L’île de Sakhaline

L’Île de Sakhaline est un compte rendu d’Anton Tchekhov sur les conditions d’existence des bagnards dans cette île de l’Extrême-Orient Russe à la fin du 19eme siècle. Il décrit également la géographie, l’histoire, le climat, les richesses naturelles, l’organisation administrative et sanitaire de l’île.

Historique

L’Île de Sakhaline fut initialement publiée dans la revue russe La Pensée Russe dès 1893. L’auteur a séjourné sur place du 5 juillet au 8 octobre 1890, soit trois mois et deux jours. Il n’avait aucune autorisation officielle pour visiter les bagnes, il y alla en tant que correspondant du journal russe Temps Nouveaux^[1]

Voyage pour arriver à Sakhaline

Parti de Moscou la deuxième quinzaine d’avril 1890, il arrive à Nikolaïevsk-sur-l'Amour le 5 juillet 1890^[2], il utilise pour traverser la Russie le train puis le bateau pour traverser le lac Baïkal, les barques et divers attelages. En effet le transsibérien reliant Moscou à l’océan Pacifique ne sera achevé qu’en 1894. Il traverse la manche de Tartarie, le bras de mer séparant l’île du continent sur le navire MS «Baïkal». Ce voyage fera l'objet d'un livre Notes de Sibérie.

Généralités sur l'île

L'île a été visitée en 1805 par Johann Adam von Krusenstern en mission pour le Tsar. Il découvre le peuple autochtone les Aïno qu'il décrit comme « un peuple doux, modeste, bienveillant, confiant, sociable, poli, respectueux du bien d’autrui, franc qui ne supportent pas la duperie, des qualités aussi rares, dont le mérite ne revient qu’à la nature, et non à l’élévation morale d’un éducateur, ont éveillé en moi la sensation que je considérais cette peuplade comme supérieure à toutes celles que j’ai connues à ce jour»^[3].

Par un accord de 1867, l’île est la propriété conjointe de la Russie et du Japon. En 1875 les japonais abandonnent leur droit sur l’île en échanges des îles Kouriles, en effet les Japonais n'ont jamais voulu annexer l'île, seule la pêche les intéressait^[4]. Le climat est rude, le relevé des températures prises de 1880 à 1890 indique, de novembre à mars de -5° à -19°C et en été de +11° à +17°C, des pluies un jour sur deux, il peut se passer plusieurs semaines sans soleil. La seule richesse de l'île est la pêche, il y a en 1890 énormément de saumons qui remontent les rivières et une quantité phénoménale de harengs qui passent devant l’île en avril.

La ville principale, Aleksandrovsk-Sakhalinski compte trois mille habitants. Ils cultivent exclusivement la pomme de terre.

Arrivée sur l’île et début de l’étude

Le premier contact avec les déportés est la rencontre avec un condamné qui débarque accompagné de sa fille de cinq ans. Cette pratique est admise et encouragée par l’administration, qui y voit un moyen de peupler l'île. La première ville visitée est Alexandrovsk, le climat est rude, il s’arrête de neiger en mai et le soleil est rare l’été. Il rend visites aux autorités, le commandant de l’Île, le général Kononovitch et le gouverneur général le baron Korff. Il leur dit qu’il n’est pas là pour un journal, aussi on lui donne un laissez-passer pour visiter toutes les prisons sauf à avoir contact avec les prisonniers politique. Il constate rapidement que les forçats sont partout et servent de main d’œuvre gratuite.

Recensement

L’auteur commence une espèce de recensement des forçats, dix mille fiches vont être remplies et sont actuellement conservées à la bibliothèque Lénine de Moscou^[5].

• 1ere ligne Nom du poste ou de la colonie.
• 2eme ligne Numéro cadastral de la maison.
• 3eme ligne Qualité du recensé : Forçat, relégué, paysan proscrit, citoyen libre.
• 4eme ligne Prénom, patronyme, nom de famille + lien avec le propriétaire de l’isba.
• 5eme ligne âge.
• 6eme ligne religion.
• 7eme ligne lieu de naissance.
• 8eme ligne année d’arrivée sur l’île.
• 9eme ligne profession ou occupation principale.
• 10eme ligne niveau d’instruction – savez vous lire ?
• 11eme ligne situation de famille. – beaucoup de couples illégitimes ou union libre, les autorités ne disent rien pour favoriser les naissances, donc le peuplement de l’île.
• 12eme ligne recevez vous des subsides de l’état ?

Conditions de vie des bagnards

Le bagnard arrive sur l'île avec une condamnation à des travaux forcés. Après son temps de prison, la bagnard change de statut et devient colon relégué, il est envoyé se fixer dans un endroit défini par l’administration locale. Cette dernière recherche sans arrêt des «nouveaux points de peuplement» pour les relégués. après 10 ans (6 pour les femmes) de «colon relégué» on passe «paysan»^[6], on peut alors quitter l’île et s’installer en Sibérie à ses frais mais il est interdit de retourner dans sa région d’origine. Comme tous veulent partir, il y a très peu d’habitants de longue date sur l’île. Sauf problème de comportement du bagnard, le gouvernement local diminue généralement les peines de prison pour accélérer le peuplement de l'île.

En prison, les détenus ne portent ni chaines ni d’uniformes, ils vaguent à leurs occupations dans les limites de la prison. L'auteur décrit les mesures d’hygiène, les lieux d’aisance qui sont d’une puanteur suffocante, l’organisation de la prison, de la vie des prisonniers, des relations entre prisonniers, par exemple le taux d’usure de 10% par jour. Toutes les administrations emploient un nombre important de prisonniers sans réels nécessité. Le docteur chez qui l’auteur habitait employait à son domicile quatre prisonniers, un cuisinier, un portier, une femme de chambre et une fille de cuisine. Tel inspecteur des prisons avait huit personnes à son service. Bref selon l’auteur ce n’est plus du travail forcé ou l’on sert la collectivité mais un retour vers le servage ou l’on sert un particulier.

Les Femmes bagnards

Il y a sur l’île 25 femmes pour 100 hommes^[7]. Au début de l’existence du bagne les femmes condamnées allaient, dès leurs arrivées, servir dans une maison de tolérance^[8].

Actuellement elles sont réparties sur l’île, domestique chez des fonctionnaires ou affectées comme femme à un paysan avec mariage dès l’arrivée au village. Les autorités promettent des femmes aux communautés de paysans, globalement ces femmes mariées de force sont contentes de leur sort et de leur nouveau mari. Elles pensaient faire des travaux forcés, elles se retrouvent ménagère dans une isba avec un mari qui se conduit bien, leur faible nombre oblige les hommes qui ont une femme à bien se conduire avec elles, s’il la perd, qui va coudre, faire à manger, etc…. ?

En ce qui concerne les femmes qui suivent leurs maris condamnés, 697 cas en 1890, elles viennent par amour, pitié ou pour fuir le village et échapper à la honte. Quand elles arrivent elles pleurent nuit et jour, l'obsession est de trouver de la nourriture, beaucoup, sinon toutes se prostituent pour joindre les deux bouts, «en payant de son corps» pour des pièces de 10 kopeck. Les filles sont obligés de se prostituer dès 14 ans.

Extraits

• Page 156 L’exceptionnelle dureté des travaux de la mine tient dans l’ambiance, la bêtise et la malhonnêteté des gradés inférieurs, qui font qu’à chaque pas, les détenus ont à souffrir l’arrogance, l’injustice et le caprice. Les riches détenus prennent le thé, les pauvres travaillent et le surveillant trompe ses supérieurs.

Notes et références

1. ↑ L'Île de Sakhaline, page 13, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
2. ↑ L’Île de Sakhaline, page 9, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
3. ↑ L’Île de Sakhaline, page 261 et 262, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
4. ↑ L’Île de Sakhaline, page 261, 263, 264, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
5. ↑ Dictionnaire Tchekhov, page 256, Françoise Darnal-Lesné, Édition L'Harmattan, 2010, (ISBN 978 2 296 11343 5)
6. ↑ L’Île de Sakhaline, page 277, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
7. ↑ L’Île de Sakhaline, page 286, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)
8. ↑ L’Île de Sakhaline, page 288, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9)

Édition française

• L'Île de Sakhaline, préface de Sophie Lazarus, Éditions cent pages, Grenoble 2003, (ISBN 2-906724-45-9).