Furcy

Furcy

Furcy est le nom donné à un esclave réunionnais qui assigna son maître en justice en 1817 en réclamant son statut juridique d'homme libre, au cours d'un procès qui va quasiment de l'interdiction de la traite (1815) à l'abolition de l'esclavage (1848) : durant cette période, les besoins croissants en main d'œuvre de la production sucrière et son industrialisation posent avec une acuité nouvelle la question centrale de l'esclavage dans les colonies européennes, dans le contexte politique nouveau issu de la révolution et de l'Empire.

Sommaire

Biographie

D'après le dossier Furcy[1], Furcy a une mère indienne, Madeleine, née en 1759, probablement d'origine indo-portuguaise. Madeleine est conduite enfant en France par une femme, Mle Dispense, qui la confie avant d'entrer en religion à une certaine Madame Routier en partance en 1771 pour l'Île Bourbon. Madame Routier omet de renvoyer la jeune Madeleine, à Chandernagor, en Inde, comme elle s'y était engagée, et la garde à son service, sans doute comme nourrice des nombreux enfants Routier. La famille Routier fait partie de ces familles possessionnées aux Mascareignes et présentes également aux Seychelles et en Inde (branche Routier de Grandval). Madeleine a trois enfants, tous nés à La Réunion et dont les pères ne sont pas connus : Cyril (mort jeune tué au combat contre les Anglais aux côtés de l'un des fils Routier), Constance et Furcy, né en 1786. Après la mort de sa mère et celle de Madame Routier, Furcy est confié au gendre de cette dernière, Joseph Lory, négociant et propriétaire d'esclaves à l'île Bourbon et à l'île Maurice, qui le garde comme esclave. Furcy devient l'intendant de la maison de Joseph Lory. En 1817, le jeune homme découvre que sa mère avait été affranchie avant son décès et décide de recourir à la justice pour faire valoir sa liberté, une liberté dont jouit sa sœur Constance depuis son propre affranchissement. Il est débouté en première instance, en appel et se pourvoit finalement en cassation.

En 1817, lorsqu'il entame sa démarche en justice, il trouve un certain soutien en la personne du procureur général Louis Gilbert-Boucher (1782-1841). En raison de ses sympathies républicaines et antiesclavagistes, celui-ci s'attire l'hostilité de Joseph Richemont Desbassyns, le commissaire ordonnateur général de l'Île Bourbon.

L'affaire fait grand bruit à Saint-Denis, les propriétaires d'esclaves redoutant une brèche juridique qui permettrait la libération de près de 15 000 individus. Aussi, sous la pression des colons, Gilbert-Boucher doit quitter l'île. Son jeune substitut Jacques Sully Brunet est également écarté du dossier. Depuis Maurice où il a été exilé par Joseph Lory, Furcy entretient jusque aux années 1840 une correspondance suivie avec la famille Brunet à l'Île Bourbon et Louis Gilbert-Boucher[1] lui-même en métropole.

Le 23 décembre 1843, la justice française déclare enfin que « Furcy est né en liberté.»[2]. A cette date, Furcy a déjà été déclaré libre par les autorités anglaises de l'île Maurice, Joseph Lory ayant omis de le déclarer à son arrivée à Port-Louis. Furcy assiste à Paris au procès en cassation, dont les débats sont largement couverts par la presse parisienne, en raison du caractère peu commun de l'affaire.

L'affaire Furcy n'est pas une affaire isolée. Louis Gilbert-Boucher a effectué des recherches très approfondies de jurisprudence dans les archives de la Cour royale de Bourbon. Il cite dans l'un de ses rapports au ministre de la marine et des colonies une autre affaire un peu antérieure, l'affaire de l'indienne Tola, jugée devant la cour royale de Bourbon, où le même point de droit a déjà été soulevé. Dans un contexte où la traite négrière commence à être interdite dans les colonies anglaises (dont l'île Maurice toute proche, où la famille Lory a des terres), et où les nations signataires du traité de Vienne se sont engagées à abolir l'esclavage, les indiens se prétendent issus d'une nation de libres et refusent le statut d'esclave (Louis Gilbert-Boucher a connaissance d'un autre cas à la Martinique). Gilbert-Boucher s'élève également contre l'usage des lois que font les magistrats au profit des propriétaires d'esclaves et des contournements de son autorité de procureur général, dans un contexte de réforme des juridictions qui peine à s'imposer à l'île Bourbon.

Postérité

Un îlet de la commune de Saint-Louis situé sur la route menant au cirque de Cilaos est désigné du nom d "Ilet Furcy". Le lien avec l'affaire Furcy n'est toutefois pas établi : Furcy est un nom et un prénom relativement porté à La Réunion durant la première moitié du XIXème siècle, du nom de l'évangélisateur irlandais saint Furcy (VIIème siècle) qui a laissé son nom à une source dans les Ardennes (commune de Bellefontaine) et au vocable d'une église en Seine-et-Marne (église Saint-Furcy de Lagny-sur-Marne).

L'affaire Furcy a fait l'objet d'une performance itinérante impliquant une centaine de bénévoles autour de l'île de La Réunion, de 1998 à 1999, dans le cadre du cent-cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage, sous le titre Liberté plastik d'Arius et Mary Batiskaf (http://batiskaf.blogspot.com/2007/09/libert-plastik.html).

Par ailleurs, les Archives départementales de La Réunion ont acheté en vente publique à l'Hôtel Drouot en mars 2005 un gros dossier relatif à l'affaire Furcy constitué par le procureur Louis Gilbert-Boucher. Ce dossier comprend des copies d'époque de documents judiciaires relatifs à cette affaire (il ne s'agit pas du dossier du procès lui-même, toutefois) et des correspondances privées adressées à Louis Gilbert-Boucher à propos de l'affaire Furcy et du conflit interne à l'administration judiciaire de l'île Bourbon à l'époque de l'affaire (réforme judiciaire de l'ordonnance du 1816, que Louis Gilbert-Boucher avait été nommé pour mettre en œuvre). Ce dossier est consultable aux Archives départementales de La Réunion (sous-série 1 J) et a fourni une grande partie des sources du présent article.

Bibliographie

Pour le contexte historique, qui a été abondamment étudiée ces vingt dernières années à La Réunion, voir également les nombreuses publications consacrées à l'économie sucrière et à la société esclavagiste de La Réunion par les historiens chercheurs de l'Université de La Réunion Prosper Eve, Jean-François Géraud, Sudel Fuma.

Notes et références

  1. a et b {Arch. dép. la Réunion, Dossier du procureur Louis Gilbert Boucher à propos de l'affaire Furcy (Île de La Réunion), 1 Jp 2007/1 à 3.
  2. Le Renaudot essai à Mohammed Aïssaoui sur bibliobs.nouvelobs.com. Consulté le 29/11/2010

Voir aussi

Articles connexes


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