Eruption du Krakatoa en 1883

Eruption du Krakatoa en 1883

Éruption du Krakatoa en 1883

Article principal : Krakatoa.
Le Krakatoa au début du XIXe siècle, soit plusieurs années avant que l'éruption ne change son aspect.

L'éruption du Krakatoa survenue en 1883 fut une éruption volcanique cataclysmique qui changea la physionomie du Krakatoa, un volcan gris d'Indonésie. Survenue le 27 août 1883 à 10h02, elle provoqua un bruit effroyable et des rougeoiements dans le ciel que l'on put observer jusqu'en Europe du Nord, où Edvard Munch les reproduisit dans son célèbre tableau Le Cri.


Sommaire

Prémices

Jusqu'à cette journée fatidique, Krakatoa est une île qui mesure neuf kilomètres de long sur cinq kilomètres de large. Elle est couverte d'une végétation luxuriante typique des régions tropicales humides, mais déjà une activité sismique intense se fait sentir dans la région du volcan, jusqu'en Australie.

Dormant depuis 1681, Perboewatan se réveille le 20 mai 1883 en émettant des panaches de vapeur et de cendres jusqu'à six kilomètres de haut et un son audible jusqu'à Batavia, l'ancienne Jakarta. L'activité décroît pendant quelques semaines, mais, le 19 juin, de nouvelles explosions se produisent, puis le 20 juillet un nouveau cône se forme selon toute vraisemblance entre Perboewatan et Danan. Le 11 août, l'activité gagne encore en intensité avec des panaches s'élevant en pas moins de onze points distincts. Les bateaux continuent pourtant à emprunter le détroit de la Sonde : celui qui passe le 14 août navigue dans l'obscurité pendant quatre heures, tellement les émissions de cendres sont épaisses.

Déroulement

Schéma d'une éruption plinienne.

L'« apocalypse » commence le 26 août 1883 à 13 heures locales (UTC+7) : une violente explosion est entendue à plus de cinquante kilomètres du volcan, suivie d'une autre, encore plus forte vers 14 heures, puis d'une série de détonations sans cesse plus violentes jusque vers 17 heures[1]. L'explosion de 14 heures est accompagnée d'abondantes projections de cendres propulsées jusqu'à plus de vingt-sept kilomètres de hauteur et dont une autre partie retombe, recouvrant tout dans un rayon de 160 kilomètres autour du Krakatoa, plongeant la région dans une nuit totale[1].

À 10 heures 02 minutes, le 27 août, survient enfin une explosion effroyable ; le bruit le plus fort entendu par des oreilles humaines[2] est audible dans toutes les Indes néerlandaises bien sûr, mais aussi à Alice Springs dans le centre de l'Australie et à l'île de Rodrigues dans le sud-ouest de l'océan Indien, situées respectivement à 3 500 et à 4 800 kilomètres du Krakatoa. Le bruit de l'explosion est entendu sur environ un douzième de la surface de la terre, ce qui en ferait le phénomène sonore le plus important de l'histoire humaine. À 160 kilomètres de distance, il atteint encore 180 décibels[2]. Beaucoup de personnes deviennent totalement ou partiellement sourdes sur un rayon de plusieurs kilomètres. L'éruption plinienne atteint le niveau 6 sur l'échelle d'explosivité volcanique, développe une énergie correspondant à 13 000 Little Boy et expulse entre 10 et 20 km3 de matière dans l'air. Quelques vitrines éclatent, des becs de gaz s'éteignent[1].

Onde du tsunami généré par l'éruption du Krakatoa en 1883.

Des vagues colossales — peut-être aussi hautes qu'un cocotier — déferlent à plusieurs reprises les 26 et 27 août sur les côtes de Java et de Sumatra. Dans les régions basses bordant le détroit de la Sonde, tout est balayé, détruit, tordu, emporté[1]. À Merak, une vague de quarante-six mètres déferle sur la ville ; quand elle se retire, rien n'indique que l'endroit ait été habité. À Teluk Betung, grand port de la région de Sumatra, l'eau monte de vingt-deux mètres, nivelant tout[1]. Une oscillation anormale des eaux est enregistrée par les marégraphes jusque dans le golfe de Gascogne et dans la Manche[3] à 18 000 kilomètres du lieu de la catastrophe[1]. Elle a probablement été causée par une onde de choc aérienne résultant de l'explosion, car elle s'est produite trop tôt pour être un reliquat du tsunami. Ces ondes de choc ont circulé plusieurs fois autour du globe et sont encore détectables à l'aide de barographes cinq jours plus tard[4].

Vers midi, une pluie de cendres chaudes s'abat autour de Ketimbang à Sumatra et un millier de personnes sont tuées par ces simples retombées, sans compter les victimes des tsunamis successifs[1]. Cet évènement unique serait dû, selon Verbeek et d'autres historiens et scientifiques, à une déflagration latérale ou à une nuée ardente au raz de l'eau similaire à celles de la montagne Pelée en 1902 et du mont Saint Helens en 1980, si bien que le nord-ouest de Ketimbang est épargné grâce à la protection jouée par l'île de Sebesi[1].

De plus faibles éruptions se déroulent jusqu'à mi-octobre. Verbeek dément les témoignages selon lesquels le volcan aurait été actif des mois après l'explosion principale, en les mettant sur le compte des vapeurs provenant de roches encore chaudes, des glissements de terrain causés par une mousson particulièrement intense et des hallucinations provoquées par des phénomènes électriques[5]. Au final, aucune nouvelle éruption ne se produit avant 1913 et l'île de Krakatoa a presque entièrement disparu, laissant uniquement le cône éventré de Rakata au sud.

Causes de l'éruption

Les causes de la violence de l'éruption font l'objet de quatre théories divergentes. Des chercheurs contemporains ont expliqué que le volcan se serait enfoncé dans la mer au matin du 27 août, laissant de l'eau inonder la chambre magmatique et causant une série d'explosions phréatiques massives[1]. Ou bien l'eau de mer, sans être directement en contact avec le magma, l'aurait toutefois refroidi et durci provoquant un effet « cocotte-minute », libérant toute l'énergie accumulée seulement au moment où la pression suffisante fut atteinte[1],[6]. Ces deux théories supposent que l'île s'est affaissée avant les explosions ; pourtant aucune preuve ne vient appuyer cette conclusion et les pierres ponces ainsi que l'ignimbrite déposées ne sont pas compatibles avec une interaction entre du magma et de l'eau de mer[1]. Une autre hypothèse suppose qu'un effondrement sous-marin massif, voire un simple affaiblissement partiel, aurait soudainement ouvert la chambre magmatiquement hautement pressurisée[1]. La dernière explication affirme que l'explosion finale serait due à un mélange magmatique provoqué par une infusion soudaine de magma basaltique chaud dans le magma plus froid et plus léger de la chambre. Le résultat aurait consisté en une rapide et insoutenable montée en pression, entraînant une explosion cataclysmique. Les preuves de cette théorie sont l'existence de ponce constituées de matériaux légers et foncés, témoins d'une origine thermique importante. Malgré tout, la quantité de ces matériaux serait inférieure à 5% du volume en ignimbrite du Krakatoa et pour cette raison certains chercheurs rejettent cette explication comme cause essentielle de l'explosion du 27 août 1883[1].

Conséquences

Le bilan humain est lourd : les autorités hollandaises chiffrent le nombre total de victimes à 36 417. C'est l'éruption volcanique la plus meurtrière de l'histoire après celle du Tambora, également en Indonésie, en 1815. De nombreuses colonies sont détruites, y compris Teluk Betung et la majeure partie de Ketimbang à Sumatra, Sirik et Semarang à Java. Les zones de Banten et Lampung sont dévastées. Des documents rapportent la présence de squelettes flottant au travers de l'océan Indien en direction de l'Afrique sur des radeaux de pierres ponces un an après l'éruption[1]. Certaines régions à Java n'ont jamais été repeuplées et sont retournées à la jungle, si bien que le parc national d'Ujung Kulon a été créé, dans un périmètre incluant le Krakatoa et ses eaux.

Les régions touchées sont sous administration des Indes orientales néerlandaises depuis plusieurs années déjà. Le journaliste britannique Simon Winchester écrit que les relations entre les communautés musulmanes et chrétiennes sont très tendues[7]. Les autorités religieuses de l'ouest de Java, en particulier, sous la houlette des sultans, sont très strictes et montrent une hostilité croissante vis-à-vis des colons au cours du XIXe siècle[8]. Persuadés qu'une croisade (Perang Salib) est en cours[9], ils n'hésitent pas à prôner dans les écoles islamiques (pesantren) le retour des « brebis égarées » de Java et Sumatra dans le giron de l'Islam[10]. Dans ces conditions, la situation de désolation qui suit l'éruption catalyse le déclenchement dans les zones touchées d'une vague meurtrière anti-occidentale par les fondamentalistes musulmans, une des toutes premières de l'histoire[11]. Les spécialistes de l'islam indonésien ne citent rien à ce sujet et ces affirmations pourraient comporter de nombreuses inexactitudes. En effet, à l'époque, il n'y avait pas de « communauté chrétienne » dans l'ouest de Java, si ce n'est la petite population européenne des villes. Il n'y avait pas de colons mais des fonctionnaires coloniaux néerlandais. En outre, traditionnellement à Java, il n'y a pas d'autorités religieuses mais des kyai, c'est-à-dire des maîtres en religion. Enfin, il n'y avait déjà plus de sultan dans l'ouest de Java depuis la dissolution du sultanat de Banten en 1813.

Le panache de cendres volcaniques est monté à quatre-vingts kilomètres dans l'atmosphère et a répandu suffisamment de particules pour abaisser la température mondiale moyenne de 0,25 °C l'année suivante, avec une amplitude allant d'approximativement 0,18 à 1,3 °C[12]. Les modèles climatiques continuent à être chaotiques durant quelques années, et les températures ne reviennent à la normale qu'après 1888. L'éruption a émis une quantité inhabituelle de dioxyde de soufre haut dans la stratosphère tout autour de la planète. La concentration d'acide sulfurique a augmenté dans les cirrus, augmentant l'albedo des nuages et la réflexion des rayons solaires incidents jusqu'à ce qu'il retombe en pluies acides[12]. Ces poussières sont également à l'origine des couchers de soleil flamboyants, puis rouge lie-de-vin qui inspirèrent nombres d'artistes, comme William Ashcroft avec ses centaines de chromolithographies ou Edvard Munch avec Le Cri en 1893[13],[14], ainsi que des colorations vives inhabituelles de la lune comme par exemple à Londres. Dans plusieurs villes des États-Unis, des lueurs rougeoyantes sont prises pour des incendies et l'on fait appel aux pompiers. Ces phénomènes de nuages noctulescents essentiellement composés de glace sont provoqués par la diffraction de la lumière par les particules de lave pulvérisée montées dans la stratosphère et se manifestent pendant environ trois ans.

Cependant l'éruption a aussi des effets bénéfiques sur l'environnement local. Un an seulement après le cataclysme, de l'herbe pointe déjà sur les bouts d'îlots épargnés. Deux ans plus tard, vingt-six espèces de plantes y poussent et en 1924, ces fragments de terre sont recouverts d'une forêt dense. Les régions proches comme Lampung, presque stériles avant l'éruption, deviennent très fertiles. Cela attire une population importante. On estime par ailleurs que cette éruption a permis la survie du rhinocéros de Java.

Notes et références

  1. a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k , l , m  et n (en) Simon Winchester, Krakatoa: The Day the World Exploded: August 27, 1883, Harper Collins, New York, 2003, pages 209-316 (ISBN 0066212855)
  2. a  et b (en) « How Krakatoa made the biggest bang », The Independent, 3 mai 2006
  3. (en) [pdf] Frank Press, « Volcanoes, ice, and destructive waves », Engineering and Science vol. 20, novembre 1956
  4. (en) [pdf] George Pararas-Carayannis, « Near and far-field effects of tsunamis generated by the paroxysmal eruptions, explosions, caldera collapses and massive slope failures of the Krakatau volcano in Indonesia on August 26-27, 1883 », Science of Tsunami Hazards vol. 21-4, The tsunami society (ISSN 8755-6839)
  5. (nl) Rogier Diederik Marius Verbeek, op. cit.
  6. (en) [pdf] Charles L. Mader, Michael L. Gittings, « Numerical model for the Krakatoa hydrovolcanic explosion and tsunami », Science of Tsunami Hazards vol. 24-3, 2006, pages 174-182
  7. (en) Simon Winchester, op. cit., page 32
  8. (en) Simon Winchester, op. cit., pages 40-41, 326
  9. (en) Simon Winchester, op. cit., page 336
  10. (en) Simon Winchester, op. cit., page 333
  11. (en) Simon Winchester, op. cit., pages 317-338
  12. a  et b (en) M.R. Rampino, S. Self, « Historic eruptions in Tambora (1815), Krakatau (1883), and Agung (1963), their stratospheric aerosols, and climatic impact », Quaternary Research, vol. 18, 1982, pages 127-143
  13. (en) « Krakatoa provided backdrop to Munch's scream », Reuters, 11 décembre 2003
  14. (en) « Why the sky was red in Munch's 'The Scream' », Reuters, 10 décembre 2003

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Simon Winchester, Krakatoa : 27 août 1883, le jour où la Terre explosa, Lattès, 2005 (ISBN 978-2709624961) 
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