Cour des Miracles

Cour des Miracles

Cour des miracles

La Cour des miracles désignait, sous l’Ancien Régime des espaces de non-droit composés de quartiers de Paris ainsi nommés car les infirmités des mendiants qui en avaient fait leur lieu de résidence ordinaire y disparaissaient à la nuit tombée, comme par miracle.

Venus des campagnes pour y chercher en vain du travail, ou miséreux des villes (principalement sous le règne de Louis XIV), les plus défavorisés grossissaient les rangs des Cours des miracles.

Paul Bru en dit :

« Depuis plusieurs siècles, Paris et ses environs étaient infestés d’une foule de vagabonds et de pauvres. La plupart, gens sans aveu, mendiants de profession, tenaient leurs quartiers généraux dans les cours des miracles. On nommait aussi leurs repaires parce qu’en y entrant ils déposaient le costume de leur rôle. Les aveugles voyaient clair, les paralytiques recouvraient l’usage de leurs membres, les boiteux étaient redressés. Tous les moyens leur semblaient bons pour exciter la compassion des passants (…) Immense vestiaire, en un mot, où s’habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris… [s’ensuit la description de leurs différentes « spécialités ») »

— Histoire de Bicêtre[1]

Sommaire

Territoire

La plupart des grandes villes possédaient une cour des miracles. Paris en comptait douze :

  • 63, rue du Bac ;
  • Cour Brissel, rue de la Mortellerie (une partie de l’actuelle rue du Temple) ;
  • Cour de la Jussienne, dans la rue du même nom ;
  • Rue de Reuilly ;
  • Rue des Tournelles et rue Jean Beausire ;
  • Rue de l’Échelle ;
  • Deux autres près de la porte Saint-Denis, sur une "butte aux gravois" ;
  • La Grande Cour des miracles, Fief d’Alby, entre la rue du Caire et la rue Réaumur, dans l’actuel IIe arrondissement.

Cette dernière était la plus célèbre de toutes et c’est à elle que Victor Hugo[2] fait référence en s'inspirant des descriptions d'Henri Sauval, elles-mêmes reprises en partie du Jargon ou Langage de l'Argot reformé, livret populaire facétieux écrit vers 1630 par Ollivier Chereau, de Tours. Selon les descriptions carnavalesques de cet auteur, les mendiants membres de l'Argot (corporation des gueux), qui étaient hiérarchisés et parfaitement organisés, avaient des lois, une langue. Ils allèrent jusqu’à élire un roi des argotiers. Celui-ci s’appelait « le grand Coësre » ou « roi de Thunes »[3]. Ce roi commandait à tous les mendiants de France. Les mendiants de chaque province obéissaient aux « cagous », c’est- à-dire aux lieutenants du grand Coësre ; c’étaient eux qui instruisaient les mendiants débutant dans le métier. Au-dessous de ceux-ci, venaient, dans la hiérarchie, les « archissupots » qui étaient les savants du royaume des mendiants. C’étaient pour la plupart d’anciens étudiants ; ils enseignaient l’argot aux mendiants nouveaux venus dans l’association et jouissaient du privilège de ne payer aucun impôt au grand Coësre.

Composée de trois places successives communiquant par des boyaux, l’endroit était si dangereux que les « lapins-ferrés » (les soldats du guet) n’osaient pas y entrer.

En 1630, sous Louis XIII, lorsqu'on voulut y percer une rue qui traverserait la grande Cour des miracles de part en part, les maçons furent assassinés avant d’avoir pu faire aboutir le projet.

Les différents mendiants et voleurs

Selon Sauval, qui reprend une édition postérieure du texte d'Ollivier Chereau en le trahissant, les mendiants et voleurs étaient répartis en un certain nombre de catégories:

  • Les « narquois » ou « drilles » : faux soldats simulant des mutilations reçues au service du roi.
  • Les « rifodés » : fausses victimes du feu du ciel.
  • Les « malingreux » : faux malades.
  • Les « francs mitoux » : faux malades simulant des crises d’épilepsie.
  • Les « piètres » : faux estropiés.
  • Les « marfaux » ou « marjauds » : souteneurs.
  • Les « mercandiers » : faux marchands ruinés par les guerres, par le feu, ou par d’autres accidents. Allaient d’ordinaire par deux.
  • Les « capons » : chargés de mendier dans les cabarets et dans les lieux publics et de rassemblement, ils poussaient les passants au jeu auprès de quelques camarades à qui ils servaient de compères.
  • Les « courtauds de Boutange » : mendiants qui n’avaient le droit de mendier que pendant l’hiver.
  • Les « millards » : voleurs à la tire de provisions. C’étaient les pourvoyeurs de la société.
  • Les « orphelins » : jeunes garçons presque nus, chargés de paraître gelés et trembler de froid, même en été.
  • Les « hubains » : porteurs d’un certificat constatant qu’ils avaient été guéris de la rage par l’intercession de saint Hubert.
  • Les « prostituées »
  • Le « ragot » : chef de la pègre sous Henri II.
  • Le « chef-coësre » : chef de la pègre.
  • Les « cagoux » ou Ducs : lieutenants du chef-coësre.
  • Les « coquillards » : faux pèlerins arborant une coquille Saint-Jacques.

Tout le monde ne pouvait être coupeur de bourse: pour être admis dans cette profession, il fallait faire deux chefs-d’œuvre en présence des « Maitres ». Sauval raconte en quoi consistaient ces deux chefs-d’œuvre :

« Le jour pris pour le premier on attache au plancher et aux solives d’une chambre une corde bien bandée où il y a des grelots avec une bourse, et il faut que celui qui veut être passer maitre, ayant le pied droit sur une assiette posée an bas de la corde, et tournant à l’entour le pied gauche, et le corps en l’air, coupe la bourse sans balancer le corps et sans faire sonner les grelots ; s’il y manque en la moindre chose, on le roue de coups ; s’il n’y manque pas, on le reçoit maître. Les jours suivants on le bat, autant que s’il y avoit manqué afin de l’endurcir aux coups et on continue de le battre jusqu’à ce qu’il soit devenu insensible. Alors, pour faire un second chef-d’œuvre, ses compagnons le conduisent à quelque lieu grand et public, comme par exemple, le cimetière Saint-Innocent. S’ils y voient une femme à genoux aux pieds de la Vierge ayant sa bourse pendue au côté, ou une autre personne avec une bourse aisée à couper, ou quelque chose semblable facile à dérober, ils lui commandent de faire ce vol en leur présence et à la vue de tout le monde. À peine est-il parti, qu’ils disent aux passants en le montrant au doigt : « Voilà un coupeur de bourses qui va voler cette personne ». À cet avis, chacun s’arrête et le regarde sans faire démonstration de rien. À peine a-t-il fait le vol, que les passants et les délateurs le prennent, l’injurient, le battent, l’assomment sans qu’il ose déclarer ses compagnons ni même faire semblant de les connaître. Cependant, force gens s’assemblent et s’avancent pour voir ou pour apprendre ce qui se passe. Ce malheureux et ses camarades les pressent, les fouillent, coupent leurs bourses, sondent leurs poches et faisant plus de bruit que tous les passants ensemble, tirent subtilement de leurs mains leur nouveau maître et se sauvent avec lui et avec leurs vols. »

— Sauval, La Cour des miracles

Disparition des cours des miracles

Voleurs et mendiants s’étaient organisés en une société secrète fort stricte et représentaient un danger croissant que le pouvoir royal décida d’éradiquer.

Le lieutenant-général de police Gabriel Nicolas de La Reynie fut alors chargé de mettre fin à cette situation et s’y employa avec hardiesse à partir de 1656 : maisons rasées et envoi aux galères de 60 000 mendiants [réf. nécessaire] et faux estropiés, marqués au fer rouge.

En 1660, après plusieurs crimes particulièrement horribles, le guet cerna le Fief d’Alby et proclama que la Cour des Miracles devait être évacuée sur l’heure, sans rien en emporter, le dernier à en sortir étant pendu immédiatement (le sort voulut que ce fût un vieillard en béquilles, vrai estropié).

À partir de ce moment, une politique d’enfermement systématique dans les établissements de l’Hôpital général fut menée. Toutefois, petit à petit, voleurs et mendiants reprirent possession des lieux.

À partir de 1750, le système répressif perd du terrain au profit d’une démarche des hygiénistes et des médecins.

Le 21 août 1784 un édit royal ordonna la destruction totale de toutes les masures du Fief d’Alby pour y établir un marché des marées. Mais le lieu avait si mauvaise réputation que les mareyeurs refusèrent de s’y installer. Le lieu fut investi par les forgerons (d’où le nom de « rue de la Forge »).

L’histoire n’a pas retenu ce qu’il advint des autres Cours des Miracles.

Divers

Un film, retraçant certains évènements de cette cour, est en cours de tournage dans la ville de Troyes.

Notes et références

  1. Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile) : d’après des documents historiques, préf. M. le Dr Bourneville, Chap II, "Les mendiants, Hopital Général, p. 15-6.
  2. dans Notre-Dame de Paris, la Bohémienne Esmeralda trouve le poète Gringoire, alors perdu dans cet endroit, et le sauve en l’épousant
  3. Le nom d’un mendiant qui avait été « grand Coësre » pendant trois ans ; ce gueux célèbre se faisait promener dans une charrette tirée par deux grands chiens ; il mourut sur la roue à Bordeaux (Ribton Turner, A history of vagrants and Vagrancy, p. 519, note 1, d'après le texte d'Ollivier Chereau).

Liens internes

  • Le Jargon ou Langage de l'Argot reformé d'Ollivier Chereau, édition critique annotée et commentée à partir des éditions lyonnaises de 1630, 1632 et 1634 par Denis Delaplace en 2008 aux éditions Honoré Champion.

Lien externe

Bibliographie

  • Chantal Dupille, Histoire de la Cour des Miracles (histoire – Avec une préface de Didier Decoin), éditions Hachette, Paris, 1971, 215 p. – Ouvrage co-lauréat du Prix Broquette-Gonin de l'Académie française (prix ayant cessé d'être attribué).
  • Éric Hazan, L’invention de Paris, Paris, Seuil, « collection Fiction et Cie », 2002, (ISBN 2020540932).
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