Le Conte du genévrier

Le Conte du genévrier
Le Conte du genévrier
Conte populaire
Titre Le Conte du genévrier
Titre original Von dem Machandelboom
Autre(s) titre(s) Vom Machandelbaum
Folklore
Genre Conte merveilleux
Aarne-Thompson AT 720
Personnage(s)-type(s) Marâtre
Pays Allemagne
France
Grande-Bretagne
Afrique du Sud[1]
Époque XIXe siècle
Version(s) littéraire(s)
Publié dans Frères Grimm, Kinder- und Hausmärchen, vol. 1 (1812)

Le Conte du genévrier (en dialecte poméranien Von dem Machandelboom[2], en allemand Vom Machandelbaum) est un conte populaire allemand qui figure parmi ceux recueillis par les frères Grimm dans le premier volume de Contes de l'enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen, 1812, n° KHM 47).

L'histoire met en scène deux enfants dont l'un devient le souffre-douleur de sa marâtre, jusqu'à ce que celle-ci commette sur lui l'acte le plus extrême. Le récit fait intervenir un arbre magique, en l'occurrence un genévrier, et une métamorphose en oiseau au chant envoûtant. Il y est question également de Nourriture.

Sommaire

Versions

La version reprise par les frères Grimm a été recueillie en dialecte poméranien (bas allemand) par le peintre Philipp Otto Runge.

Résumé

Un homme riche a une femme belle, honnête et pieuse. Ils s'aiment beaucoup mais, malgré ses prières, la femme ne peut avoir d'enfants. Un jour d'hiver, alors que la femme pèle une pomme sous un genévrier qui se trouve dans leur cour, elle se coupe, et quelques gouttes de sang tombent au pied de l'arbre dans la neige. Alors, elle fait le vœu d'avoir un enfant vermeil comme le sang et blanc comme la neige. Un premier mois passe et la neige a fondu. Un deuxième mois, et tout a reverdi. Un troisième mois, et des fleurs ont poussé. Un quatrième mois, et la vie revient dans la forêt. Après le cinquième mois, la femme se trouve sous le genévrier ; le bonheur l'étreint et elle tombe à genoux quand elle sent sa bonne odeur. Le sixième mois, les fruits se gonflent et la femme devient silencieuse. Le septième mois, elle cueille et mange toutes les baies de genévrier, ce qui la rend triste et malade. Le huitième mois, elle demande à son mari, si jamais elle décède, de l'enterrer sous le genévrier, puis elle s'apaise. Le neuvième mois, elle met au monde un garçon blanc comme la neige et vermeil comme le sang mais, au moment où elle le voit, elle en éprouve un bonheur tel qu'elle en meurt.


Son mari l'enterre sous le genévrier. Sa tristesse disparaît au fil du temps, et il finit par prendre une autre femme. Elle donne bientôt naissance à une fille. La nouvelle épouse est jalouse du premier enfant de son mari ; elle se demande comment faire pour que sa fille soit la seule héritière et, poussée par le Diable, commence à traiter le petit garçon très durement. Un jour, la petite fille demande à sa mère si elle peut avoir une pomme. Les pommes sont conservées dans un coffre, fermé par un couvercle épais, muni d'une serrure tranchante, en fer. La mère lui choisit la plus belle des pommes mais, quand la petite fille lui demande si son frère pourra lui aussi en avoir une, la mère est agacée. Au moment-même, le petit garçon revient de l'école, et la marâtre reprend le fruit à sa fille et le remet dans le coffre. La marâtre, guidée par le Malin, demande alors au petit garçon s'il veut une pomme, ouvre le coffre pour qu'il s'en choisisse une et, d'un coup, rabat le couvercle, si violemment, que la tête du petit garçon est coupée net, et qu'elle roule au milieu des pommes. La femme récupère alors la tête, place le corps de l'enfant sur une chaise devant la porte, et remet la tête sur le cou, en la serrant dans un foulard blanc de façon à ce qu'on ne puisse rien voir, puis elle lui met une pomme dans la main.

La petite Marlène (le nom de la petite fille) vient près de sa mère et lui dit que son frère est assis devant la porte avec le visage tout pâle et une pomme dans sa main. Elle lui a demandé la pomme mais il n'a rien répondu, et la petite a peur. Sa mère, alors, lui dit de lui demander encore et, s'il ne répond toujours pas, de lui flanquer une bonne claque. La petite retourne demander la pomme à son frère et, comme il reste bien sûr toujours silencieux, elle fait ce qu'a dit sa mère, et la tête du petit garçon roule par terre, et la fillette se met à hurler.

Un genévrier. Dans ce conte, des propriétés magiques lui sont attribuées.
Représentation du phénix, extraite du Bestiaire d'Aberdeen (XIIe siècle).

La petite Marlène revient en pleurs auprès de sa mère, en lui disant qu'elle a arraché la tête de son frère. Sa mère lui conseille de n'en rien dire à personne. Elles vont faire cuire le petit garçon en ragoût, à la sauce brune. Ainsi, la mère découpe le garçonnet en menus morceaux, et les larmes de la fillette, qui refuse de s'éloigner, tombent dans la marmite, si bien qu'il n'est plus nécessaire d'y ajouter du sel. Quand le père rentre, il demande où est son fils. Sa femme lui pose la marmite de ragoût devant le nez et lui dit que le petit garçon est parti chez sa grand-tante et qu'il y restera sept semaines durant. Le père mange tout le ragoût ; il n'en veut laisser pour personne, car il lui semble que tout est à lui et doit lui revenir. À la fin du repas, la petite fille va chercher son plus joli foulard et ramasse dedans tous les os et osselets, c'est-à-dire tout ce qui reste de son frère. La fillette part ensuite déposer le baluchon sous le genévrier. L'arbre se met à bouger, un brouillard semblable à du feu en descend, et de ce feu sort un oiseau magnifique, qui s'envole et disparaît dans le ciel. Après cela, le genévrier redevient comme avant. La petite Marlène constate que le foulard a disparu et, comme si son petit frère était toujours vivant, légère et joyeuse, elle rentre à la maison, se met à table et mange.

L'oiseau se pose sur la maison d'un orfèvre et se met à chanter en racontant toute l'histoire. L'orfèvre, qui est en train de fabriquer une chaîne en or, en entendant le chant de l'oiseau qu'il trouve très beau, sort immédiatement de chez lui et est tellement émerveillé qu'il en perd une pantoufle. Il demande à l'oiseau de chanter encore une fois, ce que celui-ci accepte de faire à condition que l'orfèvre lui donne la chaîne qu'il tient toujours en main. Après avoir chanté à nouveau, l'oiseau s'envole, en emportant le bijou dans sa patte droite, jusqu'au toit de la maison d'un cordonnier. Il chante. Le cordonnier et sa femme, puis leurs enfants, et enfin le commis, la servante et le valet sortent pour écouter l'oiseau, très beau, aux plumes rouges et vertes, au cou jaune comme l'or et aux yeux brillants comme les étoiles. Le cordonnier lui demande de recommencer sa chanson, ce que l'oiseau n'accepte de faire qu'en échange d'un cadeau : il obtient une paire de chaussures rouges. Il la prend dans sa patte gauche, et s'envole, avec la chaîne toujours dans sa patte droite, jusqu'à un moulin. Là, vingt garçons meuniers sont au travail. L'oiseau se perche sur un tilleul et rejoue la même scène. À mesure qu'il chante les paroles de sa triste chanson, les meuniers, l'un après l'autre, s'arrêtent de marteler la meule pour l'écouter chanter. À la demande des ouvriers, il chante à nouveau et réclame en cadeau la meule, qu'il emporte autour de son cou comme un collier, puis, enfin, avec toujours la chaîne dans une patte et les chaussures dans l'autre, il regagne la maison de son père.

Alors, dans la maison, le père se sent heureux tout d'un coup, comme s'il allait revoir une vieille connaissance, sa femme se sent effrayée, et la petite Marlène pleure dans un coin. L'oiseau, sur le genévrier, se met à chanter. Le père sent une odeur de cannelle, il se précipite au-dehors, et quand l'oiseau laisse tombe la chaîne en or, celle-ci vient se mettre autour du cou de l'homme. Il rentre. La mère s'évanouit, tandis que la petite Marlène sort à son tour. La petite fille reçoit les chaussures, aussitôt les met, et, tout heureuse, se met à danser. Elle rentre. La mère revient à elle et se sent comme si le monde entier s'anéantissait. Enfin, elle se décide à sortir elle aussi et, sitôt qu'elle a franchi la porte, l'oiseau laisse tomber sur elle la meule, et la femme est réduite en bouillie. En entendant le fracas, le père et la fillette sortent à nouveau, et ils voient, à l'endroit où la mère se trouvait, monter une vapeur, qui se transforme en feu. Quand les flammes ont disparu, le petit garçon est là. Il les prend tous les deux par la main et tous les trois, joyeux, rentrent dans la maison, se mettent à table et mangent.


Classification

Le conte est rangé dans les contes AT 720, selon la classification Aarne-Thompson, correspondant au type « Ma mère m'a tué, mon père m'a mangé ». Sont également de ce type, par exemples, en France, La Mayrastre, conte du Lyonnais, La Mère cruelle et La Mauvaise Mère, contes de Picardie, L'Aubépin fleuri, conte du Nivernais[3]

Parallèles dans d'autres contes

Voir Le Pêcheur et sa femme (KHM 19).

Les quelques gouttes de sang font penser à Blanche-Neige (KMH 53) et à La Gardeuse d'oies (KMH 89). Elles figurent également dans la légende de Perceval.

La grossesse de la mère du petit garçon est décrite de façon symbolique, comme souvent dans les contes. C'est ainsi que, quand Raiponce (KMH 12) est enceinte de son prince et que son ventre grossit, elle demande à la sorcière pourquoi son vêtement commence à la gêner de plus en plus, ceci dans les premières éditions ; dans les éditions suivantes, elle demande pourquoi la sorcière est si lourde à monter à sa natte, alors que le prince, lui, monte en un clin d'œil. Une grossesse est de la même façon décrite de manière symbolique dans L'Enfant de Marie (KMH 3).

Une mère meurt aussi au début de l'histoire dans Les Trois Petits Hommes de la forêt (KMH 13), Cendrillon (KMH 21), Blanche-Neige (KMH 53), Peau d'âne (KMH 65) et Fuseau, navette et aiguille (KMH 188).

Le frère et la sœur symbolisent le côté masculin (actif, raisonné) et le côté féminin (sensible, intuitif) de l'être humain, l'« anima » et l'« animus » (âme et esprit). On peut à ce sujet comparer le conte avec Frérot et Sœurette (KMH 11), Volétrouvé (KMH 51), La Nixe ou la Dame des Eaux (KMH 79), La Noire et la Blanche Épousée (KMH 135) et L'Agnelet et le Petit Poisson (KMH 141).

Le petit garçon est mis « hors-jeu » tout comme dans Hansel et Gretel (KMH 15). Le conte partage de nombreux points communs avec un autre conte, anglais, The Rose-Tree, dans lequel la petite victime est une fillette.

Le fait de réunir les os apparaît dans Frère Loustic (KMH 81).

Un enfant assassiné qui se change en oiseau apparaît déjà dans des contes grecs. Voir aussi Les Trois Oisillons (KMH 96), au sujet de l'âme d'un enfant assassiné. Des frères qui se retrouvent changés en oiseaux figurent également dans Les Douze Frères (KMH 9) et Les Six Frères Cygnes (KMH 49). Dans Frérot et Sœurette (KMH 11), le petit frère est quant à lui métamorphosé en chevreuil.

L'oiseau de mort et son chant apparaît lui aussi régulièrement, par exemple dans Les Trois Oisillons (KMH 96) et Le Fiancé brigand (KMH 40), ou le pigeon dans Hansel et Gretel (KMH 15). Voir aussi La Fauvette-qui-saute-et-qui-chante (KMH 88) et Le Conte du crapaud (KMH 105). Un magique son de flûte intervient dans L'Os chanteur (KMH 28).

La perte d'une pantoufle apparaît dans Cendrillon (KMH 21).

Des souliers rouges figurent dans plusieurs contes, par exemple De rode schoentjes, où, là aussi, les chaussures amènent la fillette à danser. Margot-la-Malice (KMH 77) aime porter des chaussures à talons rouges.

Une meule a autrefois pu servir aux exécutions capitales. Voir aussi Monsieur Corbis (KMH 41).

Dans Blanche-Neige (KHM 53), la méchante marâtre est elle aussi tuée lorsque la vérité éclate.

Origines anciennes

Orphée (1865). Peinture de Gustave Moreau.

Selon la légende, les graines triangulaires du genévrier représentent la Trinité et l'arbre aurait été béni par la Vierge qu'il aurait cachée et sauvée du roi Hérode et de ses soldats. En Italie, on raconte que le genévrier aurait également fourni son bois à la croix du Christ[4]. Les baies de genévrier ont un effet stimulant et sont utilisées dans la fabrication de l'encens (cfr. aussi genièvre). Certains lieux auxquels sont associés de vieilles légendes se trouvent à proximité de genévriers (voir le culte des arbres sacrés). Dans les langues germaniques, le genévrier, étymologiquement, a un rapport avec l'éveil (voir aussi résurrection). Selon certaines légendes, des dames blanches vivraient dans des genévriers. À noter que dans certaines versions du conte, liégeoises notamment, le genévrier est remplacé par une aubépine[5].

La décapitation de l'enfant peut faire penser notamment à la mort de Jean le baptiste telle que narrée dans les récits néotestamentaires, et le fait de manger l'enfant est évocateur, dans le même contexte, du rite chrétien de l'eucharistie.

Le fait de rassembler les ossements ou les parties du corps d'un défunt pour le reconstituer apparaît dans les mythes d'Osiris et d'Orphée. Dans le second, Orphée parvient par son chant à transporter ceux qui l'écoutent. C'est en s'aidant de ce don qu'il va rechercher Eurydice, sa femme bien-aimée, aux enfers.

L'arbre qui s'enflamme et l'oiseau qui en sort avant de s'envoler font penser au phénix.

Le châtiment qui consiste à faire tomber une meule sur la tête de quelqu'un apparaît dans les Eddas (XIIIe siècle) : c'est en effet ainsi que les nains Galar et Fialar font périr la femme du géant Gilling.

Notes et références

  1. (en) The Juniper Tree, sur le site surlalune.com : Notes.
  2. Le titre original varie selon les éditions de Kinder- und Hausmärchen : Van den Machandel-Boom dans les 1re et 2e éditions, Van den Machandelboom dans les 3e et 4e éditions, et Von dem Machandelboom de la 5e à la 7e édition.
  3. Delarue-Ténèze, t. 2 (1964), p. 690 sv.
  4. Mozzani, p. 808-810.
  5. Cfr. Polain (1942).

Sources et bibliographie

  • (nl) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en néerlandais intitulé « Van de wachtelboom » (voir la liste des auteurs)
  • (fr) Paul Delarue, Marie-Louise Ténèze, Le Conte populaire français, édition en un seul volume reprenant les quatre tomes publiés entre 1976 et 1985, Maisonneuve et Laroze, coll. « Références », Paris, 2002 (ISBN 2-7068-1572-8). Tome 2 (1964), p. 690-707.
  • (fr) Éloïse Mozzani, Le Livre des superstitions : Mythes, croyances et légendes, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1995 (ISBN 2-221-06830-0).
  • (fr) Eugène Polain, Il était une fois... : Contes populaires, entendus en français à Liège et publiés avec notes et index, Université de Liège, coll. « Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, fasc. XC », Liège – E. Droz, Paris, 1942, p. 56-59 (version « Aubépine »), 221-225 (notes).

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Le Conte du genévrier de Wikipédia en français (auteurs)

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