Sémantique Générale

Sémantique Générale

Sémantique générale

La sémantique générale, système de pensée présenté par son auteur comme « non-aristotélicien », a été fondée par Alfred Korzybski après qu'il ait pris conscience, au cours de la première guerre mondiale, que les mécanismes de pensée qui avaient provoqué cette guerre reposaient sur un usage inapproprié des postulats de la logique d'Aristote (principe d'identité, de non-contradiction et du tiers-exclu) , qui bâtissaient artificiellement une logique du conflit. Il formula alors une nouvelle logique, qu'il qualifia de "non-aristotélicienne", inspirée des enseignements physiques du XX° siècle (physique quantique, théorie de la relativité d'Einstein). Korzybski en expose les principes, principalement dans son ouvrage majeur Science and Sanity, an introduction to non aristotelian systems and general semantics, dont la première édition paraît en 1933.

Le terme sémantique générale prête à confusion et pourrait faire penser que cette « théorie » se rattache à la seule sémantique. C’est-à-dire à l’étude du « sens » des symboles et expressions. L’ambition de Korzybski dépasse ce cadre symbolique : il s’agit ici de considérer le « sens » de façon opérationnelle, par la façon dont notre organisme réagit à son environnement (y compris lui-même). La sémantique générale englobe certes la sémantique comme cas particulier, mais s’oriente autant et davantage vers la neurophysiologie, la psychiatrie ou les théories de la communication.

L’article suivant tente de définir de manière extensionnelle (cf. infra) la sémantique générale.

Sommaire

Historique

Dès les années 1920, Korzybski se demanda comment les êtres humains faisaient des évaluations erronées.

Il commença par formuler la faculté, qu’il baptisa Time-binding, de pouvoir, grâce à l’usage des symboles, transmettre l’acquis d’une génération à la suivante. Ceci fait, grosso modo, l’objet de son premier ouvrage, Manhood of humanity (disponible en version PDF ici : [4]).

Hypothèses neurologiques de la sémantique générale

« Ce qui peut être montré ne peut être dit. » Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.

Invoquant les progrès de la neurologie et de la psychiatrie en 1933, Korzybski rappela que notre représentation du monde s'effectue par des perceptions - ou interactions - ayant :

  • leurs limites (exemple : les limites visuelles - infrarouge et autres ondes électromagnétiques),
  • leurs pertes (exemple : un son masqué par un autre, ou un dysfonctionnement du pavillon de l'oreille),
  • leurs éléments non-conscients (exemple : la conscience de son état physique étant imperceptible, sauf par la douleur; les divers taux de substances dans le sang - oxygène, fer, etc.),
  • et d’autres enfin peuvent être sans rapport avec l’objet perçu (hallucinations, illusions d’optique, acouphènes…).

En tout état de cause, notre perception du « réel » demeure partielle et personnelle.

  • Exemple presque quotidien : un voyageur met « sans s'en rendre compte » ses pieds sur une banquette ou jette un papier à terre. Cela peut causer l'irritation d'un autre voyageur qui le lui fera remarquer ; mais comme le premier « n'a rien remarqué » de son propre comportement, il pourra percevoir cette intervention au contraire comme une agression gratuite, à laquelle il cherchera des motivations sans rapport avec la réalité (d'autant qu'un processus de déni de l'élément d'origine sera à l'œuvre).
  • En sens inverse, les « objets » qui nous entourent pourraient également être décrits par des jeux de molécules, atomes, etc. en perpétuelle évolution, sans que notre compréhension globale y gagne quoi que ce soit (voir l'article Émergence).

Notre esprit est donc amené à se construire des « représentations » internes du monde extérieur (cartes) à l’aide d'informations filtrées. Ces cartes, symboliques (désignation verbale, par exemple) ou non, ne prétendent nullement dupliquer exactement l'objet réel, dynamique et unique ; il s’agit du principe de non-identité, résumé dans l’apophtegme célèbre : « Quoi que vous disiez qu’une chose est, elle ne l'est pas ! ».

À partir de ces constatations, Korzybski établit trois principes essentiels :

  1. Une carte n’"est" pas le territoire qu’elle représente : les mots ne "sont" pas les 'objets réels', le mot « chien » ne mord pas, etc. ; cela peut paraître trivial, mais qui n'a pas par exemple nommé un jour ou l'autre « souris » le pointeur associé à celle-ci qui apparaît sur son écran ?[1] La confusion entre carte et territoire constitue un phénomène courant dont les conséquences se manifestent quand on ne s'y attend pas.
  2. Une carte ne recouvre pas tout le territoire qu’elle représente : le symbole omet de représenter certains « attributs » de l'« objet » qu’il représente ; quel âge a cette chaise ? Quel masse a cette voiture ? etc. ; or comment être certain « avant de conduire son raisonnement » que ce qui a été négligé dans ce processus d'abstraction n'est pas justement essentiel ?
  3. Toute carte (est) autoréflexive : 'on' peut construire une carte de la carte (sa légende), une carte 'parle' autant de son 'objet' que du cartographe qui l’a créée, etc.[2]

Imaginant alors le cheminement de l’influx nerveux lors du fonctionnement normal du cerveau, Korzybski suppose la présence d’un premier traitement dans le système limbique et thalamique, c’est-à-dire dans des centres encéphaliques archaïques responsables des sensations, des impressions — et non des fonctions symboliques. Il met ainsi en évidence l’importance de ce qu’il appelle les « niveaux silencieux », premiers filtres au travers desquels notre système nerveux traite et répond aux informations qui lui parviennent. Après avoir traversé le complexe limbo-thalamique, l’influx (ou plutôt les influx, étant donné le nombre de connexions neuronales activées) arrive dans les zones corticales et néocorticales où il acquiert une valeur symbolique (nom) par comparaison et catégorisation avec des expériences antérieures (« niveaux verbaux »).

À chaque étape de ce processus, les informations entrantes sont traitées, colorées, interprétées, un processus que Korzybski nomme abstraction ; il baptise l’ensemble des abstractions qui ont lieu à l’occasion d’un stimulus évaluation, et la réaction de notre système nerveux, à tous les niveaux, réaction sémantique (r.s.).

Chez l’homme, le résultat de ces abstractions successives, peut servir, par réentrance, à produire un nouveau stimulus (p.ex. : au travers de discours, écrits…), qui produira chez le même ou chez d’autres individus une nouvelle évaluation (commentaire à propos d’un discours…), etc. Jean-Pierre Changeux l'exprimerait de nos jours en disant que les concepts sont constitués par association neuronale de percepts ou de percepts avec d'autres concepts, ou même de concepts entre eux.

La chaîne des niveaux d’abstraction, chez l’homme, est indéfinie, mais de ce fait de moins en moins signifiante. Or les plus hautes abstractions produites par l’homme à chaque époque correspondent souvent à des descriptions du niveau le plus bas, formant ainsi une sorte de boucle. Ces raisonnements servent de base à la conception du différentiel structurel, un diagramme qui représente physiquement ce processus d'abstraction.

Ces hypothèses de Korzybski se vérifient en neurophysiologie 'moderne' (2004) par l’étude anatomique et fonctionnelle de l’encéphale, et la description clinique de certaines pathologies, particulièrement la prosopagnosie, l'aphasie, incapacités qu’a un patient de passer des niveaux silencieux (~ perception) aux niveaux verbaux (impossibilité de nommer un objet, suite, par exemple à une lésion de l’aire de Wernicke). Les niveaux silencieux sont eux-mêmes scindés en plusieurs sous-niveaux, puisque certains patients atteints de lésions de l’aire V1 du cortex visuel primaire (aire 17 de Brodmann), quoique n’ayant plus de perceptions visuelles 'conscientes' (rupture de la chaîne d’abstractions), se révèlent néanmoins capables de localiser et de suivre le mouvement des objets qui leur sont présentés ('perception' visuelle sous-corticale).

L’importance de la structure

Poursuivant l’analyse de nos représentations, Korzybski remarque que nous construisons des relations (plus haut, plus bas, plus grand, à gauche, à droite…) qui aboutissent à des cartes de cartes, et ainsi de suite, conformément au troisième principe énoncé ci-dessus. Mais ces cartes ne servent que dans la mesure où le système de relations qui les lient (structure) correspond exactement au système de relations qui relie les « objets » qu’elles représentent, à l’image d’une carte au sens traditionnel de la cartographie.

Comme nous ne connaissons le « réel » que par le truchement de son action (relations) sur notre système nerveux, nous ne pouvons le comprendre qu’en inventant des ensembles de symboles et de relations dont nous essayons de faire coïncider la structure avec celle des « objets » que nous étudions : tel est le but de la « mathématique », entre autres. Korzybski écrit :

« Comme les mots ne sont pas les objets qu’ils représentent, la structure et la structure seule devient notre liaison entre les processus verbaux et les faits empiriques. […] nous devons d'abord étudier les caractéristiques structurelles du monde et ensuite seulement bâtir des langages de structure analogue, et non appliquer au monde nos structures linguistiques primitives. Toutes nos doctrines, institutions, etc. dépendent de principes verbaux. Si ces derniers s'expriment dans une langue possédant une structure inadaptée, nos doctrines et nos institutions possèderont la même inadaptation, ce qui nous conduira tout droit vers un désastre. » Science & Sanity, p. 59.

Une analyse du langage

Intensionnalité et extensionnalité

Muni de ces axiomes cadres, Korzybski poursuit son analyse dans le domaine du langage. De la mathématique élémentaire, il « importe » les notions d’intensionnalité et d’extensionnalité. Définir un ensemble en intension consiste à formuler une propriété commune aux objets de l’ensemble (ex : « l’ensemble des voitures bleues ») ; l’extension consiste à énumérer tous les éléments de cet ensemble (« voiture de Guy, de Pierre, de Monique… »).

Parfois, il faut énumérer une série d’objets semblables, sans pouvoir les différencier a priori par un attribut particulier. Korzybski suggère alors d’utiliser, à l’image des mathématiques, une indexation numérique : table(1), table(2), etc. Cette indexation peut également s’appuyer sur des distinctions temporelles (Le Petit Robert(1999), Le Petit Robert(2002), etc.) ou spatiales (l’océan Atlantique à Biarritz, à La Baule, à Brest…).

Si les ensembles sont finis, il est possible de les énumérer en un temps fini. Quand l’ensemble est infini, cela n’est pas possible (par ex. l’ensemble des nombres premiers) – par ailleurs il existe des ensembles infinis dénombrables, et d'autres infiniment infinis, la notion est 'infiniment' compliquée; il s’agit d’ailleurs d’un 'avantage' de la définition intensionnelle : elle permet de 'spécifier' de manière concise une collection de taille importante, voire infinie. Pour profiter de cet avantage, tout en conservant l’orientation extensionnelle, Korzybski recommande l’utilisation des signes etc. ou … : il s’agit ici de clore une énumération faute de place/temps, tout en gardant à l’'esprit', et en avertissant le lecteur/interlocuteur, que celle-ci continue, voire ne s’achève pas. On pourra ainsi énumérer l’ensemble des nombres premiers par {2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, etc.} – à supposer qu'on les connaisse à l'avance sinon il est impossible de les énumérer, ce qui en toute logique est illogique, personne n'étant infini.

Indexer spatio-temporellement constitue l’un des premiers moyens d’éviter des incompréhensions ou de démonter des arguties : parler de la science en général n’a pas de signification précise, à l’inverse de la science (ici, maintenant) ou de la science chez les Papous il y a 200 ans. Cette remarque attire l’attention sur le fait qu’il existe une catégorie de mots, majoritairement abstraits (science, philosophie, vie, environnement, économie…), qui représentent des fonctions (au sens mathématique) : il existe une acception spatio-temporelle clairement définie de ces termes mais ils peuvent porter à confusion dans la perception commune.

L’utilisation du symbole etc. nous permet également de nous conformer au deuxième principe, la non-toutité : si nous ne pouvons 'tout' dire sur un objet, nous pouvons en énumérer quelques propriétés, et compléter par etc. pour montrer que nous savons que la liste ne se clôt pas. Une pomme ronde, verte, juteuse, mûre, etc. (par ex. : véreuse !) ; cet homme est grand, etc. ; etc.

Observations et inférences

Lorsqu’un auditeur écoute une phrase prononcée par un locuteur, il s’approprie ce discours, et l’abstrait : il associe son contenu avec diverses expériences mémorielles, habitudes, catégories, attributs… souvent au « niveau silencieux » ; il s’agit de l’évaluation du discours. Cependant, rien ne nous assure que les évaluations du locuteur et de l’auditeur concordent (nous savons même qu’elles ne peuvent que diverger dans une mesure plus ou moins importante) ; faute de se mettre au préalable d’accord sur la signification exacte des termes utilisés, il y a des chances de mésentente. En outre, comme l'a fait Kant, il convient souvent de redéfinir les termes que nous employons afin d'être compris.

L’une des manifestations les plus flagrantes de ce phénomène réside dans la distinction entre observations et inférences. Les observations dérivent d’une expérience perceptive directe : je vois une pomme. Maintenant, si je me tourne vers mon voisin qui me demande : « Que vois-tu ? » et que je lui dis : « Je vois une pomme », si lui ne peut pas la voir, il va sans doute se la représenter (activation des « niveaux silencieux ») comme possédant un certain nombres d’attributs (ronde, verte ?, sucrée, etc.). A rapprocher de la plaisanterie : – Que vois-tu ? – Un doigt. – Je suis bien caché alors ! Ou alors de l'idée de regarder une rose, et de ne jamais avoir le mot 'rose' en tête.

Si maintenant je lui demande : « Quelle forme a ma pomme ? », il répondra sans doute : « Ronde ». Or, la pomme que je vois a été à moitié croquée et n’est donc plus ronde. Mon interlocuteur, en répondant, a confondu une carte « interne » (objet rond, vert, croquant, juteux, sucré…) qu’il a automatiquement associée au mot « pomme » avec un fait constaté (observation). Il a attribué à mon observation une signification qu’elle ne possédait pas. On parle dans ce cas d’inférence. Cette dernière ressortit à ce que l’on nomme confusion d’ordre d’abstractions, c’est-à-dire la confusion de mon abstraction (mon observation) avec une autre abstraction, qui résulte non d’une observation directe de cette pomme, mais de mon abstraction (donc d’ordre plus élevé). Cette distinction de l’ordre des abstractions occupe une place centrale en sémantique générale. Nous y reviendrons.

Autre exemple : les illusions d’optique. On peut rappeler à ce sujet que 80 % des inférences du corps genouillé latéral, qui constitue le premier relais thalamique de la vision, viennent de l’encéphale et non de la rétine…). Il faut concentrer son attention ou s’entraîner pour remarquer les différences. Korzybski a écrit à ce sujet un article intitulé : « Le rôle du langage dans les processus perceptuels ».[3].

Dernier exemple. Si je vous dis : « José est rentré chez lui en voiture », et qu'ensuite je vous demande : « Est-ce que José a pris sa voiture pour rentrer chez lui ? », si vous répondez : « Oui », vous commettez une inférence. José a en effet pu prendre la voiture de quelqu'un d'autre, en louer une, ou encore être raccompagné par un tiers. La distinction observation # inférence prend ainsi un rôle primordial dans le domaine des enquêtes policières. Ce genre d'inférences est le plus répandu, on peut le constater dans la vie quotidienne. On se réfère plus que souvent à des expériences personnelles afin de décrypter les informations qui nous parviennent. Elles peuvent parfois avoir des conséquences catastrophiques.

Nous avons besoin, pour notre 'fonctionnement' normal, de jouer sur les observations et les inférences ; dans la plupart des cas, nos inférences se révèlent justes : un mouton aura bien quatre pattes[4], le paquet contiendra bien l'objet que nous attendons, etc. Elles forment le piment des phrases à double sens, à sous-entendus. Aux « niveaux silencieux », les inférences nous servent à anticiper des comportements, des mouvements, à saisir des objets, parfois à deviner des traits de caractère (intuition : « je le sens pas », « j'y crois dur comme fer ! », etc.). Cependant, pour ne pas commettre d'erreurs de jugement, il convient de demeurer conscient de la différence entre observation et inférence, de manière à ne pas prendre l'un pour l'autre (et vice-versa).

Généralement, confondre observations et inférences ne se traduit, au pire, que par des surprises éphémères et sans conséquences majeures. Toutefois, certaines confusions sont plus préjudiciables, surtout quand elles renforcent de fausses tautologies (toutité : 'tous' les 'jeunes’sont des 'sauvageons'…) ; le lecteur cherchera lui-même quelles peuvent être les inférences reliées à certains noms ou adjectifs comme : « Arabe », « Américain », « Corse », « Juif », etc. (voir aussi Préjugé).

Certains tests permettent d'évaluer l'aptitude à différencier observations et inférences.[5]

L'on peut remarquer que confondre observation et inférence consiste souvent à attribuer sans fondement des attributs à un 'objet' particulier que l'on n'a pas observé, ou insuffisamment, mais qui appartient à une 'catégorie' ('classe') connue possédant des caractéristiques 'habituelles'. Il s'agit donc, une nouvelle fois, d'une orientation (abusive) vers la ressemblance au détriment de la différence (quelle est la ressemblance entre les éléments de l'ensemble de tous les ensembles, sinon qu'ils sont tous des ensembles, ce qui ne signifie rien ?). Le fait d'établir des lois générales à partir d'observations particulières s'appelle quant à lui l'induction.

Termes non-définis

Si nous parcourons un dictionnaire en commençant par un mot quelconque, que nous recherchons la définition des mots qui servent à le définir, et ainsi de suite, nous arrivons fatalement à tomber sur une boucle linguistique : le corpus lexical fini ne peut donner naissance à une chaîne de définition infinie. Ainsi, le mot B définira le mot A, le mot C définira B, et A définira C.

Korzybski remarque que cette particularité se rencontre dans la plupart de nos activités symboliques. Ainsi que nous l’avons dit, en science, nous construisons des théories mathématiques, logiques… de très haut niveau, inférentielles (dans le sens où nous les basons sur des hypothèses et que nous cherchons à les confirmer par des observations), dont la structure cherche à reproduire celle des phénomènes 'réels' que nous observons. Si la structure au temps t ne convient pas, nous la modifions en fonction de nouvelles observations, etc. Il y a donc, là aussi, un phénomène de boucle. Bertrand Russell remarqua à ce sujet que : « Les mathématiques sont la science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle ni si ce que l’on dit est vrai. »
Il s'agit pour le moins d'affirmations abusives. Tant il est vrai que Leibniz fit des mathématiques afin de prouver l'existence de Dieu, tant les mathématiques actuelles reposent sur des éléments démontrés, et constatés, par plusieurs. Même si l'inférence est un défaut majeur de nos moyens de compréhension, il est avéré que les mathématiciens ont acquis suffisamment de sagesse afin de pallier ce genre de distorsion de la réalité (voire le théorème de Fermat, étudié par Andrew Wiles). Par ailleurs, il suffit de s'intéresser à l'hypothèse du continu pour évaluer la capacité des uns à 'se poser des questions' sur leurs observations.

Enfin, résumer les mathématiques à un objet 'circulaire' revient à dénier sa qualité intrinsèque : 'l'introspection'.

Korzybski dénomma cette caractéristique générique du savoir humain circularité.

Cependant, chacun de nous croit comprendre le discours des autres, ce qui signifie, que nous attribuons une valeur commune à certains aspects de notre vocabulaire. Compte-tenu de la circularité, cela implique que chaque personne possède un sous-ensemble lexical de base formé de termes primaires, non-définis, à l’aide desquels il construit ou interprète le sens des autres vocables qu’il connaît. Cet ensemble résulte de certaines catégorisations que nous effectuons d’après notre mémoire, expérience… Il s’agit d’un ensemble fluctuant, dynamique.

Si, en 1933, la neurologie ne possédait pas encore assez d’éléments pour appuyer cette thèse, les découvertes récentes incitent à penser que les diverses aires corticales catégorisent nos 'perceptions' (séparation d’un 'objet' et de son 'environnement', du 'moi' et du 'non-moi', etc.) et établissent des corrélations automatiques entre les différentes 'catégories' pour former des scènes complexes. Pratiquement, cela signifie que la « relation », l'« ordre » spatio-temporel auraient un caractère inné. D’autres sensations, comme « froid », « chaud », « sucré », « clair », « agréable », « douloureux »… résultent également de l’évaluation directe de stimuli par le système limbothalamique (voire réflexe).

Multiordinalité

Je ne suis certain de rien.
En êtes-vous sûr ?

Si nous prenons conscience qu’une phrase et une phrase à propos de cette phrase constituent deux niveaux d’abstraction différents, nous pouvons élégamment éviter de tomber dans le piège de certains paradoxes de langage, comme celui d’Épiménide : « Je mens ». Je mens s’interprète comme : « Je prononce une phrase P, dont j’affirme la fausseté. ». Mais P appliquée à P, c’est-à-dire : « Je prononce la phrase : « Je prononce la phrase P, dont j’affirme la fausseté », dont j’affirme la fausseté », n’est pas P, mais une métaproposition P', d’ordre d’abstraction plus élevé, indépendante de P, même si elle s’exprime dans les mêmes termes. Il n’y a ainsi aucune contradiction à ce que P soit vraie, et P' fausse, et ainsi de suite. Korzybski rejoint donc sur ce point la Théorie des types, formalisée par Russell et Whitehead.

Il se rendit compte également qu’une classe de mots possédait une 'propriété' particulière :

« Les mots oui, non, vrai, faux, fonction, propriété, relation, nombre, différence, nom, définition, abstraction, proposition, fait, réalité, structure, caractéristique, problème, savoir, penser, parler, haïr, aimer, douter, cause, effet, sens, évaluation et ainsi de suite, un nombre très important des mots de notre vocabulaire doivent être considérés comme multiordinaux (m.o.) Ces termes ont une caractéristique sémantique très importante, à savoir qu’ils sont en général ambigus, ou \infty-valués, et que chacun d’entre eux n’acquiert une signification définie, ou précise, qu’à l’intérieur d’un contexte fixé, quand l’ordre d’abstraction peut être connu. […] Tester la multiordinalité d'un terme est facile : faites une phrase à laquelle le terme s'applique (vrai, faux, oui, fait, réalité, penser, aimer, etc.) ; faites maintenant une autre phrase à propos de la première et regardez si le même terme peut s'y appliquer : le cas échéant, vous tenez un terme multiordinal. » (Science & Sanity, p. 433).

Par exemple, pour le mot « fait » :

  • « Je vois le train qui part » : un fait ;
  • « Je dis : je vois le train qui part » : un autre fait.

Pour « croire » :

  • « il fait beau » ; je le crois.
  • J'ai dit : « il fait beau » ; je crois (que je l'ai dit).[6]

En termes mathématiques : P(a) \ \wedge \ [Q(P)](a) : il existe une proposition 'P' possédant la propriété 'a' et une 'métaproposition' Q qui, quand on lui applique P comme variable, possède aussi la propriété 'a'. Les termes m.o s'appliquent donc à des phrases de quelque niveau d'abstraction que ce soit.

Il convient cependant de bien remarquer que, pour tester la multiordinalité d'un terme, il faut construire une seconde phrase à propos de la première, pas à propos du sens de la première.

Les termes multiordinaux n'ont pas de sens « en général ». Tenter de les définir dans l'absolu ne conduit à rien, sauf à la confusion : l'Existence ? laquelle ? ; la Conscience ? De quoi ? ; l'ensemble ? De quoi ? ; la liberté ? De ? ; l'Idée ? Laquelle, de qui, de quoi ? ; la Pensée ? À quel propos ? ; etc.[7]

De fait, explique Korzybski, beaucoup d’encre et de temps ont été dépensés en de vaines controverses « philosophiques » à propos de ces termes, puisqu’il s’agissait avant tout de se mettre d’accord sur le niveau d’abstraction de leur usage avant d’en parler, ce qui n’a pas été fait.[8] En revanche, ces mots donnent beaucoup de souplesse à la langue, lorsqu’on prend la précaution de les utiliser correctement.

Les termes el-, l’objectification

Dans l’ordre normal d’évaluation, nous partons du phénomène sensoriel (l’interaction) pour monter vers l’objet silencieux puis les niveaux verbaux, où nous employons un symbole. En principe donc, nous ne devrions pas employer de symboles qui ne se réfèrent à rien ; un symbole sans référent ne représente rien, son utilisation ne crée que du bruit. Les banquiers, remarque Korzybski, se révèlent particulièrement susceptibles envers vous quand vous faites un usage abusif d’un symbole, par exemple un chèque, alors que vous ne possédez plus l’objet auquel ce chèque se réfère. La même règle devrait s’appliquer dans le contexte discursif.

Cependant, de tels symboles sans signifiés aux niveaux silencieux existent ; la science moderne a démontré que 'temps' et 'espace' ne correspondaient pas à la 'réalité', pas plus que 'onde' et 'particule' ou 'corps' et 'esprit'. Korzybski appelle objectification l’attribution d’un signifié fictif à un symbole non-référent. Ce comportement inverse l’ordre naturel d’évaluation, projette des 'réalités' verbales vers la 'réalité' silencieuse : on pourrait donc considérer qu'il ressort de la pathologie.[9]

Les termes espace, temps, onde, particule, etc. qui séparent verbalement ce qui ne peut être séparé aux niveaux silencieux sont appelés élémentalistes, ou en abrégé, el.

L’identification, et l’usage du verbe « être »

"L'utilisation trop large que nos usages grammaticaux nous ont appris à faire du verbe être est en bonne partie responsable des fausses identifications, des confusions entre les différentes niveaux d'abstractions… Le verbe être peut être utilisé de quatre manière différentes. Les deux premiers usages ne donnent pas lieu à difficulté:

- le verbe être signifie exister, se trouver: "Je suis dans le salon" "Il est dans un endroit dont le souvenir me poursuit."

- le verbe être est utilisé comme auxiliaire dans la formation des temps composés.

Mais… le danger surgit:

- quand l'utilisation du verbe être conduit à identifier de manière erronée des niveaux d'abstraction différents, en reliant deux noms qui sont mis sur le même niveau: "L'homme est un animal" "Georges Dupont est un ouvrier." … Ici, le verbe être signifie en réalité :"pouvoir être désigné comme…", "pouvoir être appelé…" et surtout "pouvoir être classé…". Or cela fait abstraction (souvent oubliée) des critères non pris en compte par ce classement. Ainsi l'homme "n'est pas qu'un animal" (quel animal voit-on écrire des livres ou créer des bibliothèques ?), Georges Dupont n'est pas qu'un ouvrier (il est aussi sans doute père, mari, artiste du dimanche, paroissien, amateur de Jean Renoir, etc. - et Korzybski recommande de ne jamais oublier la formule et coetera[10].

- quand le verbe être est utilisé pour mettre en relation un nom et un ou plusieurs adjectifs. C'est impliquer que les caractéristiques désignées par ces derniers existent dans la chose ou la personne représentée par le nom alors qu'elles découlent de la relation entre l'observateur et l'observé. Le verbe être signifie ici et doit être compris comme : "telle personne, telle chose, m'apparaît (nous apparaît, lui apparaît, etc.) comme" ou "nous jugeons telle chose de telle façon." (Introduction à la Sémantique Générale de Korzybski" Hélène Bulla de Villaret - Le Courrier du Livre)

Les outils extensionnels

Comme nous l’avons vu, plus nous 'montons' dans les niveaux d’abstraction élevés, plus nous avons tendance à utiliser des catégories générales, de moins en moins individualisées, statiques, inférentielles, de plus en plus éloignées de la 'réalité', susceptibles d’identification. Si nous souhaitons nous mettre d’accord, il nous faut à l’inverse employer des abstractions de bas niveau (redescendre !). Pour cela, nous devons favoriser l’utilisation de procédés extensionnels. Il en existe un certain nombre, que nous avons déjà vus :

  • Indexer : la chaise(1), la chaise(2), etc. ;
    • Indexer en chaîne : chaise (1, 1), chaise (1, 2), etc. pour exprimer que le 'même' 'objet' se trouve dans des contextes différents ;
    • Utiliser les dates (cas particulier d’index) : José(2000), José(1999), José(2003), etc. ;
  • Le symbole etc. ;
  • Les apostrophes ' ' : pour monter que l’on est 'conscients' que l’on utilise un terme el. ou m.o abusivement pour les besoins du discours — y compris en bougeant les index à l’oral ;
  • Le trait d’union : pour relier des mots exprimant des réalités silencieuses inséparables : espace-temps, onde-particule, psycho-logie, etc.
  • Définir un 'objet' ou 'ensemble' en extension plutôt qu’en intension ; {Pierre, Paul, Jacques, etc.} plutôt que : « Les gens que je n’aime pas. » ;
  • Utiliser « je » plutôt que « on » ou des tournures impersonnelles ;
  • La pause thalamocorticale : se donner un temps, même imperceptible, avant de réagir à une situation pour laisser une chance à l’ensemble des centres nerveux, y compris néo-corticaux, de participer à la réponse ;
  • Etc.

L’utilisation de ces procédés aide à éviter des identifications abusives (Jean 'est' 'toujours' 'égal à' lui-même, la situation X 'est' 'la même que' la situation Y que j’ai vécue il y a dix ans…), introduit une stratification et un ordre, et met l’accent sur les différences entre 'objets' (dynamiques) plutôt que sur les ressemblances entre catégories. Elle nous aide également à rester 'conscients' que nous 'abstrayons' : l’acquisition de la 'conscience d’abstraire' constitue un des objectifs de la sémantique générale.

[…] (Non achevé, à suivre)

Une théorie non-aristotélicienne

« Les mots toujours et jamais, il faudrait toujours se souvenir de ne jamais les employer ! » M. Kendig.

Korzybski repère ensuite, dans les édifices classiques (gravitation de Newton, géométrie euclidienne) la présence d'a priori, d'hypothèses confondues avec le réel (addition des vitesses, "postulat" des parallèles) qui se révèlent parfois non-conformes aux expériences (false to facts) ou bien valables uniquement dans le cadre d’approximations données.

Il remarque également que ces inférences se fondaient sur des mots el. : 'espace' et 'temps' absolus (en face de l’espace-temps), 'observateur' et 'observé', 'corps' et 'esprit', (en face de la psycho-logique), 'onde' et 'particule', etc. qui forment des 'tout' aux niveaux silencieux.

Korzybski baptise alors les théories scientifiques modernes (1933 : relativité générale, physique quantique, psychiatrie…), bâties sur le rejet de ces présupposés, théories non- : non-E, non-euclidiennes ; non-N, non-newtoniennes. Pour le reste, écrit-il :

« Je rejette la structure aristotélicienne, qu’on appelle généralement métaphysique (350 av. J.-C.) et je lui substitue la science moderne (1933). Je rejette les aspects structurels et sémantiques suivants du système A, que j’appelle postulats, et qui fondent le système aristotélicien :

  1. L’unicité de l’assertion sujet-prédicat ;
  2. La logique binaire, ainsi qu’exprimé dans le postulat du tiers-exclu : tout doit être ou bien ne pas être ;
  3. La confusion sémantique causée par la similitude entre le « être » d’identité, que je dénie totalement, le « être » de prédication, le « être » d’existence et le « être » auxiliaire ;
  4. L’élémentalisme qui s’exprime dans la différence nette entre corps et esprit, émotions et intellect, etc. ;
  5. La théorie el. des 'significations' ;
  6. Le postulat el. rigide de la cause et de l’effet ;
  7. La théorie el. de la définition, qui ignore l’existence des termes non-définis ;
  8. La théorie tridimensionnelle (statique) des propositions et du langage ;
  9. L’hypothèse de la validité générale de la grammaire ;
  10. La préférence pour les orientations intentionnelles ;
  11. La définition el. et additive de l’homme.

[…]

Je fonde mon système non-aristotélicien sur des prémisses négatives n'est pas, qui ne peuvent être réfutées, sauf à apporter un contre-exemple impossible, et donc j'accepte différence, différenciation, etc. comme fondamentaux.

  1. Je postule le caractère fondamental des relations, de l'ordre, de la structure ;
  2. J'accepte la logique floue de Łukasiewicz et Tarski, qui devient, dans mon système, une sémantique \infty-valuée ;
  3. J'accepte la description fonctionnelle autant que faire se peut ;
  4. Je postule le principe de non-élémentalisme et l'applique partout, ce qui me conduit à :
    • Une théorie non-el des 'significations' ;
    • Une théorie non-el des 'définitions' fondée sur les termes non-définis ;
    • Une théorie psycho-physiologique des réactions sémantiques.
  5. Je postule l'individualité absolue de chaque évènement aux niveaux silencieux, ce qui signifie qu'aucun prédicat ne peut jamais être certain, d'où un nécessaire principe d'incertitude dans chaque proposition ;
  6. J'accepte l' 'existence logique' comme fondamentale ;
  7. J'utilise des méthodes différentielles et quadridimensionnelles (dynamiques) ;
  8. J'utilise les fonctions prépositionnelles de Russell ;
  9. J’accepte les fonctions doctrinales de Keyser, et généralise les systèmes fonctionnels de Sheffer ;
  10. Je fonde la théorie quadridimensionnelle des propositions et du langage ;
  11. J’établis la multiordinalité de certains termes ;
  12. Je découvre et applique des considérations psychophysiologiques aux niveaux d’abstractions (non-el.) ;
  13. Je généralise le rapport binaire cause-effet à une \infty-causalité ;
  14. Je postule la validité de la théorie \infty-valuée du maximum de probabilité plutôt que du simple choix binaire ;
  15. Je fonde mon système non-A sur des procédés extensionnels, qui nécessitent l’utilisation générale du symbole etc. ;
  16. J’offre une définition fonctionnelle et non-el. de l’homme. »

Science & Sanity, p. 93-94.

En fait, Korzybski refuse principalement l'essentialisme hérité de la scolastique médiévale, et qui était encore très présent dans les esprits de son temps. Toutefois, il en reste lui-même imprégné et fonde son propre édifice de façon scolastique également. Il n'y mentionne pas par exemple l'inférence bayésienne pourtant connue à son époque et qui permet à chacun de réviser rationnellement ses a priori, ni ne s'attarde sur les travaux de Hume, Locke ou Russell.

Les terminologies de "non-A", "non-E", "non-N" ne sont pas dénuées d'un potentiel mystificateur dont plusieurs organismes de formation à but lucratif sauront plus tard abuser.

Conclusion

Cet article n’a évidemment pas l’ambition de faire le tour de 'toute' la sémantique générale. Korzybski insiste sur le côté inachevé de son travail, et sur la nécessaire remise à jour de la théorie en fonction des avancées de la science. Reste qu’à ce jour, à part les chapitres consacrés aux colloïdes, théorie tombée en désuétude après la découverte de l’ADN et du mécanisme de synthèse protéique, les conclusions structurelles esquissées en 1933 n’ont pas de raison d’être mises en cause.

La sémantique générale n’a pas eu – jusqu'à présent – énormément de succès en France, en raison du fait que les ouvrages de Korzybski n'y sont pas publiés: seuls sont disponibles en français: "Une carte n'est pas le territoire" (Edition de l'Eclat), "Transcription des notes des conférences de Sémantique Générale données à Olivet College (1937)", (Interzone Editions) et"Le rôle du langage dans les processus perceptuels"(Institute of General Semantics).

En raison de la difficulté pour les lecteurs ne lisant pas l'anglais d'accéder aux livres originaux, et de savoir en quoi elle consiste exactement, la sémantique générale est, en France, depuis les années 2000, l'objet de tentative de récupération de la part de manipulateurs de symboles divers: groupes idéologiques utilisant cette discipline pour se donner un vernis de scientificité et l'utiliser comme écran pour dissimuler des activités moins avouables, consultants peu intègres se présentant comme experts en sémantique générale, : ainsi en est-il des associations sans aucun fondement avec la PNL, l'énneagramme, le "déisme", les "illuminati", l'organisation Mensa, etc... Ces tentatives d'identifications abusives n'engagent que leurs auteurs, et les propos tenus sur cette base sont dépourvus de toute crédibilité.

La S.G. attire notre attention sur un certain nombre de phénomènes, erreurs, abus, etc. et nous donne des moyens de les repérer et d’éviter de les commettre nous-mêmes. Les outils extensionnels insistent sur les différences, développant ainsi notre esprit critique et notre souplesse d’adaptation. La pause corticothalamique améliore également notre adaptabilité. Les termes multi-ordinaux expliquent la vacuité de certaines discussions, les trois principes évitent les identifications et dénoncent l’emploi d’un symbolisme excessif, où les symboles ne se réfèrent à 'rien', ce que Korzybski qualifie de « bruits de bouche » ou à 'tout', etc.

La S.G. nous invite également à essayer de mettre à jour nos « prémisses », c’est-à-dire nos postulats silencieux, responsables de nos inférences. N’oublions pas que les théories scientifiques modernes se sont constituées précisément en prenant 'conscience' du caractère superflu d’un certain nombre de prémisses, comme le postulat des parallèles en géométrie. Elle ouvre ainsi la voie à une théorie générale de l’entendement et de la compréhension mutuelle dont l’état actuel du Monde montre plus que jamais l’urgence.

« Même si le système non-A ne réussit qu’attirer l’attention de l’humanité sur des questions jusque là ignorées ; qu’il se contente d’ouvrir la voie, non vers la panacée, mais vers un programme scientifique pratique, constructif et unifié grâce auquel de futurs désastres pourront être évités ou amoindris — j’en serai fort satisfait. » (Science & Sanity, p. 561)

Vulgarisation - Artistes et auteurs

L'auteur de science-fiction A. E. van Vogt a popularisé les théories de Korzybski par le biais du Cycle du Ā dont Boris Vian a traduit les deux premiers romans en français. Ces théories ont parfois servi à appâter de simples naïfs lorsqu’elles étaient enseignées par certains formateurs peu scrupuleux.

La sémantique générale a été aussi popularisée indirectement par le peintre René Magritte dans son tableau La Trahison des images (1929) où il peint l'objet « pipe » (à fumer) et où il est peint en légende « Ceci n’est pas une pipe » dans le sens où le tableau ne constitue qu’une représentation de l’objet. Il interroge également le type de relation particulière entre le représenté et l'original, en montrant au même niveau – c’est-à-dire dans le cadre physique en bois par exemple, de la peinture – une pipe peinte et son modèle dans Les Deux Mystères (1966).[11]

En France, les principaux auteurs qui s'en sont inspirés sont le biologiste Henri Laborit, le philosophe Gaston Bachelard, et le physicien Basarab Nicolescu.

Le biologiste français Henri Laborit a élaboré sa théorie de l'inhibition de l'action et ses travaux sur la structure des organismes vivants sur la sémantique générale, avec La Nouvelle Grille.

Gaston Bachelard signale la sémantique générale dans son ouvrage La Philosophie du non (1940). Il y écrit notamment : « Le monde où l'on pense n'est pas le monde où l'on vit », éclairant sous un autre jour un des axiomes principaux énoncé par Korzybski : « La carte n'est pas le territoire. »

Henri Laborit et Gaston Bachelard étaient tous deux membres honoraires de l'Institute of General Semantics.

L'écrivain américain William Burroughs, qui avait suivi les cours de Korzybski, expérimenta les fonctions non-aristotéliciennes de l'écriture (la fonction de time-binding, et celle qui consiste à créer la réalité), dans les Essais, tomes 1 et 2.

Marshall B. Rosenberg cite le psychologue américain Wendell Johnson (16.4.1906–29.8.1965, promoteur de la sémantique générale) dans son livre Les Mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Introduction à la Communication non violente.[12]

Le groupe de rock 13th Floor Elevators s'est inspiré des travaux de Korzybski pour les notes de pochette de leur premier album The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators (1966).[13]

Remarques

  • Le verbe « être » est si peu usité en langue russe que tout s’y passe presque comme s’il n’existait pas.[14] On n’a pas constaté pour autant chez ce peuple de vision spécifiquement plus claire que celle de n’importe quel autre. Il ne faut pas 'identifier' (m.o) le phénomène d’identification, structurel, avec l’emploi du verbe « être », linguistique. Ne pas utiliser le verbe « être » ne signifie pas « ne pas 'identifier' ».
  • 'On' constate souvent qu’une phrase gagne en clarté, tant chez son récepteur que chez son émetteur, si l’on prend soin d’en éliminer les verbes d’état comme « être » (sauf s’il est utilisé comme auxiliaire grammatical) pour les remplacer par des verbes opérationnels, qui possèdent - eux - une définition claire et non ambiguë. D'où l'intérêt d'utiliser, autant que faire se peut, des termes fonctionnels.
  • Une « langue » inspirée de l’anglais et n’autorisant pas le verbe être a été nommée E-prime. Dans la pratique, il s’agit simplement d’un anglais s’imposant des règles faisant en sorte qu’on sache à tout moment définir ce dont on parle en ne s’exprimant qu’en termes opérationnels. Cela n’interdit pas les conversations sur le subjectif : on décrit alors simplement le résultat observable de ses états d’âme. Ces conventions sont tout à fait utilisables – et d’ailleurs utilisées – dans le quotidien, en anglais comme en français courant, par les locuteurs prudents ; elles ne semblent donc pas nécessiter un nom de langue distinct et particulier.
  • L'écrivain argentin Jorge Luis Borges avait attribué à un auteur de son invention, Suarez Miranda, une citation évoquant une carte d'un Empire « qui avait le Format de l´Empire et qui coïncidait avec lui, point par point » (donc à l'échelle 1:1). Avant lui, Lewis Carroll avait parlé, dans Sylvie et Bruno, d'« une carte du pays, à l´échelle d´un mile pour un mile », que les fermiers du pays avaient rejeté parce qu'elle leur cachait le soleil : ils avaient finalement décidé d'utiliser le pays lui-même comme sa propre carte, la carte étant en l'occurence le territoire...

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie des livres en ligne d'Alfred Korzybski

En français:

Extraits de « Science and Sanity »:

En anglais:


Bibliographie

En français

  • D. Kohn, Une carte n'est pas le territoire, Éditions de l'Éclat, 2007. Cet ouvrage est une compilation de textes de Korzybski traduits : Le Rôle du langage dans les processus perceptuels (communication lors d'un symposium de psychologie clinique), article Sémantique générale de l’American People's Encyclopedia, préface et table des matières de Science and Sanity, glossaire de termes construit à partir de cet ouvrage, auxquels s'ajoute une préface de l'éditeur et une biographie.

À propos de la sémantique générale

Sont regroupés ici quelques avis et commentaires sur la théorie qui préexistaient à la refonte de la page :

La théorie et le monde réel

Dans Science and sanity, Korzybski s’inquiète du danger d’un monde où il devient possible par les médias de manipuler les esprits en leur inculquant des visions coupées du monde réel (voir Philip K. Dick). En URSS, Italie et Allemagne, les événements sont alors en train de lui donner tristement raison : l’ouvrage paraît en 1933. De son côté, Serge Tchakhotine publie Le Viol des foules par la propagande politique en 1939.

Depuis sa mort en 1950, le travail de Korzybski est poursuivi dans le cadre de l'Institute of General Semantics par des auteurs tels que Wendell Johnson, S. I. Hayakawa and Alan Hayakawa, J. Samuel Bois, Irving J. Lee, Kenneth Johnson, Catherine Minteer, Mary Morain, etc. L'institut publie une revue trimestrielle, "ETC: A Review of General Semantics"qui contient des articles contribuant à la compréhension du langage, de la pensée et du comportement et traitent des méthodes utilisées en sémantique générale (time-binding, conscience d'abstraire, confusion entre la carte et le territoire, etc.

Notes et références

  1. Voir à ce sujet l'article Métonymie.
  2. Voir à ce sujet l'article Métadonnées.
  3. Consultable ici : Le rôle du langage dans les processus perceptuels
  4. Un exemple de prudence excessive dans l'inférence apparaît dans la plaisanterie classique : « Deux logiciens voyageant un train regardent le paysage par la fenêtre. – Tiens, dit l'un, un troupeau de moutons qui vient d'être tondu. - De notre côté, en tout cas, répond l'autre. »
  5. Par exemple sur le site de l'ESGS (European Society for General Semantics) : [1].
  6. Voir aussi, d'un point de vue linguistique : Modalité (épistémique), Évidentialité etc.
  7. Voir aussi à ce sujet la notion de « grounding » (ancrage) évoquée notamment par Ronald Langacker dans sa Grammaire cognitive.
  8. Ce problème est traité en informatique par l'usage d'espaces de noms, comme en XML (namespaces).
  9. Il y a ici confusion entre le monde dit « réel » (indépendant de l'observateur) et le monde « considéré comme réel » (par un groupe social donné, dans un contexte culturel et spatio-temporel donné) : voir Doxa.
  10. Alfred Korzybski, Science and Sanity, 3ème édition
  11. Voir par exemple [2].
  12. Page 46 ligne 19 (ISBN 978-270714381-5)
  13. Voir[3].
  14. Plus précisément, en russe, la [[copule (linguistique)|]] n'est pas exprimée au présent (à l'écrit, elle est remplacée par un tiret long) ; mais le verbe être est bien utilisé au passé et au futur.
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