand-juge, à la tête d'un état oligarchique, à la fois financier et policier, et qu'appelaient de leurs vœux les gens de finances. Plus chanceux que ses amis, entre autres Desfieux, Jacob Péreyra, le banquier Jean Conrad de Kock, Berthold Proly ou Michel Laumur, beau-père du banquier Monneron, Bonnecarrère, toujours protégé par Bertrand Barère et Jean-Marie Collot d'Herbois, évita l'échafaud.

En prison, il demeura sous la sauvegarde du Comité de sûreté générale de Vadier qui empêcha son nom d'apparaître dans les listes de conspirateurs de prison. Cette situation fut d'ailleurs validée par une commission populaire qui statua le 28 prairial sur une incarcération jusqu'à nouvel ordre[17]. Le danger aurait été, pour Bonnecarrère, que le bureau de police du Comité de salut public s'emparât de son dossier où Robespierre aurait obtenu sans mal sa tête, ce à quoi Barère n'aurait pu s'opposer sans se compromettre gravement[18].

Une carrière d'agent diplomatique

Mis en liberté le 24 nivôse an III[19], Bonnecarrère fut chargé par le gouvernement de différentes missions secrètes à Copenhague, Berlin et dans le reste de l'Allemagne. Il chercha à influencer le ministre Delacroix lors du voyage de lord Malmesbury à Lille, insistant sur la situation de l'Inde et indiquant au Directoire les comptoirs français à y établir ainsi que les clauses à intégrer dans le futur traité de paix qui fut d'ailleurs reporté à 1802 (5 et 18 messidor an V)[20]. Il devint fort lié avec Talleyrand, nouveau ministre des Relations extérieures, qui l'envoya en mission dans le Cercle de Basse-Saxe[21], mais le premier consul, qui savait à quoi s'en tenir à son sujet, refusa de l'employer à des postes de responsabilité ou de confiance, sauf à des missions secrètes en Grande-Bretagne. Il fut à Londres, soi-disant pour surveiller les élections[22], en réalité pour ses affaires. Ses suppliques annuelles, quoique apostillées par un nombre considérable de hauts personnages, ne furent suivies d'aucun résultat. Il éprouva, sous le Consulat et l'Empire les mêmes avanies que son ami Barère que l'Empereur soupçonnait également d'avoir été un agent britannique. En 1805, le département de la Haute-Garonne l'ayant proposé au Corps législatif, il fut invalidé par le Sénat. En 1810 seulement, il obtint du maréchal Mac Donald, devenu parent du banquier Perrégaux, son ancien ami et protecteur, la place de directeur général de la police en Catalogne.

Quand il était à Paris, Bonnecarrère achetait des biens nationaux ou revendait ceux acquis plus tôt. Le 28 floréal an III, il avait épousé Laurence Levôt, fille de l'ancien intendant de l'Élection de Montivilliers[23]. Mariée en première noces à l'avocat rouennais Calenges, Mme Bonnecarrère, extrêmement jolie, avait vécu au début de la Révolution dans l'hôtel de Mme Griois[n 11], rue de Ménars, n°7, à Paris et était une relation de Marie de Grandmaison, maitresse du baron de Batz. Elle mourut en mai 1814, AN, minutier[n 12]. propriétaire d'un très grand nombre de terrains et de fermes dans la payx de Caux, elle avait acheté en mars 1793, conjointement avec Bonnecarrère un hôtel particulier rue Neuve des Capucines[24] puis ils acquirent le 11 messidor an VIII le château de Lésigny, près de Paris[25]. Le couple, qui vivait luxueusement dans un autre hôtel du quartier de la Ville l'Évêque[26], formait le type même des parvenus de la Révolution et du Directoire.

La Restauration

En 1814, il fut présenté au roi Louis XVIII et tenta de faire valoir, d'abord auprès de Talleyrand puis du duc de Richelieu et de ses successeurs, le souvenir des intrigues royalistes qu'il avait si souvent niées auparavant (entre autres dans sa grande justification de l'an II[2]. Las de solliciter en vain, il se consacra à sa fortune. Il établit avec succès à Paris un commerce de voitures de louage qui lui permit encore d'accroître son patrimoine. Il mourut à Versailles le 9 novembre 1825, laissant un fils[27].

Notes

  1. Avec Jean-Marie Collot d'Herbois, Bertrand Barère de Vieuzac, Barnave, Laclos, les Lameth
  2. Avec Mendouze, Févelat, Desfieux, etc.
  3. Avec Collot d’herbois, Desfieux, Févelat, Carra, Dufourny.
  4. C'était lui faire beaucoup trop de confiance car Lebrun fut toujours un idéologue aux convictions vacillantes
  5. Genêt, frère de Mme Jeanne Campan, fut envoyé à sa place.
  6. Laborde était par sa mère, une demoiselle Nettines, cousin ou parents des principaux actionnaires des grands établissement financiers internationaux, principalement les Walckiers, mais aussi Herries, de Pestre de Séneffe, etc.
  7. Correspondante et future épouse de l'ex-chargé d'affaires de la cour d'Espagne à Paris, le chevalier Ocariz retourné à Madrid depuis l'entrée en guerre de l'Espagne
  8. J'ai dit-il, été détenu pendant quarante jours, quoiqu'il n'y eût contre moi ni dénonciation, ni plaintes, ni preuves, ni indices. Marat, cet incorruptible ami du peuple et de la vérité, après s'être assuré de la pureté de ma conduite révolutionnaire, alla un jour plaider ma cause au Comité de sûreté générale. Il s'adressa particulièrement au citoyen Osselin, rapporteur de mon affaire.
  9. Mme Roland, dans ses mémoires, parle de Mme Montané dont elle partagea un temps la captivité
  10. Une dénonciation en date du 13 septembre aux Jacobins, par le citoyen Raisson, dénonçant les dérives du premier Comité de sûreté générale et Osselin en particulier qui avait fait libérer Bonnecarrère, n'eut aucune suite.
  11. Sœur du peintre Vincent qui était co-propriétaire de l'hôtel de la rue de Ménars
  12. Contrairement à Mme Griois et Marie de Grandmaison, elle fut inexplicablement épargnée et ne figura pas, comme initialement prévu, dans la fournée des Chemises rouges.

Références

  1. Dépôt baptistaire chez Rouen, notaire à Paris, le 16 septembre 1793.
  2. a, b et c Exposé de la conduite de Bonnecarrère depuis le commencement de la Révolution, Paris, Imprimerie des hommes libres, in 4° de 18 pages.
  3. Gros, Les Loges maçonniques de Toulouse de 1740 à 1870, Révolution française, janvier 1901, vol. 40, p. 244.
  4. Mémoires, tome I, p. 168 et 178.
  5. Révolutions de France et de Brabant, n° 78, voir aussi le postillon de Michel Regnaud de Saint-Jean d’Angély pour avril 1791.
  6. Révolutions de Paris, n° 153, p. 477, 9-16 juin 1792.
  7. Mémoires, an VIII, II, p. 91.
  8. Lettres de J.P. Brissot à M. Dumouriez (première lettre), 1792.
  9. Guillaume Bonnecarrère aux citoyens composant le comité révolutionnaire de la section de la Fontaine de Grenelle, le jeudi 5 septembre l’an 2e (1793), p. 11.
  10. Je soussigné reconnaît être dépositaire d'une reconnaissance souscrite par M. Richard Johnson, membre du parlement de Grande-Bretagne, Great Portland Street, n°68, signé Bonnecarrère le 16 juin 1792. Il ira à Londres en 1802 pour recouvrer sa créance. Sur cette affaire voir Jacques Peltier, l'Ambigu, vol.IV, p.108-114
  11. Beaumont-Vassy, Papiers curieux, 1875, p. 116 ; Voir aussi Gouverneur Morris, Mémorial, 1841, tome II, p. 164-167 et 239.
  12. Hôtel bâti par Bélanger, bordant le côté est du parc de Mlle Dervieux, future épouse de l'architecte
  13. Gendre de Mme de Genlis
  14. Ordre du ministre Gohier d'incarcérer Bonnecarrère à l'Abbaye, BHVP, Ms 806, fol.69
  15. Journal des débats et décrets, avril 1793, p.119
  16. Esquisses, tome II, p. 292, et tome III, p. 289.
  17. AN, W95, le 28 prairial an II.
  18. Son amie Marie-Laurence Calenges, née Levôt, avait été impliquée dans le complot de l'étranger et incarcérée à Sainte-Pélagie le 19 ventôse an II, F/7/4631, III.
  19. Sa maîtresse fit rechercher ses papiers dont une partie avait été enlevée par Pottier de Lille, imprimeur guillotiné depuis avec les « chemises rouges », AN, T1677
  20. Voir Beaumont-Vassy, Papiers curieux, 1875, p. 116.
  21. Voir sur lui et sa femme à Berlin le rapport à Georges Rumbold, chargé d'affaires britannique à Hambourg, AN, F/7/6451, n°33, le 10 novembre 1801.
  22. Lewis Goldsmith, p. 18-19.
  23. Minutier central des notaires parisiens, Étude Caffart-Duvilliers, 28 floréal an III.
  24. AN, minutier central, étude XLVI/573, le 21 mars 1793.
  25. AN, Minutier, étude XIV/551: le château dit « la maison blanche » et son domaine de 20 hectares.
  26. AN, minutier, Étude XIV/546.
  27. Les archives du minutier (30 mai 1814), Étude VIII (17 messidor an VI), IX (13 octobre 1792 XIV (11 messidor et 3 thermidor an VI, 24 fructidor an VII), XX/851 donnent un aperçu des mouvements de fortune de Bonnecarrère et de son épouse.

Bibliographie

  • Frédéric Masson, Le Département des affaires étrangères sous la Révolution, Paris, Plon, 1877.
  • Olivier Blanc, La Corruption sous la Terreur, Paris, Robert Laffont, 1992.
  • Olivier Blanc, Les Espions de la Révolution et de l'empire, Paris, Perrin, 2003.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Guillaume Bonnecarrère de Wikipédia en français (auteurs)

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