Dragonnade

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Dragonnades



Le « dragon missionnaire » : Qui peut me résister est bien fort.

On a donné le nom de dragonnades[1] aux persécutions dirigées sous Louis XIV contre les communautés protestantes de toutes les régions de France pour l’exercice de leur culte, parce qu’on y employait les dragons pour convertir par la force.

Les premières dragonnades précédèrent de quelques mois l’édit de Fontainebleau de 1685 qui révoquait l’édit de Nantes, et le furent elles-mêmes par les missions bottées de Louvois. Celui-ci commença, en 1681 , dans le Limousin et le Poitou qui relevaient de lui, écrivant aux intendants d’accabler les protestants de cavaliers à loger : « Si, suivant une répartition où ils en devraient porter dix, vous pouvez leur en faire donner vingt. » Il fut obéi. Marillac, l’intendant du Poitou, ordonna de faire le rôle des tailles et de marquer les réformés à la marge pour les grever, tant pour l’impôt que pour le logement des gens de guerre. Les nouveaux convertis au contraire étaient exempts de l’un et de l’autre. Tous les excès étant encouragés, l’effet de ce genre de persécution, au sein de chaque famille passa l’espérance de Louvois. Des milliers de protestants se déclarèrent catholiques tandis que ceux de l’Aunis et de la Saintonge, pays maritimes, émigraient en foule.

Colbert s’étant ému de cet état de choses, il éclaira le roi et obtint trois mesures réparatrices : l’interdiction de ce moyen de conversion ; un ordre du conseil contre les violences qui « se faisaient en quelques lieux contre les religionnaires » et la destitution de Marillac, intendant du Poitou. Mais Colbert étant mort en 1683, les Le Tellier restèrent maîtres.

Au commencement de l’année 1685, Louis XIV avait envoyé dans le Béarn une armée pour menacer l’Espagne. Pendant le séjour de ces troupes dans cette province, l’intendant Foucaut s’avisa de déclarer que le roi ne voulait plus qu’une religion dans ses États. Aussitôt il déchaîna les troupes contre les calvinistes, qui, par des cruautés inouïes, furent forcés de se convertir, et l’on annonça au monarque que la grâce divine avait opéré ce miracle.

La présence d’une armée étant devenue inutile dans le Béarn, par suite des concessions de la cour d’Espagne, Louvois, par une lettre du 31 juillet de la même année, ordonna au marquis de Boufflers d’employer ces troupes à extirper l’« hérésie » que les catholiques appelaient la religion prétendue réformée (RPR) dans les généralités de Bordeaux et de Montauban. Telle fut la première expédition connue sous le nom de dragonnades. L’infanterie fut, en réalité, également employée à cette triste besogne mais, comme dans toutes les localités les dragons précédaient les autres corps de l’armée, et qu’assez mal disciplinés en ce temps-là, ils commettaient le plus d’excès, leur arme eut le triste honneur de donner son nom à ces barbares exécutions où, comble de raffinement de la cruauté, les dragonnés devaient supporter eux-mêmes les frais de leur persécution. Et les troupes ne manquaient pas de se faire entretenir luxueusement.

Le duc de Noailles, qui commandait dans le Languedoc, doit partager avec le marquis de Boufflers la bonté des premières dragonnades. Leur succès fut prompt : à la seule vue des troupes, les conversions se faisaient par milliers. « Les conversions, écrivait le duc de Noailles, à la fin de l’année 1685, ont été si générales et ont marché avec une si grande vitesse, que l’on n’en saurait assez remercier Dieu ni songer trop sérieusement aux moyens d’achever entièrement cet ouvrage, en donnant à ces peuples les instructions dont ils ont besoin et qu’ils demandent avec instance. »

Louis XIV, qui, dans toute cette affaire, fut si complètement abusé par des courtisans cupides ou fanatiques, était comblé de joie en recevant la liste des conversions qui ne s’élevaient jamais à moins de 250 à 400 par jour. Persuadé que tout son royaume était catholique ou près de l’être, ce fut là surtout ce qui porta ce monarque à révoquer l’édit de Nantes. Dès lors, les dragonnnades redoublèrent de rigueur et devinrent générales. Elles s’étendirent même hors France, dans les vallées du Piémont où elles furent plus cruelles que partout ailleurs.

Ces conversions, dont on exagérait l’importance au roi, s’effectuaient avec un évêque, un intendant, un subdélégué ou un curé marchant à la tête des soldats. On assemblait sur la place de l’endroit les principales familles calvinistes, surtout celles qu’on croyait les plus faciles. Elles renonçaient à leur religion au nom des autres et les obstinés étaient livrés aux soldats, qui avaient toute licence, excepté celle de tuer.

L’Histoire de l’Édit de Nantes publiée en Hollande en 1695 a donné la description détaillée des diverses violences exercées par les soldats logés à discrétion chez les calvinistes réfractaires : ils faisaient quelquefois danser leurs hôtes jusqu’à ce que ceux-ci tombent en défaillance. Ils bernaient les autres jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus. Quand ils ne pouvaient forcer ces malheureux à fumer avec eux, ils leur soufflaient la fumée dans la figure. Ils leur faisaient avaler du tabac en feuilles. Quand ils ne pouvaient les faire boire de bonne volonté jusqu’à l’ivresse, ils leur mettaient un entonnoir dans la bouche pour leur faire avaler du vin ou de l’eau-de-vie. Si, dans un pareil état, ces malheureux laissaient échapper quelque parole qui put passer pour un acte de conversion, les dragons les déclaraient catholiques sur-le-champ. À d’autres, ils faisaient boire de l’eau et les contraignaient d’en avaler vingt ou trente verres. Il y en eut quelques-uns à qui l’on a versé de l’eau bouillante dans la bouche.

Les exécuteurs des dragonnades employaient aussi contre leurs victimes le feu, la brûlure, l’estrapade, la suspension par les parties les plus molles et les plus sensibles du corps. Les dragons étaient les mêmes en tous lieux, battant, étourdissant, brûlant en Bourgogne comme en Poitou, en Champagne comme en Guyenne, en Normandie comme en Languedoc. Seul Paris, où « Les cris, observe Voltaire, se seraient fait entendre au trône de trop près » et l’Alsace, protégée par les traités, n’eurent pas à subir ces horreurs.

Les exécuteurs des dragonnades n’avaient pour les femmes ni plus de pitié ni plus de respect que pour les hommes. « Ils abusaient, dit un contemporain, de la tendre pudeur qui est une des propriétés de leur sexe, et ils s’en prévalaient pour leur faire de plus sensibles outrages. » Quant à la conduite des officiers dans ces conjonctures, l’historien de l’Édit de Nantes observe que « Comme la plupart avaient plus d’honneur que leurs soldats, on craignit à la cour que leur présence n’empêchât les conversions, et on donna des ordres fort exprès aux intendants de ne les loger point avec leurs troupes, principalement chez les gentilshommes, de peur que par civilité ils ne repoussassent l’insolence des dragons. » On voit pourtant, d’après les relations du temps, que si les officiers ne partageaient pas les excès de leurs soldats, ils y applaudissaient du moins. C’est ce qui a fait dire à Bayle : « N’est-ce pas une chose qui fait honte au nom chrétien, que pendant que votre soldatesque a été logée dans les maisons de ceux de la religion, les gouverneurs, les intendants et les évêques aient tenu table ouverte pour les officiers des troupes, où on rapportait, pour divertir la compagnie, tous les bons tours dont les soldats s’étaient avisés pour faire peur à leurs hôtes, pour leur escroquer de l’argent. »

Les dégâts commis par les dragons convertisseurs n’étaient que trop comparables à leurs cruautés envers les personnes. « Il n’y avait point de meubles précieux, ou chez les riches marchands, ou chez les personnes de qualité, qu’ils ne prissent plaisir à gâter. Ils ne mettaient leurs chevaux que dans des chambres de parade. Ils leur faisaient litière de ballots de laine, ou de coton, ou de soie ; et quelquefois, par un barbare caprice, ils se faisaient donner le plus beau linge qu’il y eût, et des draps de toile de Hollande, pour y faire coucher leurs chevaux… Ils avaient ordre même de démolir les maisons des prétendus opiniâtres. Cela fut exécuté dans toutes les provinces… Dans les lieux où les gentilshommes avaient, ou des bois, ou des jardins, ou des allées plantées de beaux arbres, on les abattait sans formalité ni prétexte… Dans les terres mêmes des princes, on logeait des troupes à discrétion. Le prince de Condé voyait, pour ainsi dire, des fenêtres de sa maison de Chantilly, piller ses sujets, ruiner leurs maisons, traîner les inflexibles dans les cachots. Du seul village de Villiers-le-Bel, il fut emporté par les soldats, ou par d’autres voleurs qui prenaient le nom de dragons, plus de 200 charretées de bons meubles, sans compter ceux qu’on brûlait ou qu’on brisait. »

Comme si cela n’était pas assez, de véritables brigands, pour prendre part à ce pillage général, se déguisaient en dragons « et faisaient plus de mal que les dragons mêmes, afin de justifier ce nom épouvantable. » Les dragonnades se multiplièrent durant toute la fin du règne de Louis XIV et même sous Louis XV.

Les réformés tentant de se soustraire aux dragonnades par la fuite étaient censés couvrir les frais de logement dans les hôtelleries locales des dragons auxquels ils tentaient d’échapper : « Le provost et un lieutenant du régiment d’infanterie du roy logera chez Monsieur de la Bouillonnière, rue et paroisse Saint-Pierre, conformément aux ordres de sa Majesté. Fait en l’hôtel de Caen, le 13 novembre 1685 […] En cas que la maison ne soit ouverte, logeront à l’Aigle d’or, aux frais dudit sieur de la Bouillonnière[2] ».

De tels excès furent épargnés à l’Angleterre, l’Allemagne et même l’Espagne et le Portugal où l’Inquisition n’avait rien de plus affreux que les dragonnades, car ces opérations, confiées à une soldatesque déchaînée, comportaient un caractère manifeste de désordre et d’immoralité inconnu du Saint-Office.

Seuls quelques catholiques osèrent rappeler que ces communions forcées n’étaient, pour l’Église, qu’autant de sacrilèges. La reine Christine de Suède elle-même, qui, elle-même convertie, vivait à Rome en catholique zélée depuis trente ans, flétrit les dragonnades de sa désapprobation, peu suspecte, dans une lettre du 1er février 1686 : « De bonne foi, êtes-vous bien persuadé de la sincérité des nouveaux convertis ? Je souhaite qu’ils obéissent sincèrement à Dieu et à leur roi ; mais je crains leur opiniâtreté, et je ne voudrais pas avoir sur mon compte tous tes sacrilèges que commettront ces catholiques, forcés par des missionnaires qui traitent trop cavalièrement nos saints mystères. Les gens de guerre sont d’étranges apôtres, et je les crois plus propres à tuer, à voler, à violer, qu’à persuader : aussi des relations (desquelles on ne peut douter) nous apprennent qu’ils s’acquittent de leur mission fort à leur mode. »

L’invention de Louvois lui survécut ; pendant près d’un siècle avant de tomber graduellement en désuétude. Les dragonnades devinrent le moyen régulièrement employé pour réduire les protestants récalcitrants de toute une contrée, pour obtenir d’eux des actes de catholicité et, par exemple, faire baptiser en masse leurs enfants. On cite comme particulièrement rigoureuses les dragonnades du Rouergue en 1745, du Languedoc en 1752, en Guyenne en 1758.

Bayle et quelques écrivains calvinistes emploient le mot de « conversions dragonnes » sur lesquelles Pineton de Chambrun, pasteur d’Orange donne des détails curieux dans son Histoire de la persécution des protestants en la principauté d’Orange, par le roi de France (de 1660 à 1687) publiée en anglais à Londres, en 1689, relation qui existe au British Museum.

Les dragonnades ont également trouvé leurs apologistes : Traité dogmatique et historique des édits et autres moyens d’établir l’unité de l’Église catholique, par les RR. PP. Thomassin et Bordes de l’Oratoire, 3 vol. in-4°, 1703. Réponse aux plaintes des protestants, par Sainte-Marthe, bénédictin, 1688 ; Réponse à ce qu’on a écrit contre l’instruction pour les nouveaux catholiques, par le R. P. Doucin, jésuite. Caen, 1687.

Notes

  1. Les régiments de cavaliers qui furent alors appelés « dragons » étaient des compagnies régulières qui servaient en temps ordinaire à percevoir l’impôt et spécialement à l’encontre des contribuables redevables d’arriérés, en logeant les soldats à leurs frais jusqu’au paiement effectif.
  2. La Carte à payer d’une dragonnade normande en 1685.

Références

  • Marianne Carbonnier-Burkard et Patrick Cabanel, Une Histoire des protestants en France XVIe ‑ XXe siècle, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, 215 pages. ISBN 2-220-04190-5.
  • Henri Dubief et Jacques Poujol, La France protestante, Histoire et Lieux de mémoire, Montpellier, Max Chaleil, 1992, rééd. 2006, 450 pages. ISBN 2-84062-001-4.

Sources

  • William Duckett fils, Dictionnaire de la conversation et de la lecture, t. 8, Paris, Michel Lévy, 1854, p. 8-9.
  • Maurice Block, Dictionnaire général de la politique, Paris, O. Lorenz , 1873, p. 716-7.

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