Château de Nicolas d'Avesnes à Condé-sur-l'Escaut

Château de Nicolas d'Avesnes à Condé-sur-l'Escaut

Château de Nicolas d'Avesnes à Condé-sur-l'Escaut

Condé-sur-l'Escaut (Nord) compte trois châteaux méritant le détour :

Paradoxalement, ce dernier édifice demeure le plus mal connu. La mémoire locale limite sa fonction au rôle d'arsenal du Roi Soleil. Au regard du temps et de l'Histoire, ce n'est pas juste. En janvier 2005, des sondages archéologiques menés par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ont mis au jour les substructions du château roman, de la chapelle castrale et du puits Sainte-Renelde, réservant de nombreuses surprises et démontrant que le site de Condé-sur-l'Escaut constitue un archétype majeur de la politique castrale menée en Hainaut, dès le XIIe siècle.

Après avoir replacé le sujet dans son contexte historique, allons de surprise en surprise et voyons comment le site castral est passé du roman au gothique.

  • Nota : si vous souhaitez exploiter cet article pour un travail de recherche, un exposé ou une communication quelconque, n'hésitez pas à contacter l'auteur, Bruno Carpentier, qui vous fournira une importante iconographie originale (voir bibliographie in fine).

Sommaire

Situation géographique et politique du Hainaut

Le Hainaut est un comté dérivé de la Civitas Cameracencis (la cité de Cambrai), elle-même issue du territoire des Nerviens, celtes de la Belgique Seconde, que les armées de Jules César battent sur la Sabis (peut-être la Selle ou la Sambre) en 57 avant Jésus-Christ. Le Pagus Haenonsis est cité la première fois dans la Vie de saint Aubert, évêque de Rouen, écrite vers 720 par Aigrard, moine hagiographe (voir Le Quesnoy, l'archétype du Hainaut, p. 18 à 31, B. Carpentier / Sopaic, Charleville-Mézières / 2005). Le 11 mai 1071, luttant contre son beau-frère Robert-le-Frison, comte usurpateur de Flandre, la comtesse Richilde l'inféode au Prince-Évêque de Liège, en faisant un arrière-fief du Saint Empire romain germanique. Le 14 décembre 1083, Richilde remet le pouvoir comtal à son fils, Baudouin de Mons.

Passant entre les mains des d'Avesnes (1280), des Bavière (1356), des Bourgogne (1433) puis de la maison espagnole des Habsbourg (1468), le Hainaut est pris à l'Espagne par Louis XIV entre 1659 (traité des Pyrénées) et 1678 (traité de Nimègue). Mais au traité de Ryswick (1697), le Roi Soleil restitue une part de ses conquêtes. Le Hainaut est scindé en deux parties. Mons, Ath et Enghien rejoignent les Provinces-Unies. Restent en France Condé-sur-l'Escaut, Valenciennes, Le Quesnoy et Maubeuge. Cette scission perdure de nos jours. Une langue commune, le Rouchi, maintient cependant la cohérence entre Hainuyers.

La partie restée en Belgique (État créé en 1830) devient la province de Hainaut, tandis que la partie française est intégrée dans le département du Nord (59), le 4 mars 1790.

Naissance du château fortifié de Condé-sur-l'Escaut

En 1140, le comté de Hainaut comprend Valenciennes, Mons et Beaumont. Entre ces points de concentration humaine s'étend la terre de Leuze dont Condé-sur-l'Escaut constitue « le bout » (Condé a parfois été appelé "le bout de la terre de Leuze").

Politique castrale en Hainaut

Mais cette seigneurie n'appartient pas au comte Baudouin IV qui a succédé à son père en 1120, à l'âge de onze ans. Un de ses tumultueux vassaux, Nicolas d'Avesnes, y fait construire, entre 1143 et 1150, sur le confluent de la Haine et de l'Escaut, un puissant château fortifié. La politique castrale hainuyère s'intensifie. Cet édifice, précédant celui de Baudouin V, a pu être construit en bois, comme c'est l'habitude en Normandie et en Angleterre. Aucune source ne permet cependant de le démontrer et il faut se contenter, pour tenter d'étayer l'hypothèse, de rappeler que l'endroit fut renforcé par les Normands (D'après la chronique rimée (1274) du poète tournaisien Philippe Mouskès : Les Normands de Gand vinrent selonc l'Escaut. Courtrai arsent et puis Tournai, et Saint-Amand et puis Douwai. Puis s'en alèrent à Condet, le castiel ont pris et minet), venus se retrancher sur le confluent Haine-Escaut à l'hiver 885-886.

Une motte a pu être élevée à l'endroit dès le Xe siècle. Seules des fouilles archéologiques en profondeur permettraient de confirmer cette sérieuse théorie.

Les seigneurs d'Avesnes complètent leur dispositif tactique. Ils élèvent la tour d'Avesnes, fortifient Trélon et Landrecies. Le comte, pour imposer son autorité, lance à son tour une grande campagne d'édifications castrales. Il doit se protéger sur tous les fronts, face à la Flandre, le Cambrésis et l'Avesnois. Il fortifie Binche en 1127 et relève l'enceinte de Mons en 1140. En 1142, il fait entourer Raismes et Braine-le-Comte d'une chemise, et construit un château fort au Quesnoy vers 1150. En 1155, il fait d'Ath une bourgade et y monte la tour du Burbant, en 1166. En 1158, il fortifie Beaumont, fonde Bouchain et fait construire à Valenciennes la Salle-le-comte. Ailleurs, il bâtit des tours ostentatoires, comme à Beaufort et Monceau-Saint-Waast. Il ne peut accepter que Nicolas, puis son fils Jacques d'Avesnes, le défie au sommet de leur donjon !

Jacques d'Avesnes commet une grave erreur

Le 4 octobre 1174, Jacques d'Avesnes fait assassiner Robert, évêque de Cambrai, sur le pont de Condé. Celui-ci revenait d'Ath, avec un sauf-conduit du comte et la protection de Louis de Frasnes. Baudouin V le Courageux utilise ce prétexte pour punir l'impétueux vassal. Il prend le castel, renverse ses tours et ses murailles et fait brûler le bourg. Si l'on en croit Gislebert de Mons, le castel préroman disparaît. Encore que la narration du chancelier de Baudouin V puisse être simplement symbolique : une interprétation pragmatique permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle le castel de Nicolas n'est pas détruit de fond en comble. Le donjon, élément essentiel de la défense dans la conception romane du château, a pu être préservé. En 1184, le château est reconstruit et entre définitivement dans la mouvance des comtes de Hainaut qui le rétrocèdent, à titre de fief, aux d'Avesnes (Ces derniers devront attendre 1280 pour voir un des leurs, Jean II d'Avesnes, à la tête du comté). Ce sont les substructions de cet édifice du XIIe siècle qui ont été mises au jour au début de l'année 2005.

De la tour César à l'Arsenal

La seigneurie condéenne du château (un deuxième fief partage le territoire de Condé-sur-l'Escaut, la seigneurie de Bailleul) passe, en 1225, aux Châtillon, et, en 1335, aux Bourbon. En 1529, Charles Quint la reçoit à titre de gage. La maison d'Espagne la rétrocède aux Bourbon au traité du Cateau-Cambrésis (1559). Marie de Montmorency, veuve de Charles de Lalaing (1499-1558), la rachète en 1560. Sa petite-fille, Jeanne de Lalaing, la transmet par mariage aux Croÿ. En 1678, le traité de Nimègue donne Condé à la France. Quatre ans plus tard, Philippe-Emmanuel-Ferdinand de Croÿ cède le château à Louis XIV qui en fait un arsenal. Le donjon, dernier vestige du château roman, est arasé en 1727.

Quelque 278 ans plus tard, ses fondations revoient le jour. Le siège de la seigneurie du château ne présente plus, à partir de 1727, aucun élément roman de son architecture, suite à la destruction du donjon, appelé « tour César », et à l'établissement d'un arsenal dans le périmètre intérieur des courtines de type philippien. La présente recension des substructions mises au jour par les archéologues de l'INRAP se limitera au castrum roman, aux deux états de la chapelle castrale intégrant trois puits dits de Sainte-Renelde, et à un point de l'enceinte gothique.

Description du castrum roman

Sur l'emplacement estimé de la tour César, un gros bâtiment (appelons-le donjon), ceint d'une chemise (la muraille qui entoure le donjon) à contreforts d'angle, est mis au jour. Cette disposition présentait peut-être des échauguettes au sommet des contreforts d'angle, comme on en retrouve sur les châteaux comtaux de Valenciennes (Hainaut français) et de Ath (Hainaut belge).

Au sol, les fondations du donjon présentent des murs de 2 mètres d'épaisseur. Il est orienté nord-sud. L'entrée (nord) se franchit par une ouverture de 1,85 m. de large. Elle présente des enduits d'origine et l'on voit bien que le bâtiment a fait l'objet de reprises au cours des siècles. La base de l'entrée, à 2,50 m. sous la surface du sol actuel, montre des déformations des pierres de seuil qui font penser à des traces d'usure de passage. La régularité de l'assise et la qualité de la taille des pierres sont remarquables. Les remaniements sont visibles par les différences d'appareils (les pierres) et de techniques de maçonnerie.

La souffrance du bâtiment, fendu dans son sens ouest-est, semble évidente quand on observe sa technique particulière de construction. La partie sud est implantée dans le tertre (la haute cour) tandis que la partie nord repose dans le fossé ceinturant la chemise. Peut-on l'imaginer posé sur des pieux, et justifier son enfoncement ? Les deux contreforts massifs semblent d'ailleurs avoir été placés à l'arrière (côté sud) pour stabiliser l'édifice. La jonction entre le bâtiment et la chemise paraît dans un état du XIIe siècle.

L'appareil de la chemise romane est essentiellement composé de « pierres plates », comme plus loin, sur la courtine jouxtant la tour gothique mise à jour. Cette technique se retrouve peu dans les constructions du XIVe siècle qui utilisent des parpaings de pierre bleue. En reportant sur un plan les éléments du mur mis au jour, de part et d'autre du donjon, on obtient un hexagone d'un diamètre d'environ 35 mètres. À chaque rupture d'angle, des renforts maçonnés soutiennent la chemise de part et d'autre de mur. Sous le donjon, une salle voûtée (corps de garde ?) accueillait les visiteurs franchissant l'entrée de ce que l'on considérera comme la haute cour.

Une ou deux chapelles castrales ?

Un peu plus loin, dans le périmètre de la grande enceinte, apparaît la chapelle castrale dont un plan du Génie de 1728 montre les tracés. Tout est conforme. A priori, les bases du lieu de culte semblent posées sur un mur ressemblant à première vue à l'appareillage de la chemise d'enceinte observé ci-dessus. La chapelle mesure environ 7 m. de long pour 5 m. dans sa plus grande largeur. Disposée nord-sud, elle n'est pas orientée, ce qui laisse supposer une contrainte qu'il reste à découvrir (les édifices de culte catholique présente leur chœur à l'est et leur entrée à l'ouest. On dit qu'ils sont orientés). À l'intérieur, côté ouest, apparaît un puits (visible ci-dessous).

Les surprises apparaissent

La première est constituée par un deuxième puits accolé à l'extérieur de l'édifice, au sud, sûrement le plus ancien, qui peut être le puits médiéval. À l'angle sud-ouest de la petite chapelle est mis au jour un curieux contrefort en pierre bleue (dite de Tournai, exploitée au Moyen Âge, comme en témoigne la cathédrale romane de Tournai, en Belgique). Que fait-il là, seul ? Le mur que ce contrefort soutient est mis au jour. En le suivant, on découvre un deuxième contrefort, puis un autre...

Le mystère atteint son comble, lorsque, stupéfaction, les substructions d'une plus grande chapelle castrale, ne figurant sur aucun plan connu, apparaissent ! Cette fois-ci, l'édifice est orienté (c'est-à-dire que son Chœur est à l'Est). Au sol, on aperçoit de petites céramiques carrées, en terre cuite glaçurées vertes ou jaunes (le pavement du sol). Des gravats, à l'extérieur, montrent qu'un encadrement de style gothique flamboyant, en pierre blanche, décorait des fenêtres. Force est de constater qu'un grand soin a été apporté à l'appareil et au décor par les ouvriers et artisans médiévaux. Quelle merveilleuse découverte !

Un, deux ou trois puits Sainte-Renelde ?

Les surprises continuent : un troisième puits apparaît (vraisemblablement le plus récent et le plus connu de tous).

Ces puits, au nombre de trois, sont situés : - le plus ancien, près de la chapelle castrale, mais à l'extérieur, au sud ; - le deuxième, à l'intérieur de la petite chapelle, contre le mur ouest ; - le troisième, à l'intérieur de la grande chapelle Tous trois portent le nom de sainte Renelde. Leur nombre constitue une nouvelle surprise des sondages archéologiques et semblent confirmer l'existence d'un culte ancien.

L'eau miraculeuse de Condé

L'eau de Condé-sur-l'Escaut était encore célèbre au XIXe siècle pour ses propriétés miraculeuses et curatives. Elle soignait particulièrement les yeux, rendant la vue aux plus malvoyants. Au début du siècle dernier, des pèlerins venaient encore demander aux locataires de la gendarmerie (construite sur les fondations du lieu de culte) de leur donner quelques centilitres du précieux liquide. Lassés, les gendarmes rebouchèrent le puits et le culte disparu après la Seconde Guerre mondiale, mais ne fut pas oublié pour autant. Dès mon arrivée sur le site des sondages, plusieurs personnes me demandèrent en effet de leur prélever quelques gouttes du miraculeux liquide. En Hainaut, les légendes populaires sont tenaces.

Cependant sainte Renelde n'est pour rien dans cette affaire. Une lecture erronée a transformé « Condacum » (Kontich) en « Condatum » (Condé). Il n'en fallait pas davantage à la dévotion locale pour adopter la sainte et la faire venir de Flandre, d'où elle serait originaire (Kontich se trouve à 32 km au nord de Bruxelles), en Hainaut. Cette confusion maladroite ne retire cependant rien à la qualité des eaux de Condé-sur-l'Escaut, issue de la même nappe phréatique que celles de Saint-Amand.

Le castel gothique

À quelques pas des chapelles castrales, les fondations d'une tour gothique apparaissent.

Tour et enceinte gothiques

La courtine, le châtelet d'entrée et les tours en élévation sont postérieures au XIIe siècle. Le développement puis la floraison de l'architecture philippienne s'affranchit du donjon et utilise les tours de plan circulaire qui ne présentent aucun angle mort, contrairement aux tours et donjons antérieurs de plan quadrangulaire. Voici encore une surprise réservée par les sondages archéologiques : il est désormais tout à fait plausible d'affirmer que le site castral de Condé-sur-l'Escaut constitue un archétype de l'évolution du château-fort en Hainaut et vraisemblablement au-delà.

Le site présente, à travers ses états romans et gothiques, l'évolution de l'architecture castrale à travers les siècles (dernière modification au XVIIe siècle) : pour preuves, deux états de courtine et les fondations d'une tour gothique mises au jour.

La tour gothique

À l'angle sud-ouest, les substructions d'une tour postérieure au XIIe siècle réapparaissent et confirment l'évolution rapide du site castral. La tour d'angle rythme ici la courtine de ce que l'on appellera la basse-cour. La superficie de cette dernière semble démesurée, prouvant l'intense activité qui devait y régner : four, écuries, habitations diverses, granges et autres bâtiments fonctionnels y prenaient vraisemblablement place, tous adossés au côté intérieur des courtines. Ces bâtiments devaient être construits en bois, ce qui expliquerait qu'on n'en trouve guère trace, hormis sur des croquis médiévaux.

La tour découverte présente un détail intéressant : elle repose sur une base plus large dont le rétrécissement est obtenu par l'insertion d'un parpaing tranché sur la coupe. Cette forme en sabot se retrouve sur d'autres tours construites à la même époque, notamment sur la tour de Villers, à Bruxelles, ouverte à la gorge. Le rattachement à la courtine, en retrait, fonctionne sur le même schéma. Cependant, à Condé, la courtine se prolonge contre le flanc intérieur de la tour et rejoint le sol par un escalier permettant l'accès au chemin de ronde et à l'intérieur de la tour.

Enfin, l'appareil de la courtine est différent et permet de croire à une construction d'époque vraisemblablement antérieure.

De nos jours, seuls des éléments, remaniés et postérieurs au XIIe siècle, demeurent.

État actuel

Aujourd'hui, le château des d'Avesnes a bien changé. Nicolas ne le reconnaîtrait pas. Autour du châtelet d'entrée, cinq tours philippiennes demeurent :

  • la tour du Dragon ;
  • la tour Mahaut (du nom de l'épouse de Nicolas d'Avesnes, Mahaut de Namur) ;
  • la tour Nicolas, plus grosse que les autres, posée sur le point de confluence de la Haine et l'Escaut ;
  • une tour posée sur la courtine, entre la tour Nicolas et l'arche permettant à l'eau de l'Escaut, par un petit canal, de pénétrer dans l'enceinte jusqu'au pied du donjon. Nous l'appellerons « Tour de l'Escaut » ;
  • la dernière tour en élévation, en triste état, se trouve près du moulin de Croÿ. Nous l'appellerons « tour du Moulin ».

Depuis quelques années, le châtelet accueille des logements à usage d'habitation. Cette surprenante destination ne manque pas de charme, rendre aux vieilles pierres une fonction sociale, et permet de croire à une renaissance économique des lieux. Enfin, entre le châtelet d'entrée et la tour du Moulin se trouve précisément le moulin dit de Croÿ. Ce moulin à eau, vraisemblablement construit ou reconstruit entre 1484 et 1514 par Jean d'Oettingen, ne présentait pas à l'origine de tour « pigeonnier ». En 1775, le moulin est remanié et se voit adjoindre une tour. Après la révolution, cette dernière sert de pigeonnier jusque la Première Guerre mondiale.

Et maintenant ?

De nouvelle fouilles sont en cours d'exécution sous la gouverne de Lionnel Droin pour mettre à découvert les fondations des deux chapelles pour ensuite expliquer la manière dont elles ont été construites. Les fouilles devraient durer minimum 3 ans. Une première période de 15 jours a été effectuée durant les vacances d'avril 2008 ; et les fouilles devraient reprendre au mois d'août.

Une évolution architecturale compréhensible

Le passage d'un point de vue architectural du roman au gothique est, à Condé-sur-l'Escaut, désormais explicable. Au XIIe siècle, un château typiquement roman voit le jour. La chronique de Gislebert de Mons, chancelier du comte de Hainaut, Baudouin V le Courageux, le confirme. Le donjon, bâtiment principal du site castral, constitue l'ultime refuge de la défense. Son architecture se consacre entièrement à la protection. Le rez-de-chaussée est constitué d'un étroit et unique passage parementé en pierre. Les murs, au niveau du premier étage, présente une largeur d'environ deux mètres. Le passage, du donjon à l'intérieur du périmètre constitué par la chemise, se fait par un étroit couloir d'un mètre de largeur, situé à l'arrière du bâtiment (sud). Il est aisé d'imaginer, comme à la tour du Burbant, à Ath (Belgique), un bâtiment s'étageant au moins sur deux ou trois niveaux et comportant l'aula, la grande salle du conseil, et, au dernier degré, la camera, appartement privé des locataires du site.

L'organisation architecturale du donjon et de sa chemise étaye davantage encore la priorité défensive du donjon. La chemise n'a pas pour vocation de le protéger. Elle fonctionne avec lui et en complément de son action, pour servir d'ultime refuge aux défenseurs du confluent formé à cet endroit par l'Escaut et son affluent, la Haine. Une simple observation permet en outre de constater que la chemise est acculée contre l'angle formé par le confluent. La fortification condéenne s'organise en trois temps : un solide bâtiment principal renforcé par une chemise à renfort aux ruptures d'angle, le tout appuyé par la défense naturelle constituée par l'Escaut et la Haine. La fortification naturelle complète avantageusement la fortification humaine.

On pénètre à l'intérieur du périmètre castral (diamètre d'environ 30 à 40 mètres) par le donjon. La largeur du pas de la porte du donjon roman (1,85 m) le démontre, ainsi que les traces d'usure sur les pierres de seuil. La « salle voûtée » décelée sous le donjon n'est vraisemblablement, à l'origine, qu'une sorte d'entrée principale complétée par une salle des gardes où, après avoir franchi un pont de bois, le visiteur vient se présenter.

De nouvelles interrogations possibles

À ce titre, mais il faudra ici une confirmation scientifique, il est permis de penser que le petit canal intérieur (visible sur toutes les vues médiévales connues et sur l'essai de reconstitution au XVIIe siècle), se prolongeait au XIIe siècle jusque la Haine. Le sens de l'écoulement des eaux de l'Escaut et de son affluent tend de toute évidence à confirmer cette hypothèse. Alors, le château roman aurait bénéficié du redoublement d'une ceinture d'eau. Notons ici que c'est d'ailleurs l'aménagement qu'ont choisi les ingénieurs de Jean d'Oetingen (seigneur de Condé-Bailleul), à la fin du XVe siècle, pour entourer le château gothique d'une ceinture d'eau : le seuwoir (canal) créé prenant le nom de Haynette (petite Haine). La théorie n'est donc pas dénuée d'intérêt et son exploration permettrait de comprendre encore mieux le fonctionnement du château roman. Une fouille archéologique approfondie devrait infirmer ou confirmer l'assertion. Au XIIIe siècle, l'évolution du château roman en château gothique, de type philippien, commence.

Dès le XIIIe siècle, sous l'impulsion de Philippe II Auguste, époux d'Isabelle de Hainaut, un nouveau type de château voit le jour en France et en Europe. Un plan géométrique, flanqué de tours rondes, muni d'un châtelet d'entrée, enveloppe le site castral primitif. Des archères percées dans les tours permettent de battre le pied exposé des courtines. Des hourds sont disposés au sommet des tours tandis que les bâtiments fonctionnels s'adossent aux courtines intérieures. L'archétype philippien est un quadrilatère rythmé de tours circulaires aux angles des courtines, le plus souvent rectilignes. Au centre vient prendre place la tour principale, le donjon. Parfois, la tour plus puissante prend place à un des angles.

Datation du passage du roman au gothique

Or, voici exactement la configuration que prend le château fort de Condé en Hainaut. La date exacte de son adoption du style philippien est difficilement évaluable, d'autant que l'évolution architecturale s'étale de toute évidence sur plusieurs décennies, sinon davantage. Cependant, il est permis de penser que l'achèvement de la refonte du château peut dater de la fin du XVe -début du XVIe siècle, quand Jean d'Oetingen, seigneur de Bailleul (l'autre seigneurie condéenne) réorganise, à l'instigation du comte régent de Hainaut, Aubert de Bavière, la Batellerie et le saut de la Haine dans l'Escaut. Condé et sa corporation de bateliers causaient en effet bien des difficultés à la liberté du trafic fluvial entre Mons et Gand. Le contrôle de ce point névralgique qui nécessitait le querquage-déquerquage (débarquement-rembarquement, de querque, signifiant barque, en Rouchi) des marchandises fut réorganisé au pied du château, entre la tour du Dragon et la tour Nicolas.

En toutes hypothèses, lorsque paraît la vue de Condé conservée par les archives de l'État à Mons (au XVIe siècle), la métamorphose commencée au XIIIe siècle, est achevée. L'ancien donjon roman est maintenant isolé au milieu de la vaste enceinte gothique. Sa chemise a disparu. Le canal intérieur, sans autre intérêt qu'esthétique, a été remanié et relie le donjon à l'Escaut, franchissant la courtine sous un arc de décharge. Le modèle philippien s'empare du site. Le plan du château adopte la forme générale d'un rectangle (environ 125 m. sur 90). Face à l'entrée principale de la tour César, une porte-châtelet est édifiée. Cinq tours d'angle de plan circulaire et trois tours semi-circulaires sont en place, séparées d'une courtine de 40 mètres de longueur en moyenne. La tour Nicolas, stratégiquement placée dans l'angle du confluent, est plus forte que les autres. C'est désormais elle qui doit assumer le rôle d'ultime réduit, renvoyant l'ancien donjon à la fonction plus modeste de résidence. La métamorphose est achevée.

Condé, un archétype de la politique castrale en Hainaut

Condé vient de se faire rattraper par son destin. Le site castral, présentant des états roman et gothique, fait de la petite cité hainuyère l'archétype de la politique castrale en Hainaut. Cet article montre que l'Histoire réserve vraisemblablement encore davantage d'étonnements à Condé. Il reste alors aux chercheurs et aux amoureux de l'histoire et de l'architecture médiévales à espérer la programmation de vraies fouilles archéologiques. Car la vérité historique réside souvent bien près de nous, à deux ou trois mètres sous terre... Mars 2005.

Bibliographie

  • Bruno Carpentier, Condé-sur-l'Escaut, le Pagus condatensis' - SOPAIC 2004 - Charleville-Mézières. http://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Carpentier
  • Bruno Carpentier, Le Quesnoy, l'archétype du Hainaut - SOPAIC 2005 - Charleville-Mézières
  • La chronique de Hainaut rédigée par Gislebert de Mons, chancelier du comte Bauduin V, (1040-1195) - Traduite en français par Godefroy Ménilglaise - 1874, à Tournai (Belgique, chez Malo et Levasseur)
  • Voir aussi les archives de l'État, à Mons (Belgique - Province de Hainaut)
  • Les archives départementales du Nord, à Lille (France - Nord - 59)
  • La bibliothèque de Valenciennes (France - Nord - 59)

50°26′49″N 3°35′27″E / 50.44694, 3.59083

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