Tiers exclus

Tiers exclus

Principe du tiers exclu

Le principe du tiers exclu (ou milieu exclu) soutient que, de deux propositions contradictoires, si l'une est vraie, l'autre est nécessairement fausse, et réciproquement, et il n'y a pas de troisième solution possible. La loi ou principe du tiers exclu affirme la disjonction d'une proposition p et de sa négation non-p : p ou non-p, donc si l'une est fausse, l'autre est vraie. Un objet existe ou n'existe pas, sans autre possibilité.

Ce principe, comme celui d'identité, a une double version, ontologique ou logique. La version ontologique rejette la notion de gradations dans l'être : il y a être, ou non-être, pas de demi-être. La version logique affirme que toute proposition est nécessairement vraie ou fausse, sans valeur intermédiaire possible.

Le principe du tiers exclu est une autre expression du principe de non-contradiction. La "loi de l'alternative" (Robert Blanché) résulte de la conjonction de la loi de non-contradiction et de la loi du tiers exclu.[1]

La logique classique lui donne une grande importance. Selon David Hilbert,

"Priver le mathématicien du tertium non datur [le troisième n'est pas donné] serait enlever son télescope à l'astronomie, son poing au boxeur."[2]

Sommaire

Définition

En mathématiques, le principe du tiers exclu affirme que la proposition « φ ou (non φ) » est vraie, pour toute proposition φ. Cela signifie que pour toute proposition φ, on doit accepter soit φ, soit sa négation.

Le principe du tiers exclu a été introduit par Aristote comme conséquence du principe de non-contradiction, alors que ces deux principes sont différents. Le principe de non-contradiction stipule que pour toute proposition φ on ne peut pas avoir φ et non φ en même temps.

En logique classique, le principe du tiers exclu se déduit de l'élimination de la double négation ( non(non(R)) = R ) :

non-contradiction : non (R et (non(R)) <=> non(R) ou non(non(R)) <=> non(R) ou R (tiers exclu)

Ce n'est toutefois pas le cas dans tous les formalismes logiques, et en particulier en logique intuitionniste, qui conserve le principe de non-contradiction mais n'utilise pas le « principe » du tiers exclu. En logique intuitionniste, nous ne pouvons pas dire que « R ou (non R) » est vraie a priori pour toute proposition R, il faut le démontrer pour chaque proposition R (et, dans certains cas, cela sera impossible sans introduire un nouvel axiome). Pour un mathématicien intuitionniste, le principe du tiers exclu est au mieux inutile (pour les démonstrations qu'on pourrait faire sans l'utiliser), au pire stérilisant (il tranche des propositions indécidables, sans que cela résulte d'une décision consciente et délibérée, sachant qu'à chaque fois on peut créer plusieurs formalismes distincts et potentiellement féconds).

Un exemple de raisonnement faisant appel au tiers-exclu est le suivant: nous voulons démontrer l'implication

\forall a,b \in \mathbb R, ab=0 \Rightarrow a=0 \ {\rm ou}\  b=0

Pour cela, nous pouvons considérer la proposition R: « a=0 » et utiliser le principe du tiers exclu pour R. Il y a alors deux cas à examiner (un troisième cas étant exclu) :

  • soit R est vraie: alors la proposition « R ou b=0 » est vérifiée
  • soit R est fausse i.e. a≠0 alors en simplifiant par a la relation ab=0, nous obtenons b=0, et « R ou b=0 » est vérifiée.

Dans l'implication précédente, un mathématicien intuitionniste refusera de conclure que a=0 ou b=0, parce qu'il ne peut pas prouver que « a=0 ou non(a=0) » est vraie (l'égalité sur les réels étant indécidable).

Toutefois, la logique intuitionniste n'est pas fondamentalement plus faible que la logique classique : pour toute proposition R prouvable en logique classique, il existe une proposition R' (qui peut être identique à R) telle que R et R' sont équivalents au sens de la logique classique, et R' est prouvable en logique intuitionniste. Dans notre exemple, cette proposition R' serait « non(ab=0 et non(a=0) et non(b=0)) ».

Le raisonnement par l'absurde repose sur le principe du tiers exclu. En effet, il fonctionne sur le mécanisme suivant : je veux prouver R. Pour cela, je suppose « non(R) » et je tombe sur une contradiction : c'est donc que « non(R) » est fausse, et d'après le principe du tiers exclu, que « R » est vraie. En logique intuitionniste, cette dernière étape est impossible: de « non(R) » est fausse, on peut juste conclure « non(non(R)) » est vraie, mais ce n'est pas équivalent à « R » est vraie, comme en logique classique. On a juste l'implication R\Rightarrow {\rm non}({\rm non}(R)), mais pas sa réciproque.

Histoire

Parménide utilise implicitement le principe du tiers exclu.

"Il [l'être] est absolument ou il n’est pas du tout."[3]

Aristote le mentionne, le premier, avec clarté :

"Il n'est pas possible qu'il y ait aucun intermédiaire entre les énoncés contradictoires : il faut nécessairement ou affirmer ou nier un seul prédicat, quel qu'il soit."[4]

"Quels sont les postulats épistémologiques de la physique classique, newtonienne ou relativiste ? Ils sont au nombre de deux : le principe du déterminisme et le principe du tiers exclu expérimental. (Le) principe du tiers exclu expérimental conduit la physique classique à distinguer radicalement la matière et l'énergie, les phénomènes particulaires et les phénomènes ondulatoires, le continu et le discontinu." [5]

Kant, dans sa Logique (1800) lie principe du tiers exclu et problèmes apodictiques (nécessaires).

"Nous pouvons poser ici trois principes comme critères universels de la vérité, simplement formels et logiques, ce sont : 1) le principe de contradiction et d'identité (principium contradictionis et identitatis) par lequel la possibilité interne d'une connaissance est déterminée pour des jugements problématiques, 2) le principe de raison suffisante (principium rationis sufficientis) (...) pour les jugements assertoriques ; le principe du tiers exclu (principium exclusi medii inter duo contradictoria) (...) pour des jugements apodictiques. (...) Les jugements sont problématiques, assertoriques ou apodictiques. Les jugements problématiques sont accompagnés de la conscience de la simple possibilité, les assertoriques de la conscience de la réalité, les apodictiques enfin de la conscience de la nécessité du jugement."[6]

Les "logiques polyvalentes" mettent en question le principe dès Lukasiewicz en 1910[7], qui revient à l'antique question des "futurs contingents" : si une proposition qui concerne le futur pouvait être caractérisée au présent déjà comme vraie ou fausse, on devrait admettre que le cours des événements est déterminé à l'avance. Les logiques polyvalentes contestent le principe du tiers exclu. Elles reconnaissent d'autres valeurs que le vrai et le faux, elles admettent, entre les deux, l'indéterminé, ou le possible, ou, en deçà, l'impossible (qui est un faux renforcé), et au-delà le nécessaire (degré supérieur du vrai). Heyting ne dit pas que le tiers exclu est faux, il en limite la portée".[8] Une proposition peut être absurde ou probable, et non seulement vraie ou fausse.

Brouwer puis Arend Heyting en 1930 [9] critiquent, au nom de leur "logique intuitionniste", un certain type de raisonnements tenus selon la loi du tiers exclu appliqué à des ensembles finis. Ils estiment qu'on n'a pas le droit d'inférer la vérité d'une proposition de la fausseté de sa négation.

Notes et références

  1. Robert Blanché, La logique et son histoire d'Aristote à Russell, Armand Colin, 1970, p. 41-42.
  2. David Hilbert, Die Grundlagen der Mathematik (1934-1939), p. 80.
  3. Parménide, fragment B 8.
  4. Aristote, Métaphysique, Gamma, 1011b23.
  5. Roger Caratini, Initiation à la philosophie, L'Archipel, 2000, p. 462.
  6. Kant, Logique (1800), trad., Vrin, 1970, p. 58 et 119.
  7. Jan Lukasiewicz, Sur le principe de contradiction chez Aristote, 1010.
  8. Gilbert Hottois, Penser la logique, De Boeck Université, Bruxelles, 1989, p. 116.
  9. Arend Heyting, 1930C, “Sur la logique intuitionniste”, Académie Royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Sciences, 1930, 16, p. 957–963.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Robert Blanché, La science actuelle et le rationalisme, PUF, 1967, p. 91-93.
  • Jean-Baptiste Gourinat, « Principe de contradiction, principe du tiers-exclu et principe de bivalence : philosophie première ou organon ? », dans M. Bastit, J. Follon (éds.), Logique et métaphysique dans l’Organon d’Aristote, Actes du colloque de Dijon, Louvain, Peeters, 2001, p. 63-91.
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