Youri Gagarine

Youri Gagarine
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Youri Gagarine
Gagarine en Suède (Malmö, 1964)
Gagarine en Suède (Malmö, 1964)

Nationalité Drapeau Soviétique
Naissance 9 mars 1934
Klouchino, RSFSR, URSS
Décès 27 mars 1968 (à 34 ans)
Novossiolovo, près de Kirjatch, RSFSR, URSS
Temps total passé dans l’espace 1 h 48 min
Sélection TsPK-1
Mission Vostok 1
Insigne Vostok1patch.png

Youri Alexeïevitch Gagarine (en russe : Юрий Алексеевич Гагарин), né le 9 mars 1934 et mort le 27 mars 1968, est le premier homme à avoir effectué un vol dans l'espace au cours de la mission Vostok 1 le 12 avril 1961, dans le cadre du programme spatial soviétique. Youri Gagarine acquiert une notoriété internationale et est décoré par de nombreuses distinctions dont celle de Héros de l'Union soviétique et la médaille de l'ordre de Lénine, les plus hautes distinctions soviétiques. La mission Vostok 1 est son seul voyage spatial, mais il fut aussi doublure de secours pour la mission Soyouz 1. Il meurt à 34 ans après le crash de son Mig 15. Son nom a été donné à un cratère lunaire et à un astéroïde.

Sommaire

Enfance et formation

La maison natale à Klouchino.

Youri Gagarine nait en 1934 à Klouchino, près de Gjatsk (oblast de Smolensk), dans le nord-ouest de la Russie[N 1]. Les parents de Youri travaillent dans la ferme collective d'un kolkhoze. Son père, Alexeï Ivanovitch Gagarine (1902–1973), est charpentier ; sa mère, Anna Timofeïevna Matveïeva (1903–1984), qui est issue d'une famille d'ingénieurs de Saint-Pétersbourg, capitale culturelle du pays, occupe l'emploi de laitière, essaie de communiquer son goût de la lecture à ses quatre enfants[1]. La vie est rude dans ce village dépourvu d'électricité et d'eau courante.

En 1941, la guerre avec l'Allemagne nazie éclate. Youri qui est le troisième des enfants Gagarine a alors sept ans. Le village est bombardé, ses ressources épuisées par les réfugiés qui affluent à la suite de la première bataille de Smolensk puis fin 1942 est occupé par les troupes allemandes avant que la famille n'ait eu le temps de s'enfuir. La brutalité des occupants nazis ne connait pas de bornes. Le cadet de Youri, Boris, subit un début de pendaison avant d'être relâché à moitié mort à cause des supplications de sa mère[N 2]. La sœur de Youri est blessée par un allemand avec une faux et son père est si gravement battu après avoir tenté de saboter un moulin qu'il reste définitivement invalide. La famille est expulsée de son logement par les soldats allemands et doit creuser un abri primitif dans lequel elle est obligée de vivre. En 1943, Valentin et Zoya, ses frère et sœur aînés, sont emmenés dans un camp de travail forcé en Pologne par les SS ; là-bas ils parviennent à survivre, puis à s'échapper avant de rejoindre les troupes soviétiques. Les parents n'apprendront qu'ils sont toujours en vie qu'à la fin de la guerre. La famille de Youri survit sous les bombardements et la famine. Malgré les risques, Youri se livre comme les autres enfants du village à de petits sabotages de la machine de guerre allemande. Youri est témoin d'un événement qui le marque et va jouer un rôle important dans son destin. Un chasseur soviétique endommagé se pose au sol près du village. Peu après un avion de secours vient récupérer le pilote. Les enfants du village attirés par le spectacle se pressent sur les lieux. Youri est fasciné par l'avion et les pilotes dont l'un prend le temps de lui montrer comment fonctionnent les commandes dans le cockpit[2].

C'est son premier vol sur un Yak-18 qui décide Youri Gagarine à devenir pilote de chasse.

Au printemps 1944, les troupes soviétiques avancent après l'offensive du Dniepr et le village est libéré de l'occupant. Mais les habitations sont détruites, le bétail exterminé ou emporté. La famille Gagarine décide de s'installer à Gjatsk, bien que cette ville soit dans le même état de destruction que Klouchino, et s'y construit une habitation. Youri, qui n'a plus fréquenté l'école depuis le début de la guerre, reprend les cours. C'est alors un enfant turbulent, qui entre de plus en plus fréquemment en conflit avec son père. Celui-ci ne supporte pas la contradiction et veut que ses enfants apprennent son métier. De son côté, Youri veut échapper à la vie pesante du village et annonce en 1949 à ses parents qu'il ne souhaite pas devenir charpentier et qu'il les quitte pour suivre des études dans un autre domaine. Son père tente de le faire revenir sur sa décision puis le laisse partir en lui demandant de ne pas ternir le nom des Gagarine. Youri va à Moscou, où vit un oncle susceptible de l'aider à trouver une place dans un collège. Il veut devenir gymnaste, mais il ne trouve pas de place et entre finalement dans une école d'apprentissage d'une fonderie à Lioubertsy, dans la banlieue de Moscou. Malgré le handicap de sa petite taille, il se distingue et est sélectionné pour entrer à l'Institut technico-industriel de Saratov dans le sud-est de la Russie. Cette école forme des techniciens dans le domaine du machinisme agricole et il suit les cours durant quatre années. Il a l'opportunité à l'époque de suivre une formation de gymnaste mais, réaliste, préfère opter pour une formation lui garantissant une carrière[3].

À Saratov, il adhère dès qu'il le peut au club de pilotage amateur de la ville, car il n'a pas oublié sa fascination d'enfance. Dès son premier vol à bord d'un Yak-18, il décide qu'il sera aviateur. Par la suite il mène de front ses études à l'institut de Saratov et une formation pratique et théorique de pilote. En octobre 1955, il décide de franchir le pas : il abandonne ses études à l'Institut, contre l'avis de son père qui lui reproche de gaspiller l'argent de l'État, et rentre comme cadet dans une école de pilotage militaire. Son instructeur est impressionné par ses capacités et le recommande pour l'école militaire de pilotage K. E. Vorochilov d'Orenbourg. Dans cette ville, au cours d'un bal d'étudiants, il rencontre une infirmière, Valentina Goriatcheva. Il l'épouse un an plus tard, en octobre 1957, avant d'obtenir son diplôme de pilote de chasse sur MiG-15. Il est alors affecté dans une escadrille de chasseurs-intercepteurs à la base aérienne de Luostari située dans la région de Petchenga dans l'oblast de Mourmansk près de la frontière norvégienne au nord du Cercle arctique. Les conditions de vie sont dures pour le jeune couple mais leur première fille Lena naît en avril 1959[4].

Premier homme dans l'espace

Sélection et entraînement

En tournée en Égypte en 1962

En juin 1959 le processus de sélection des premiers cosmonautes du programme spatial soviétique est lancé. Les responsables ont décidé de rechercher leurs candidats parmi les pilotes de l'armée de l'air car ils sont déjà, par leur métier, accoutumés à subir des accélérations importantes, sauter en parachute, etc. Contrairement aux Américains, qui ont sélectionné des pilotes seniors, les responsables soviétiques ont décidé de choisir des pilotes relativement novices, ayant entre 25 et 30 ans, en grande partie parce que les vaisseaux spatiaux doivent être entièrement automatisés et que les cosmonautes doivent essentiellement avoir un rôle d'observateur. Compte tenu de l'espace restreint disponible dans la future capsule spatiale les recrues ne doivent pas mesurer plus de 1,70 à 1,75 mètre ; Gagarine, qui mesure 1,58 mètre satisfait ce critère. Après une première sélection sur dossier portant sur des critères physiques et une série d'interviews visant à cerner leur personnalité, 200 pilotes sont sélectionnés, parmi lesquels Youri Gagarine[5]. Celui-ci franchit également la deuxième étape de la sélection qui réduit en février 1960 le nombre d'élus à vingt. Il y a cinq dérogations à la règle de l'âge parmi les vingt sélectionnés, dont Vladimir Komarov. À l'époque de sa sélection Gagarine est un pilote junior avec 250 heures de vol sur MiG-15[6]. Gagarine ne doit dire à personne, y compris sa femme, la nature du programme pour lequel il a été sélectionné[7].

Un médecin de l'armée de l'air ayant participé à sa sélection évalue sa personnalité : « Modeste ; embarrassé lorsque son humour lui fait tenir des propos un peu trop osés ; haut degré de développement intellectuel évident ; mémoire fantastique ; se distingue de ses collègues par sa perception aiguë de l'environnement y compris à longue distance ; dispose d'une imagination très développée ; réactions rapides ; persévérant ; se prépare de manière assidue à ses activités et exercices d'entraînement, parvient à maîtriser avec facilité la mécanique céleste et les formules mathématiques et excelle dans les mathématiques supérieures ; n'hésite pas à défendre son opinion s'il pense avoir raison ; comprend mieux la vie que beaucoup de ses amis[8]. » Gagarine est également le candidat favori de ses pairs. Quand on demande aux vingt candidats de voter anonymement pour quel autre candidat ils aimeraient voir voler le premier, tous sauf trois votent pour Gagarine[8]. Un de ses pairs, le futur cosmonaute Ievgueni Khrounov, se rappellera par la suite que Gagarine avait une extraordinaire capacité de concentration et pouvait, si nécessaire, être très exigeant vis-à-vis de lui même et des autres. Il s'agissait là d'une caractéristique de sa personnalité beaucoup plus importante que celle révélée par son fameux sourire[9].

Comme les installations pour l'entraînement des pilotes ont une capacité limitée à cette époque, il est décidé le 30 mai de préparer en priorité un groupe de six pilotes (TsPK-1). Ceux-ci sont choisis, entre autres, sur des critères physiques, les plus grands étant écartés. Gagarine suit comme les autres apprentis cosmonautes un entraînement physique, effectue des sauts en parachute, s'entraîne sur un simulateur de la capsule Vostok, passe en centrifugeuse et reçoit une formation de base sur le fonctionnement des fusées et des vaisseaux spatiaux. En janvier 1961, le groupe passe devant une commission présidée par le général Nicolaï Kamanine. Celui-ci occupera pour la décennie suivante le poste de commandant du corps des cosmonautes. À l'issue des examens trois pilotes sont sélectionnés : Gagarine, Guerman Titov et Grigori Nelioubov. À ce stade, Gagarine est déjà donné favori par tous ceux qui le côtoient et il est remarqué par Sergueï Korolev, le responsable du programme spatial habité soviétique. Titov est plus cultivé et beaucoup plus expansif que Gagarine, mais a un caractère rebelle. Le troisième sélectionné, Grigori Nelioubov, est sans doute le plus doué sur le plan technique, mais il est considéré comme trop rebelle par les sélectionneurs les plus conservateurs. Il ne volera jamais et après avoir été licencié à la suite d'un problème d'alcool, il se suicidera en 1966[10].

Le choix final se fait entre Gagarine et Titov. Le responsable de l'Union soviétique Nikita Khrouchtchev, à qui on demande sa préférence, les met sur un pied d'égalité et c'est finalement la commission de Kamanine qui tranche en faveur de Gagarine[11]. La meilleure résistance physique de Titov, qui en fait un candidat idéal pour le deuxième vol programmé qui est beaucoup plus long, ainsi que ses origines de classe moyenne contre celles plus modestes de Gagarine qui symbolisent « l'idéal de l'égalité soviétique » peuvent également avoir joué contre lui. La deuxième fille de Gagarine, Galya, nait en mars 1961, un mois avant le vol. L'entrainement est alors si intense qu'il a peu de temps à consacrer à sa fille et à sa famille. Sa femme, qui est supposée ne pas encore connaître l'objectif de son entrainement, a deviné, ce qui accentue la pression sur le couple[12]. La mort accidentelle du cosmonaute Valentin Bondarenko lors d'un entrainement fin mars ne ralentit pas les préparatifs. Après la décision de la commission, Titov et Gagarine ne sont informés ensemble que la semaine avant le lancement, de qui sera le cosmonaute principal et qui sera la doublure. Déçu, Titov ne bronche pas, même s'il ne félicite pas non plus Gagarine[13].

La mise au point du vaisseau Vostok

Le vaisseau Vostok est composé du module de descente sphérique et du module de service

Le vol de Gagarine est précédé de plusieurs vols sans équipage humain destinés à mettre au point le vaisseau Vostok qui doit l'emporter dans l'espace. Les caractéristiques de la version Vostok 1K, destinée uniquement aux vols d'essai, sont figées en avril 1960. Cinq vols de Vostok 1K emportant des chiens s'échelonnent entre mai et décembre 1960. Un seul de ces vols est un succès complet, deux sont des échecs partiels, et les deux autres vols des échecs complets. Le vol de Korabl-Sputnik 2, connu aussi à l'ouest sous le nom de Spoutnik 5, qui décolle le 19 août est un succès mais les réactions physiologiques des chiens à l'apesanteur fait que les scientifiques recommandent à la commission d'État que le vol du futur cosmonaute ne dépasse pas plus d'une orbite, même si une fois ramené au sol l'état de santé des chiens est bon. Les chiens Belka et Strelka qui ont accompli 18 orbites soit un jour et deux heures dans l'espace sont les premiers êtres vivants récupérés après une mise en orbite et le vaisseau lui-même seulement le deuxième à être récupéré, suivant de peu un satellite du programme américain Corona[14].

À la suite de ces résultats peu encourageants, deux vols doivent valider la version Vostok 3KA qui doit être utilisée par Gagarine. Le premier vol, Korabl-Spoutnik 4, qui a lieu le 19 mars, transporte notamment un chien, des souris, des cobayes et des reptiles ainsi qu'un mannequin occupant la place du pilote. Le vaisseau boucle une orbite unique avec d'effectuer une rentrée atmosphérique et d'éjecter le mannequin muni de son parachute avant l'atterrissage à l'image de la future mission. L'ensemble du vol se déroule de manière nominale contrairement aux vols effectués auparavant. Le 25 mars un deuxième vol similaire, Korabl-Spoutnik 5, est effectué avec le même succès. Pour fixer la date du premier vol habité les responsables du programme spatial russe prennent en compte l'avancement du programme concurrent américain. Le premier vol suborbital habité du programme Mercury ayant été positionné début mai, Korolev décide après discussion avec le dirigeant de l'Union soviétique Nikita Khrouchtchev de planifier le vol de Gagarine mi-avril[15]. Politiquement si le gouvernement soviétique hésitait encore en 1959 à l'opportunité d'un vol habité face à la priorité du programme des missiles stratégiques, la menace du programme Mercury fait qu'à la fin de 1960 il n'a plus le choix s'il veut garder sa suprématie dans la course à l'espace. L'euphorie qui a suivi les succès des missions Sputnik et du programme Luna, le besoin d'une image d'une URSS très avancée technologiquement et la fierté nationale le force à continuer[16].

Deux jours avant le vol, Gagarine écrit une lettre à sa femme sur l'échec possible de son vol car il sait que ses chances de réussite sont estimées à 50 %[17].

Le vol de Vostok 1

Le module de descente de Vostok 1 exposé au musée RKK Energia à Moscou.
Article détaillé : Vostok 1.

Le vol Vostok 1, qui doit emporter le premier homme dans l'espace, est lancé depuis le cosmodrome de Baïkonour utilisé depuis les débuts de l'ère spatiale soviétique. Ce site aujourd'hui situé au Kazakhstan fait à l'époque partie du territoire de l'Union soviétique. Tout a été préparé en cas d'imprévu: une orbite qui permet un aérofreinage au bout de deux à sept jours en cas de panne du système d'atterrissage, un protocole pour le cosmonaute en cas d'atterrissage dans un pays étranger, des provisions pour treize jours et une balise pour repérer le site d'atterrissage. À contrario des précédentes missions, il n'y a pas de système d'autodestruction pour empêcher une puissance rivale de s'emparer de la technologie embarquée, tous les membres de la commission d'état s'y étant opposé, à l'exception du représentant du KGB. En cas d'échec et malgré la nature secrète du programme spatial soviétique, la primauté a été donnée à la sécurité du cosmonaute sur les considérations politiques, en annonçant via les média son atterrissage dans un pays étranger ou en mer afin de faciliter l'organisation des secours[18].

Le 12 avril 1961, alors que Sergueï Korolev n'a pas fermé l'œil de la nuit, craignant une panne du troisième étage de la fusée précipitant le vaisseau dans les eaux glacées au sud du cap Horn, Youri Gagarine, après une parfaite nuit de sommeil [19], est réveillé à h 30 le matin. Après un déjeuner léger à base d'aliments en tube, des techniciens l'aident à enfiler sa combinaison spatiale SK-1 orange. Suivant une superstition des pilotes soviétique, Gagarine ne s'est pas rasé[20]. Korolev vient embrasser Gagarine qui plaisante avec lui avant son décollage et ce dernier va jusqu'à le rassurer. Korolev lui dit qu'il espère le voir un jour marcher sur la Lune[21]. Le vol doit être entièrement automatique et les commandes de vol sont bloquées. En cas d'urgence, Gagarine doit ouvrir une enveloppe qui contient un code qu'il tapera pour libérer les commandes[N 3]. Cette procédure est violée par Korolev lui-même qui souffle dans le creux de l'oreille de Gagarine le code mais il a été précédé par plusieurs techniciens qui ont fait de même n'hésitant pas, ainsi, à risquer leur emploi[21]. Korolev, qui s'est installé dans le bunker de commandement et est en liaison avec le cosmonaute, n'est pas rassuré car le taux de succès du lanceur est de 50 % sur seize lancements : il prend des tranquillisants quelques minutes avant le tir[22]. Gagarine déclarera plus tard : « Bien sûr que j'étais nerveux - seul un robot n'aurait pas été nerveux à un tel moment et dans une telle situation  »[21].

Contrairement aux vols américains, il n'y a pas de compte à rebours, le vol est lancé à l'heure prévue[21]. À l'instant du départ, le pouls de Gagarine passe brutalement de 64 à 157 battements par minute mais il s'exclame joyeusement « Et c’est parti ! (Поехали! [Poïekhali!]) »[22]. Il est h 7 (heure de Moscou, h 7 GMT). Alors que la fusée s'élève Gagarine signale qu'il ressent l'accélération croissante mais dit ne pas en souffrir. À Korolev qui lui demande comment il va, il répond de manière humoristique : « Bien, et vous ? ». Il ressent des difficultés à parler lorsque l'accélération atteint g. Le système télémétrique qui affiche la progression du vaisseau donne quelques frayeurs au responsable du programme en indiquant par moment une trajectoire alarmante après le démarrage du troisième étage. Environ deux minutes après le décollage, la coiffe aérodynamique qui recouvre le vaisseau est larguée et le hublot situé à hauteur des pieds de Gagarine est démasqué. Celui-ci s'exclame : « Je vois les nuages. Le site d'atterrissage... C’est magnifique ! Quelle beauté »[23].

Onze minutes après le lancement, le vaisseau est inséré en orbite et entame une révolution autour de la Terre qui va durer 1 heure et 48 minutes, à une altitude moyenne de 250 kilomètres (327 km et périgée : 180 km). L'orbite est beaucoup plus haute que prévu, avec un apogée supérieure de 70 km, ce qui fait craindre au centre de contrôle une mission plus longue si les rétrofusées ne fonctionnaient pas[23]. Gagarine devient le premier homme à voyager dans l'espace et le premier homme à effectuer une orbite autour de la Terre, accomplissant la prédiction de Constantin Tsiolkovski, père de l'astronautique moderne, qui avait prévu en 1935 que le premier homme dans l'espace serait russe[N 4]. Gagarine est ému par la beauté de la Terre, bleue, ronde et à l'atmosphère si ténue[24]. Il expérimente l'impesanteur et constate qu'il peut manger, boire et travailler normalement même s'il doit arrêter la rédaction de son journal de bord ayant perdu son crayon qui s'est envolé dans un coin de la cabine, la vis qui devait le retenir par un fil s'étant déserrée. Il arrive à la conclusion que l'apesanteur ne gène pas le travail humain dans l'espace[25]. Il passe son temps en orbite à observer la Terre et contrôler ses instruments. Aucune expérience n'est prévue et à cause des doutes avant la mission sur les effets de l'impesanteur sur son organisme, il ne pilote pas Votsok, qui est entièrement contrôlé du sol. Le vol se déroulant normalement Gagarine n'aura pas besoin de reprendre le contrôle manuel. Pour les échanges radio Gagarine répond sous le code de « Kedr » (Кедр), désignant le cèdre, tandis que le sol répond à l'appellation Aube-1 (Zaria-I ; Заря-I). L'agence TASS annonce au monde 55 minutes après le lancement la mise en orbite de Gagarine, promu de premier-lieutenant à major pendant le vol. Les services de renseignement américains savent un peu avant l'annonce qu'un vol habité a lieu grâce à une station d'écoute en Alaska[26]. Lorsque sa mère entend la nouvelle à la radio à Gjatsk, elle se met à pleurer, répétant en boucle « Qu'est ce qu'il a fait et où est il allé ? »[27]. Alors qu'il arrive au-dessus de l'océan Pacifique, Gagarine passe dans l'ombre de la Terre pour sa première « nuit » en orbite et est émerveillé par la beauté de l'espace étoilé[25].

Orbite de Vostok 1.

Après que les rétrofusées se sont mises en action pour la rentrée atmosphérique, le vaisseau subit une secousse et commence à tourner sur son axe de 30 degrés par secondes. Gagarine décrit que « Tout tournait. Je vois d'abord l'Afrique (cela s'est passé au-dessus de l'Afrique), puis l'horizon, puis le ciel. J'avais à peine le temps de protéger mes yeux des rayons du soleil. J'ai mis mes jambes vers le hublot mais je n'ai pas fermé les stores. » Le module de service ne parvient pas à se séparer du module de rentrée comme prévu parce qu'il y est toujours relié par des câbles[28]. Le vaisseau est conçu pour présenter son bouclier thermique dans le sens de la descente, mais avec les oscillations des parties non protégées de Vostok sont exposées à la chaleur. Gagarine décrit la descente : « le vaisseau spatial était entouré de flammes, [...] j'étais un nuage de feu qui fonçait vers la Terre »[29]. La situation est problématique mais Gagarine qui en a conscience reste d'un calme olympien, calculant qu'il atterrirait en URSS et transmet par télégraphe à la Terre que tout va bien. Finalement la séparation intervient lorsque la pression aérodynamique s'accentue 10 minutes après son déclenchement. Rétrospectivement, des experts occidentaux ont estimé que l'incident n'aurait pas mis la mission en péril[28]. Gagarine est secoué dans tous les sens pendant la descente alors qu'il décrit une capsule entourée d'une lumière violette, les craquements et la chaleur. Quand la gravité due au ralentissement atteint son maximum de 10 g, la vue de Gagarine se brouille quelques secondes mais la capsule ralentit sa rotation[30]. À quelques kilomètres du sol, en application d'une procédure commune à tous les vaisseaux Vostok, Gagarine est éjecté avec son siège de la capsule et effectue le reste de sa descente en parachute car, pour des raisons de poids, le vaisseau Vostok ne dispose pas de rétrofusées lui permettant d'annuler sa vitesse résiduelle à l'atterrissage[31],[N 5]. Alors qu'il se sépare de son siège et ouvre son parachute, Gagarine reconnait immédiatement cette région près de la Volga ou il avait fait son entrainement de parachutiste[32]. Son parachute de secours s'ouvre de manière dangereuse en plus du parachute principal, mais reste heureusement sous lui sans s'emmêler avec ce dernier. Descendant enfin en sécurité, Gagarine se met à chanter pour lui même[31]. Il se pose vers 10 h 55 (heure de Moscou, h 55 GMT) dans un champs près d'un ravin non loin dans la région de la ville de Saratov[N 6]: le premier vol habité a duré 108 minutes[33] dont 89 en orbite terrestre[32].

Juste après son atterrissage, il met six minutes avant de pouvoir ouvrir la valve d'air de son scaphandre qui lui permet de respirer à nouveau l'air de la Terre. Sa préoccupation principale est ensuite de pouvoir signaler qu'il est sain et sauf. Pendant ce temps c'est un Khrouchtchev enthousiaste qui demande par téléphone plusieurs fois à Korolev si Gagarine est vivant. Gagarine rencontre une paysanne dont la fille commence à fuir et doit les rassurer en criant « Je suis un ami, je suis soviétique ! ». Il utilise le téléphone du camp d'agriculteurs pour avertir les secours[34]. Son vaisseau a atterri à trois kilomètres de là et des enfants des villages environnant sont déjà entrés à l'intérieur, finissant les restes de nourriture en tube qui s'y trouvaient[31].

Célébration mondiale et secrets soviétiques

Rencontre de Gagarine (à gauche) et de l'équipage américain de Gemini 4 au Salon international de l'aéronautique et de l'espace de Paris-Le Bourget (1965). À droite le premier ministre Georges Pompidou.

Le 14 avril, Youri Gagarine est reçu triomphalement à Moscou, sur la place Rouge, par Krouchtchev, Léonid Brejnev et la plupart des responsables soviétiques. Le vol spatial de Gagarine a un retentissement énorme en URSS et dans le monde entier. L'Union soviétique avait généralement pour les puissances occidentales une image de pays arriéré : celle-ci est complètement effacée par la réussite du programme spatial soviétique qui est à son pinacle et par l'événement qu'est dans l'histoire de l'humanité l'envoi du premier homme dans l'espace. Pour Asif A. Siddiqi, historien spécialiste du programme spatial soviétique, la réussite est d'autant plus impressionnante qu'elle intervient seize ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a laissé une URSS exsangue et ravagée, avec une industrie en ruine et 25 millions de morts, donc très désavantagée vis-à-vis des États-Unis, qui n'avaient pas eu à subir la guerre sur leur territoire[34].

La réaction américaine est courtoise et le vice-président Lyndon Johnson présente ses félicitations annonçant que « le vol courageux et pionnier de Youri Gagarine dans l'espace a ouvert de nouveaux horizons et créé un brillant exemple pour les cosmonautes des deux pays »[35], mais le président John Fitzgerald Kennedy annonce dans une conférence de presse que les États-Unis n'essayeraient pas de rattraper l'URSS dans la course à l'espace mais les battraient dans des domaines d'activité plus profitables à long terme à l'humanité. Le Washington Post demande quant à lui une mobilisation générale pour battre l'URSS[36]. Kennedy revient cependant vite sur sa décision et le vol de Gagarine relance la course à l'espace. Le 25 mai, il annonce dans un discours historique que les États-Unis enverront un homme sur la Lune avant la fin de la décennie[37].

Avant que Gagarine n'entame à la suite de son vol une tournée mondiale utilisée à des fins de propagande politique, les dirigeants soviétiques lui imposent de révéler le moins de détails possible sur le programme spatial, jusqu'à éluder sa taille pour ne pas dévoiler les caractéristiques de la capsule. Pour que le vol orbital soit homologué, les autorités soviétiques annoncent que Gagarine est revenu au sol à bord de la capsule et masquent le fait qu'il s'est parachuté. Le déroulement réel sera connu à la fin des années 1990 avec la libéralisation du régime russe. Lorsqu'il est interrogé par les journalistes étrangers ses réponses sont souvent évasives et il est obligé de mentir[N 7] : on ne sait rien à l'époque de l'emplacement exact de sa base de lancement qui est toutefois connu par les services secrets américains grâce à leur station radar en Turquie. Les Soviétiques indiquent un lieu près de la ville de Baïkonour, qui est en fait à 360 km de la base de lancement[N 8]. Le nom du responsable du programme spatial soviétique, Sergueï Korolev, reste également secret. Celui-ci n'apparait pas dans les commémorations ; on laisse croire qu'un vénérable membre de l'Académie des sciences dont les liens avec le programme spatial sont très ténus est le père de l'astronautique soviétique. Pour récompenser ceux qui ont participé à cet exploit, près de sept mille personnes reçoivent divers médailles et titres et un certain nombre le titre de Héros de l'Union soviétique, mais seuls ceux qui font partie des instances dirigeantes, dont le premier secrétaire Khrouchtchev, sont officiellement nommés. Les cinq véritables responsables du programme sont récompensés mais restent dans l'ombre[38].

Dans l'attente d'une deuxième mission

Responsable de l'entraînement des cosmonautes

Peu après son vol, Gagarine est nommé responsable de l'entraînement des cosmonautes[39] qui a lieu à la Cité des étoiles dans la banlieue de Moscou. Dans ce rôle il est associé à l'élaboration du programme des missions et à la sélection des cosmonautes. Au cours des vols suivants, Gagarine participe aux prises de décisions critiques concernant le déroulement des missions et assure en partie la liaison radio avec le cosmonaute en vol. Il s'oppose même à Korolev qui souhaite un vol d'une journée pour la deuxième mission, appuyant les médecins des cosmonautes qui favorisent un vol de trois orbites soit cinq heures. Korolev aura néanmoins gain de cause[39]. Gagarine participe également à la sélection de la première femme cosmonaute sur le vol Vostok 6 et s'oppose même à la candidature de l'une d'entre elle parce qu'elle est déjà mère, la société russe stigmatisant les mères de famille entreprenant des activités dangereuses. Il est cependant contredit par le président de l'académie des sciences qui conserve néanmoins la candidate[40].

Parallèlement Gagarine entame une tournée autour de la planète : accompagné par Titov, qui a renouvelé l'exploit de Gagarine le 6 août 1961 (Vostok 2), et Kamanine, responsable du corps des astronautes, il visite en 1961 l'Afghanistan, le Brésil, le Canada, Ceylan, Cuba, la Tchécoslovaquie, l'Inde, la Finlande, la Hongrie, l'Islande et le Royaume-Uni. L'année suivante il séjourne dans de nombreux autres pays. Cette gloire brutale monte à la tête de Gagarine comme de Titov. Tous les deux sont semoncés par le Parti pour leurs abus répétés de boissons et leur comportement avec la gent féminine. Durant une de ses frasques Gagarine se blesse sérieusement à la tête en se jetant du premier étage d'un immeuble pour échapper à sa femme sur le point de le surprendre en galante compagnie[41].

Gagarine est accaparé par sa tâche non officielle d'ambassadeur de l'Union soviétique qui ne lui laisse plus suffisamment de temps pour son entraînement de cosmonaute. Les dirigeants soviétiques souhaiteraient qu'il renonce à voler : Kaminine lui propose de prendre la direction du Centre d'entraînement des cosmonautes. Gagarine ne veut pas de ce travail de bureau. Il refuse à plusieurs reprises cette proposition avant d'accepter, sous la pression, le poste de directeur adjoint le 21 décembre 1963 avec le grade de colonel dans l'Armée de l'Air soviétique[42].

Le programme Soyouz

Piquenique des cosmonautes du programme Soyouz avec Gagarine (au centre), à sa droite Boris Volynov, Viktor Gorbatko et Alekseï Leonov qui tient la caméra, Dolgoproudny, date inconnue.

À compter de 1962, le projet du nouveau vaisseau spatial Soyouz est développé par les équipes de Korolev. Soyouz est beaucoup plus vaste que la capsule Voskhod et il doit permettre d'emporter un équipage de trois personnes. Il dispose d'un système de rendez-vous automatique qui permet l'amarrage de deux vaisseaux. À partir de 1964 Soyouz devient une pièce maîtresse du programme lunaire habité soviétique que les dirigeants de Moscou se sont enfin décidés à lancer en constatant les progrès du programme Apollo. La première mission prévue comporte le lancement de deux vaisseaux Soyouz dotés d'équipage qui doivent effectuer un rendez-vous dans l'espace. À compter de septembre 1965 quatre cosmonautes commencent l'entraînement pour le poste de commandant. Pour la première fois depuis quatre ans, Gagarine fait partie des présélectionnés mais le favori est Vladimir Komarov : celui-ci est considéré comme le plus compétent et le plus brillant des quatre hommes. Gagarine, accaparé par ses taches bureaucratiques, a grossi et a perdu une partie de ses compétences de cosmonaute. Mais il s'entraîne dur et repasse favori devant Komarov jusqu'à ce que les officiels à l'issue d'une réunion au centre d'entraînement des cosmonautes imposent en avril 1966 Komarov et assignent à Gagarine le rôle de doublure[43]. Gagarine veut tellement réaliser un autre vol spatial qu'il est suggéré comme doublure pour un vol du programme lunaire habité soviétique[36].

La mise au point du vaisseau Soyouz se passe mal. Tous les vols d'essais sans équipage sont entachés de problèmes et la date du premier vol est régulièrement repoussée. Sans attendre de nouveaux tests et contre l'avis de certains cosmonautes et ingénieurs une double mission est planifiée sous la pression des politiques qui veulent faire un coup d'éclat pour contrer la domination américaine qui se profile : dans le cadre de la mission Soyouz 1 un premier vaisseau Soyouz doit être lancé avec à son bord Komarov puis un deuxième Soyouz le rejoint en orbite avec trois cosmonautes pour un rendez-vous orbital. Le 23 avril 1967, Komarov est accompagné par Gagarine jusqu'à l'écoutille de son vaisseau qui décolle et place en orbite le vaisseau sans encombre[44]. Le vaisseau de Komarov connaît de nombreux problèmes auxquels celui-ci tente en vain de faire face avec l'aide des équipes au sol dont Gagarine. Mais la situation impose l'interruption de la mission et l'annulation du lancement du second vaisseau. Au cours de la descente vers le sol, le parachute du vaisseau se met en torche et le vaisseau s'écrase en tuant Komarov. Une commission d'enquête est créée et Gagarine fait partie des personnes chargées de déterminer l'origine de la défaillance à l'atterrissage[45]. Quelques jours après l'accident Kamanine informe Gagarine que celui-ci n'a pratiquement aucune chance de participer à une future mission spatiale et qu'il va proposer son interdiction de vol[46].

Gagarine et son épouse (à gauche sur la photo) en 1966.

En 1966 Gagarine, comme la majorité des autres cosmonautes de sa promotion, entame un cycle d'étude à l'institut d'aéronautique Joukovski de Moscou. À titre de travaux pratiques les cosmonautes travaillent sur les caractéristiques d'un avion spatial inspiré du projet Dyna-Soar américain abandonné quelques années auparavant. Gagarine est notamment chargé de l'aérodynamique et du système d'atterrissage[47]. En novembre 1967, toujours dans l'objectif de protéger la vie d'un personnage qui symbolise le triomphe de l'astronautique soviétique, Gagarine n'est plus autorisé à effectuer des vols sur avion de chasse en solo. Ainsi, il vole moins de dix heures chaque année jusqu'à sa mort. Gagarine est accaparé par sa participation à plusieurs commissions d'État et par son rôle d'ambassadeur de l'astronautique soviétique. Il aime rouler vite et il échappe miraculeusement à de graves accidents (plus de vingt accidents de voiture en moins de sept ans)[1]. Selon Kamanine son mode de vie de coureur de jupons, les réunions interminables et les beuveries fréquentes transforment progressivement l'image publique de Gagarine et effacent le sourire qui faisait son charme[48].

Décès

Un MiG-15 UTI, avion d'entraînement biplace (ici aux couleurs polonaises).

Début 1968, Gagarine est de nouveau autorisé à piloter un avion de chasse à condition d'être accompagné d'un instructeur. Il enchaîne les vols d'entraînement, à un rythme que Kamanine juge trop élevé, car Gagarine veut de nouveau voler en solo. C'est ainsi que le 27 mars 1968 il décolle peu après 10 heures du matin à bord d'un MiG-15 UTI depuis un aéroport proche de Moscou. Il est accompagné d'un instructeur, le colonel Vladimir Serioguine, pilote de 45 ans aux références impeccables, qui depuis 1963 est affecté à l'entraînement des astronautes. Quelques minutes après le décollage, Gagarine demande aux contrôleurs la permission de modifier son plan de vol et de rentrer à la base, ce sera sa dernière communication. En l'absence de nouvelles, l'alerte est rapidement déclenchée. Quelques heures après ce dernier contact, des hélicoptères décollent pour se mettre à la recherche de l'avion qui est repéré à environ 64 km de la base aérienne dans une zone densément boisée et recouverte d'un mètre de neige. L'avion a creusé un cratère de 6 à 7 mètres en s'écrasant, ce qui laisse supposer qu'il a heurté le sol à une vitesse comprise entre 700 et 800 km/h. L'équipe de recherche découvre rapidement une mâchoire qui est identifiée comme étant celle de Serioguine. Les recherches sont interrompues par la nuit. Lorsqu'elles reprennent le lendemain, l'équipe de sauvetage découvre d'abord la combinaison de vol de Gagarine accrochée dans un arbre à une dizaine de mètres de hauteur puis, peu après, les corps des deux pilotes. Une commission a été mise en place dès la veille au soir pour découvrir ce qui s'est passé[49].

La thèse officielle est que Gagarine, victime d'une défaillance de son avion, ne s'est pas éjecté pour éviter que son MiG-15 s'écrase sur une école[50], cette information se révéla rapidement entièrement fausse. L'enquête officielle de l'époque, dont les conclusions ne sont pas rendues publiques, impute l'accident à une manœuvre brusque soit pour éviter un ballon-sonde soit pour ne pas pénétrer dans la zone de turbulence située au sommet d'une couche nuageuse. Ces conclusions, qui mettent en cause le pilote, soulèvent des protestations de Kamanine et des cosmonautes seniors[51]. En l'absence d'informations officielles sur les circonstances de l'accident, de nombreuses hypothèses sont énoncées par des experts occidentaux[52]. Le rapport de l'époque est déclassifié en avril 2011, sa conclusion est que la cause la plus probable de l'accident aurait été une manœuvre brusque destinée à éviter un ballon-sonde[53],[54],[55],[56].

D'après Asif Azam Siddiqi, historien américain de la conquête spatiale qui reprend les conclusions d'un article de Sergueï Belotserkovski et A. Leonov paru dans la Pravda en 1998, le dossier aurait été rouvert 20 ans après les faits en Union soviétique et une étude minutieuse aurait mis en évidence plusieurs facteurs contribuant à apporter un nouvel éclairage sur l'accident. Deux MiG-21 et un MiG-15 auraient été autorisés à voler dans la même zone au même moment et le cosmonaute aurait décollé sans information sur le plafond de la couverture nuageuse. Alors que Gagarine entamait un virage et sa descente à une altitude de 700-1 200 mètres pour rentrer au terrain, le deuxième MiG-15 serait passé, sans s'en rendre compte, à 500 mètres de l'avion de Gagarine, coupant sa trajectoire. Celui-ci, pris dans les turbulences créées par le sillage de l'avion, aurait entamé une vrille que le pilote serait parvenu à redresser après avoir effectué cinq tonneaux. Mais au sortir de la vrille, Gagarine et son coéquipier, qui se trouvaient dans une couche nuageuse épaisse, n'auraient eu qu'une idée imprécise de leur altitude, en fait entre 400-600 mètres, avec un angle d'attaque de 70 degrés. Il ne serait alors resté que cinq secondes avant que l'avion ne s'écrase au sol, ne laissant aucune chance aux deux pilotes pour s'éjecter[49].

Gagarine et Serioguine sont tous deux inhumés dans le mur du Kremlin. La perte en deux ans de deux cosmonautes (Vladimir Komarov en 1967, et Gagarine en 1968) entraîne un changement important dans les procédures de sécurité appliquées pour la mise au point des lanceurs et des vaisseaux habités. Alors que, jusque-là, les autorités soviétiques avaient parfois fait prendre des risques importants aux cosmonautes pour battre les Américains dans la course à l'espace, comme ce fut le cas en particulier pour le vol de Komarov, par la suite les vols des vaisseaux sans pilote permettant de qualifier avec un degré raisonnable de certitude les engins deviennent la règle.

Personnalité et pensée

Youri Gagarine était très apprécié par Korolev pour son calme, son optimisme et son sens de l'observation : « Pendant les journées de préparation pour le lancement [...] lui seul semblait rester calme. Plus que cela : il était plein de bon esprit et rayonnait comme le soleil »[57]. Pour la BBC « sa personnalité aimable et modeste a charmé le monde »[36].

Après le vol, certaines sources ont déclaré que Gagarine pendant son vol spatial a fait le commentaire : « Je ne vois aucun Dieu là-haut ». Cependant aucune parole semblable n'apparaît dans les enregistrements des conversations de Gagarine avec les stations terrestres pendant le vol[58]. Un ami proche de Gagarine, le Colonel Valentin Petrov, révélera en 2006 qu'il n'avait jamais dit ces mots et que la phrase provenait d'un discours de Nikita Khrouchtchev au comité central du parti communiste de l'Union soviétique où la propagande anti-religieuse était discutée. Dans un certain contexte, Khrouchtchev dit « Gagarine a été dans l'espace mais il n'y a vu aucun dieu »[59]. Le colonel Petrov ajoute que Gagarine a été baptisé par l'église orthodoxe lorsqu'il était enfant. En 2011 le recteur de l'église orthodoxe de la cité des étoiles raconte que « Gagarine avait baptisé sa fille ainée Yelena peu avant son vol spatial; sa famille fêtait noël et pâques et gardait des icônes dans la maison »[60].

Œuvres

  • (en) Youri Gagarine, Road to the Stars, Moscou, Foreign Languages Publishing House, 1961 (autobiographie), réédité par University Press of the Pacific, 2002 (ISBN 978-0-8987-5728-6). Cet ouvrage existe en langue française avec pour titre Le chemin du Cosmos ; il a été édité par les Éditions du Progrès à Moscou et diffusé par la Librairie du Globe à Paris.

Héritage

En Russie le 12 avril est un jour férié aussi important que le 9 mai, date de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie. Selon les sondages, Youri Gagarine est « la personnalité du XXe siècle la plus attrayante » pour la population russe. Pour le président Dmitri Medvedev, lors de l’anniversaire des cinquante ans du lancement, « Le vol de Gagarine a été un événement absolument révolutionnaire, hautement symbolique. Cela a été un immense succès du secteur spatial soviétique. Il a marqué un avant et un après ». Pour le premier ministre et ancien président Vladimir Poutine, « Gagarine est un homme qui a changé le monde »[61].

Après que leur pays a gagné la course à la Lune, le vol de Gagarine n'est plus considéré par les historiens américains comme une avancée majeure de l'histoire de l'humanité mais juste une étape qui a permis de décider les États-Unis à envoyer des hommes sur la Lune[62].

En 2011, les fusées Soyouz qui approvisionnent et relèvent les équipages de la Station spatiale internationale sont toujours comme la fusée Vostok de Gagarine un dérivé de la fusée R-7 Semiorka, famille de fusée qui a emporté tous les vols habités russes.

Distinctions

Statue de Youri Gagarine à la Cité des étoiles.

À la suite de son vol spatial, le lieutenant Gagarine est directement promu au grade de major. Il reçut le titre de Héros de l'Union soviétique et la médaille de l'ordre de Lénine, qui constituent les plus hautes distinctions de l'Union soviétique. Il est nommé membre d'honneur de l'Académie internationale d'astronautique (1966).

Son nom a été donné en hommage à de nombreux lieux, institutions ou récompenses dont entre autres:

De nombreuses rues, avenues et places de par le monde ont reçu son nom, en France plus particulièrement dans les municipalités dirigées à l'époque par le Parti communiste français.

Symbole du triomphe d'une idéologie considérée à l'époque dans beaucoup de pays du Tiers-monde comme une alternative au « joug des pays colonialistes » emmenés par les États-Unis, il reçoit de nombreuses autres décorations dans ces pays.

Notes et références

Notes

  1. La ville de Gjatsk fut renommée Gagarine en son honneur en 1968.
  2. Il mettra plus d'un mois à s'en remettre et peut-être marqué par ce traumatisme se suicidera des années plus tard en se pendant.
  3. Cette procédure résulte d'un compromis entre les cosmonautes qui veulent contrôler leur vaisseau et les ingénieurs qui souhaitent que le vol soit entièrement contrôlé depuis le sol. Ce débat a également lieu à la NASA mais les astronautes américains auront gain de cause contrairement à leurs homologues soviétiques.
  4. « Je n'ai aucune difficulté à imaginer que le premier homme vainquant la gravité terrestre et fonçant dans l'espace. Il est russe et citoyen de l'Union Soviétique ; son métier le plus probable est pilote; il est courageux mais dénué de témérité. Je vois son franc visage russe ». French et Burgess, p. 16-17
  5. Les vaisseaux Soyouz disposent de ces rétrofusées mais, malgré ce dispositif, les atterrissages peuvent être très violents et occasionner des blessures légères à l'équipage.
  6. ville sur la Volga à environ 700 km au sud-est de Moscou).
  7. Exemple de langue de bois imposée à Gagarine. Question d'un journaliste : « Quand vous a-t-on annoncé que vous aviez été sélectionné pour le vol ? » Gagarine : « On me l'a annoncé au moment opportun ». Question : « Vous avez dit hier que vos compagnons cosmonautes se préparaient pour un prochain vol. Combien sont-ils ? Sont-ils plus d'une douzaine ? » Gagarine : « Conformément au plan de conquête spatiale, les cosmonautes s'entraînent dans le pays. Je crois qu'ils sont suffisamment nombreux pour réaliser des vols importants. » Question : « Quand le prochain vol doit-il avoir lieu ? » Gagarine : « Je crois que nos scientifiques et cosmonautes planifieront le prochain lorsque cela sera nécessaire ». Asif A. Siddiqi, p. 283
  8. Le site de lancement sera rebaptisé Baikonour en 1996. Asif A. Siddiqi, p. 283

Références

  1. a et b (en) Jamie Doran, Piers Bizony, Starman: The Truth Behind the Legend of Yuri Gagarin, éd. Bloomsbury Publishing PLC, 2011, 256 p.
  2. French et Burgess, p. 2-5
  3. French et Burgess, p. 6-7
  4. French et Burgess, p. 7-10
  5. Asif A. Siddiqi, p. 243-245
  6. Asif A. Siddiqi, p. 246
  7. French et Burgess, p. 11
  8. a et b Asif A. Siddiqi, p. 262
  9. Asif A. Siddiqi, p. 261
  10. Asif A. Siddiqi, p. 248-249
  11. Asif A. Siddiqi, p. 272
  12. French et Burgess, p. 15
  13. French et Burgess, p. 16-17
  14. Asif A. Siddiqi, p. 253
  15. Asif A. Siddiqi, p. 265-267
  16. Asif A. Siddiqi, p. 255
  17. Marie Jégo, « La Russie atteinte de gagarinomania », Le Monde, 14 avril 2011
  18. Asif A. Siddiqi, p. 268-269
  19. Asif A. Siddiqi, p. 273
  20. Le jour où Youri Gagarine a vu la Terre… - France-Soir, 12 avril 2011
  21. a, b, c et d French et Burgess, p. 19
  22. a et b Asif A. Siddiqi, p. 276
  23. a et b Asif A. Siddiqi, p. 277
  24. French et Burgess, p. 20
  25. a et b French et Burgess, p. 22
  26. Asif A. Siddiqi, p. 278
  27. French et Burgess, p. 21
  28. a et b Asif A. Siddiqi, p. 279
  29. French et Burgess, p. 24
  30. Asif A. Siddiqi, p. 280-281
  31. a, b et c French et Burgess, p. 25
  32. a et b Asif A. Siddiqi, p. 281
  33. (en) Reconstitution en temps réel du vol orbital de Gagarine - YouTube [vidéo]
  34. a et b Asif A. Siddiqi, p. 282
  35. French et Burgess, p. 01
  36. a, b et c (en) Russia remembers space hero, BBC, 15/5/2011
  37. Asif A. Siddiqi, p. 296
  38. Asif A. Siddiqi, p. 283-284
  39. a et b Asif A. Siddiqi, p. 291
  40. Asif A. Siddiqi, p. 353
  41. Asif A. Siddiqi, p. 295
  42. Asif A. Siddiqi, p. 375
  43. Asif A. Siddiqi, p. 568
  44. Asif A. Siddiqi, p. 581
  45. R. Hall et D. Shayler, Soyuz A universal Spacecraft, p. 135-136
  46. Asif A. Siddiqi, p. 622
  47. Asif A. Siddiqi, p. 606-607
  48. Asif A. Siddiqi, p. 626
  49. a et b Asif A. Siddiqi, p. 628-629
  50. Pierre Baland, De Spoutnik à la Lune L'histoire secrète du programme spatial soviétique, Éditions Jacqueline Chambon, 2007 (ISBN 978-2-7427-6942-1), p. 237 .
  51. Asif A. Siddiqi, p. 628
  52. « 40 ans de mystère autour de la mort de Gagarine », Armees.com, 1er avril 2008.
  53. « Gagarine, tué par une erreur de pilotage », Libération, 9 avril 2011.
  54. « La Russie lève le voile sur la mort de Gagarine », Sud Ouest, 8 avril 2011.
  55. (en) « The mysterious death of Yuri Gagarin », International Business Times, 11 avril 2011.
  56. (en) « Russia sheds light on Gagarin death mystery », AFP, 8 avril 2011.
  57. (en) Yuri Gagarin: His Life in Pictures - Russian archives online
  58. (ru) Полная стенограмма переговоров Юрия Гагарина с Землей с момента его посадки в корабль (за два часа до старта) до выхода корабля "Востока-1" из зоны радиоприема, Cosmoworld.ru. Consulté le 2008-03-30
  59. (ru) Я горжусь обвинениями в том, что ввел Юрия Гагарина в православие, Interfax-religion.ru, 2006-04-12. Consulté le 2008-03-30
  60. (en)Gagarin's family celebrated Easter and Christmas, Korolev used to pray and confess, Interfax-religion.com. Consulté le 2011-04-11
  61. 50 ans du premier vol dans l'espace de Youri Gagarine - Le nouvel Observateur, 12 avril 2011.
  62. Asif A. Siddiqi, p. xi

Annexes

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

  • (en) Asif A. Siddiqi (NASA), Challenge To Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974, University Press of Florida, 2000, 1011 p. (ISBN 978-0-8130-2628-2) [lire en ligne] 
    Historique du programme spatial soviétique jusqu'à la fin du programme lunaire habité soviétique (NASA SP-2000-4408)
  • (en) Rex D. Hall et David J. Shayler, Soyuz A universal Spacecraft, Springer Praxis, 2003 (ISBN 1-85233-657-9) 
  • (en) Francis French, Colin Burgess et Paul Haney, Into That Silent Sea : Trailblazers of the Space Era, 1961-1965, University of Nebraska Press, 2009, 440 p. (ISBN 978-0-8032-2639-5) [lire en ligne], « First to fly » 
  • Youri Gagarine et Vladimir Lebedev (trad. du russe par I.Sokolov), La psychologie et le cosmos, Moscou, Éditions MIR, 1969 .
  • Yves Gauthier, Gagarine, ou le rêve russe de l'espace, Paris, Flammarion, 1998 (ISBN 2-08-067415-3) [lire en ligne] .
  • « Heidegger, Gagarine et nous », article d'Emmanuel Levinas dans Difficile Liberté, 1961.

Filmographie

  • Les derniers jours de Youri Gagarine, documentaire de 52 minutes de Laurent Portes, produit par Sunset Presse pour France 5 (2008)
  • À l'occasion des 50 ans du vol historique en 2011, le film First Orbit (en) a été tourné à bord de la Station spatiale internationale et retrace la première orbite accomplie par Youri Gagarine.

Articles connexes

Lien externe



Chronologie
précédent : astronaute suivant :
1er Alan Shepard
Liste des missions habitées entre 1961 et 1986
astronaute russe
(1er soviétique)
1er Guerman Titov


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