Brockden Brown

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Charles Brockden Brown

Charles Brockden Brown

Charles Brockden Brown (17 janvier 1771 - 22 février 1810), romancier, journaliste, historien et éditeur américain. Le milieu universitaire américain le considère comme le premier écrivain professionnel des Etats-Unis, et premier auteur gothique américain.

C’est le plus étudié des auteurs de l’« early American novel », c'est-à-dire les écrits (pas seulement les romans) publiés entre 1789 et 1820. Brown ne fut en aucun cas le premier écrivain américain, comme certains critiques ont pu le déclarer. Toutefois, l’étendue et la complexité de ses travaux dans des genres divers et variés (romans, nouvelles, essais, articles, historiographie, revues de livres, poésie …) en font une figure majeure de la littérature et de la culture américaine du XVIIIe et XIXe siècles, ainsi qu’un intellectuel alors plus reconnu en Europe que dans son pays natal.

Bien qu'il abandonnât vite l'écriture fictionnelle au profit d'écrits historiques et politiques, il est d'autant plus important par son choix de devenir auteur à une époque où écrire et publier était pratiquement impossible dans l'Amérique nouvelle.

Sommaire

Les débuts : 1771-1798

Brown était le quatrième enfant d’une grande famille marchande Quaker de Philadelphie. Son père, Elijah Brown, qui venait de comté de Chester (Pennsylvanie), travaillait dans l'immobilier, sans grand succès. Les deux frères aînés, Joseph et James, ainsi que le benjamin, Elijah Jr., travaillaient dans l’import-export. Brown devint leur partenaire sans vraiment le vouloir. Le contexte mercantile de la famille, ses expériences du libre-échange, les conflits commerciaux à l'époque révolutionnaire sont capitaux pour comprendre les écrits journalistiques de Brown. En effet, il s’est beaucoup axé sur le commerce à cette époque, en particulier sur son rôle dans la transition historique du républicanisme civique du 18è au « laissez-faire » du libéralisme, au capitalisme et à l’impérialisme du 19ème siècle.

Même si sa famille avait décidé pour lui qu’il serait avocat, Brown abandonna le droit en 1793 après un apprentissage très court. Il se dirigea vers un cercle de jeunes intellectuels basés à New York, qui l’aidèrent à lancer sa carrière littéraire. Ce groupe était composé de jeunes hommes de profession libérale, qui se faisaient appeler le « Friendly Club ». Certaines amies ainsi que des proches se sont eux aussi investis dans cet échange intellectuel progressiste, et dans leurs conversations culturelles et politiques.

Durant la majeure partie des années 1790, Brown développa ses ambitions littéraires dans des projets inachevés pour la plupart. Il utilisa fréquemment sa correspondance avec des amis comme laboratoire pour des expériences narratives. Ses premières publications commencèrent à la fin des années 1780, avec The Rhapsodist. En 1798, ses années de réflexion le menèrent à une période intense d’écriture de romans. L'abandon d'une carrière libérale au profit de l'écriture était un gros risque pour l'époque, car les romans étaient importés d'Angleterre et de France, ce qui revenait beaucoup moins cher aux éditeurs que de publier des oeuvres nouvelles américaines. Toutefois, Brown réussit avec beaucoup de difficulté à publier les titres qui l’ont rendu célèbre.

Les romans : 1798-1801

L’écriture de romans dura à peine trois ans, de 1798 à la fin 1801. Il publia le dialogue féministe Alcuin d’inspiration Wollstonecraftienne en 1798, puis sept romans consécutifs, marqués par les idées progressistes tirées des oeuvres de penseurs britanniques radicaux et démocratiques, à savoir Mary Wollstonecraft, William Godwin, Thomas Holcroft et Robert Bage. Brown fut influencé par ces penseurs, et les influença en retour, particulièrement Godwin. Il eut aussi un grand impact sur Percy Bysshe Shelley et Mary Shelley, qui relut les romans de Brown avant de composer son Frankenstein en 1818. Un autre fut écrit puis perdu. Voici les titres des romans dans l’ordre de publication :

  • Sky-Walk; or, The Man Unknown to Himself (complété en mars 1798, mais jamais retrouvé dans son intégralité)
  • Wieland; or, the Transformation (Septembre 1798)
  • Ormond; or, the Secret Witness (Janvier 1799)
  • a) Arthur Mervyn; or, Memoirs of the Year 1793 (Mai 1799)
  • Edgar Huntly; or, Memoirs of a Sleep-Walker (Août 1799)
  • Memoirs of Stephen Calvert
  • b) Arthur Mervyn; or, Memoirs of the Year 1793, Deuxième partie (Septembre 1800)
  • Clara Howard; In a Series of Letters (Juin 1801)
  • Jane Talbot; A Novel (Decembre 1801)

Les influences

Tous les romans de Brown combinent plusieurs types de fiction avec le savoir scientifique et médical de l’époque. Il y développe les modèles radicaux-démocratiques de Wollstonecraft, Godwin et Holcroft pour les combiner avec des éléments du gothique « Schauer-romantik » allemand (Schiller), les fictions sentimentales de Rousseau, Sterne ou Samuel Richardson, les romans domestiques de Hannah Web Foster, et d’autres genres comme le récit de captivité par les colons américains (Mary Rowlandson).

L'influence la plus forte est certainement celle des romans gothiques anglais de Horace Walpole, Ann Radcliffe et de Matthew G. Lewis. On y retrouve un schéma manichéen scélérat/jeune femme innocente et vertueuse, avec un mouvement de poursuite dans un décor inspirant la terreur (château en ruine, cave sombre, couloirs tortueux...) Ceci n'était rendu possible aux auteurs anglais que par leur situation historique et géographique : l'Europe avait déjà une histoire, permettant d'écrire sur d'anciens châteaux, des vestiges d'un passé lointain; et la distance entre les pays du vieux continent permettait aux Anglais, plutôt austères, d'écrire par exemple sur les Italiens, leur sensualité et absence de principes moraux. Ainsi, leurs oeuvres étaient pour l'époque doublement exotiques. Ce gothique est également caractérisé par un recours à l'irrationnel, qu'il soit développé jusqu'au burlesque dans le cas du Moine de Lewis avec l'apparition du Diable en personne, ou sagement expliqué chez Radcliffe à la fin de ses romans, dénonçant une inclination ridicule à la superstition chez ses personnages.

Les variations de Brown

Brown avait lu ces romans. Son but : écrire, mais pas à la façon des deux ou trois auteurs américains de son époque qui avaient composé des romans de veine sentimentaliste ressemblant fortement aux oeuvres européennes. Il voulait une littérature proprement américaine. La mode étant au gothique et marqué lui-même par un caractère mélancolique et une envie d'inculquer des principes moraux en usant la terreur, il entreprit une adaptation du gothique dans son pays natal.

Il opère donc une transposition des courses-poursuites édifiantes dans le paysage américain, les villes dévastées par la fièvre jaune et la "wilderness", l'espace sauvage à l'Ouest de la Frontière, s'y prêtant particulièrement bien. Cette variation lui permet de situer ses intrigues dans un cadre que beaucoup d'Américains de l'époque ne trouvaient pas du tout exotique, puisque c'était là la même wilderness et les mêmes villes qu'ils connaissaient. Cette impression de proximité fut une des raisons de l'absence de succès de Brown de son vivant. De plus, il introduit un paradoxe et une complexité inhérents à ses personnages. Le manichéisme entre le mal (scélérat) et le bien (héroïne), parfois faible dans les romans anglais, est encore atténué par Brown, qui lui préfère un état constant de doute sur les qualités morales des héros et sur leur santé mentale. Ses romans étant toujours écrits à la première personne, le lecteur ne peut que douter de ces narrateurs qui tentent de raconter leurs histoires terrifiantes alors qu'ils sont toujours sous le joug de l'émotion. Enfin, Brown n'a pas recours au surnaturel. Ses motifs sont souvent les mêmes : le ventriloquisme, le somnambulisme, la perte de la raison, la folie meurtrière, le fanatisme religieux. Il les explique néanmoins toujours, non comme des concours de circonstances comme le faisait Ann Radcliffe (il y a un bruit dans le couloir, l'héroïne croit à un fantôme, ce n'était que quelqu'un de caché), mais comme le résultat d'un processus mental complexe dans le cas de la folie, et comme un phénomène scientifique pour le ventriloquisme et le somnambulisme.

Tous ces traits expliquent pourquoi Leslie Fiedler, qui a remis Brown à la mode en 1960 dans son livre Love and Death in the American Novel, l'a qualifié d'auteur gothique américain. Pourtant, il faut garder en tête que Brown n'a pas juste imité un courant, mais l'a adapté et finalement bien modifié, et que son but profond était une réflexion psychologique et morale sur ses personnages et leurs réactions en cas de danger, et sur les origines de leurs actions. Il est notable que Edgar Allan Poe et Nathaniel Hawthorne aient considéré ces quatre romans comme la fondation même de la littérature américaine. C'est là, semble-t-il, que les motifs toujours visibles aujourd'hui dans la culture américaine (suicide, désespoir, doute, errance) sont nés.

L'abandon du roman noir et l'activité éditoriale

Ecrire de la fiction était très mal vu à la fin du XVIIIe siècle. Tous les Américains étaient concernés par la construction d'un pays neuf, qui venait de se libérer du joug anglais. Selon l'éthique puritaine, seuls le travail, la fructification financière et une attention tournée tout entière vers le réel pouvaient permettre leur succès. La fiction allait à l'encontre de cette vue : écrire des romans était alors synonyme d'échappatoire à la réalité, de création de mondes parallèles dans lesquels s'oublier. Brown, malgré son origine Quaker et son ambition littéraire, fut très sensible aux critiques. Non seulement il avait du mal à être publié, mais il n'était quasiment pas lu, et ceux qui le lisaient (surtout sa famille) lui adressaient des critiques acerbes et morales. Il continua d'écrire jusqu'à 1801, mais le ton avait changé dès 1800. Il écrit dans une lettre à son frère James en 1800 :

"Vos remarques sur le caractère sombre et extraordinaire des événements décrits dans Edgar Huntly, même si elles ne m'apparaissent pas totalement fondées, sont néanmoins assurément comparables à celles que risque de formuler la majorité des lecteurs, ce qui en soi constitue une raison suffisante pour abandonner le ton mélancolique et en adopter un plus léger, ou au moins pour substituer les motivations morales et les incidents du quotidien au prodigieux et à l'étrange. Je suis résolu à partir d'aujourd'hui à ne plus poursuivre cette inspiration." [1]

Brown continue la fiction pour quelque temps. Stephen Calvert, peu lu jusqu’à la fin du XXe siècle, est notable par son traitement exclusif de l’homosexualité. Clara Howard et Jane Talbot sont, en regard des quatre romans noirs précédents, considérés comme des travaux plutôt conventionnels, bien distincts des romans précédents par leur retour à une forme épistolaire classique et leur sujet (des intérêts domestiques). Malgré les critiques affirmant une cohérence générale propre à ses sept romans, il est difficile de nier que ces deux oeuvres restent derrière en termes de qualité d'écriture. Il se tourne progressivement alors vers l'édition et le journalisme. Il devient éditeur et, avec l’aide de ses amis du cercle New Yorkais, il publie plusieurs courts articles pour le Monthly Magazine and American Review d’avril 1799 à décembre 1800, et pour son successeur éphémère, The American Review and Literary Journal (1801-1802). Enfin, à côté de ces deux périodiques New Yorkais, il publie des extraits de sa fiction (dont le seul fragment restant de Sky Walk) dans un magazine de Philadelphie.

Les critiques, et particulièrement celles de sa famille Quaker, le taraudent toujours. Dès 1801, il opère un détachement presque complet de la fiction. Il n'écrira plus de romans. Il indique même à ses lecteurs du Literary Magazine and American Register :

"Je suis loin de souhaiter que mes lecteurs jugent de mes capacités à l'aune de mes productions antérieures [...]. Je me respecterais aujourd'hui bien davantage si aucun mot n'eût jamais été tracé par ma plume ou qu'on ne pût jamais m'en attribuer la paternité." (ibid, pp.23-24)

Histoire et Fiction : le noyau de l'écriture de Brown

Brown explique bien sa technique et son projet d’écriture dans des essais tels que « Walstein’s School of History » (1799) et « The Difference Between History and Romance » (1800). Il y explique que ses romans combinent fiction et histoire, plaçant des individus ordinaires (comme Arthur Mervyn ou Edgar Huntly) dans des situations historiques dramatiques (l’épidémie de fièvre jaune de 1793 ou la violence colons/Indiens) afin d’éduquer son public sur la variété des réactions humaines (morale, vertueuse, ou inhumaine) face à un drame historique. Son but est ainsi d’éduquer ses lecteurs et de prendre part au débat culturel et idéologique de l’époque.

La recherche sur Brown

Après sa réhabilitation par Leslie Fiedler dans les années 1960 aux Etats-Unis, Brown continue d'être étudié par les universitaires, surtout américains, français et allemands. C'est surtout sur ses articles et ses positions historiques, politiques et géographiques que les recherches se portent, révélant une conscience aiguë de l'évolution de son pays.

Notes et références

  1. in Amfreville,Marc. Charles Brockden Brown : La Part du Doute, p.21

Bibliographie

Œuvres de Charles Brockden Brown

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