Épave de Cirebon

En février 2003, en mer de Java, à 94 milles nautiques au large de la ville de Cirebon, située sur la côte nord de l'île de Java en Indonésie, des pêcheurs attrapent des objets en céramique dans leurs filets. Ces objets se révèlent provenir d'une épave se trouvant à 56 m de profondeur.

Les autorités indonésiennes reconnaissent ne pas avoir les moyens techniques et financiers de récupérer l'épave et sa cargaison. L'idée est lancée d'une expédition privée. Une société française s'associe à une entreprise indonésienne pour mener cette campagne. L'association obtient tous les accords et permis de l'administration indonésienne. Le produit de la vente de la cargaison de l'épave sera partagé équitablement.

Les premiers objets sont remontés en avril 2004. Les 3/4 de cette cargaison sont des objets de la culture yue (cantonaise) du sud de la Chine. Un dixième des 200 000 pièces sont intacts. Sur un des bols de céramique est inscrite une date correspondant à 968 après J.-C. ainsi qu'un sceau de l'entreprise "Xu Ji Shao". Cette date correspond à la période des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes (906-960) et de la dynastie Liao (916-1125).

Outre les objets de céramique, la cargaison comporte également des pièces de monnaie, des objets de verre, de l'or, des objets en métal et de la laque. On trouve notamment des pièces de cuivre du royaume de Nan Han (917-971) témoignant de l'existence de relations commerciales avec les régions actuelles du Guangdong et du Guangxi sur le littoral méridional de la Chine. Un dixième de la cargaison consiste en objets de verre, en or et de pierres précieuses. Parmi quelque 2 000 tessons se touvent 40 plats en verre intacts, qui présentent des caractéristiques semblables au verre en provenance de la Syrie ou la Perse du califat des Abbassides (750-1258), suggérant une possible provenance arabe ou persane.

L'opération se termine en octobre 2005. L'épave a une quille de 24 m de long, une longueur hors tout de 30 m et une largeur de 12 m. Sa cargaison pèse entre 200 et 300 tonnes. L'examen du bateau révèle une technique de construction typiquement sud-est asiatique ou austronésienne. On pense que le bateau pourrait provenir de la cité de Sriwijaya (aujourd'hui Palembang dans le sud de Sumatra). Sriwijaya était en effet à l'époque un important centre maritime que fréquentaient des navires marchands originaires du "Nanhai" ("les mers du Sud"). Les Chinois de l'époque désignaient les populations de cette région, Chams, Khmers, Malais et même Indiens, par le nom de "Kunlun".

La disposition de la coque au fond de l'eau suggère que le navire se dirigeait vers la région de l'actuelle Semarang sur la côte nord de Java. Le nombre important de céramiques chinoises dans la cargaison laisse penser que le bateau venait de Chine, dont les principaux ports à l'époque étaient Quanzhou, Minzhou (aujourd'hui Ningbo) et Canton.

Les objets en métal de la cargaison sont principalement des instruments de culte en bronze d'origine indienne, sumatranaise ou javanaise. Leurs motifs hindou-bouddhiques laissent supposer des échanges entre le royaume bouddhiste de Wu Yue dans le sud de la Chine et Java, où avaient été construits les temples bouddhique de Borobudur (entre 732 et 928) et shivaite de Prambanan (aux alentours de 850).

La disposition des marchandises semble indiquer que celles provenant du Moyen-Orient avaient été chargées après celle venant de Chine. On peut raisonnablement supposer qu'il avait transporté des marchandises chinoises au Moyen-Orient. Sinon, il aurait déposé ses marchandises chinoises en Indonésie avant de repartir pour le Moyen-Orient. Le bateau allait donc achever un "commerce triangulaire" Indonésie-Chine-Moyen Orient-Indonésie.

La découverte de l'épave de Cirebon est importante, non seulement sur le plan financier mais aussi archéologique et historique. Elle permettra d'avancer dans la connaissance du commerce, de l'économie et plus généralement des sociétés de la région au Xe siècle.

Source

• Tan, Yvonne, "Cirebon Cargo of Yue Ceramics Vessels", Asian Art Newspaper, mai 2007
• Telmon, Priscilla, "Le secret du trésor englouti", Le Figaro Magazine, 7 juillet 2006