Dieu est mort (Friedrich Nietzsche)

Dieu est mort (Friedrich Nietzsche)
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« Dieu est mort » (en allemand : « Gott ist tot ») est une citation bien connue de Friedrich Nietzsche. Cette phrase apparaît pour la première fois sous sa plume dans Le Gai Savoir, aux aphorismes 108 (« Luttes nouvelles ») et 125 (« L'insensé »), et également une troisième fois dans l'aphorisme 343 (« Notre gaieté »). Cet apophtegme se trouve aussi dans Ainsi parlait Zarathoustra et c'est surtout à cet ouvrage qu'on doit la popularité de l'expression. La citation complète de l'insensé est la suivante :

Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? »
Le Gai Savoir, Livre troisième, 125.

Sommaire

Signification

« Dieu est mort » ne doit pas être compris au sens littéral, à savoir « Dieu est physiquement mort » (certains dieux meurent en effet dans les représentations religieuses ou mythologiques). Nietzsche veut signifier par cette formule que Dieu n'est plus la source fondamentale des codes moraux ou téléologiques. Nietzsche reconnaît la crise que la mort de Dieu représente pour les considérations morales établies (dévalorisation des valeurs supérieures).

« En renonçant à la foi chrétienne, on se dépouille du droit à la morale chrétienne. Celle-ci ne va absolument pas de soi (…). Le christianisme est un système, une vision des choses totale et où tout se tient. Si l'on en soustrait un concept fondamental, la foi en Dieu, on brise également le tout du même coup : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité. »
Le Crépuscule des idoles, Incursions d'un inactuel, §5.

C'est pourquoi dans l'aphorisme 125, l'insensé s'adresse non pas à des croyants mais plutôt à des athées — après la mort de Dieu (un évènement consommé : Dieu est mort) le problème est de contrecarrer le nihilisme, i.e. la perte du sens et des valeurs en l'absence d'un ordre divin.

La mort de Dieu est une manière de dire que l'être humain n'est plus capable de croire en un pareil ordre cosmique, par le simple fait qu'il ne pense plus que cet ordre est même possible. Nietzsche prétend que la mort de Dieu va mener au rejet non seulement de la croyance en un ordre cosmique ou physique, mais également au rejet des valeurs absolues en tant que telles, i.e. au rejet de la croyance qu'il existe un système de lois morales totalement « objectives » et universelles, valide pour chaque individu. En ce sens, cela mène au nihilisme, et c'est ce problème que Nietzsche tentait de résoudre en réévaluant les fondations des valeurs humaines. Cela, pour Nietzsche, signifiait qu'il fallait aller plus loin, i.e. au-delà des valeurs chrétiennes que personne n'avait osé contourner, suspecter ou critiquer.

Nietzsche pensait que la majorité des hommes ne voyaient pas (ou refusaient simplement d'admettre) cette « mort de Dieu », et ce à cause de l'anxiété qui en découlerait. Donc, lorsque la Mort de Dieu commença à devenir largement reconnue, les gens se mettaient à désespérer et le nihilisme gagnait du terrain, tout comme la croyance que la volonté humaine est une loi en tant que telle — tout est permis si votre volonté le demande. Ceci est en partie la raison qui menait Nietzsche à croire que le christianisme était nihiliste. Pour Nietzsche, le nihilisme est la conséquence de n'importe quel système philosophique idéaliste, car tous les idéalismes souffrent de la même faiblesse que la morale chrétienne — on n'y retrouve aucune fondation sur laquelle bâtir. Il se décrit donc comme un « homme souterrain » en plein travail, qui creuse tunnels et galeries et qui sape »[1].

Nouvelles possibilités

Tant d'aurores n'ont pas encore lui.
— Cité dans Aurore.

Pour Nietzsche, la mort de Dieu affranchit l'homme, et l'abandon de la croyance en Dieu ouvre la voie à la créativité humaine, dévoilant en les libérant de nouveaux chemins d'accès vers l'expression de son potentiel. Le Dieu chrétien, avec ses commandements et ses interdictions, ne barre plus la voie de sa toute-puissance, permettant à l'homme de ne plus constamment lever les yeux vers un monde surnaturel et de finalement donner sa juste valeur au monde dans lequel il vit réellement. La reconnaissance du fait que « Dieu est mort » serait comme une toile blanche : désormais l'homme n'est plus « peint », le tableau de l'existence n'est plus donné parachevé (vision de l'homme comme créature), c'est désormais l'homme lui-même qui (re)devient le peintre, le sculpteur de la réalité, le créateur. Ce serait la possibilité de devenir quelque chose de nouveau, de différent, de créatif — ce serait la liberté de devenir quelque chose sans être dans l'obligation d'accepter le bagage de notre passé. Nietzsche utilise la métaphore d'un grand océan ouvert devant nous, à la fois excitant et terrifiant. Les gens qui arrivent finalement à se créer eux-mêmes une vie nouvelle figureraient un nouvel horizon de l'existence humaine, le Surhomme (Übermensch). La mort de Dieu est le fondement du dernier projet philosophique de Nietzsche (ce qui devait être l'ouvrage la Volonté de Puissance — l'idée fut finalement abandonnée par l'auteur), la réévaluation (ou trans-valuation) de toutes les valeurs.

Si Nietzsche a mis ces paroles dans la bouche d'un fou, ce n'est pas parce qu'il ne croit pas lui-même à ce qu'il écrit, mais c'est plutôt parce qu'il est dans le destin de ce personnage de n'être pas cru, et d'être considéré comme fou par la foule. En ce sens, l'insensé du § 125 est semblable à Zarathoustra. Néanmoins, il en diffère en ceci qu'il n'est qu'un annonciateur, un témoin. Il n'est pas un créateur de valeurs nouvelles. En l'absence de Dieu, il sent "le souffle du vide". Il fait pour lui "de plus en plus froid" et "de plus en plus nuit". La mort de Dieu le rend fou. Il est désorienté. Il est fou de culpabilité également "qui nous lavera de ce sang ?". Frustré de n'être pas compris, incapable et de se faire comprendre et d'être compris, le fou casse sa lanterne sur la terre, gémissant qu'il est venu trop tôt : les gens ne peuvent pas encore voir qu'ils ont tué Dieu. Il continue pour dire « Cet événement prodigieux n'a pas encore fait son chemin jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumière a besoin de temps, la lumière des étoiles a besoin de temps, les actions, même une fois posées, ont aussi besoin de temps avant d'être vues et entendues. » Certaines traductions de cet aphorisme donnent au personnage la qualification de "forcené", et non plus d'"insensé". Cette traduction peut être considérée comme plus proche du texte et de l'idéologie de l'auteur: car en latin le fors-sene, c'est celui qui vient "après la vieillesse", c'est celui qui ne peut être compris car il amorce la révolution, l'inversion des valeurs. Car même si "Dieu est mort", de nombreux ne peuvent encore y croire, et ceux qui s'en rendent comptent ne peuvent admettre de placer autre chose dans "la place vide qui demeure au Ciel". Il, cependant, fait également ainsi parler à son protagoniste dans l'ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra les mots, commentant se après avoir rendu visite à un ermite qui, chaque jour, chante des chansons et vit pour améliorer son dieu:

— « Et que fait le saint en forêt ? » demanda Zarathoustra.
Le saint répondit : « Je fais des chansons et je les chante, et tout en composant mes chansons, je ris, je pleure et je grommelle, c'est ma façon de louer Dieu.
Chantant, pleurant, riant et grommelant, je loue ce Dieu qui est mon Dieu. (…)
Quant Zarathoustra eut entendu ces paroles, il prit congé du saint (…).
Mais une fois que Zarathoustra fut seul, il se dit en son cœur : « Serait-ce possible ! Ce vieux saint dans sa forêt n'a pas encore entendu dire que Dieu est mort ! »
Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue de Zarathoustra, 2.

Origines de la mort de Dieu

Cette formule de Nietzsche en rappelle d’autres : Plutarque : « Annoncez que le grand Pan est mort […] Thamus : le grand Pan est mort. » (Traité de la cessation des oracles, 419c) Pascal : « La nature est telle, qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme, et hors de l’homme, et une nature corrompue. » (Pensées, B 333) Hegel : « le sentiment que Dieu lui-même est mort » (Foi et savoir, Conclusion) Max Stirner : « L’Homme n’a tué Dieu que pour devenir maintenant le seul dieu dans le plus haut des cieux. » (L’Unique et sa propriété, II, Je)

L'expression signifie d'abord que la croyance au Dieu chrétien est ébranlée. C'est dans le livre de Nietzsche Le Gai Savoir qu'on trouve l'expression qui sera reprise dans Ainsi parlait Zarathoustra.) Le livre de David Friedrich Strauss La vie de Jésus, qui montre le caractère mythique du personnage de Jésus tel qu'il est décrit dans les évangiles, joua un rôle important dans la perte de la foi chrétienne en Allemagne, c'est la lecture de ce livre qui entraîna chez Nietzsche la perte de la foi, celui-ci venant d'une famille de pasteurs luthériens. On peut aussi trouver chez le poète Heinrich Heine, que Nietzsche admirait, l'origine de cette expression, puisque Heine évoquait dans un de ces poèmes un « Dieu mourant ». En octobre 1844, le mois même où Nietzsche naît, parait L'Unique et sa propriété de Max Stirner où l'on trouve : "On n'a pas remarqué que l'Homme n'a tué Dieu que pour devenir lui-même le seul Dieu dans les cieux"

La mort de dieu chez d'autres auteurs

La mort de dieu est une phrase facilement liée à Nietzsche. Bien que ce soit le cas, il y avait d'autres auteurs qui ont abordé le sujet de la mort de dieu.

Émile Durkheim (1858-1917), sociologue francais, parle, indépendamment de Nietzsche, de la mort des dieux dans son magnum opus Les formes élémentaires de la vie religieuse. Dans la conclusion de cette œuvre il dit:

« Les anciens dieux vieillissent ou meurent, et d’autres ne sont pas nés[2]. »

Avec cette phrase, Durkheim fait référence à la crise morale que traverse la culture occidentale, la même crise à laquelle Nietzsche fait allusion. Il s'agit en effet de la chute du christianisme comme religion de l'occident et de la chute de la morale, la métaphysique, et les normes chrétiennes. Cette situation expose la société à un sentiment plus aigu d'anomie, ou de nihilisme, dans lequel « les règles traditionnelles ont perdu leur autorité »[3].

Michel Foucault, dans Les mots et les choses, reprend l'idée nietzscheanne de la mort de dieu et l'utilise pour parler de la mort de l'homme. Il dit :

« Plus que la mort de Dieu,--ou plutôt dans le sillage de cette morte selon une corrélation profonde avec elle, ce qu'annonce la pensée de Nietzsche, c'est la fin de son meurtrier; c'est l'éclatement du visage de l'homme dans le rire, et le retour des masques, c'est la dispersion de la profonde coulée du temps par laquelle il se sentait porté et dont il soupçonnait la pression dans l'être même des choses ; c'est l'identité du Retour du Même et de l'absolue dispersion de l'homme[4] »

Il s'agit ici de la mort de la subjectivité humaine, ou bien, de la mort de l'ego cartésien qui conceptualise l'individu dans un état pur et parfaitement autonome, un être parfaitement connaissable qui puissent être étudié scientifiquement.

Notes et références

  1. trans. Hollingdale; Daybreak, Preface, sect. 1
  2. Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5 eme edition, 2003. p. 610-611.
  3. Durkheim, Émile. Suicide, PUF, Paris, 1897. p. 281.
  4. Michel Foucault, Les mots et les choses. Gallimard, Paris. 1966. p. 396-397.



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