Concentration des médias

Concentration des médias

Par concentration des médias on entend en général la tendance de concentration verticale et horizontale des entreprises de presse (journaux, magazines, télévisions, radios...) et de l'industrie culturelle (production de films et de musique) ainsi que les groupes de communication (téléphonie mobile, internet, etc.) La concentration verticale est le fait pour une entreprise de contrôler toute la chaîne de production d'un produit (de l'envoi des journalistes sur le terrain, le plus souvent effectué soit par les agences de presse, soit par des journalistes indépendants (« pigistes ») tandis que la concentration horizontale désigne le contrôle d'un groupe sur tout un secteur d'activité (ainsi, au moment du rachat de la Socpresse par Dassault, la Commission européenne exigea la vente du titre économique La Vie financière afin que le groupe ne dépasse pas la barre des 50% du marché publicitaire dans les titres économiques et financiers). Des conglomérats de presse, possédant plusieurs types de médias à la fois (télévision, radio, journaux...) se sont aussi formés (Groupe Lagardère, etc.).

Sommaire

Histoire de la presse

Le phénomène de concentration dans les médias, comme dans l'ensemble du système capitaliste, s'est posé très tôt. Ainsi, des lois anti-trust étaient passées aux États-Unis pour empêcher une concentration excessive qui aboutirait à un monopole ou à un oligopole (rassemblement de quelques groupes de presse qui détiennent une puissance suffisante pour dicter les prix du marché). Ainsi, la production cinématographique est dominée par de grands studios depuis le début du 20e siècle, de même que la production musicale. Celle-ci est aujourd'hui contrôlée par les Quatre Majors qui représentent 80% du marché: Universal, Sony-BMG, EMI et Warner [1]. Selon Le Monde, plus d'un cd sur deux est aujourd'hui vendu en grande surface alimentaire[1].

On trouve parfois de grands propriétaires dans l'industrie qui ont racheté une grande part de leur concurrents, comme dans le secteur des télécommunications, et de la diffusion. Dans le domaine de la presse, le groupe Axel Springer AG en Allemagne fédérale et le groupe Hersant en France ont procédé dans les années 1960 à de telles concentrations.

Aux États-Unis, six conglomérats (Disney, Viacom, Time Warner, News Corp, Bertelsmann, et la General Electric) possèdent 90% du marché des médias. L'Australien Rupert Murdoch est aussi un magnat de la presse au niveau mondial, détenant de nombreux tabloïds et présent aussi dans le secteur de la télévision.

En France, de la même manière, quelques grands groupes (Lagardère, Dassault...) se partagent l'essentiel des médias. Les neuf principaux groupes de presse français réalisent un chiffre d'affaires qui se situe entre 2,2 milliards d'euros et 280 millions d'euros. Par ordre décroissant de chiffre d'affaires, il s'agit d'Hachette Filipacchi Médias (Lagardère), de la Socpresse (Dassault) (Le Figaro), du groupe Amaury (Le Parisien), de Prisma Presse, du groupe La Vie-Le Monde, d'Emap Media, de Bayard Presse, d'Ouest-France et de Sud Ouest.

Interviewé par Claire Chazal sur TF1, François Bayrou dénonça ainsi en septembre 2006 la collusion entre certains groupes de presse et des politiques. TF1 est en effet détenu par Martin Bouygues, proche de Nicolas Sarkozy. Une telle collusion peut parfois donner lieu à des caviardages et autres censures. Ainsi, le directeur de la rédaction de La Tribune, François-Xavier Pietri, a caviardé la Une de La Tribune du 4 septembre 2006. Celle-ci présentait en effet une photo de Ségolène Royal avec la mention « Royal en tête sur l'économique et le social ». Un sondage de l'institut CSA commandé par La Tribune montrait en effet que 54% des personnes interrogées faisaient confiance à la candidate socialiste pour ce qui relève de la vie économique et sociale, contre seulement 49% pour le candidat de l'UMP. La Tribune est contrôlé par le groupe LVMH dirigé par Bernard Arnault, patron très proche de Nicolas Sarkozy, qui était son témoin lors de son mariage avec Cécilia en 1996. De même, le patron du pôle presse de LVMH est Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet de Balladur à Matignon et vieil ami de Sarkozy[2]. De même, les "patrons de gauche" tels que C.Perdriel ou P.Bergé contrôlent des titres correspondant à leur idéologie: le Nouvel Observateur, Têtu,.... et entretiennent d'étroites relations avec des personnalités de gauche, telles que S.Royal ou B.Delanoë.

Réseau de distribution

La distribution des journaux nationaux est, en France, principalement assurée par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP)et les MLP (Messageries Lyonnaises de Presse). La loi Bichet (1947) garantit à tout éditeur la possibilité de mettre son titre en vente dans tous les points de vente du territoire. Mais l'équilibre économique d'un magasin de presse est difficile à trouver. Les volumes de ventes baissent, et près de 4 300 points de vente ont fermés en 2005, leur nombre total tombant à 29 271[3].

Une évolution parallèle : la diversification des médias

Articles connexes : médias sociaux et journalisme citoyen.

Certains affirment que sous le phénomène apparent de concentration des médias se dissimule une diversification, voire un foisonnement des médias entraîné par l'apparition d'Internet et autres NTIC (Nouvelles technologies de l'information et de la communication). Ainsi, l'avènemenent du web 2.0 a rendu possible l'appropriation de l'Internet à des utilisateurs nécessitant moins de compétence informatique, ce qui a amené l'émergence des médias sociaux, qui dynamisent le journalisme citoyen.

Les plus optimistes[Qui ?] affirment que ce développement rééquilibrera l'information par un accès généralisé aux informations, idéalement de tous à tout, plutôt que décidée par les seuls professionnels de l'information qui pourraient exercer une censure discrète.

Néanmoins, ce point de vue qui affirme une certaine « démocratisation des médias » passe sous silence nombre de caractères d'un tel « journalisme citoyen ». Ainsi, à de rares occasions près, il se nourrit de la presse elle-même : la blogosphère fonctionne ainsi davantage comme caisse de résonance de certaines informations plutôt que comme productrice d'informations originales. Ce « journalisme citoyen » pose en outre des problèmes de vérification et d'authentification de l'information; de traitement de l'information (la formation professionnelle des journalistes et leur vigilance constante à l'égard de l'actualité les aide en effet à mettre en contexte les faits bruts diffusés par les dépêches d'agence, soit en ajoutant quelques éléments historiques, soit en prenant une distance politique vis-à-vis de faits ou de déclarations affirmées de façon unilatérale — ainsi, certains régimes politiques, du Venezuela d'Hugo Chavez à l'Iran, doivent souvent affronter une couverture d'agence de presse hostile, qui passe sous silence certains faits historiques — au Venezuela, le rôle historique de l'oligarchie et l'absence de toute réforme agraire; en Iran, l'écartement du modéré Ali Khamenei remplacé par l'ultra Mahmoud Ahmadinejad, et la thèse qui pourrait sembler légèrement aventureuse selon laquelle un changement de régime induirait une modification de la politique énergétique iranienne — quand bien même le programme nucléaire iranien aurait été impulsé sous le shah avec l'aide des États-Unis, fait historique soulignant une continuité étatique de cette puissance régionale majeure).

Enfin, alors que la presse est en crise depuis plusieurs décennies, et que l'apparition des NTIC l'oblige à changer ses habitudes, on peut considérer qu'il y a paradoxe à parler d'un « foisonnement de la presse citoyenne » à l'heure même où la presse de qualité, d'opinion ou non, est en danger. Si on peut à juste titre critiquer la formation d'une « caste » de journalistes, comme l'a fait par exemple François Ruffin dans Les Petits soldats du journalisme), ainsi qu'une censure économique s'exerçant parfois dans des titres détenus par des grands groupes économiques, il n'en reste pas moins que l'information, sa compréhension et son analyse, reste un métier à part entière demandant du temps et de l'argent. À cet égard, les ennuis dont sont victimes les titres dits mineurs de la presse nationale, qui assurent la diversité des informations en couvrant ce qui ne l'est pas toujours, est symptomatique d'une telle crise de la presse citoyenne. Alors que les principaux titres de la presse nationale — Le Figaro, Le Monde et Libération — ont reçu des aides non négligeables de l'État au titre de la « modernisation de la presse » — ce qui a notamment permis au Monde de financer ses toutes nouvelles imprimeries — des titres plus mineurs tels que France-Soir, L'Humanité ou La Croix n'ont pas eu droit à une telle manne. Aussi, ces titres reposent principalement sur l'abonnement.

La crise de la presse

On constate aujourd'hui, dans l'évolution historique des médias, d'une part des difficultés croissantes dans le secteur de la presse écrite (France-Soir, Politis, Libération, L'Humanité, et même Le Monde sont tous des journaux hexagonaux ayant dû affronter des problèmes récurrents de trésorerie — la stratégie économique et financière de Le Monde a d'ailleurs fourni l'un des thèmes principaux de La Face cachée du Monde (2003) écrits par les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen, qui dénoncent entre autres une vampirisation des éditions de la Vie Catholique (qui contrôlent notamment Télérama) par Le Monde — via le groupe La Vie-Le Monde — ainsi que des projets de lancer un quotidien gratuit — niés à l'époque par Jean-Marie Colombani, qui affirmait notamment qu' « il n'y a pas de lien entre la liberté des journalistes qui peuvent s'inquiéter, à bon droit, du développement de la presse gratuite et une politique d'entreprise - en l'espèce, celle de notre filiale d'impression » [4].

La presse gratuite

En outre, elle ignore le développement inquiétant de la presse gratuite (groupe Métro, etc.) qui se finance exclusivement par le biais de la publicité. Le Monde a lui-même décidé de sortir un quotidien gratuit avec le groupe Vincent Bolloré (qui a lancé en juin 2006 Direct Soir, puis "Direct Matin") — bien qu'il dénonçait férocement, lors du lancement du quotidien gratuit de Métro France, le danger que porte une telle presse sur la presse dite sérieuse[5]. Le Canard enchaîné remarquait avec ironie en septembre 2006 que de tels quotidiens gratuits avaient cessé d'être publié pendant l'été 2006, période de vaches maigres publicitaires. Ainsi, la guerre israélo-libanaise n'a pas eu lieu dans Métro… Selon une déclaration de juin 2006 de l'Association mondiale des journaux (AMJ), 18,6 millions d'exemplaires de quotidiens gratuits ont été diffusés en Europe en 2005. En Espagne, la presse quotidienne gratuite représente jusqu’à 51 % du marché. Ils sont apparus en France en 2002: 20 minutes, contrôlé à 50% par le groupe norvégien Schibsted et par le Groupe SIPA - Ouest-France (via Sofiouest, 25%, et Spir Communication, 25%), ainsi que Métro, propriété de Metro France elle-même filiale du groupe suédois Metro International (groupe Kinnevik) et de TF1 (34%, contrôlé par Bouygues)[6].

La « blogosphère »

Enfin, ce « journalisme citoyen » est souvent réduit à une simple blogosphère, qui reçoit elle-même ses informations de la presse quotidienne. Cette nouvelle sphère médiatique fonctionne ainsi davantage comme une caisse de résonance et de commentaire de l'actualité quotidienne plutôt que comme véritablement productrice d'informations. Le fonctionnement d'un site d'auto-publication tel qu'Indymedia lors des sommets alter-mondialistes est la notable exception (temporaire) à une telle règle: ainsi, lors des manifestations, Indymedia est parvenu en plusieurs occasions à recenser efficacement le nombre d'arrestations et d'éventuels blessés, fonctionnant ainsi comme véritable agence de presse autogérée. En revanche, de tels sites reposent quasiment exclusivement sur la confiance, puisque les critères de vérifiabilité ne sont pas nécessairement ceux en vigueur dans la presse dite « sérieuse » (laquelle, de l'affaire Jayson Blair au New York Times aux articles de Judith Miller dans le même grand quotidien, qui soutenait avec vigueur la thèse mensongère de la présence d'« armes de destruction massive » en Irak, n'est pas toujours à l'abri de désinformation).

Notes et références

  1. a et b Comment la concentration de la musique nuit au disque, Le Monde, 22 janvier 2005
  2. « La Tribune passe Ségolène à la trappe », Le Canard enchaîné, 6 septembre 2006
  3. Les magazines touchés à leur tour par le déclin de la presse, Le Monde, 3 juin 2006
  4. "Le Monde" est-il un danger pour la démocratie ?, chat organisé le 28 février 2003 par le site internet du Monde en réponse aux accusations portée dans La Face cachée du Monde (2003).
  5. Ainsi, on pouvait encore lire dans l'édition du Monde du 3 juin 2006: « Première victime de cette ascension des gratuits, la presse quotidienne payante a accusé un repli de 1,6 % en 2005, et de 9,6 % depuis 2000. » in Les magazines touchés à leur tour par le déclin de la presse, Le Monde, 3 juin 2006
  6. L'offensive payante des journaux gratuits, Le Monde, 1er septembre 2006

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) C. Edwin Baker, Media concentration and democracy : why ownership matters, Cambridge University Press, Cambridge, etc., 2007, 256 p. (ISBN 978-0-521-68788-1)
  • (en) Benjamin M. Compaine et Douglas Gomery, Who owns the media? : competition and concentration in the mass media industry, L. Erlbaum, Mahwah, N.J., Londres, 2000 (3e éd.), 604 p. (ISBN 0-8058-2936-9)
  • (fr) Patricia Aufderheide, Éric Barnouw, Richard Cohen et al., Médias et conglomérats (traduit de l'américain par Cécile Deniard), Éditions Liris, Paris, 2005, 192 p. (ISBN 2-909420-59-0)
  • (fr) Observatoire européen de l'audiovisuel, La télévision et la concentration des médias : modèles de réglementation aux niveaux national et européen, Victoires Éd., Strasbourg, 2001, 97 p. (ISBN 92-871-4594-6)
  • (fr) Observatoire français des médias, Sur la concentration dans les médias, Éditions Liris, Paris, 2005, 143 p. (ISBN 2-909420-58-2)
  • (fr) Jacques Valade (dir.), Rapport d'information sur la concentration des médias en France (actes de la journée thématique au Sénat le 9 juin 2005), Sénat, Paris, 2005, 82 p. (ISBN 2-11-113116-4)

Liens externes


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