Féodal

Féodal

Féodalité

Jean II adoubant des chevaliers, enluminure des XIVe / XVe siècle, BNF

La féodalité (du latin feudum, « fief ») est un système politique dont l'autorité centrale a été affaiblie ; le pouvoir souverain est attribué à des principautés, des fiefs ou des fédérations gouvernés par des seigneurs et destinés à stabiliser la région et/ou le peuple.

Cette organisation de la société se développa en Europe entre le cinquième et le huitième siècle, après le démembrement de l'Empire romain d'Occident. Basée sur le droit romain et le système dit de « l'hospitalité », la féodalité est propre à l'Occident européen.

Au Xe siècle, l'Occident connaît de nouvelles invasions. Gràce à leurs navires bien adaptés, les Vikings, venus de Scandinavie (Nord de l'Europe d'où « Normands »), parviennent à remonter les cours d'eaux et à piller l'Occident. La défense du pays est exercée par les autorités locales, comtes et riches propriétaires, car le roi n'a pas d'armée pouvant surveiller en permanence les estuaires et les fleuves. En se substituant localement au roi et exercent les mêmes droits que lui dans leurs seigneuries, ils gagnent un certain pouvoir envers les populations.

Sommaire

Introduction

La féodalité désigne un système légal, issu de la conquête de l'Empire romain d'Occident par les Barbares ; l'organisation consistait en une sorte de confédération de seigneurs investis chacun d'un pouvoir souverain dans leurs propres domaines, mais inégaux en puissance, subordonnés entre eux, et ayant des devoirs et des droits réciproques.

La féodalité évolue et donne son identité au Moyen Âge, avec le capitulaire de Quierzy, promulgué en 877 par le roi Charles le Chauve, qui établit l'hérédité dans les domaines et les titres.

Principes

On peut caractériser le féodalisme par l'ensemble des institutions et usages contractuels entre suzerains et vassaux : le suzerain doit à son vassal l'entretien, généralement sous la forme d'une concession de fief (terres ou droits, ou encore rente), et la protection. En retour le vassal est tenu de fournir à son suzerain aide et conseil, (foi et hommage).

Le vassal était celui qui, ayant reçu une propriété territoriale nommée bénéfice ou fief, se trouvait par là dans la dépendance du garant de cette propriété  ; auquel il devait foi et hommage, en échange d’une assistance de son suzerain dans certains cas. Le suzerain était celui qui, ayant conféré le fief, avait droit à l'aide du vassal. Du reste, le même seigneur pouvait être suzerain pour certains fiefs (ceux qu'il avait conférés), et vassal pour d'autres (ceux qu'il avait reçus). Ainsi les rois de France et d'Angleterre ont eu à diverses reprises des liens de vassalité croisés[réf. nécessaire].

Ce type de relations, au départ limité à l'aristocratie guerrière, où le roi, suzerain des suzerains, attribue des fiefs à ses fidèles pour protéger plus efficacement son domaine, s'est étendu à l'ensemble de la société, les serfs, personnes attachées à la terre du seigneur, ayant un rapport de vassal à suzerain avec leur seigneur. La féodalité désigne alors une société caractérisée par la hiérarchie des terres et des personnes, le morcellement des terres et de l'autorité, la domination de la classe combattante.

Origines

Un système féodal basé sur le clientélisme paraît avoir existé en germe chez les Celtes et les Germains; il fut régulièrement établi en Gaule à l'époque de la conquête par les Francs ; toutes les terres conquises sont alors divisées en terres libres, dévolues par le sort à des chefs indépendants, et bénéfices ou fiefs (comme on les nomma plus tard) terres concédées par un chef à ses compagnons d'armes en récompense des services qu'ils lui avaient rendus à la guerre.

Expansion de l'empire carolingien sous Charlemagne.

Les puissants accueillent des hommes libres qu'ils éduquent, protègent et nourrissent. L'entrée dans ces groupes se fait par la cérémonie de la recommandation : ces hommes deviennent des guerriers domestiques (vassus) attachés à la personne du senior[1]. Le seigneur doit entretenir cette clientèle par des dons pour entretenir sa fidélité[2],[3]. Pour entretenir une vaste clientèle et donc une armée puissante, il faut de forts revenus. Ceux-ci peuvent provenir d'activités commerçantes, c'est ainsi que les Celtes purent former des "nations" centrées sur des carrefours commerciaux matérialisés par des oppidums. Chez les Francs où tous les hommes libres sont susceptibles de partir à la guerre et sont armés, l'instauration d'une taxation directe est impossible. Dès lors les ressources de l'autorité proviennent soit de la taxation des marchandises aux péages et sur les marchés (tonlieu) soit des amendes (wergeld) secondaires à l'application de la loi salique. Ainsi la puissance des Francs vient du contrôle du commerce lointain avec le monde méditerranéen via le couloir rhodanien : les voies fluviales constituées par le Rhône et la Saône étant faciles à relier par route à la Loire, la Seine, la Meuse et au Rhin. Quant au VIIe siècle la conquête musulmane rend incertain le transit des denrées par la Méditerranée occidentale, cet axe dépérit au profit d'un axe Pô/Rhin via les cols alpins : les Mérovingiens perdent tout pouvoir au profit des Pippinides dont les terres bordent le Rhin et la Meuse et qui ont les moyens d'entretenir une puissante clientèle[2]... La monnaie d'or devenant rare du fait de la distension des liens commerciaux avec Byzance (qui perd le contrôle de la Méditerranée occidentale au profit des musulmans), les richesses principales en l'absence de commerce développé sont la possession de terres ou de charges administratives ou religieuses. La dispersion de leur patrimoine à leurs vassaux conduit à l'évincement des Mérovingiens et les premiers Carolingiens essayent d'empêcher une évolution similaire. En l'absence d'expansion territoriale, les liens vassaliques se distendent et donc, pour se pérenniser, une puissance doit s'étendre. C'est pourquoi les empires francs et lombards vont croître sans cesse, jusqu'à ce que les Carolingiens finissent par battre les seconds et contrôler toute l'Europe. Cependant Charlemagne est conscient que d'envoyer tous les hommes libres à la guerre au printemps chaque année est préjudiciable économiquement, car il y a besoin de leur présence pour que les travaux agricoles soient fait de la manière la plus efficiente possible (il y a au minimum besoin d'eux pour coordonner leurs esclaves). Dès lors, il introduit par capitulaire la possibilité de ne pas participer à la campagne contre l'aide à l'équipement et à la gestion des terres des hommes partis à la guerre[4]. Il se crée progressivement deux groupes sociaux au sein des laïcs : ceux qui combattent (milites) et ceux qui travaillent la terre (laboratores). Nombreux sont les hommes libres qui choisissent de poser les armes pour le travail de la terre plus rentable. Quand vient le temps des invasions et des guerres privées qui marque la fin du IXe siècle, l'ost carolingien est trop lourd pour répondre aux raids éclairs des Vikings ou des Sarrasins, la défense s'organise localement autour de châteaux tenus par des groupes de milites. Les laboratores doivent confier leur sécurité au châtelain contre le ravitaillement de ses troupes ou de sa maison. Certains arrivent à conserver leur indépendance, mais la plupart cèdent leur terre à leur protecteur et deviennent exploitants d'une tenure (ou manse) pour le compte de ce dernier[5].

La frappe de monnaie d'argent depuis plusieurs générations, et son homogénéisation en 781 par Charlemagne accentue ce bouleversement de la structure sociale. Plus adapté que l'or qui ne convient que pour des transactions très onéreuses, le denier d'argent permet l'introduction de millions de producteurs et de consommateurs dans le circuit commercial[6]. Le paysan peut revendre des surplus, il est donc intéressé à produire plus que ce qu'il faut pour survivre après avoir reversé une partie de sa production à son seigneur[5]. Il en résulte de nombreux défrichages et une amélioration des techniques : passage de la rotation biennale à l'assolement triennal[7], utilisation de la fumure, apparition du collier d'épaule et du fer à cheval...

Moulin à eau.

De même les propriétaires terriens, ecclésiastiques comme laïcs, fournissent des charrues, investissent dans des équipement améliorant la productivité : moulins à eau (en remplacement des meules à bras utilisées tant que la main d'œuvre était servile), pressoirs à huile ou à vin (en remplacement du foulage)[8]... Les rendements passent de 4 pour 1 à 5 ou 6 pour 1[8]. L'utilisation de l'énergie hydraulique plutôt qu'animale ou humaine permet une productivité sans comparaison avec celle disponible dans l'Antiquité : chaque meule d'un moulin à eau peut moudre 150 kg de blé à l'heure ce qui correspond au travail de 40 esclaves[9]. Les esclaves sont alors émancipés en serfs gérant une terre et rémunérant leur maître par une partie de leur production ou par des corvées et deviennent plus rentables (cette évolution se fait d'autant mieux que l'Église condamne l'esclavagisme entre chrétiens). La différence entre paysans libres et ceux qui ne le sont pas s'atténue.

Charlemagne remet Durandal à Roland

Pour éviter un destin similaire aux Mérovingiens, Charlemagne doit étendre son empire en permanence pour entretenir ses vassaux et éviter la dissolution de ses possessions. Pour maintenir l'unité de l'empire carolingien, Charlemagne introduit la cérémonie de recommandation qui imposait un serment de vassalité. Il surveille de près ses vassaux qui sont inspectés régulièrement par des missi dominici et sont convoqués annuellement pour partir en campagne (dont le butin et les conquêtes territoriales pourront leur être redistribués)[10]. D'autre part, il ne concédait les charges qu'à titre viager ce qui lui permettait de récupérer les terres à la mort de son vassal, d'éviter la perte progressive de ses possessions et de conserver un moyen de pression sur ses vassaux auxquels la jouissance des terres accordées en précaire peut être retiré.

Quand l'empire arrête de s'étendre, Louis le Pieux doit concéder des terres en pleine propriété et non plus à titre d'usufruit viager comme le faisait son père[11]. L'équilibre se rompt entre les biens fonciers fiscaux et les biens fonciers accordés en jouissance à la noblesse[12]. Dès lors, il n'est plus assez riche pour entretenir ses vassaux et plus rien ne bride leurs velléités naturelles d'indépendance. De plus les campagnes militaires deviennent moins fréquentes après 820 et les contrôles par les missi dominici se raréfient et sont de moins en moins efficaces (ils deviennent coûteux à entretenir, sont corruptibles et les voyages à l'époque sont pénibles)[13]: le contrôle des vassaux se fait de plus en plus lâche. De plus Charlemagne avait déjà l'habitude de confier les terres en précaire au fils de ses vassaux à la mort de ceux-ci. Progressivement, la transmission héréditaire devient une habitude et la notion de droit selon laquelle la terre et les charges appartiennent au souverain est oubliée ou négligée. Les choses s'aggravent encore quand les fils de Louis le Pieux s'entre-déchirent pour le pouvoir et doivent concéder de plus en plus d'autonomie à leurs vassaux pour conserver leur soutien[14].

Le règne de Charles le Chauve est symptomatique : après le partage de Verdun (843) entre les trois fils de Louis le Pieux, il hérite du royaume de Francie occidentale, mais il a besoin du consentement et de l'appui de l'aristocratie pour entrer véritablement en possession de son royaume : à l'assemblée conciliaire de Coulaines en novembre 843, il leur concède « la jouissance paisible de leur fonction et de leurs biens » et en retour ils lui apportent « aide et conseil »[15]. Il tente de conserver l'autorité royale par tous les moyens s'adjoignant en particulier le soutien des ecclésiastiques auxquels il concède la possibilité de battre monnaie. Le passage définitif vers la féodalité se fait quand il garantit à ses vassaux la faculté de léguer leurs terres à leur héritier par le capitulaire de Quierzy-sur-Oise du 16 juin 877[16].

Le pouvoir royal s'affaiblit considérablement et l'Europe se divise en principautés entre lesquelles les communications diminuent[17]. En France, l'hérédité des fiefs, déjà préservée en 587 par le traité d'Andelot, l'est de nouveau trois siècles plus tard par le capitulaire de Quierzy (877) qui l'étend aux gouvernements des provinces de l'empire carolingien. Commence alors la véritable époque féodale; les possesseurs des fiefs devenus héréditaires accroissent facilement leur puissance sous les derniers Carolingiens, et certains de ces grands feudataires deviennent de fait indépendants.

La mutation féodale

L'autorité du roi s'effondre d'autant plus vite que l'armée carolingienne est taillée pour une stratégie offensive : les campagnes annuelles forcent les voisins au respect (ils finissent d'ailleurs par payer un tribut). Cette logistique lourde ne peut répondre aux raids rapides et incessants des Sarrasins ou des Vikings dont le principal atout est la mobilité. Dès lors la défense doit être prise en charge localement. Au Xe siècle, les châteaux prolifèrent parfois au mépris de toute légalité, leurs propriétaires exerçant protection et domination sur les territoires alentours[18]. Dans ces temps incertains d'invasions et de guerres privées continuelles, des habitations viennent s'agglutiner à proximité du château ce qui légitime le châtelain et l'exercice du ban seigneurial. Celui-ci peut imposer taxes, péages, corvées, banalités (usage imposé d'équipements seigneuriaux à titre onéreux : fours, moulins...) levées par ses sergents. En échange, les vivres engrangés au château pourvoient à la survie des manants (vient du latin de résider) réfugiés entre ses murs en cas de pillage[18]. Enfin, les amendes prélevées en rendant justice selon le principe du Wergeld (de la loi salique) sont une autre source appréciable de revenus seigneuriaux. Avec l'affaiblissement de l'autorité royale et comtale, les ambitions personnelles se dévoilent, engendrant convoitises et contestations. Les tentatives d'imposer le droit de ban aux marges du territoire contrôlé et les conflits de succession dus à l'instauration récente du droit d'aînesse, dégénèrent régulièrement en guerres privées, dont pâtit en premier lieu la population rurale[19].

Cette mutation, pose problème car elle impliquerait que la jouissance des terres passe d'une élite foncière à une élite guerrière. Le découpage n'est pas linéaire: au fil des donations les grandes propriétés foncières sont extrêmement morcelées et dispersées sur de grandes distances[20] et la zone sur laquelle la châtellenie exerce sa protection est trouée d'enclaves autonomes, que le seigneur prétend soumettre aux mêmes redevances et à la même justice que ses manants. Dès lors la revendication du droit de ban et de justice sur les terres d'église ou de propriétaires laïcs dont les biens et les revenus sont menacés, entraîne un fort mécontentement, d'autant que les seigneurs n'hésitent pas à user de violence et intimident ou maltraitent les paysans ou se livrent au pillage ce qui ne manque pas de faire monter le mécontentement dans la population[21].

Les principales sources sont ecclésiastiques et doivent être analysées avec prudence ; les nombreuses exactions dénoncées par les clercs, comme les brigandages, ne sont pas forcément des actes de violence directe : les châtelains essayent d'imposer des taxes aux habitants des terres d'église ce qui ampute les revenus des religieux. Ces « brigands » sont bien souvent des spoliateurs de l'Église en ce sens qu'ils contestent ou rejettent les droits des églises sur les terres dont ils sont les héritiers. Les adversaires de l'Église sont des puissances laïques que l'autorité politique ne parvient pas seule à réprimer. Les couvents et les églises, subissent souvent les pressions de descendants des donateurs qui cherchent à récupérer les biens patrimoniaux qu'ils auraient dus hériter[22]. L'Église prend donc sa propre défense, ce qui est révélateur du glissement de l'autorité en direction de l'Église et de l'affaiblissement de la législation étatique. L'Église représente la seule force morale, le seul frein à la violence des seigneurs et des chevaliers[23]. Au total, les intérêts des châtelains sont en conflit avec ceux de la paysannerie, du clergé et des puissants et le mouvement de la Paix de Dieu découle des efforts de ces trois groupes sociaux pour neutraliser les excès de la noblesse naissante.

Moralisation des conduites guerrières par l'Église

Statue-reliquaire de Sainte-Foy (IXe siècle). Trésor de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques

L'Église n'est pas épargnée par les désordres des IXe et Xe siècle. Des charges d'abbés, paroissiales ou ecclésiastiques sont données à des laïcs pour se former des clientèles, ce qui entraîne un relachement de la discipline monastique et un abaissement du niveau de culture des prêtres[24]. Les rares monastères qui ont conservé une conduite irréprochable acquièrent une grande autorité morale. Ceci d'autant plus que l'approche de l'an mil travaille les esprits: l'Apocalypse est le texte sacré qui retient l'attention la plus passionnée[25]. On y lit que « Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer. »[26]. Les exactions des guerriers semblent correspondre à la prophétie. Dès lors, un soin particulier est mis à se laver de ses péchés. En particulier les monastères intègres reçoivent de nombreuses donations pour obtenir des prières en particulier post mortem[27]. Le choix des abbés se fait de plus en plus vers des hommes d'une grande intégrité et certains, tels Guillaume d'Aquitaine, vont jusqu'à donner l'autonomie et l'immunité à des monastères qui élisent donc leur abbé. Ce fut le cas de Gorze, Brogne ou Cluny. D'autres monastères utilisent des faux certificats d'immunité pour acquérir l'autonomie[28].

De tous, Cluny a le développement et l'influence les plus impressionnants. Sous la férule d'abbés dynamiques tels qu'Odon, Maïeul ou Odilon, l'abbaye, entraînant d'autres monastères qui lui sont rattachés, constitue bientôt un ordre très puissant (en 994, l'ordre de Cluny compte déjà 34 couvents)[29]. L'une des grandes forces de Cluny est de recruter une bonne partie des ses membres et particulièrement ses abbés dans la haute aristocratie: Bernon (909-927) appartient à l'aristocratie du comté de Bourgogne, Odon (927-942) à une grande famille de Touraine, Mayeul (948-994) à la famille provençale des Valensole, Odilon de Mercoeur (994-1048) à un lignage comtal d'Auvergne, Hugues de Semur (1049-1109) est le beau-frère du duc capétien de Bourgogne et sa nièce épousera le roi de Castille Alphonse VI, Pons de Melgueil (1109-1122) est apparenté aux comtes d'Auvergne et de Toulouse, Pierre de Montboissier, dit le Vénérable (1122-1156), est issu d'une famille seigneuriale d'Auvergne[30]. Aimard (942-948) est le seul abbé issu d'un milieu modeste.

La Paix de Dieu est un mouvement conciliaire mené par les ecclésiastiques en vue de moraliser la conduite des guerriers

Pour favoriser la conversion des populations païennes, le culte des saints, et donc des reliques, a été vivement encouragé dès le VIe siècle. La possession de reliques par les monastères et autres édifices religieux est très prisée car l'afflux de pèlerins qu'elles entraînent est source de bénéfices importants[24]. Les pèlerinages se développent intensément et c'est d'ailleurs sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle que Cluny étend son influence à cette époque[31].

Les invasions du IXe siècle entraînent leur lot de malheurs. On prend l'habitude, à cette époque de sortir les reliques de leur sanctuaire, en particulier pour des processions lors des calamités publiques, et pour réclamer la justice contre les ennemis ou les usurpateurs d'une église [32]. Cet usage s'applique bien entendu aussi aux déprédations dues aux seigneurs locaux: c'est d'un de ces rassemblements expiatoires que démarre le mouvement de la Paix de Dieu. On dénombre 21 assemblées de paix, mais nous ne connaissons les décrets que pour seulement 8 d'entre elles[33]. Il s'agit d'assemblées, réunies en plein champ, dans des lieux choisis pour leur très antique sociabilité populaire, au cours lesquelles les évêques font jurer la paix. Si la Paix de Dieu se base sur un mouvement populaire dans sa première phase (989-1010), elle bénéficie ensuite du soutien du roi Robert II le Pieux et de la haute noblesse qui y voient un moyen de structurer et de pacifier le royaume[34]. Les conciles en Aquitaine ont souvent été convoqués par le duc Guillaume d'Aquitaine. Si la contestation paysanne a un caractère antiseigneurial, l'Église ne cherche pas à se substituer au pouvoir central mais plutôt à moraliser la conduite de la noblesse[35]. Les serments établissent un compromis juridique et foncier entre laïcs armés et ecclésiastiques: ils institutionnalisent la seigneurie[36]. La lutte de l'Église contre les violences seigneuriales assoit aussi, par les décisions de ses conciles, le nouvel ordre social organisant la société en trois ordres[34]. Ce mouvement est renforcé dans un deuxième temps par la Trêve de Dieu qui est tout autant soutenue par Cluny. [[Image:Saint-Bernard prêchant la 2e croisade, à Vézelay, en 1146.jpg|thumb|right|300px|Bernard de Clairvaux prêchant la 2e croisade, à Vézelay, en 1146]]

Par la Paix de Dieu, l'Église ne cherche pas à interdire la guerre et à promouvoir la paix : elle moralise la paix et la guerre en fonction de leurs objectifs et de ses intérêts. C'est en cela que la Paix de Dieu constitue une étape préparatoire importante de la formation de l'idée de croisade.

Les ducs et comtes retrouvent assez de pouvoir pour reprendre en main le mouvement de paix : en 1047, en Normandie, la Paix de Dieu devient la paix du duc (concile de Caen) ; en 1064 en Catalogne, elle devient la paix du comte. Dans le même temps, la paix s'internationalise, s'étendant aux pays voisins de la France : Catalogne, Angleterre, pays germaniques. La papauté conforte enfin le mouvement : Urbain II, ancien moine clunisien, reprend lors du concile de Clermont (1095) les dispositions promulguées aux conciles de paix. Il y invite tous les chrétiens à observer entre eux une paix perpétuelle et à aller combattre l'hérétique. C'est ainsi que la Paix de Dieu débouche sur la Croisade.

Le XIIe siècle, en même temps qu'il est période de reconstruction du pouvoir royal, voit se transformer ce mouvement de paix. Durant la première moitié du siècle, le roi reprend en main le domaine royal, faisant reculer les ambitions des châtelains. Dans le même temps, l'Église et la papauté font de nouveau appel aux autorités civiles (roi et princes) pour assurer les prérogatives judiciaires. C'est dans le cadre de cette restauration de l'autorité royale que le roi Louis VII récupère en 1155 l'institution de paix : la Paix de Dieu devient la Paix du roi.


La féodalité : relations entre guerriers

La féodalité, comme relation entre professionnels de la guerre, est née entre Loire et Meuse au IXe siècle, de la déliquescence de l'Empire carolingien détruit par les agressions extérieures (Normands, Sarrazins, Hongrois) et morcelé à l'intérieur entre les héritiers et leurs partisans. Elle s'étendit à l'Allemagne, l'Italie du Nord, l'Espagne chrétienne dans un premier temps ; puis à l'Italie du Sud, à l'Angleterre par la conquête normande, et fut transposée dans les États latins d'Orient avec les Croisades. Ce mode d'organisation politico-sociale s'est développé dans une société presque exclusivement rurale, sous-peuplée, où la richesse et la puissance se confondent avec la possession de la terre.

Vitrail représentant un chevalier

Ce système est né de la disparition de toute autorité publique, et de l'insécurité majeure : invasions extérieures, guerres à l'intérieur d'un royaume, famines (souvent issues des guerres). Il implique la prédominance d'une caste de guerriers professionnels (qui n'existe pas à proprement parler à l'époque mérovingienne) et des relations d'homme à homme, qui permettent son extension à toute la société par la suite. La féodalité est issue de la présence d'un régime seigneurial dès la fin de l'Empire romain, où l'aristocratie guerrière s'était partagée la terre. Elle y agrège le régime vassalique de l'époque mérovingienne, où les hommes libres se mettent au service d'un puissant contre sa protection, et contre un bénéfice s'il n'est pas propriétaire. Ces bénéfices étaient aussi attribués comme récompense aux compagnons (comes, qui donne comte) du puissant.

Ce système de liens personnels hiérarchisé fut utilisé et renforcé par les Carolingiens, qui y voyaient un moyen d'être à la tête de tous les hommes libres. Cependant les invasions du IXe siècle brisent le lien envers le souverain, et renforcent les pouvoirs des puissants locaux : comtes, ducs, marquis. La hiérarchie se met en place, le clergé s'y intègre. Le seul privilège du roi est, en France, de ne prêter hommage à personne.

En 987, Hugues Capet consomme le triomphe de la féodalité en renversant la dynastie régnante; mais aussi dès la même époque commence la lutte du pouvoir royal contre la féodalité. Hugues Capet et ses premiers successeurs ne sont encore vraiment souverains que dans leurs domaines personnels.

Au XIIe siècle, la féodalité se modifie, avec l'arrêt des invasions, l'expansion démographique et économique. La chevalerie, base du système, se ferme et devient uniquement héréditaire. L'aide du vassal se limite aux quatre cas (aide aux quatre cas). Son fief devient sa pleine propriété, et le roi de France renforce son pouvoir (notamment par la procédure de l'appel judiciaire).

L'exemple normand

Chevaliers du Christ par Jan van Eyck

Aux XIe et XIIe siècles, l'organisation féodale du duché de Normandie peut se résumer ainsi :

  • Le duc de Normandie est un prince territorial du royaume des Francs et doit prêter hommage au roi, son seigneur. Pour faire la guerre, le duc peut lever l'arrière-ban, c'est-à-dire faire appel à tous les hommes de son duché.
  • Le duc de Normandie est entouré de barons desquels il a reçu l'hommage. Les barons disposent d'une dizaine de fiefs ou davantage qu'ils tiennent du duc. Ils ont aussi généralement le titre de comte. Ils forment la cour ducale.
  • Les seigneurs disposent de fiefs de haubert (ou fiefs de chevaliers) et doivent rendre l'hommage au baron dont ils sont les vassaux.
  • Enfin, les vassaux de ces seigneurs, les vavasseurs, en bas de la hiérarchie, tiennent des fractions de fiefs de haubert.

Le vassal doit à son seigneur l'ost, le service armé gratuit de quarante jours. Mais dès le XIIe siècle, ce service est remplacé par une somme d'argent.

La féodalité comme organisation de la société

Les 3 états

Tout comme la disparition de la puissance centrale avait favorisé l'apparition de principautés, les désordres publics qu'elle avait entrainés avaient suscité un fort sentiment d'insécurité. Sur le modèle des relations d'homme à homme, des liens se créèrent entre la classe guerrière et la classe des paysans. Dans le système tel que présenté par les élites médiévales, pour l'essentiel cléricales, le chevalier assurait la protection aux paysans, qui en échange lui fournissaient subsistance et moyens de s'équiper.

La protection revêtait plusieurs formes :

  • guerrière : combat personnel du chevalier contre des attaques ;
  • défensive : abri procuré par le château pour les personnes, le bétail et les récoltes ;
  • chasse : autant qu'un entraînement à la guerre, la chasse avait une utilité pour la communauté paysanne, qui se voyait ainsi débarrassée des animaux sauvages destructeurs des cultures (cerfs, daims, chevreuils, sangliers) ou menaçants pour le bétail (loups, renards, ours).

Bilan de la féodalité

La féodalité a réussi à maintenir une paix relative de presque un millénaire, dans un monde où la totalité du pouvoir temporel était, avec la bénédiction d'un pouvoir spirituel incontesté, aux mains de professionnels de la guerre.

Leopold Kohr décrit ainsi un conflit typique du Moyen Âge : « Le duc de Tyrol déclara la guerre au margrave de Bavière pour un cheval volé. La guerre dura deux semaines. Il y eut un mort et six blessés. On s'empara d'un village et on but tout le vin qui était dans la cave de l'auberge. La paix fut faite et 35 thalers payés en dédommagements. Ni le duché contigu du Liechtenstein ni l'archevêché de Salzbourg ne furent au courant qu'il y ait eu quelque guerre que ce soit. »

Un exemple de conflit majeur est celui qui a contraint Charles le Chauve à accorder le titre de roi à Erispoë. Après quelques escarmouches dont nous ne savons rien, une armée de quelques milliers de fantassins et de quelques centaines de chevaliers se bat pendant quelques heures contre un petit millier de cavaliers. Charles prend la fuite, son armée est prise de panique et laisse quelques centaines de morts sur le terrain[réf. nécessaire].

Quelques contre-exemples peuvent être trouvés :

  • La guerre de Cent Ans fut un ensemble de conflits entre deux systèmes féodaux disjoints. Elle fut donc d'une part l'exemple de ce que le système féodal aurait permis d'éviter si les rois en conflit avaient prêté hommage à l'empereur, et d'autre part la préfiguration des conflits internationaux ultérieurs.
  • La guerre de Trente Ans fut un conflit délibérément entretenu de l'extérieur du système féodal par la France de Richelieu et du Père Joseph. Sans cet entretien, elle se serait conclue rapidement par la mise au pas des vassaux rebelles ou l'élection d'un empereur issu de leur camp.

Le déclin du système féodal

C'est Charles le Chauve qui porte le premier coup au système féodal en refusant de reconnaître son frère comme empereur[réf. nécessaire]. Ce faisant, il crée un système parallèle en Francie occidentale, dont le roi, et non l'empereur, est le suzerain des suzerains.

Dans un premier temps, le système féodal s'est avéré efficace face aux invasions. Mais, celles-ci achevées, il n'a pas tardé à se créer une situation d'anomie due à la multiplicité des conflits locaux entre seigneurs, professionnels de la guerre. De plus, l'éclatement de la souveraineté en une multitude de principautés indépendantes a considérablement réduit le pouvoir du roi. Sa seule attribution demeure la suzeraineté qui en fait le « seigneur suprême ».

Ce sont les Capétiens qui, en s'appuyant sur le système féodal pour augmenter constamment leur domaine personnel, lui portent le coup fatal en France. Le roi s'impose en jouant au maximum de sa suzeraineté et en exploitant les permanentes dissensions de ses vassaux. Ainsi, dans le courant du XIIe siècle, se met en place la monarchie féodale qui use des obligations vassaliques pour forcer à l'obéissance les grands seigneurs territoriaux.

Louis VI est le premier qui attribue à la royauté un rang particulier. L'établissement des communes, en fournissant aux rois un auxiliaire contre la puissance des vassaux ; les Croisades, en forçant les seigneurs d'engager à la couronne des domaines qu'ils ne purent depuis recouvrer, portèrent les premiers coups à la féodalité ; Philippe Auguste, Saint Louis, Philippe le Bel, soit par la force des armes, soit par jugement, achat, donation, succession, réunissent nombre de fiefs au domaine royal. Leurs successeurs, devenus plus forts, attaquent victorieusement les privilèges des feudataires.

À la fin du XIIIe siècle, la féodalité est déjà pratiquement vidée de tout son contenu. Elle évolue vers le régime seigneurial, ensemble de charges et de redevances héritées du passé qui pèsent sur la paysannerie et qui progressivement apparaissent dépourvues de sens, puisque le seigneur, en contrepartie, n'a plus d'obligation précise. C'est Louis XI qui effectue les acquisitions décisives qui lui permettent de ne plus dépendre de l'aide de ses vassaux pour soumettre une révolte de ceux ci, aussi étendue soit-elle. Le traité du Verger (1488), qui conclut la guerre folle entre les grands vassaux et son fils Charles VIII, est un des tout derniers actes relevant vraiment du droit féodal : c'est encore un engagement entre deux hommes. Moins de dix ans plus tard le contrat de mariage de Louis XII et Anne de Bretagne est un engagement entre deux pays puisqu'il est destiné à rester valable après la mort des deux époux. Dès lors le système féodal français n'est plus qu'une coquille vide et le Moyen Âge est terminé. [réf. nécessaire]

La féodalité se prolonge au-delà du Moyen Âge par la survivance de ces droits et de privilèges attachés aux propriétaires (l'Église ou la Noblesse). Il a fallu attendre la Révolution française et la nuit du 4 août 1789 pour qu'il soit mis fin à cette situation et que soit abolie la société d'ordres. Les révolutionnaires parlaient de « féodalité » or ils voulaient dénoncer le régime seigneurial, la vraie féodalité ayant disparu avec le Moyen Âge. La Révolution propagea cette abolition en Europe occidentale par les Guerres de la Révolution et de l'Empire (Recès d'Empire).

Émergence de la bourgeoisie

Depuis la renaissance de l’an mil où elle s’est structurée, la société médiévale a considérablement évolué. L’Europe a fortement progressé techniquement, artistiquement et démographiquement. Les villes se sont développées créant de nouvelles classes sociales centrées sur l’artisanat et le commerce. Le système féodal et religieux à trois ordres instauré depuis le mouvement de la paix de Dieu est adapté à une société agricole et décentralisée. La noblesse protège les terres et rend la justice. Les religieux sont les guides spirituels de la communauté : ils s’occupent des œuvres sociales et contribuent à maintenir et à développer la culture. Les paysans, quant à eux, par leur travail, assurent la fonction productrice.

Grande Charte, copie de 1225.

À partir de la fin du XIIIe siècle, l’équilibre entre les trois ordres se rompt. Le développement des villes a nécessité la création d’un État centralisé rendant justice, unifiant la monnaie et devant protéger le pays contre les attaques éventuelles de royaumes capables de lever des armées importantes. Une telle structure doit être financée et l’État a d’autant plus besoin de ressources financières que le système féodal se maintient par la redistribution de richesses vers ses vassaux. Le grand patriciat commerçant possède des ressources financières très abondantes qu’il prête aux princes et aux ecclésiastiques : il devient un acteur incontournable[37].

En France, ne disposant pas d’une administration suffisante et voulant limiter la puissance des grands féodaux, les Capétiens délèguent aux bourgeois de plus en plus de pouvoirs politiques, fiscaux et judiciaires créant de véritables zones franches aux grands carrefours commerciaux. La multiplication des affaires à régler a rendu impossible leur seul traitement par les rois et la grande noblesse qui ont alors délégué une partie de leurs pouvoirs judiciaires à des parlements et autres cours de justice. À l’époque, plutôt que d’entretenir une coûteuse administration, les souverains ont pris l’habitude de faire prélever les taxes par de riches particuliers qui leur cèdent le montant souhaité et se remboursent en percevant les impôts pour leur compte, ce qui assure de confortables bénéfices[38]. En Angleterre, les revers de Jean sans Terre contre Philippe Auguste avaient conduit les barons anglais à lui imposer en 1215 la Magna Carta, la Grande Charte, qui instituait, entre autres, la liberté des villes et le contrôle de la fiscalité par le Parlement.

En France, Philippe le Bel instaure des États généraux où la noblesse, le clergé et les villes sont représentés, pour avoir une légitimité à lever des impôts y compris sur les terres d’Église et rassembler la nation naissante pour faire bloc contre le pape qui ne peut accepter de telles taxes et proclame la primauté du spirituel sur le temporel (par la bulle pontificale Unam Sanctam de 1302, Boniface VIII revendique l’instauration d’une théocratie).

D’autre part, pour les besoins du commerce, puis pour sa propre ascension sociale le patriciat urbain a pris en charge une partie de la culture, créant des écoles laïques[39] et finançant un mécénat culturel[40]. De la même manière, il finance nombres d’œuvres sociales[41]. La plupart des innovations techniques sont alors le fait de laïcs, ingénieurs, architectes (tels Villard de Honnecourt)[42], artisans (tels Jacoppo et Giovanni di Dondi concepteurs de l’horloge à échappement[43])… Le clergé perd une partie de son rôle culturel ou social dans les espaces urbains.

Pour obtenir le rôle politique que leur importance croissante dans la société devrait leur donner, de nombreux bourgeois tentent d’être anoblis. C’est la voie que choisit par exemple Robert de Lorris qui, devenu proche conseiller de Jean le Bon, use de son soutien ou d’alliances matrimoniales judicieuses pour placer ses proches. La haute bourgeoisie adopte des comportements qui rappellent ceux de la noblesse : la prévôté organise par exemple en 1330 un tournoi où bourgeois combattent comme des chevaliers[44]. Ceux qui, comme Étienne Marcel, n’appartiennent pas au cercle très restreint du pouvoir sous Jean le Bon et dont la promotion sociale est bloquée deviennent les plus fervents promoteurs d’une réforme politique qui doit aboutir au contrôle de la monarchie par les États.

Crise de la féodalité

Alors que, sous l’effet des progrès des techniques agraires et des défrichements, la population s’accroît en Occident depuis le Xe siècle, on franchit un seuil qui dépasse les capacités de productions agricoles dans certaines zones d’Europe dès la fin du XIIIe siècle. Par le jeu des partages successoraux les parcelles se réduisent : elles n’ont plus en 1310 que le tiers de leur superficie moyenne de 1240[45]. Certaines régions comme les Flandres sont en surpopulation et essayent de gagner des terres cultivables sur la mer, néanmoins pour couvrir leurs besoins elles optent pour une économie de commerce permettant d’importer les denrées agricoles. En Angleterre, dès 1279, 46% des paysans ne disposent que d’une superficie cultivable inférieure à 5 hectares. Or, pour nourrir une famille de 5 personnes, il faut de 4 à 5 hectares[45]. La population rurale s’appauvrit, le prix des produits agricoles baisse et les revenus fiscaux de la noblesse diminuent alors que la pression fiscale augmente et donc les tensions avec la population rurale. Beaucoup de paysans tentent donc leur chance comme saisonniers dans les villes pour des salaires très faibles engendrant aussi des tensions sociales en milieu urbain. Le refroidissement climatique[46] et l’évolution de l’économie vers la spécialisation de la production et le commerce[47] provoquent de mauvaises récoltes qui se traduisent du fait de la pression démographique en famines (qui avaient disparu depuis le XIIe siècle) dans le nord de l’Europe en 1314, 1315 et 1316 : Ypres perd 10% de sa population et Bruges 5% en 1316[45].

La noblesse doit compenser la diminution de ses revenus fonciers et la guerre en est un excellent moyen : par les rançons perçues après capture d’un adversaire, le pillage et l’augmentation des impôts justifiée par la guerre. C’est ainsi que la noblesse pousse à la guerre et particulièrement la noblesse anglaise dont les revenus fonciers sont les plus touchés[48]. En France, le roi Philippe VI a besoin de renflouer les caisses de l’État et une guerre permettrait de lever des impôts exceptionnels.

L’essor du commerce a rendu certaines régions dépendantes économiquement de l’un ou de l’autre royaume. À cette époque le transport de fret se fait essentiellement par voie maritime ou fluviale. La Champagne et la Bourgogne alimentent Paris via la Seine et ses affluents et sont donc pro-françaises. La Normandie est partagée car elle est le point d’union entre ce bassin économique et la Manche qui devient une zone d’échanges de plus en plus intenses grâce aux progrès des techniques maritimes (le contournement de la péninsule ibérique par les navires italiens devient de plus en plus fréquent). L’Aquitaine qui exporte son vin en Angleterre, la Bretagne qui exporte son sel et les Flandres qui importent la laine britannique ont tout intérêt à être dans la sphère d’influence anglaise[49].

Ainsi, les marchands flamands en voulant échapper à la pression fiscale française, se révoltent de manière récurrente contre le roi de France ; d’où les batailles successives de Courtrai en 1302 (où la chevalerie française est balayée et où les bourgeois flamands montrent que les villes peuvent battre militairement l’ost royal), de Mons-en-Pévèle en 1304 et de Cassel en 1328 (où Philippe VI mate les rebelles flamands). Les Flamands apportent leur soutien au roi d’Angleterre, déclarant même en 1340 qu’Édouard III est le légitime roi de France. Les deux États ont donc intérêt à augmenter leurs possessions territoriales pour accroître leurs rentrées fiscales et renflouer leurs finances. Dès lors, les intrigues des deux rois pour faire passer la Guyenne, la Bretagne et la Flandre sous leur influence conduisent rapidement à une guerre entre les deux États[50] qui dura 116 ans. Bien évidemment les conséquences de cette guerre interminable furent lourdes pour le commerce, d’autant qu’elles avaient entraîné une augmentation de la pression fiscale.

Bretagne

La Bretagne était un cas particulier. En effet, elle rendait un hommage simple au roi de France mais la Bretagne n'était pas un fief de ces derniers dans la mesure où les Francs n'avaient jamais réussi à s'approprier véritablement ce territoire. On peut parler de royaume, de comté puis de duché subordonné, mais pas de fief. D'ailleurs, les ducs de Bretagne rappelaient souvent aux rois de France que leurs aides militaires étaient bénévoles ou se déclaraient ducs par la grâce de Dieu. Cependant, même si la Bretagne ne fit pas partie du royaume de France avant le 13 août 1532 par l'Édit d'Union de Nantes (texte de cet édit sur Wikisource), elle restait extrêmement liée aux rois de France.

Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne, la féodalité n'a été introduite qu'avec la conquête normande. Elle a eu beaucoup de mal à s'implanter, et a pris fin avec la dynastie des Tudors et la Renaissance anglaise (XVIe siècle). Toutefois elle a subsisté en Écosse jusqu'en 2001 et resta en vigueur sur l'île de Sercq juqu'au 4 octobre 2006.

Allemagne

En Allemagne, la féodalité s'est établie comme en France ; mais elle eut un autre résultat. Dès le partage entre les fils de Louis le Pieux, la puissance personnelle des empereurs resta trop faible pour rompre la réciprocité du lien de vassalité, ce qui permit au système féodal de subsister plus tardivement : de là, la multiplicité des petits États indépendants que renferme ce territoire jusqu'au XIXe siècle. Et de là la facilité à y mettre en place des régimes fédéraux.

Notes et références

  1. Vassus signifie jeune homme fort et a donné en français "vassal" en opposition à Senior qui signifie vieux et a donné "seigneur"
  2. a  et b Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 42
  3. Laurent Vissière, Le chevalier, un héros laborieux, Historia thématique no 90 juillet 2004: La France féodale,Historia
  4. P. Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, 1983, p. 110
  5. a  et b Philippe Norel, L'Invention du marché, Seuil, 2004, p. 140
  6. Jean Dhondt, Les dernières invasions tiré de Histoire de la France des origines à nos jours sous la direction de Georges Duby, Larousse, 2007, page 249.
  7. Philippe Contamine, Marc Bompaire, Stéphane Lebecq, Jean-Luc Sarrazin, L'économie médiévale, p. 63-64
  8. a  et b Philippe Contamine, Marc Bompaire, Stéphane Lebecq, Jean-Luc Sarrazin, L'économie médiévale, p. 65-67
  9. Jean Gimpel, La révolution industrielle du Moyen Âge, Éditions seuil 1975 p. 149-150
  10. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 65-66
  11. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 66
  12. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 72.
  13. Jean Pierre Morillo, L'architecture carolingienne, L'Histoire de France no 8 juillet-aout 2007: Les premiers carolingiens p. 69 Clionide des Francs
  14. Adriaan Vehulst, La construction carolingienne tiré de Histoire de la France des origines à nos jours sous la direction de Georges Duby, Larousse, 2007, pages 202-203
  15. Laurent Theis, Histoire du Moyen Âge français, p. 46
  16. André Larané, An Mil: Féodalité, Église et chevalerie Herodote.net
  17. Marc Girot, De Charlemagne à la féodalité,Site de l'IUFM de Créteil
  18. a  et b Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 264-266
  19. Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 272
  20. Olivier Guyotjeannin et Guillaume Balavoine, Atlas de l'histoire de France IXe-XVe siècle, Éditions Autrement, 2005, p. 27
  21. Christian Lauranzon-Rosaz, La Paix des Montagnes: Origines auvergnates de la Paix de Dieu, p. 3 Site de l'Université de droit de Clermont-Ferrand
  22. Jacques Paviot, Le moine est maître chez lui Historia Thématique no 90: La France féodale p. 42
  23. Christian Lauranzon-Rosaz, La Paix des Montagnes: Origines auvergnates de la Paix de Dieu, p. 4 Site de l'Université de droit de Clermont-Ferrand
  24. a  et b Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 277
  25. Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 274
  26. Saint Jean, l'Apocalypse 20:7 et 20:8
  27. Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 276
  28. Christian Lauranzon-Rosaz, La Paix des Montagnes: Origines auvergnates de la Paix de Dieu, p. 19
  29. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 104-105
  30. Jacques Paviot, Le moine est maître chez lui Historia Thématique no 90: La France féodale p. 43
  31. Georges Duby, Les féodaux (980-1075) tiré de Histoire de la France, Larousse 2007, p. 278
  32. Edina Bozoky, Les reliques : un marché en pleine expansion, La France féodale Historia thématique no 90
  33. Sylvain Gouguenheim, Les fausses terreurs de l'an mil, Picard, 1999, p.
  34. a  et b Paix de Dieu Site de l'université de droit et de science politique de Clermont-Ferrand
  35. Les mouvements de la Paix de Dieu - 2ème partie Encyclopédie universelle
  36. Stéphane Pouyllau, La Paix de Dieu et la Trêve de Dieu, Point d'Histoire du Moyen-Âge no 1
  37. Jacques Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen-Âge, Que sais-je, PUF, 2006, p. 60-62
  38. Françoise Autrand, Charles V, Fayard 1994, p. 234
  39. Jacques Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Âge, Que sais-je, PUF, 2006, p. 97-98
  40. Jacques Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Âge, Que sais-je, PUF 2006, p. 104-108
  41. Marie-Thérèse Lorcin, Des Restos du cœur avant la lettre Historia Thématique no 65: Un Moyen Age inattendu pages 48 à 51
  42. Jean Gimpel, La révolution industrielle du Moyen Age, Éditions seuil 1975 p. 113-140
  43. Jean Gimpel, La révolution industrielle du Moyen Age, Éditions seuil, 1975, p. 149-157
  44. Françoise Autrand, Charles V, Fayard 1994, p. 237
  45. a , b  et c Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, op. cit., p. 222-223.
  46. Les constatations décrites par exemple par (en) Scott A. Mandia, The Little Ice Age in Europe [1], sont corroborées par des médiévistes ayant analysé les chroniques de l’époque tels Philippe Contamine, La guerre de cent ans, Que Sais-Je no 1309, PUF, 2002 ; pour d’autres auteurs le refroidissement climatique survient plus tard et d’autres modèrent l’impact que les changements climatiques en question ont eu sur l’économie : Emmanuel Le Roy Ladurie Histoire humaine et comparée du climat, Fayard 2006.
  47. (en) Eileen Power, The Wool Trade in English medieval History, Ford Lectures, 1961, page 9
  48. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, op. cit., p. 231-232
  49. Philippe Richardot, Y a-t-il une pensée navale dans l’occident médiéval ?, Stratis.org
  50. Georges Bordonove, La guerre de 600 ans, Laffont 1971, page 135

Bibliographie

Ouvrages

  • Dominique Barthélemy, L'an mil et la paix de Dieu. La France chrétienne et féodale (980-1060), Fayard, Paris, 1999.
  • Dominique Barthélemy, L'ordre seigneurial, XIe-XIIe siècle, Seuil, Paris, 1990.
  • Dominique Barthélemy, La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France des Xe et XIe siècles, Fayard, Paris, 1997.
  • Dominique Barthélemy et Olivier Bruand, Les pouvoirs locaux dans la France du Centre et de l'Ouest (VIIIe-XIe siècle). Implantations et moyens d'action, PU Rennes, Rennes, 2005.
  • Jérôme Baschet, La Civilisation féodale : de l'an mil à la colonisation de l'Amérique, Aubier, Paris, 2004 ; 3e éd. revue et mise à jour, Flammarion, "Champs", 2006
  • Marc Bloch, La Société féodale, Albin Michel, Paris, 1939.
  • Robert Boutruche, Seigneurie et féodalité, t.1 : Le premier âge des liens d'homme à homme; t.2 : L'apogée (XIe-XIIIe siècles), Paris, 1959 et 1970.
  • Franck Collard et Michel Balard, Pouvoirs et culture politique dans la France médiévale, Ve-XVe siècle, Hachette, Paris, 1999.
  • Hélène Debax, La Féodalité languedocienne XIe-XIIe siècle : Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, PU Mirail, Toulouse, 2003.
  • Georges Duby, Hommes et structures du Moyen Âge, Paris, 1973 (recueil d'articles) ; rééd. Flammarion, coll. "Champs", t.1 : Seigneurs et paysans, t.2 : La société chevaleresque, Paris, 1988.
  • Georges Duby, Les trois ordres où l'imaginaire du féodalisme, Gallimard, Paris, 1978.
  • Robert Fossier, Enfance de l'Europe. Aspects économiques et sociaux (XIe-XIIIe siècle), Collection Nouvelle Clio, PUF, Paris, 1987.
  • François-Louis Ganshof, Qu'est-ce que la féodalité ?, Tallandier, Paris, 1982.
  • Alain Guerreau, Le Féodalisme : un horizon théorique, Paris, Sycomore, 1980.
  • Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel, La Mutation féodale Xe-XIIe siècle, Collection Nouvelle Clio, PUF, Paris, 1980.
  • Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel, Les Féodalités, PUF, Paris, 1998.

Articles

Voir aussi

Source partielle

« Féodalité », dans Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang [sous la dir. de], Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, 1878 [détail des éditions]  (Wikisource)


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