Adolf Eichmann

Adolf Eichmann
Adolf Eichmann
Adolf Eichmann en uniforme SS en 1942
Adolf Eichmann en uniforme SS en 1942

Naissance 19 mars 1906
Solingen (Allemagne)
Décès 31 mai 1962 (à 56 ans)
Ramla (Israël)
Allégeance Troisième Reich
Grade SS-Obersturmbannführer
Années de service 1932 - 1945
Conflits Seconde Guerre mondiale

Adolf Eichmann (Solingen 19 mars 1906Jérusalem 31 mai 1962) était un haut fonctionnaire allemand sous le Troisième Reich, un officier SS Obersturmbannführer (comparable à lieutenant-colonel dans l'armée) et membre du parti nazi. Nommé pendant la guerre à la tête du RSHA Referat IV B4, qui s'occupe des « affaires juives et de l'évacuation », il fut responsable de la logistique de la « solution finale » (Endlösung). Il organisa notamment l'identification des victimes de l'extermination raciale prônée par le NSDAP et leur déportation vers les camps de concentration et d'extermination.

Sommaire

Jeunesse et licenciement

Adolf Eichmann en 1916

Né en 1906 à Solingen, Adolf Eichmann est le fils aîné d’un comptable à la Compagnie des tramways et de l'électricité (d'abord à Solingen, puis, à partir de 1913, à Linz)[1], Adolf Karl Eichmann, et de Maria née Schefferling, décédée en 1914. Durant la Première Guerre mondiale, le père d’Eichmann sert dans l'armée austro-hongroise. À la fin de la guerre, il retourne à Linz et reprend les rênes de l’affaire familiale.

Élevé dans une famille peu intéressée par la politique, le jeune Eichmann rejoint les Wandervögel (« Oiseaux migrateurs »), proches du scoutisme et prônant le retour à la nature[2]. Au lycée, il rejoint le Jungfrontkämpferverband, la section de jeunesse de l'association des anciens combattants austro-germaniques. Pro-germanique et anti-républicaine, cette association était néanmoins tolérée par les autorités autrichiennes[2].

Il quitte l’école sans diplôme et débute l’apprentissage de la mécanique qu’il abandonne également. En 1923, il est embauché par la compagnie minière de son père qui a monté sa propre affaire. De 1925 à 1927, il travaille comme vendeur pour Oberösterreichische Elektrobau AG puis comme agent régional de la Vacuum Oil Company AG, une filiale de la Standard Oil, d'abord à Linz puis à Salzbourg, jusqu’à son licenciement en 1932[2].

Du NSDAP à la SS

La même année, à 26 ans, il est invité avec son père à une réunion du Parti nazi autrichien, sur l'invitation du père d'Ernst Kaltenbrunner, un vieil ami de la famille[2]. Fortement impressionné, cet épisode déterminera l'engagement d'Eichmann dans le nazisme. Il rejoint ainsi la SS autrichienne, le 1er avril 1932, avec le grade de SS-Anwärter (candidat), sur proposition d'Ernst Kaltenbrunner, avec qui il demeurait toutefois distant, celui-ci le considérant avec une certaine morgue[2]. Au moment où il rejoignit la SS, il venait d'adhérer à la loge maçonnique Schlaraffia (en), une association conviviale cultivant l'humour[2]. Ernst Kaltenbrunner lui expliqua toutefois que la SS était incompatible avec l'adhésion à une loge maçonnique, terme qu'il ignorait alors[2]. De toute façon, Eichmann fut peu après exclu des Schlaraffia en ayant manqué aux règles de politesse (bien que le plus jeune, il avait pris l'initiative d'inviter ses confrères à boire un verre de vin)[2].

Il est pleinement intégré à la SS en novembre comme SS-Mann (n°45 326). Il sert alors à mi-temps dans la Allgemeine-SS de Salzburg. Lorsqu'il s'engagea chez les SS, il ne connaissait pas le Programme en 25 points du NSDAP, et n'avait pas lu - ni ne lirait jamais - Mein Kampf[2]. A Jérusalem, il déclarera : « Le programme du parti n'avait pas d'importance. On savait à quoi l'on souscrivait[3]. »

Au printemps 1933, alors qu'Hitler a obtenu en mars les pleins pouvoirs, première étape de la « mise au pas » (Gleichschaltung) du pays, sa famille n'ayant pas abandonné la nationalité allemande, il retourne en Allemagne. Il demande alors son intégration à plein temps dans la SS, qui est acceptée. En novembre 1933, il est promu caporal (Scharführer) et intégré à l'équipe d'administration du camp de concentration de Dachau, ouvert dès mars pour interner les prisonniers politiques.

En 1934, il choisit de faire une carrière dans la SS et demande son transfert dans la Sicherheitsdienst (SD), alors dirigée par Reinhard Heydrich. Police politique de la SS, la SD avait pour objectif initial d'effectuer du renseignement et du « contre-espionnage » dans les rangs du NSDAP. Selon son témoignage lors de son procès, il croyait en fait rejoindre le service de sécurité du Reichsführer, c'est-à-dire l'équipe de garde du corps des hauts dignitaires nazis, plutôt que le Service de sécurité du Reich[4]

Il y est effectivement transféré en novembre et est promu Oberscharführer, chargé d'abord d'accumuler du renseignement sur les « francs-maçons » (catégorie qui amalgamait alors les francs-maçons, les communistes, les juifs et les catholiques[4]) et à préparer l'édification d'un « musée » (nazi) sur la franc-maçonnerie[4].

Au bout de quatre ou cinq mois, il fut transféré au département du SD chargé des « affaires juives[4] ». Il réussit à être assigné au centre de commandement des Sicherheitsdienst (SD), à Berlin, où il est rapidement remarqué par ses supérieurs qui le promeuvent encore au rang de Hauptscharführer en 1935 puis à celui de SS-Untersturmführer (sous-lieutenant) en 1937. Il devient alors intime de Dieter Wisliceny, qui témoignera contre lui.

Entre deux, il épouse Vera Liebl le 21 mars 1935. Le couple aura quatre fils, Klaus, né en 1936 à Berlin, Horst Adolf né en 1940 à Vienne, Dieter Helmut né en 1942 à Prague, et Ricardo Francisco né en 1953 à Buenos Aires.

Au SD, son supérieur lui enjoignit alors de lire son « premier livre sérieux », Der Judenstaat, ouvrage fondateur du sionisme, puis il lu l’Histoire du sionisme d'Adolf Böhm – qu'il confondait toujours avec l'ouvrage de Theodor Herzl lors de son procès –; ce sont là probablement ses seules lectures, mis à part la presse[5]. Eichmann devient alors défenseur de ce qu'il appelle la « solution politique » (au « problème juif »): l'expulsion des Juifs d'Allemagne[5]. Lors de son procès, Eichmann, racontant cela, prétendit qu'il n'était alors pas à la SD, mais ingénieur chargé des routes à l'Organisation Todt d'Albert Speer[5].

Eichmann, son supérieur Herbert Hagen et le notable juif Josef Löwenherz (de) à Vienne, le 18 mars 1938, alors qu'Eichmann est chargé d'organiser l'expulsion massive des Juifs autrichiens.

En 1937, il est envoyé avec son supérieur Herbert Hagen en Palestine, alors sous mandat britannique, pour étudier la possibilité d'une émigration massive des Juifs allemands vers cette contrée. Dans ce but, il entre en contact avec une organisation sioniste[6]. Ces Juifs débarquent à Haifa, mais n'obtenant qu'un visa de transit, ils vont jusqu'au Caire où ils rencontrent un membre de la Haganah, mais le sujet de la discussion est encore de nos jours mal connu. Les rencontres qu'ils avaient prévues avec les chefs arabes ne purent avoir lieu du fait de l'interdiction de territoire palestinien. Dans leur rapport ils déconseillèrent une émigration à grande échelle des Juifs allemands autant pour des raisons économiques que pour ne pas contredire la politique du Reich qui préconisait de ne pas laisser un État juif se créer en Palestine.

Après l’Anschluss (mars 1938), Eichmann est envoyé en Autriche pour organiser les forces de sécurité SS à Vienne [réf. nécessaire] et surtout organiser l'expulsion des Juifs d'Autriche (dite « émigration forcée »)[7]. Pour cette action il est promu SS-Obersturmführer.

À la fin de cette même année, marquée par la nuit de Cristal, il est désigné par le commandement SS pour former le Zentralstelle für jüdische Auswanderung, le « Bureau central pour l'émigration juive », chargé de l'expulsion. En huit mois, 45 000 Juifs furent expulsés par ses soins[7]; en dix-huit mois, il arriva au chiffre de 150 000 Juifs expulsés, soit 60% de la population juive autrichienne[7]. Il fut assisté dans cette tâche par l'avocat Erich Rajakowitsch, qui avait eu l'idée de monter un « fonds d'émigration » alimenté par les Juifs les plus aisés afin de permettre aux plus pauvres de payer leur expulsion[7]. L'une des premières mesures d'Eichmann fut de libérer les notables juifs, pour la plupart internés dans des camps, afin ensuite de les convaincre de collaborer à l'organisation de cette expulsion massive[7]. Il organisa également le montage des différents papiers d'identité et documents de voyage nécessaires afin que les expulsés soient acceptés par des États-tiers[7].

Les années de guerre

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Eichmann est promu SS-Hauptsturmführer et s'est fait un nom au bureau de l'émigration juive. Il s'y est fait de nombreux contacts avec les leaders du mouvement sioniste avec lesquels il travaille pour accélérer l'émigration juive depuis le Reich.

Eichmann retourne à Berlin en 1939 après la formation du « Bureau central de sécurité du Reich » (RSHA) qui unissait sous une seule administration les différents services de police et de renseignement (SD, Gestapo, etc.). En décembre 1939, il est désigné à la tête du RSHA Referat IV B4, la section du RSHA qui s'occupe des « affaires juives et de l'évacuation ». En août 1940, il rédige le Reichssicherheitshauptamt: Madagaskar Projekt qui prévoyait la déportation de l'ensemble de la population juive d'Europe occidentale dans la colonie française de Madagascar. Promu SS-Sturmbannführer puis un an plus tard Obersturmbannführer. C'est lui qui rédige à la demande de Heydrich la lettre pour être signée par Goering sur les préparatifs de la solution finale:

«  [...] je vous charge en outre de m'adresser sous peu un plan d'ensemble sur les mesures préparatoires à prendre concernant l'organisation, la mise en œuvre et les moyens matériels nécessaires pour réaliser la solution finale désirée de la question juive[8]. »

A la fin de l'été 1941 Eichmann est convoqué dans le bureau de Heydrich qui lui dit:

« je sors de chez le Reichsführer (ndlr:Heinrich Himmler); le Führer a maintenant ordonné l'extermination des Juifs. (Ich komme vom Reichsführer; der Führer hat nunmehr die physische Vernichtung der Juden angeordnet)[9] »

En 1942, Reinhard Heydrich invite Eichmann à participer à la conférence de Wannsee où l'Allemagne nazie décide officiellement de la « solution finale » ; l'extermination avait cependant commencé avant, notamment dans le gouvernement général de Pologne et dans les Reichskommissariat du front de l'Est. Eichmann est alors nommé « administrateur du transport », chargé de tous les trains qui transportent les Juifs vers les camps de la mort en Pologne. Durant les deux années suivantes, Eichmann assume son rôle avec zèle et déclare qu'il rirait « en sautant dans [s]a tombe, car j'ai le sentiment d'avoir tué cinq millions de Juifs. Voilà qui me donne beaucoup de satisfaction et de plaisir[10]. »

Son travail est remarqué et, en 1944, il est nommé en Hongrie pour organiser la déportation: il envoie 400 000 Juifs hongrois dans les chambres à gaz nazies. À l'été 1944, il négocie avec Rudolf Kastner, responsable d'une petite organisation juive, et permet le départ vers la Suisse d'un peu plus d'un millier de Juifs (sur 400 000 Juifs hongrois envoyés par lui dans les camps...). En 1960, il prétendra au magazine Life que Kastner «  avait accepté de faire tout son possible pour que les Juifs n'opposent aucune résistance à leur déportation, et même qu'ils se comportent correctement dans les camps de regroupement, si je fermais les yeux et laissais quelques centaines ou quelques milliers de jeunes Juifs émigrer vers la Palestine. C'était une bonne affaire[11]. »

En 1945[Quand ?], Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur et Reichsführer SS, ordonne l'arrêt des exterminations et la destruction des preuves de la « solution finale »[réf. nécessaire]. Eichmann refuse les ordres et continue à déporter les Hongrois. Il s'efforce aussi d'éviter d'intégrer les unités combattantes, ayant été nommé un an auparavant Untersturmführer de réserve de la Waffen-SS, grade qu'il cumule avec celui d’Obersturmbannführer-SS.

Fin de guerre et exfiltration vers l'Argentine

À la fin de la guerre, Eichmann fuit l'avancée soviétique et rejoint l'Autriche où il retrouve le chef du RSHA, l’Obergruppenführer Ernst Kaltenbrunner. Début mai 1945, il se trouve, avec son épouse, Vera Eichmann, à Altaussee, devenu refuge de nombreux nazis, dont son supérieur Kaltenbrunner et Franz Stangl. Celui-là, prenant peur, lui aurait recommandé de « foutre le camp[12] » ; le commandant d'Auschwitz et de Theresienstadt, Anton Burger, lui demanda également de quitter ses camarades: « Vous êtes recherché comme criminel de guerre, pas nous[13] ». Le 6 mai, il quitte à Altaussee le Sturmbannführer Wilhelm Höttl, chargé du contre-espionnage au sein du RSHA, partant à la demande de ses collègues avec son adjoint Rudolf Jänisch dans la montagne[12].

Les deux changent alors d'identité[12], Eichmann se faisant passer pour l'Obergefreiter Bart, caporal de la Luftwaffe[12]. Malgré cela, les deux sont arrêtés peu de temps après par l'armée américaine, près d'Ulm, alors qu'il avait adopté le nom d'« Otto Eckmann », sous-lieutenant SS (Untersturmführer)[14] (il ne parvenait pas à effacer avec efficacité son tatouage SS[14]). Jusqu'à août 1945, il est incarcéré au camp de Weiden (ex-stalag XIII-B), près de Nuremberg[14], avant d'être transféré au camp d'Oberdachstetten[14]. Le 14 décembre 1945, le procureur du tribunal de Nuremberg, William Walsh, définit « l'objectif ultime du parti nazi et de l’État contrôlé par les nazis » comme l'extermination des Juifs, s'appuyant sur une déclaration de Wilhelm Höttl faite le 26 novembre, qui citait une conversation avec Eichmann de l'automne 1944, au cours de laquelle celui-ci avait rapporté que 4 millions de Juifs avait été tués dans les camps et deux millions par les Einsatzgruppen[14]. Devant le lieutenant-colonel Smith Brookhart, le 3 janvier 1946, un collaborateur d'Eichmann, l’Hauptsturmführer Dieter Wisliceny, cite à nouveau le nom d'Eichmann, accolé à un document signé d'Himmler évoquant la « solution finale » et présenté à l'été 1942 par Eichmann à son subordonné, qui précisait qu'il s'agissait là d'anéantir la « race juive[14] ». Ayant entendu parler de ces déclarations, Eichmann obtint de l'aide auprès d'anciens officiers SS détenus dans son camp de prisonniers, ainsi que, selon ses dires, d'une « infirmière », et réussit ainsi à s'évader le 5 février 1946, doté de surcroît de faux papiers[14].

Il se cache alors en Allemagne durant plusieurs années, d'abord sous le nom d'Otto Henninger. Il travailla comme bûcheron pour le frère d'un officier SS fait prisonnier[15], à Eversen, près d'Hambourg[16], avant de devenir éleveur de poules en 1948[16]. Le 15 avril 1946, Rudolf Höss, ex-commandant d'Auschwitz, affirme à Nuremberg qu'Eichmann, aux ordres d'Himmler, était l'exécuteur de l'extermination des Juifs[15]. Le Counter Intelligence Corps (CIC, le service de renseignement militaire américain) interrogea alors, le 26 novembre 1946, Vera Eichmann à Altaussee, afin d'essayer de retrouver son mari[15]. Une source du CIC prétendait alors qu'Eichmann était en Égypte[15]. En janvier 1947, ce sont les parents d'Eichmann qui furent interrogés, sans plus de succès[15]. L'UNWCC, chargé de la poursuites des criminels de guerre et qui l'avait sur sa liste, avait cependant mis en note : « On croit qu'il s'est suicidé. Source CIC américain[15]. »

Mi-1948, il se fait faire, dans la commune de Termeno, un certificat d'identité au nom de Riccardo Klement[16], mais ne l'utilise pas immédiatement. Eichmann, comme Mengele et l'ex-chef de la Gestapo Müller, figure alors sur une liste noire du MI14, laquelle ne fut cependant pas rendue publique[17].

A la fin avril 1950[16], il quitte Eversen et, sous le pseudonyme d'Otto Henninger, part pour l'Autriche puis en Italie en passant par le col du Brenner. Il s'arrête dans de nombreux monastères, dont celui de Saint-Raphaël de Bavière, qui avait pourtant été soupçonné par le SD d'aider les Juifs sous le nazisme[16]. Arrivé en Italie, on lui remet à Merano ses papiers d'identité au nom de Ricardo Klement, faits en 1948[16]. On lui donne aussi, au même moment, une autorisation d'entrer en Argentine[16].

Avec l'aide d'un moine franciscain, Edoardo Dömöter, il entre en contact avec l'évêque Alois Hudal, lequel organisait l'un des principaux réseaux d’exfiltration des nazis (il aida notamment Franz Stangl, Barbie et Mengele). Grâce à lui, il obtient le 1er juin 1950, à Gênes, un passeport humanitaire de la Croix-Rouge internationale, établi au nom de « Riccardo Klement », né le 23 mai 1913 à Bolzano (Italie), ainsi qu'un visa argentin[18].

Eichmann en Argentine

Le 14 juillet 1950, Eichmann débarque à Buenos Aires où il exercera différents métiers manuels. Il entre rapidement en contact avec Carlos Fuldner (de), qui lui trouve un emploi à Tucumán, dans une entreprise hydroélectrique détenue par Compañía Argentina para Proyectos y Realizaciones Industriales – Fuldner y Cía (de) (Compañía Argentina para Proyectos y Realizaciones Industriales – Fuldner y Cía)[19]. En juin 1952, il fait venir à Graneros sa femme et ses deux fils en faisant appel à - selon ses mots - « l'organisation[19] ». Il aura un troisième fils, Ricardo Francisco Eichmann, né en 1953[19].

Début 1953, la compagnie fait faillite, et la famille Eichmann s'installe dans la capitale, rue Chacabuco, dans le quartier Olivos (Vicente López)[19]. Bien que distant de Mengele, il croise parfois celui-ci au restaurant ABC, rue Lavalle[19]. À partir de 1956, il écrit des rapports pour mettre au clair sa propre perspective sur la solution finale : il envisage de rentrer en Allemagne et prépare ainsi sa défense en cas de jugement. En mars 1959, il devint mécanicien dans une usine Mercedes-Benz du Nord de Buenos Aires[19]. Il emménage alors rue Garibaldi dans le quartier de San Fernando[19]. En 1960, il est interviewé notamment par un journaliste hollandais, l'ancien nazi Willem Sassen (en) afin d'élaborer une contre-histoire du nazisme pour contrer les premiers écrits des historiens sur ce sujet[20].

La capture

Faux papiers utilisés par Eichmann dans les années 1950

Durant les années 1950, de nombreux juifs s'emploient à retrouver les criminels nazis en fuite, et Eichmann fait partie des premiers sur la liste. Des documents déclassifiés (notamment sa fiche de police) montrent que le gouvernement ouest-allemand ainsi que la CIA connaissent, dès 1952 (1958 pour la CIA), la localisation et le pseudonyme sous lequel se cache Eichmann (Klement), mais ne le révèlent pas pour raison d'État[21]. Il semble que la crainte ait été qu'Eichmann dénonce Hans Globke, alors membre du gouvernement du chancelier Konrad Adenauer[22]. Le rabbin Abraham Kalmanowitz tenta ainsi en 1953, avec le responsable du département d'État Adolf A. Berle Jr., de convaincre le directeur de la CIA, Allen Dulles, de se mettre à la recherche d'Eichmann[23]. Réticent, ce dernier finit par céder, et ordonna des recherches dans les pays arabes, où se situait Eichmann selon Kalmanowitz[23].

Sept ans plus tard, l’« opération Attila » fut déclenchée par le premier ministre David Ben Gourion qui souhaitait à cette occasion un procès, le « Nuremberg du peuple juif », pour refonder une unité nationale (de nombreux jeunes Israéliens ne comprenaient pas ou étaient honteux à l'idée que des millions de Juifs s'étaient « laissés conduire à l'abattoir » et contrariaient l'image héroïque du renouveau juif en Israël[24]) et affermir la légitimité de son parti le Mapaï[réf. nécessaire] : Eichmann fut enlevé en pleine rue, à Buenos Aires, par un commando d'agents du Mossad dirigé par Isser Harel[25], le chef du Shin Bet, le 11 mai 1960. Séquestré dans la cave d'une planque louée par les agents israéliens, il reconnut son identité et signa une déclaration par laquelle il acceptait être jugé en Israël[24]. Le 21, il fut transporté jusqu'en Israël à partir d'un aéroport militaire argentin. Pour l'anecdote, à l'entrée de la base, un barrage militaire les attendait. Afin qu'Eichmann ne dévoile pas aux soldats argentins qu'il venait d'être enlevé, il fut revêtu d'un uniforme de la compagnie aérienne israélienne EL Al. Eichmann fut placé sous sédatifs (on le fit passer pour malade) et les membres du commando également en tenue de navigants. Il fut suggéré à un moment que les membres du commando simulent l'ivresse pour éviter que le comportement d'Eichmann n'attire l'attention mais l'idée fut abandonnée. À l'entrée de la base, les soldats argentins arrêtèrent l'automobile et se moquèrent des Israéliens incapables de tenir l'alcool[25]. Cette action, contrevenant au droit international et mettant en cause la souveraineté de l'État argentin, souleva des protestations du gouvernement Frondizi, ainsi que des manifestations néo-nazies, marginales, dans le monde. En Argentine, le Mouvement nationaliste Tacuara organise une campagne importante d'antisémitisme.

Le gouvernement israélien nie tout d'abord être impliqué dans cet enlèvement et prétend qu'il est le fait de volontaires civils juifs chasseurs de nazis. David Ben Gourion, alors Premier ministre, annonce la capture d'Eichmann à la Knesset le 23 mai 1960. Cette annonce est acclamée debout par les députés présents. Pour connaître les détails de la capture d'Eichmann, on peut se reporter à l'ouvrage d'Isser Harel La Maison de la rue Garibaldi.

Controverse sur le rôle de Simon Wiesenthal

Le rôle de Simon Wiesenthal, célèbre « chasseur de nazis », est souvent mis en avant dans l'affaire Eichmann, mais demeure pourtant très controversé. Après la capture d'Eichmann, Wiesenthal publia en effet Ich jagte Eichmann (J'ai chassé Eichmann) dans lequel il se plaçait au centre de ce fait d'armes, tandis que Tuviah Friedman, devenu son rival, publiait The Hunter, lequel obtint un bien moindre succès. D'autres écrivirent des livres sur l'affaire Eichmann, dont le Minister of Death (publié en septembre 1960) des journalistes Zvi Aldouby et Ephraim Katz, dont une « bonne partie » serait « totalement inexacte[26] ».

Selon la version de Wiesenthal, il aurait rencontré, lors d'une réunion philatélique à l'automne 1953, un ami autrichien, le baron Heinrich Mast, qui, par hasard, en lui montrant sa collection, lui aurait confié avoir conservé cette carte postale d'un ancien officier allemand exilé en Argentine, bien connue à l'époque pour abriter de nombreux anciens responsables nazis, qui aurait dit avoir vu « ce sale porc d'Eichmann » ayant « régné » sur les Juifs, et qui contenait des informations plus précises : « Il vit à Buenos Aires et travaille pour la société des eaux ». Selon les propres dires de Wiesenthal, ces informations auraient permis aux Israéliens de localiser Eichmann. Dans ses Mémoires, Wiesenthal omettait cependant de nommer le baron en question, qui se révéla en effet être un ancien agent de l'Abwehr travaillant pour l'Organisation Gehlen jusqu'en 1952, puis pour l'ex-nazi Wilhelm Höttl, qui travaillait directement pour l'Amt blank, un service secret particulier créé par le conservateur Theodor Blank[27].

Par ailleurs, interviewé le 25 mai 1960 par The Times, à chaud, Wiesenthal nia « avoir été personnellement impliqué dans l'enlèvement d'Eichmann[28] », indiqua qu'il avait auparavant transféré toutes ses archives sur Eichmann à Yad Vashem, et qu'un des amis, Tuviah Friedman, émigré en Israël, avait eu connaissance de tous ces documents mais qu'il ne pouvait préjuger du rôle de celui-ci, alors tenu par la presse pour le « ravisseur d'Eichmann[29] ».

Le rôle crucial allégué par Wiesenthal dans la capture d'Eichmann a été lourdement remise en cause. Ainsi, le Jerusalem Post révéla dans son édition du 7 mai 1991 l'existence d'un manuscrit non publié d'Isser Harel, dirigeant du Mossad lors de la capture d'Eichmann, qui sous-entend que les agissements de Wiesenthal auraient failli compromettre l'enlèvement d'Eichmann et empêché celui de Joseph Mengele. En fait, Wiesenthal n'aurait transmis ses informations obtenues à l'automne 1953 qu'en mars 1954 au consul israélien Arie Eschel ainsi qu'au dirigeant du Congrès juif mondial, Nahum Goldmann. Mais s'il croyait Eichmann en Argentine au milieu des années 1950, vers 1960 il le croyait au contraire en Europe. Ainsi, selon G. Walters (2009):

«  en 1954, Wiesenthal affirma à juste titre qu'Eichmann était en Argentine, et on ne l'écouta pas. En 1959, Wiesenthal se trompa en affirmant qu'Eichmann était en Europe, et on ne l'écouta pas davantage, car les Israéliens savaient qu'il était en Argentine. En 1961, par la publication de Ich jagte Eichmann Wiesenthal s'assura qu'à l'avenir il serait écouté en affirmant qu'il avait toujours soupçonné qu'Eichmann se trouvait en Argentine[30]. »

L'acteur principal de la chasse lancée contre Eichmann semble en effet avoir été Lothar Hermann, un rescapé de Dachau, qui émigra en Argentine en 1938 avec toute sa famille. Or, sa fille Sylvia entretient une relation avec un certain Klaus Klement. Les remarques de Klaus concernant le passé nazi de son père, ainsi que la lecture en 1957 d'un article concernant le procès de SS à Frankfort, persuadent Hermann que le père de Klaus Klement pourrait être Eichmann. Il envoie alors sa fille enquêter chez les Eichmann. La porte s'ouvre et Sylvia découvre un homme d'age moyen à qui elle demande: «êtes vous monsieur Eichmann?» l'homme ne répond pas mais admet être le père de Klaus Klement. Hermann prévient Fritz Bauer, le procureur de la Hesse. Bauer n'ayant pas confiance en la justice allemande qui compte encore de nombreux ex-nazis dans ses rangs, prévient directement en septembre 1957 les autorités israéliennes qui prennent contact avec Hermann. Le chef du Mossad Isser Harel envoie un de ses enquêteurs Zvi Aharoni (en) localiser alors précisément Eichmann. Mais suite aux hésitations du Mossad, le temps passe puis grâce aux indications d'Hermann qui continue à le surveiller, les services secrets israéliens élaborent un plan d'enlèvement. Le gouvernement israélien approuve finalement en 1960 ce plan qui est exécuté peu après[24].

Le procès Eichmann

Déroulement du procès

Adolf Eichmann lors de son procès
Guilty! Eichmann to Hang Actualité américaine sur le procès d'Eichmann, extrait des Archives nationales des États-Unis

Eichmann comparaît à Jérusalem pour quinze chefs d'accusation le 11 avril 1961. On peut regrouper les chefs d'accusation en quatre catégories :

  • crimes contre le peuple juif (chefs d’inculpation 1-4) ;
  • crimes contre l’humanité (5-7, 9-12) ;
  • crimes de guerre (8) ;
  • participation à une organisation hostile (13-15).

Alors que les crimes de guerre et contre l’humanité ont une qualification internationale, les crimes contre le peuple juif proviennent d'une loi de 1950 votée 2 ans après la création de l'État d'Israël, loi qui a suscité une grande polémique[6].

Exceptionnellement, ce procès fut présidé par trois juges : Moshe Landau, Benjamin Halevy et Yitzhak Raveh, au lieu d'un jury comme le veut la procédure israélienne normale. De plus, le procureur n'est autre que Gideon Hausner, alors procureur général. Il eut lieu dans une salle de spectacle du Beit Ha'am (« Maison du Peuple » de Jérusalem, aujourd'hui le Gerard Behar Center, 31° 46′ 51″ N 35° 12′ 47″ E / 31.7808197, 35.2130002), transformée en tribunal pour l'occasion.

Ce procès attira deux fois plus de journalistes qu'à Nuremberg et fut presque intégralement filmé pour les télévisions du monde entier (c'est le deuxième grand procès où des caméras furent autorisées après Nuremberg), malgré les réticences de David Ben Gourion, par quatre opérateurs israéliens formés et supervisés par le documentariste américain Leo Hurwitz qui bénéficia d'équipements à la pointe du progrès (premiers magnétoscopes à l'époque, caméras Marconi), Hurwitz étant recruté par son compatriote, le producteur Milton Fruchtman (il avait déjà fait réaliser pour NBC une biographie de Ben Gourion) pour la Capital Cities Broadcasting Corporation de New York[31],[32]. Il provoqua une controverse internationale et un émoi gigantesque. Les téléspectateurs du monde entier découvrirent en direct Eichmann dans une cage de verre blindée écoutant un interminable défilé de témoins décrivant son rôle dans le transport des victimes de la Shoah. La seule ligne de défense d'Eichmann, qui se défendit pied à pied, était d'affirmer n'avoir rien fait d'autre que « suivre les ordres » et qu'il était un idéaliste[21].

La détention d'Eichmann durant toute la durée du procès, donna lieu à des mesures de sécurité draconiennes à la prison de Ramla, non loin de Tel Aviv (il avait auparavant passé les premiers temps de sa détention à la prison de Yagur, près de Haïfa), l'administration pénitentiaire voulant à tout prix éviter que le détenu ne se suicide ou soit assassiné par vengeance. 22 gardiens furent recrutés et on veilla à ce qu'aucun d'entre eux ne fût ancien déporté (ou ait perdu sa famille dans les camps). Eichmann disposait d'un « appartement » de cinq pièces, situé à l'étage d'une aile de la prison, auquel aucun gardien ashkénaze (donc susceptible d'être originaire d'Allemagne ou d'Europe de l'Est) n'était autorisé à monter. La nourriture du détenu et de ses gardiens arrivait à la prison dans des récipients scellés, afin d'éviter toute tentative d'empoisonnement, les plats d'Eichmann étaient même préalablement goûtés par ses geôliers avant qu'ils ne lui fussent servis[33].

Condamnation et exécution

Déclaré coupable pour tous les chefs d'inculpation, il est condamné à mort[34] le 11 décembre 1961, et interjette appel, le 28 mars 1962 qui confirme le verdict. Il présente un recours en grâce qui sera refusé par le président de l'État le 31 mai.
Il est pendu par l'agent pénitentiaire Shalom Nagar peu après minuit le 1er juin 1962, dans la cour de la prison de Ramla. Il est l'un des deux seuls condamnés à mort à avoir été exécuté par Israël, et le seul civil (le capitaine Meir Tobianski (en) avait été fusillé en 1948 pour trahison). En Israël, les infractions dont Eichmann a été accusé, avec la trahison, constituent les seuls crimes capitaux[24].

Ses derniers mots auraient été : « Vive l'Allemagne ! Vive l'Autriche ! Vive l'Argentine ! Trois pays que j'ai aimés. J'ai obéi aux lois de la guerre et à mon drapeau. Je salue ma femme, ma famille et mes amis[35]. » Pourtant, le bourreau d'Eichmann ne fait mention d'aucune parole[36]. D'après son souvenir : « Il n'y avait là qu'Eichmann et moi. Je me tenais à un mètre de lui et le regardais droit dans les yeux. Il refusa qu'on lui bande les yeux, et il portait encore aux pieds des pantoufles à carreaux ordinaires. J'ai tiré la manette et il est tombé en se balançant au bout de la corde. » Il est vraisemblable qu'Eichmann n'ait prononcé aucune parole, car il a passé sa captivité à rédiger un document de 1 300 pages intitulé « False Gods » qui tenait lieu de dernières paroles et fut rendu public par les autorités israéliennes le 29 février 2000[37],[38].

Son corps a été incinéré dans un crématorium construit spécialement à cet effet dans la cour de la prison et ses cendres dispersées dans la Méditerranée, selon l’une des dernières volontés d’Eichmann lui-même. Israël accepta cette requête, mais uniquement si les cendres du condamné étaient rejetées au-delà de ses eaux territoriales afin d'éviter qu'elles ne « souillent » le territoire de l'État hébreu.

Témoignage d'Ivo Goldberg

Le député de la Knesset (le parlement israélien) Ivo Goldberg fit un long discours à l'assemblée le lendemain matin à ce sujet : « J'ai perdu ma mère, j'ai perdu mon père, j'ai perdu mes sœurs, j'ai perdu mes frères, j'ai perdu des tantes, j'ai perdu des oncles, j'ai perdu des amis il y a vingt ans. J'ai survécu aux camps avec la honte de m'en être sorti et pas eux. De ma famille et de mes amis, il ne me reste rien à part leurs souvenirs. Eichmann est mort. Et alors ? Certes cela ne fera pas revenir ma famille, cela ne fera pas non plus revenir mes amis, mais au moins il a été jugé. Qu'il ait été pendu m'est indifférent. Qu'il soit mort m'est égal. L'homme et le criminel ont été jugés et condamnés.

J'étais dans le camp de Bergen-Belsen quand ce petit homme boiteux, rachitique et engoncé dans son uniforme avait inspecté le camp. Comme nous avions été avertis de sa visite, nous étions tous dehors à vouloir voir qui était ce Eichmann qui avait tant de haine contre nous. Je le vis marcher fièrement toisant les vieillards faméliques et regarder avec mépris les adolescents aux corps décharnés. Ce jour-là, j'étais à mille lieues de me douter que je reverrais cet homme moins de vingt ans plus tard dans une salle d'audience pour être jugé. De terrible bourreau actif et passif, il est devenu un simple citoyen banal pour reprendre l'expression d'Hannah Arendt. Eichmann est mort, mais le souvenir de nos frères de persécution ne doit pas pour autant l'être. Apprenons aux jeunes ce qui s'est passé pour qu'il n'y ait plus jamais d'autre Eichmann. ... »

Bilan du procès

Bien que mis en cause lors du procès de Nuremberg, le nom d'Eichmann avant son procès est quasi inconnu de l'opinion publique occidentale (ce qui est moins le cas en Israël où un tiers de la population sont des survivants de la Shoah appartenant aux communautés juives d'Allemagne, d'Autriche et d'Hongrie). La volonté de Ben Gourion et du procureur de favoriser « l’avènement du témoin » en faisant raconter toute l'histoire du génocide par les survivants provoque une catharsis dans le pays israélien et « inscrit la Shoah dans le code génétique israélien ». Enfin, cette procédure judiciaire constitue le premier grand procès individuel des crimes commis dans le cadre de la Shoah par une juridiction nationale[21].

Le cas Eichmann

Depuis plus de quarante ans qu'Eichmann est mort, les historiens n'ont cessé de spéculer sur sa vie et sur son action. La question la plus cruciale étant de définir sa responsabilité exacte dans la mise en œuvre de la « solution finale ». La plupart affirment qu'il savait exactement ce qu'il faisait et connaissait les conséquences de ses actes. Néanmoins, quelques-uns, dont son fils, estiment qu'il a été méjugé et qu'il ne faisait que son devoir de soldat allemand.

Une troisième et très controversée analyse est faite notamment par Hannah Arendt, philosophe juive allemande exilée aux États-Unis lors de la montée du nazisme dans les années 1930 et qui a couvert le procès Eichmann pour le magazine The New Yorker. Dans son ouvrage, Eichmann à Jérusalem, qui compile ses chroniques de ce procès, Arendt reprend sa théorie du rouage du système et conclut qu'Eichmann n'a montré ni antisémitisme ni troubles psychiques, et qu'il n'avait agi de la sorte durant la guerre que pour « faire carrière[6] ». Elle le décrit comme étant la personnification même de la « banalité du mal », se basant sur le fait qu'au procès il n'a semblé ressentir ni culpabilité ni haine et présenté une personnalité tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Guy Walters conteste ce point de vue, par exemple, dans La Traque du mal (2009), insiste au contraire sur le fanatisme d'Eichmann, ce qui néanmoins n'est pas forcément contradictoire avec l'habitude « à l'obéissance, à la discipline et à la subordination volontaire » encensée par Eichmann et le nazisme[39]. La phrase souvent citée - mais par Arendt également-, « Je descendrai dans la tombe le sourire aux lèvres à la pensée que j'ai tué cinq millions de Juifs. Cela me procure une grande satisfaction et beaucoup de plaisir », pourrait tendre à accréditer cette interprétation[40]. Le journaliste Ron Rosenbaum (en), auteur d'Explaining Hitler: The Search for the Origins of His Evil (en) (1998), avance à l'appui du fanatisme d'Eichmann son intervention à la fin de la guerre pour s'assurer de l'extermination des Juifs hongrois[41].

Arendt élargit cette constatation à la plupart des criminels nazis, et ce quel que soit le rang dans la chaîne de commandement, chacun effectuant consciencieusement son travail de fonctionnaire ou de soldat plus préoccupé comme tout un chacun par son avancement que par les conséquences réelles du travail. Le fondement de la thèse d'Arendt, construite d'abord et avant tout contre toute interprétation pathologique de ces criminels, reposerait sur l'incapacité de ces hommes à penser, sur un manque d'« imagination » qui les aurait empêchés de se mettre à la place de leurs victimes et d'éprouver ainsi de la pitié[42] - l'arrière-fond kantien et heideggerien de la pensée d'Arendt doit bien entendu être pris en compte dans l'utilisation de ces concepts désignant l'esprit humain.

Beaucoup allèrent plus loin dans ce raisonnement en affirmant que chacun, pour peu que les bonnes conditions soient réunies, les bons ordres, les bonnes incitations données au bon moment, pourrait commettre les crimes les plus odieux, mais Arendt refusa quant à elle cette interprétation. Celle-ci fut enrichie par l'expérience Milgram, dont les enseignements demeurent cependant discutés.

Une autre analyse, menée par Christophe Dejours, essaie de mettre en relation le cas Eichmann et le recours aux stratégies de défense dans la banalisation du mal. Dans Souffrance en France, Christophe Dejours compare ainsi sa propre analyse avec les écrits de Arendt.

En ce qui concerne le procès, Nahum Goldmann, le président du congrès juif mondial et le philosophe Martin Buber souhaitaient le voir traduit devant une Cour internationale. Pour Alain Gresh "l'alternative était posée : le génocide concernait-il seulement les Juifs et Israël, ou bien l'ensemble de l'humanité. Pour David Ben Gourion, la réponse ne faisait pas de doute : "le génocide s'inscrivait dans l'histoire juive [...] une telle interprétation occultait non seulement les autres victimes, mais aussi la genèse européenne de ce qui s'était passé[43]".

Adolf Eichmann est le seul nazi avec John Demjanjuk mis en procès à Jérusalem selon la loi israélienne de 1950 réprimant les nazis et les collaborateurs. John Demjanjuk, gardien au camp de concentration de Treblinka, fut également condamné à mort mais grâcié et libéré en 1993, les juges israéliens ayant eu un doute sur son identité[21].

Annexes

Liens internes

Bibliographie

  • Gunther Anders, Nous, fils d'Eichmann, édition rivages poche, 1999
  • Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963 traduit de l'anglais par Anne Guérin; réédition Paris: Gallimard, 1991, 484 pages, (ISBN 2070326217)
  • Adolf Eichmann, Eichmann par Eichmann, éd. Grasset, 1971 (texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder)
  • (en)David Cesarani, Becoming Eichmann, Da Capo press, 2006
  • David Cesarani, Adolf Eichmann, Taillandier, 2010
  • Gouri Haïm, La cage de verre. Journal du procès Eichmann, Présence du Judaïsme', Editions Albin Michel, 1964
  • Gideon Hausner, Justice à Jérusalemn, éd. Flammarion, 1976 (traduit de l'anglais par Pierre Javet)
  • Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, éd. Gallimard, coll. « Folio »-histoire, 2006, trois volumes
  • Harry Mulisch: L'Affaire 40/61. (traduit du néerlandais par Mireille Cohendy) Paris: Gallimard, 2003, 263 pages, (ISBN 2070767191)
  • Jochen von Lang, Eichmann : l'interrogatoire, Paris, Belfond, 1984, 312 pages, (ISBN 2714416462)
  • Annette Wieviorka, Eichmann. De la traque au procès, Paris, André Versaille éditeur, 2011 (ISBN 978-2-87495-139-8)
  • Neal Bascomb " La Traque d'Eichmann " éd.France Loisirs mars 2011

Filmographie

Liens externes

Notes

  1. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Gallimard, éd. 2002, chap. II, p. 84
  2. a, b, c, d, e, f, g, h et i Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem: a report on the banality of evil, Penguin Classics, 1992, p. 31-32 (dans l'éd. Gallimard, 2002: chap. II, p. 89-90)
  3. H. Arendt, op. cit., chap. III, cité p. 108-109 dans l'éd. Gallimard, 2002
  4. a, b, c et d Hannah Arendt, op. cit., p. 36-37 (éd. Penguin Classics, 1992), chap. III (p. 97 sq. éd. Gallimard, 2002).
  5. a, b et c Hannah Arendt, op. cit., chap. III, p. 104-105 dans l'éd. Gallimard, 2002
  6. a, b et c Henry Rousso, « Juger Eichmann » , Le bien commun, émission sur France Culture, 25 juin 2011
  7. a, b, c, d, e et f H. Arendt, op. cit., chap. III (p. 109-112 dans l'éd. Gallimard, 2002)
  8. Raul Hilberg, la destruction des Juifs d'Europe, Folio Gallimard 1988 p.345
  9. Raul Hilberg, op.cit. p.345
  10. Cité dans Jacob Robinson, And the Crool Shall Be Made Straight: The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe and Hannah Arendt's Narrative, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1965, repris dans Daniel Jonah Goldhagen, Le Devoir de morale, éd. du Seuil, 2003, p. 36 (traduit de l'américain par William O. Desmond)
  11. Seán Mac Mathúna, Hannah Arrendt (sic) on Kastner and the fate of Hungary's Jews. Voir aussi directement H. Arendt, op. cit., chap. III, p. 106-107 dans l'éd. Gallimard, 2002
  12. a, b, c et d Guy Walters (2009), La Traque du mal, Flammarion, Paris, 2010 (traduction de The Hunting Evil, 2009), chap. I
  13. David Cesarani, Eichmann: His Life and Crimes, Londres, William Heinemann, 2004, p.202, cité p.23 par Guy Walters, La Traque du mal, Flammarion, 2010
  14. a, b, c, d, e, f et g Guy Walters (2009), op. cit., éd. fr. 2010, chap. II, p. 84-86
  15. a, b, c, d, e et f Guy Walters (2009), op. cit., éd. fr. 2010, chap. II, p. 88-90
  16. a, b, c, d, e, f et g Guy Walters (2009), op. cit., éd. fr. 2010, chap. XI, p. 191 sq.
  17. Guy Walters (2009), op. cit., éd. fr. 2010, chap. II, p. 80
  18. Ce passeport a été retrouvé par hasard, et en bon état, dans les archives du tribunal fédéral de Buenos Aires en mai 2007. La juge Maria Servini de Cubria l'a transféré au musée de l'Holocauste de Buenos Aires(Le Monde, 1er juin 2007, p.7).
  19. a, b, c, d, e, f et g Guy Walters (2009), op. cit., éd. fr. 2010, chap. VIII, p. 274 sq.
  20. (de)Bettina Stangneth, Eichmann vor Jerusalem : Das unbehelligte Leben eines Massenmörders, Hamburg, Arche Literatur Verlag, 2011
  21. a, b, c et d Annette Wieviorka, Eichmann de la traque au procès, éditeur André Versaille, 2011
  22. « Washington connaissait le pseudo d'Eichmann en 1958 mais n'a rien fait », Le Monde, 6 juin 2006
  23. a et b Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, p.299, chap. X (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  24. a, b, c et d Documentaire de Michaël Prazan, Le Procès d'Adolf Eichmann, écrit avec Annette Wieviorka, 2011
  25. a et b (en) Neal Bascomb, Hunting Eichmann : How a Band of Survivors and a Young Spy Agency Chased Down the World's Most Notorious Nazi, Houghton Mifflin Harcourt, 2009, 400 p. (ISBN 0-618-85867-9) 
  26. Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, p. 315, chap. X (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  27. Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, p. 296, chap. X (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  28. Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, cité p.311, chap. X (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  29. Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, p.312, chap. IX (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  30. Guy Walters (2009), La Traque du mal, 2010, éd. Flammarion, p. 301, chap. IX (publié en 2009 sous le titre Hunting Evil)
  31. À l'époque il n'y avait pas de télévision dans l'État hébreu.
  32. Sylvie Lindeperg, Caméras dans le prétoire, revue L'Histoire n°362, 3 mars 2011, p.62-63
  33. Récit de la détention et de l'exécution d'Eichmann par son bourreau Shalom Nagar
  34. La peine de mort est officiellement abolie en 1954 en Israël à l'exception des crimes contre le peuple juif et contre l’humanité.
  35. Hull, p. 159 ; Arye Wallenstein, "Eichmann Dies on the Gallows", Reuters, 1er juin 1962
  36. Interview du bourreau d'Eichmann par le magazine israélien Mishpacha, n° 33 du 24/11/2004.
  37. (en)Article du journal « The Independant », publié le 1er mars 2000, intitulé : « Eichmann: Last words of man who ensured the machinery of genocide worked like clockwork » (Eichmann: les derniers mots de celui qui affirmait que le génocide avait fonctionné comme une horloge) de Phil Reeves à Jérusalem news.independent.co.uk
  38. (en)Eichmann’s Memoirs (Excerpts) : mémoires d'Eichmann (extraits)
  39. Voir Guy Walters, op. cit., p. 85, qui qualifie Eichmann de « nazi fanatique » tout en citant ensuite cette phrase d'Eichmann sur la discipline
  40. Une traduction différente est déjà citée dans cet article (cf. note 1: Cité dans Jacob Robinson, And the Crool Shall Be Made Straight: The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe and Hannah Arendt's Narrative, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1965, repris dans Daniel Jonah Goldhagen, Le Devoir de morale, éd. du Seuil, 2003, p. 36 (traduit de l'américain par William O. Desmond)). Ici, cité par Guy Walters, op. cit., p. 86
  41. Ron Rosenbaum (en), The Evil of Banality, Slate, 30 octobre 2009
  42. Majid Yar, The Banality of Evil sur l'Internet Encyclopedia of Philosophy, 22 juillet 2005
  43. Alain Gresh, De quoi la Palestine est-elle le nom ?, p. 121, Les Liens qui Libèrent, Floch, 2010, (ISBN 978-2-918597-14-8)


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