Andreï Roublev (film)

Andreï Roublev (film)

Andreï Roublev

Titre original Андрій Рубльов
Réalisation Andreï Tarkovski
Scénario Andreï Kontchalovski
Andreï Tarkovski
Acteurs principaux Anatoli Solonitsine
Ivan Lapikov
Nikolaï Grinko
Nikolaï Sergueïev
Irma Raush
Nikolaï Bourliaïev
Youri Nazarov
Youri Nikouline
Rolan Bykov
Stepan Krylov
Igor Donskoy
Pays d’origine Drapeau : URSS Union soviétique
Sortie 1969
Durée 180 minutes (copie standard internationale)
205 minutes (sortie URSS en 1969)
autres exploitations russes : 145, 165 et 186 minutes

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Andreï Roublev (en russe : Андрей Рублёв, translittération Andrey Rublyov), deuxième long métrage d'Andreï Tarkovski, est un film historique et dramatique soviétique en noir et blanc et en couleur tourné en 1966 et sorti en 1969, sur un scénario de Tarkovski et d'Andreï Kontchalovski avec Anatoli Solonitsine et Ivan Lapikov dans les rôles principaux.

Sommaire

Synopsis

Le film, découpé en un prologue, huit tableaux et un épilogue, montre la vie dans la Russie du XVe siècle, entre 1400 et 1423, à travers des yeux du moine russe Andreï Roublev, peintre itinérant d'icônes.

Prologue

Timbre poste soviétique émis en 1956 pour célébrer le 225e anniversaire du premier vol humain en ballon à air chaud réalisé par Furvin Kriakutnoi

Un homme nommé Yefim prépare un ballon à air chaud et parvient à s’envoler, suspendu à des cordes, près d'un petit village avant d’atterrir en catastrophe[1].

L'Histrion (été 1400)

Pendant que des trombes d'eau s'abattent sur un village et afin de passer le temps, un skomorokh[2] amuse la galerie en se moquant des boyards dans une pièce commune où tous les habitants sont réunis. Lorsque trois moines, Andréï, Cyril et Daniel, demandent le refuge le temps de la durée de l'orage, le silence se fait. Suite à la dénonciation de Cyril, des hommes à cheval arrivent, demandent à l'histrion de sortir de l'abri, l'assomment contre un arbre et l'emmènent. Les trois moines se retirent car la pluie a cessé.

Théophane le Grec (été 1405 - été 1406)

Théophane le Grec, La Transfiguration, vers 1403, détrempe sur bois,
Moscou, Galerie Tretiakov

Cyril rend visite au vieux Théophane dit le Grec. Après avoir brièvement fait l'éloge de l'iconographe Roublev, Cyril tente de convaincre Théophane de se faire accepter dans son atelier en vue de peindre l'église cathédrale de la Sainte-Annonciation à Moscou.

Au monastère Andronikov, les moines reçoivent un émissaire de Théophane priant Andreï de se rendre à Moscou pour y peindre la cathédrale de l'Annonciation. Cyril, jaloux, quitte la vie monacale pour le monde séculier. Andreï, accompagné du jeune apprenti Fomka, part pour Moscou.

La Passion selon Andreï

Tout en marchant dans les bois, Andreï et Fomka devisent sur les défauts de l'apprenti, mais Fomka est plus préoccupé par les aspects pratiques du travail, comme comment perfectionner le bleu azur, une couleur instable[3].

Andreï rejoint Théophane et ont une conversation sur les berges d'un ruisseau où le Grec affirme que l'ignorance du peuple russe est due à sa stupidité, ce à quoi Andréï réplique ne pas comprendre comment on peut être peintre et avoir de telles vues d'esprit.

Suit une reconstitution de l'expiation du Christ jouée alors qu'Andreï exprime sa foi.

La Fête (1408)

Lors d'une promenade nocturne, la veille du jour d’Ivan Kupala (en)[4], Andreï rencontre un groupe de païens nus dont la célébration implique sensualité et luxure. Il se sent attiré par ce rituel. Les païens le capturent et l'attachent à une croix, le menaçant de noyade. Marfa, une femme vêtue seulement d'un manteau, s'approche d'Andréï, laisse choir son vêtement, embrasse Andréï puis le libère.

Le lendemain, alors qu'Andréï s'éloigne, des soldats arrivent et s'en prennent aux païens. Marfa s'enfuit et nage jusqu'au bateau d'Andréï qui détourne les yeux de honte.

Le Jugement dernier (été 1408)

Vladimir, Cathédrale de l'Assomption

Andreï et Daniel ornementent une église à Vladimir, mais le travail n'avance pas, Andreï doutant de lui-même. L'iconographe confie à Daniel que cette tâche le dégoûte et qu'il est incapable de peindre un sujet tel que Le Jugement dernier, car il se refuse de terrifier les gens. Il arrive à la conclusion qu'il a perdu la facilité d'esprit nécessaire à un artiste. Il a un flashback où il se souvient du temps où il peignait pour le Grand Prince qui fit crever les yeux des artisans afin de les empêcher de reproduire les œuvres qu'ils venaient de créer. Comme le flashback se termine, Durochka, une sourde-muette simple d'esprit entre dans l'église. L'idée de peindre une fête vient alors à l'esprit d'Andreï.

Le Sac (automne 1408)

Alors que le Grand Prince Vassili Ier de Russie est en Lituanie, son frère[5], à la tête d'une bande de Tatars, dévaste la ville de Vladimir. Les Tatars pillent, incendient, assassinent, un cheval tombe d'un escalier transpercé par une lance, une vache brûle[6]. Les Tatars pénètrent dans l'église où Andreï empêche le viol de Durochka en tuant son agresseur. Secoué par cet évènement, Andreï décide d'abandonner la peinture et fait vœu de silence.

Le Silence (hiver 1412)

Andreï est de retour au monastère Andronikov. Il garde le silence, ne peint plus et garde Durochka sous sa protection auprès de lui.

Après plusieurs années en dehors de toute vie monacale, Cyril se présente au monastère et demande d'y être réintégré. La père supérieur accède à sa demande mais lui impose de recopier quinze fois les Écritures.

Les Tatars s'arrêtent au monastère au cours de leurs pérégrinations. L'un d'eux prend Durochka comme sa huitième épouse.

La Cloche (printemps 1423 - printemps 1424)

Près de Souzdal, une bourgade décimée par la peste ne demande qu'à renaître et, pour les habitants, cette renaissance passe par la fonte d'une cloche. Mais le maître-fondeur de cloches mort, c'est son fils, Boriska, qui, initié par son père, se charge de la fonte de l'impressionnante cloche. Il dirige l'équipe avec maîtrise, sachant que s'il échoue, il sera décapité. Lorsque le battant de la cloche est mit en branle et donne un son parfait, Boriska tombe en pleurs et avoue dans les bras de Roublev que son père « cette charogne » ne lui avait pas transmis le moindre secret de fabrication. Devant tant de foi, Roublev rompt son vœu de silence, auquel il s'est astreint pendant une dizaine d'années, et se remet à peindre.

Épilogue

Les derniers plans, en couleurs, montrent des icônes de Roublev et de ses contemporains, y compris le Christ pantocrator, Grégoire de Nazianze, La Transfiguration, Le Sauveur de Zvenigorod et l'Icône de la Trinité. Quatre chevaux dans des pâturages gambadant sous la pluie complètent la dernière partie du film.

Commentaires

Le film est basé d’après l’œuvre - plutôt que la vie, mal connue - d’un moine peintre d’icônes du XVe siècle.

Dans la Russie du XVe siècle, un moine peintre d’icônes aide un maître à peindre une fresque d'une cathédrale pendant que les Tatars mettent le pays à feu et à sang. Le moine Andrei Roublev renoncera à son art pour mieux y revenir et accomplir ses ultimes chefs-d’œuvre.

Sans être une biographie du peintre, le film en noir et blanc est construit en huit tableaux qui évoquent la figure de ce moine, sa création artistique et la Russie au moment de l’invasion tatare. Après l’envol d’un ballon sur lequel s’est hissé un homme, l’histoire débute par l’arrestation d’un fou, dénoncé par le rival d’Andreï Roublev, le moine Cyrille.

Un peu plus tard, au grand dépit du moine délateur, Andreï Roublev est chargé par Théophane le Grec, le peintre le plus célèbre de l’époque, d’exécuter une représentation de l’épisode biblique du Jugement dernier dans la cathédrale de Vladimir. Mais le peintre tarde à achever le travail (Andréï ne pouvant se résoudre à imposer la vision effrayante de l’iconographie traditionnelle du Jugement dernier au peuple) et celui-ci sera interrompu par l’invasion des Tatars qui saccageront Vladimir. Tourmenté par un meurtre qu’il a dû commettre à la suite de cette attaque, le moine fait vœu de silence et renonce à peindre.

Dans la dernière partie du film, sa rencontre avec un jeune fondeur de cloches l’amènera à retrouver la foi en la création : c’est en entendant retentir harmonieusement une gigantesque cloche dont la fonte avait été chaotique qu’Andreï Roublev croit à nouveau à son art.

Le film s’achève par de longs plans en couleurs, représentant les icônes d’Andreï Roublev, dont celle de la Trinité - dont on sait par ailleurs qu’elle lui valut d’avoir les yeux crevés : le peintre avait outrepassé l’interdiction de signer son œuvre[7].

Les trois anges à Mambré (Sainte Trinité), 1410.

La fin de la vie d’Andreï Roublev étant cependant mal connue, ce n’est pas sur ce point qu’a voulu conclure le cinéaste qui consacre ses derniers plans à l’œuvre elle-même.

Tarkovski pose dans ce film profondément russe la question essentielle de la foi, qu’elle soit celle que l’on peut avoir en Dieu ou en l’Homme.

L’univers de son film est livré au mal - personnalisé par les Tatars, le frère rebelle du Prince qui s’est allié à eux par esprit de vengeance ou, au cœur de la population russe par une inquiétante nuit de sabbat où tous paraissent possédés.

Le ton du film est d’abord intime, décrivant le voyage du moine et de ses compagnons à travers la Russie ravagée par la pauvreté ; il devient épique puis tragique quand la ville est mise à sac par les cavaliers tatars d’un cynisme éprouvant.

La fin qui voit Andreï Roublev renaître à la vie et à la création après avoir renoncé à son art est beaucoup plus exaltée.

Quant aux dernières images où la caméra erre lentement sur les icônes, elles sont dénuées de paroles : le cinéaste filme le bois vieilli et abîmé et laisse la couleur et la douceur des pigments éclater sur l’écran avant de clore le film.
Souvent lent, parfois animé par les foules et les paysages d’une rare beauté, parfois simple, souvent déroutant, Andreï Roublev est avant tout un film grave et inspiré, oscillant sans cesse entre mystique et métaphysique - ce qui peut décontenancer le spectateur peu enclin à réfléchir sur ces thèmes.

Face à la barbarie incarnée par les Tatars qui pillent et brûlent tout sur leur passage, la beauté et la douceur de la création deviennent les seules voies de salut.

Notes
  • Les Tatars n'incarnent pas, ou pas seulement, la barbarie. Tarkovski fait dire à ses personnages que la Russie n'a pas besoin des Tatars pour s'auto-détruire.
  • La répression des paiens ou du bouffon n'est pas le fait des Tatars, mais plutôt de l'Église.
  • L'humour du chef Tartar face à la trahison du frère du prince montre aussi une sagesse politique.
  • Les Tartars ne brûlent pas tout. Ils se moquent de la compagne muette d'Andreï en lui donnant à manger du cheval, qui pour le peuple est une viande sale. Mais finalement, ils l'adoptent en la faisant huitième épouse du chef et en l'emmenant avec eux au grand dam d'Andreï.

Fiche technique

Distribution

Autour du film

Lieux de tournage

Andreï Roublev a été tourné principalement dans les villes de Vladimir, Souzdal, Pskov, Izborsk et Petchory ainsi que sur la rivière Nerl.

Le Jugement dernier a été tourné à l'intérieur de la cathédrale de l'Assomption à Vladimir.

La perte du manuscrit

Dans ses Mémoires, Tarkovski écrit à la date du 6 avril 1973 :

« Je me suis souvenu de la façon dont j'avais égaré le manuscrit du scénario de Roublev, alors que je n'avais aucun double. Je l'avais laissé dans un taxi, à l'angle de la rue Gorki (…). Et le taxi était parti !… De désespoir, j'étais allé me saoûler. Au bout d'une heure, je suis sorti (…) Deux heures après, alors que je redescendais la rue, exactement au même endroit, là où j'étais descendu de la voiture, un taxi a ralenti (en pleine infraction au code de la route) et le chauffeur m'a tendu mon manuscrit par la fenêtre… C'était un miracle ! »

Cet épisode, situé vraisemblablement entre 1963 et 1965, a profondément marqué Andreï Tarkovski.

La censure soviétique

Tarkovski eut une certaine liberté pour tourner son deuxième film, qui, une fois terminé, fut mis à l’index par la censure soviétique. Il ne sera finalement montré au Festival de Cannes qu’en 1969, le dernier jour des projections, amputé de vingt minutes par les autorités soviétiques et à quatre heures du matin - ce qui limitera auprès du public l’impact de l’œuvre de trois heures. Y ayant remporté néanmoins le prix FIPRESCI, qui permettra la diffusion du film à l'étranger, il fut malheureusement interdit par les autorités soviétiques jusqu'en 1971.

Projection pour Léonid Brejnev

Le secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique Léonid Brejnev, s'étant aperçu que le film était en complète contradiction avec l'idéologie du pouvoir soviétique, partit avant la fin d'une projection organisée à son intention. Andreï Roublev baigne en effet dans un mysticisme slave. De plus le film posait aussi la question du rapport entre l'artiste et l'État. Cette œuvre prend aujourd'hui une dimension prémonitoire, l'annonce le chaos inhérent à la chute du communisme.

Copie vidéo

La copie vidéo (VHS) proposée par la collection Les films de ma vie (durée : 180 minutes) comporte le titre original russe traduit par La Passion selon Andreï, également titre de la troisième des huit parties du film.

Hommage

En 1995, les membres de l'Académie européenne du cinéma et de télévision ont classé le film à la 8e place des meilleurs films du cinéma mondial.

Récompenses

Bibliographie

  • Michel Chion, Andreï Tarkovski. Le Livre, Cahiers du cinéma, collection Grands Cinéastes, 2007

Notes et références

  1. Tarkovski transpose à l'époque de Roublev la soi-disant invention de Furvin Kriakutnoi (en), un Russe du début du 18e siècle qui aurait imaginé le ballon à air chaud plus de cinquante ans avant les frères Montgolfier et qui se serait envolé près de Kostroma.
  2. Les skomorokhs étaient des amuseurs publics, à la fois musiciens, acteurs, chanteurs, danseurs qui furent persécutés à partir du XVe siècle lorsque l'église a vigoureusement propagé sa conception de vie ascétique.
  3. Difficile à fabriquer, la couleur bleue a longtemps été écartée. Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle que la Vierge se vêtira de bleu, que les cieux seront peints de cette couleur, alors qu'ils étaient auparavant en feuille d'or, ou en noir, en rouge, ou en blanc et que le bleu accède au rang de couleur divine, en symbolisant la fidélité, la chasteté, la loyauté, la justice et la foi.
  4. Le jour d'Ivan Kupala est la fête de Jean le Baptiste dans certains pays d'Europe centrale et orientale, tenue lors du solstice d'été, l'équivalant de la Fête de la Saint-Jean.
  5. Le frère de Vassili Ier de Russie coupable du sac de Vladimir est soit Vassili II de Russie, soit Iouri IV de Russie
  6. Une polémique existe au sujet de la vache en feu : des témoins oculaires affirment que Tarkovski a fait mettre le feu à une vache vivante, alors que le cinéaste prétend que l'animal était recouvert d'amiante.
  7. Il s'agit vraisemblablement d'une légende, aucun document ni chronique ne prouve ce fait.

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