Procédure de notification et de retrait de contenu illicite sur Internet en France

Procédure de notification et de retrait de contenu illicite sur Internet en France

La procédure de notification de contenu illicite sur internet est un dispositif de la loi française pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004[1] dite loi LCEN. Elle a pour but d'obtenir le retrait du contenu illicite ou le blocage par l’hébergeur du site internet concerné, et ce, avant toute intervention de l’autorité judiciaire.

En effet, l’article 6, I, 5 de la loi LCEN dispose : « 5. La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2[2] lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

  • la date de la notification ;
  • si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
  • les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
  • la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
  • les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
  • la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».

Cette possibilité de porter à la connaissance du fournisseur d’hébergement l’existence de contenus illicites fournis par des destinataires de ses services apparaît comme le pendant du fait qu’aux termes de ce même article 6, la responsabilité civile du fournisseur d’hébergement ne peut pas être engagée, s’il n’est pas établi qu’il avait « effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère » ou si, dès le moment où le fournisseur d’hébergement a eu connaissance de ce caractère manifestement illicite, il n’a pas « agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible »[3]. Cette notification crée donc une présomption d’acquisition de la connaissance du caractère illicite du contenu par le fournisseur d’hébergement.

Cette procédure est très largement inspirée de la procédure de "notice and take down" introduite aux Etats Unis par le Digital Millennium Copyright Act[4] et répond aux exigences de transposition de la directive européenne du 8 juin 2000[5].

Dès le début du processus de discussion la loi LCEN, de nombreux groupes français de protection des droits de l’homme, notamment IRIS et la LDH[6], ont dénoncé cette procédure comme légitimant un véritable système de "justice privée" risquant de porter atteinte à la liberté d’expression, d’information et de communication et au droit à un procès équitable de l’auteur ou éditeur du contenu qui sera censuré par une partie privée, de façon arbitraire, sans intervention judiciaire.

En application de l’article 6 de la loi LCEN, saisi par un tiers d’une demande de suppression d’un contenu qu’il considère illicite, le prestataire d’hébergement doit décider d’accéder ou non à cette demande, au risque de voir sa responsabilité engagée (contrairement au dispositif américain de "notice and take down procedure", la loi LCEN ne prévoit pas de contre notification permettant à l’auteur de bonne foi d’un contenu retiré, d’obtenir que ce contenu soit rapidement rendu de nouveau disponible en ligne).

Ainsi, la responsabilité de l’hébergeur ne résulte plus simplement de son inaction suite à la saisine de l’autorité judicaire, mais du défaut de réaction rapide lorsqu’il a effectivement eu connaissance du contenu illicite, ou de « faits et circonstances » révélant ce caractère illicite. Mais le prestataire ne devrait pas voir sa responsabilité engagée s’il refuse de retirer des contenus, lorsque ceux-ci ne lui apparaissent pas manifestement illicites, malgré la notification qui lui aura été faite, notamment si « les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits » ne lui apparaissent pas suffisamment précis et probants.

C’est ce qu’a considéré le Conseil Constitutionnel[7], ce dernier ayant validé l’introduction de cette procédure dans la législation française, en précisant que l’hébergeur conserve un pouvoir d’appréciation : « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge ». Reste que la notion d’information manifestement illicite n’est pas précisément définie.

Le législateur a défini la liste des éléments qui doivent impérativement figurer dans la notification, à l’effet de garantir un caractère suffisamment précis et sérieux à la demande de retrait ou de blocage, et permettre de filtrer d’éventuelles demandes fantaisistes.

En outre, ce dispositif est complété par l’alinéa précédent qui prévoit une sanction pénale, en cas de demande de retrait abusive, l’article 6, I, 4 de la loi LCEN disposant que : « 4. Le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 Euros d'amende ».

Le risque de la sanction pénale encourue en cas de dénonciation abusive doit permettre de renforcer la crédibilité des notifications adressées aux hébergeurs.

S’agissant du délai dans lequel le fournisseur d’hébergement doit réagir à une notification qui lui est adressée, l’appréciation de la prompte réaction de l’hébergeur se fait au cas par cas par les tribunaux. A titre d’exemple, par ordonnance de référé du 13 mars 2008, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse a retenu la responsabilité de l’hébergeur qui n’a pas suspendu l’accès au contenu litigieux, le jour même où il a été informé du caractère illicite dudit contenu[8].

Notes et références

  1. Loi pour la confiance dans l'économie numérique, n°2004-575 du 21 juin 2004, dite loi LCEN ou encore loi LEN, JO 22 juin 2004
  2. Il s’agit des hébergeurs définis au 2 du même article comme « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »
  3. Article 6, I, 2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoyant un régime de responsabilité restreint, dispensant les hébergeurs de toute obligation générale de surveillance active des contenus qu’ils mettent à la disposition du public : « 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible »
  4. DCMA, loi américaine promulguée aux Etats Unis le 28 octobre 1998, visant à établir une législation sur le droit de la propriété intellectuelle, adaptée à l'ère numérique
  5. Directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), voir les articles 14-2 et 21-2
  6. IRIS : Imaginons un réseau internet solidaire, association régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège est établi à Paris 20e, 40 rue de la Justice LDH : Ligue des droits de l’Homme, association régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège est établi à Paris (18e), 138 rue Marcadet
  7. Décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2004, n° 2004-496, JO 22 juin 2004
  8. TGI Toulouse, ordonnance de référé, 13 mars 2008, Krim K. / Pierre G., Amen. En l’espèce, la société Amen avait reçu une notification le 8 février 2008 et avait attendu le 12 février pour cesser la diffusion. Le premier vice président du TGI de Toulouse, a estimé que l’hébergeur aurait du agir dès le vendredi 8 février, l’excuse du week-end n’ayant pas à être prise en compte, s’agissant d’un site accessible 24 heures sur 24 (il a été fait appel de cette décision)

Bibliographie

  • Vincent Fauchoux, Pierre Deprez, Droit de l’internet, Lois, contrats et usages, éd. Litec Professionnel 2009, n° 341 et suivants
  • Christiane Féral-Schuhl, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’internet, 5ème édition, éd. Praxis Dalloz 2009-2010, n° 114-31 et suivants
  • Bradley Joslove et Olivier Haas, La LEN et les responsabilités des prestataires de l’internet, une transposition sous haute surveillance, Expertises, décembre 2004

Liens externes


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