Suèves

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Les Suèves, Suevi ou Suebi en latin, désignent communément un vaste groupe de populations celto-germaniques, qui ont laissé leur nom générique à la Souabe. La littérature antique, souvent génératrice de modèle historique fallacieux, et surtout l'archéologie, la linguistique, la toponymie, la connaissance de l'évolution des techniques et des modes de vie dévoilent un monde suève complexe.

Il reste que la participation suève à la gestion militaire comme à la grande migration vandale à la fin de l'Empire romain a laissé de nombreuses empreintes géohistoriques, en particulier un éphémère royaume dans l'actuelle Galice.

Sommaire

Peuples germaniques ou celto-germaniques ?

Si les Celtes, littéralement les hommes braves, héroïques... sont des groupes humains maîtrisant l'art du fer et de nombreuses techniques innovantes, comme dans les transports, la conservation, la guerre, les Germani, c'est-à-dire les natifs ou naïfs, les autochtones supposés « hommes nature » ou « simple sauvage », naissent d'une terminologie littéraire empruntée à la description grecque du monde antique, passant peut-être par l'emprunt d'un terme celte d'origine péjorative[1]. Le premier terme peut être galvaudé en Gaulois, par rapprochement latin avec le gallinacée, volatile gaulois par excellence. Les locuteurs de langues germaniques réveillent plus tard la méfiance envers le Gaulois ou le Belge romanisé par le terme Walch ou Welche, soit l'étranger ou l'autre inconnu, à l'idiome incompréhensible. Le second terme est applicable selon la commodité. Il est à noter que de nos jours, les Suisses alémaniques (germanophones) utilisent le terme "welsch" pour désigner les Suisses romands (francophones)[2][3]: le dictionnaire Larousse considère ce qualificatif comme insultant[4].

Selon les textes antiques et surtout les interprétations historiques des deux derniers siècles, les Suèves apparaissent en groupe précoce de tribus germaniques au Ier siècle av. J.‑C. Ils menacent selon la Guerre des Gaules de César l'ensemble de la Gaule dès 72 av. J.-C., avant de commencer d'accaparer sa partie Nord-Est douze années plus tard. Soi-disant refoulés, ils réapparaissent au Ier siècle dans la plaine germano-polonaise en entités barbares divisées, puis semblent rejoindre et s'assimiler aux Germains ostiques nomades.

L'archéologie et la modélisation de l'évolution linguistique contredisent une fraction des affirmations littéraires précédentes. Le monde germanique apparaît avec la culture de Jastorf entre le Ve et le IVe siècle av. J.‑C. dans le Jutland puis l'Allemagne septentrionale. D'abord d'aspect local, cette modeste culture semble naître de la rencontre entre la Scandinavie antique dont la connaissance est fort réduite et le monde celte à la seconde apogée de l'âge du Fer. Les Celtes de la Tène commencent à ressortir de leur foyer dense situé dans les massifs hercyniens et ses abords, du Hartz au nord du plateau jurassien ou au sud de la Forêt Noire, des Vosges à la Bohême. Après une dissémination foudroyante de groupes celtes parfois vers de lointains confins, une puissante assimilation avec des populations encore non celtes saisit le noyau dense.

Les mutations sociales achevées au IIIe siècle av. J.‑C. distinguent les peuples désormais celto-germaniques : les Belges acceptant de se rassembler en assemblée glissent surtout vers l'ouest et finissent par prendre pied et nommer l'île de Bretagne, les Suèves attachés aux anciennes coutumes finissent par occuper la majeure part du noyau dense des Celtes repliés de la Tène tout en pérégrinant encore vers le nord et l'est. Les deux vastes groupes acceptent la poursuite de la montée de la civilisation de la céramique, d'origine méditerranéenne vers le Nord. Les changements induits tendent à ralentir, puis à fixer créant les premiers pouvoirs politiques des Belges. La réponse suève diffère, elle semble plus contrastée, et les mutations sociales réveillent quelques ardeurs à régler de vieilles querelles ou à reprendre la vie errante des glorieux ancêtres pour les petits groupes moins chanceux. Pourtant, dans l'ensemble, la civilisation de la céramique produit à terme les mêmes effets : les Suèves plus tardivement que les Belges créent des centres urbains à l'instar des polis ou cités, dominant un espace quadrillé de puissants domaines agricoles. Vulnérables face à l'agressivité romaine, les Suèves doivent se soumettre à l'autorité impériale ou fuir.

Les protagonistes nordiques locuteurs des premières langues germaniques, qualifiés par commodité de Germains, lointains héritiers de la celtisation nordique, entament leur essor hégémonique et ordonnateur du monde surtout après le IIIe siècle. Les Suèves encore libres disparaissent au sein de la puissante confédération alémanique, mais des groupes errants conservent leur nom en assimilant le mode de vie des nomades guerriers et éleveurs de la steppe.

Le basculement des dernières langues celto-germaniques, toute influencées par la latinité, est beaucoup plus tardif. Il se place au IXe siècle et laisse une fracture d'espace linguistique entre l'ancien français et les dialectes allemands en devenir. La frontière linguistique n'a aucun sens ethnologique et n'a même pas entamé les vieilles solidarités médiévales comme en Lorraine ou en Alsace.

Les dernier feux d'un monde suève

Les Suèves d'Arioviste sont vaincus par César qui rend les territoires aux Séquanes spoliés et vengent aussi l'honneur des Eduens, ces tenants de l'aristocratie celte que les Suèves avaient écrasés sur le champ de bataille[5]. Lors de l'ultime entrevue avant la bataille, Arioviste étonné de l'intervention des légions rappelle que les Suèves sont des alliés fidèles du sénat romain, ce que ne conteste pas son hôte. Gonflant sa victoire assez délicate et chanceuse, César s'érige en défenseur et protecteur des Gaules. N'a-t-il pas peu de temps auparavant renvoyé les Helvètes chez eux, entravant leur possible migration qui apeurait déjà toute la Gaule?

Les Belges orientaux, sous hégémonie des Trévires, sont restés apparemment neutres dans ce mini-conflit. Les Leuques qui ont un temps occupé la partie sud et centrale de l'Alsace ont même fourni vivres et blé aux troupes romaines, non mécontente de voir déguerpir d'Alsace des petits groupes en recherche constante d'infiltrations vers leurs territoires. Les Belges cherchant à vivre en paix apparaissent surtout comme d'anciens adversaires farouches des peuples aristocratiques du Sud, ce qui explique leurs discrétions.

La première stratégie de César est sans doute la conquête à revers de la Rhétie, cet espace alpin crucial pour la protection et le commerce romain. Cette première campagne pourtant victorieuse lui a révélé les importantes divisions du monde celte, en Gaule et en Belgique. Il sait qu'il aura besoin d'appuis discrets et d'alliés s'il veut soumettre ceux qui sont selon lui devenus ses protégés et obligés. Belges et Suèves peuvent fournir d'excellentes troupes auxiliaires, habitués au terrain et aux adversaires. Un statut spécial leur est effectivement réservé après la conquête des Gaules en 52.

Pourtant, si des Suèves peuvent bénéficier d'un droit de province libre pour venir s'installer dans quelques cités en cours de création, le collapsus démographique des trois Gaules soumises est impressionnant. Les épidémies d'origine méditerranéenne, puis les famines sont plus ravageuses que les terribles phases de la guerre de conquête et de résistance. Elles se répandent aussi dans le monde suève en affaiblissement constant. Le pouvoir romain ne s'intéresse qu'au Sud et délaisse déjà le nord de la Loire, le gérant à partir de Lyon.

Dès que Rome sort de la guerre civile, la conquête primordiale de la Rhétie reprend. Tibère et Drusus y parviennent avec peine, mais aussitôt victorieux, il annexe aussitôt la Vindélicie, c'est-à-dire une partie des terres suèbes entre Alpes et Danube. Les anciens alliés Suèves totalement oubliés sont cantonnés entre Danube et Rhin. Il ne doivent leur liberté et leur appartenance à la Germania libera concédée par l'empereur Tibère que par la mésaventure désastreuse de la légion de Varus et surtout l'apparition d'une force autrement puissante et hostile entre les rivages de la mer du Nord et de la Baltique, Rome laisse un vaste espace au nord du Danube, des Carpates à la Suévie. Le couloir du Rhin moyen et inférieur jusqu'à son embouchure est réservé à l'armée, des deux provinces de Belgica prima et secunda, le pouvoir sépare la Germanie inférieure, gouvernée de Cologne, et la Germanie supérieure, dirigée de Mayence.

Un calme relatif s'instaure car les légions romaines sont globalement respectées. Les révoltes belges d'abord révélatrices d'un long malaise aggravé par la conquête de l'île de Bretagne et ensuite annonciatrices d'une reprise de l'activité économique ponctuent le climat de paix. À partir de 83, Domitien reprend l'offensive sur le Rhin. Les Suèves vaguement solidaires des autres révoltés tentent de s'opposer : ils sont balayés et soumis avec force. Pire, l'angle Rhin Danube qu'ils peinent à garder devient des champs Décumates, c'est-à-dire une terre militaire d'Empire soumise en toute condition arbitraire ou propice, à la dîme militaire.

Selon les auteurs antiques, Domitien conclut une paix rapide avec les Daces puis se venge impitoyablement de tous ceux qu'il soupçonne d'avoir partie liée avec la tentative de révolte gauloise de Saturninus. Quelques sénateurs sont exécutés souvent avec cruauté. Il fait exécuter les émissaires des Suèves, Quades et Marcomans qui avaient refusé leur aide dans la guerre contre Décébale. La guerre contre les Sarmates et les Suèves dure jusqu'en 93 et une légion, la XXI Rapax[6], est détruite par ces derniers.

Partout, jusqu'en 89 et au-delà, les légions érigent des routes stratégiques et des fortifications, utilisant la main-d'œuvre forcée. Les constructions militaires forment le premier limes, englobant la meilleur part du réduit suèbe. Domitien réorganise la province de Germanie : la Germanie supérieure et la Germanie inférieure reçoivent chacune quatre légions. Trois légions, dont les deux qui avaient suivi l'insurrection de Saturninus, sont envoyées de Germanie vers la Pannonie, frontière plus dangereuse. L'exploitation est même poussée à son comble par l'installation de colons gaulois qui prennent la place sans vergogne et généralisent et pérennisent l'esclavage qu'ont mis en place de façon temporaire les légions romaines. Le peuple suève qui souhaite rester libre est contraint à l'exode vers le nord avec ce qui lui reste de cheptel. Les Suèves peuples de migrants mendiants ou mis en esclavage ou servage sur leurs propres terres, voire acculturés par le service des hommes en armes ou des déplacements autoritaires de femmes et d'enfants survivants vers d'autres contrées à repeupler semblent annihilés.

Romanisation et germanisation

Il ne resterait rien du peuple suève si un des acteurs majeurs, les légions d'occupation, ne l'avait par intérêt à long terme protégé de déportation massive ou d'une mise en esclavage. L'armée romaine a besoin d'auxiliaires, de serviteurs connaissant bien le terrain de manière à faciliter son implantation au nord du Danube ou de la Forêt-Noire. Associée au cités naissantes, elle protège tout en les exploitant exclusivement les plus démunis. Mieux, l'embryon de cadastres et les voies que l'armée élabore permettent de fixer les toponymes suèves. L'armée conquérante est composée d'hommes divers du monde méditerranéen, mais aussi et surtout issus des mondes laténiens. Mis en réserve ou hors service, les militaires devenus colons prennent femme et voient alors d'un mauvais œil les parents de leur compagne maltraités. Les suèves éleveurs sont tolérés dans les réserves forestières des vastes domaines romanisés. La culture suève ne conserve sur leur territoire d'origine qu'une dimension agropastorale, ce qui explique la profonde continuité de la délimitation de l'espace souabe.

D'autre part, la fuite des rescapés suèves s'est effectué dans toutes les directions : vers les Gaules, vers la Vindélicie où résident leurs cousins déjà en partie romanisés, mais aussi vers les terres du nord que les Romains essaient d'organiser en États clients ou foedus. Là leur survie de groupes libres est tout aussi difficile car les Daces, les Sarmates, les Carpes plus ou moins rassemblés sous l'égide de Germains aventuriers d'origine scandinave influencée par la culture de Jastorf faisant prendre à leurs protégés le nom de Semnons ou d'Hermundures, de Quades et de Marcomans, guerroyent constamment et se soumettent mutuellement.

Les cités de la Germanie romaine connaissent un essor remarquable, insérant dans un moule romain radicalement uniforme d'un bout à l'autre de l'empire, les quelques lambeaux chanceux du peuple suève qui ont échappé au servage campagnard ou à la déportation. La richesse et la prospérité des cités romaines favorisées du limes suscitent la convoitise des barbares du Nord. Les guerres marconniques entreprises par Marc-Aurèle entre 166 et 180 chamboulent le précaire équilibre au-delà du limes.

La germanisation des abords du limes se renforce brusquement au début du IIIe siècle. Les vagues confédérations entités tribales disparaissent ou fusionnent en de nouvelles et grandes structures impressionnantes : les Alamans qui englobent notamment les différentes hordes où les Suèves s'étaient déjà amalgamés et les Francs à l'ouest de la Germanie. Les infiltrations se multiplient, et en particulier des bandes de Suèves nordiques visitent leurs anciennes terres ou parfois s'infiltrent plus loin vers le Sud et l'Ouest. Le pouvoir romain doit composer, il prend les meilleurs éléments à son service et achète la paix par l'argent et la promesse de recrutement massif auprès des pouvoirs d'assemblée germanique. Les troupes indisciplinés de Suèves doivent se plier à un recrutement militaire, sinon, les bandes désobéissantes sont isolées et vaincues, les survivants casés dans des contrées dépeuplées à l'état de lètes ou lœti. Des inscriptions épigraphiques Loeti gentiles Suevi en Belgica prima et secunda, mais aussi au Mans et à Clermont en Auvergne témoignent de cette dispersion.

L'ordre politique ne dépend que des subsides massifs en vivres et en or. Entre 260 et 270, ils viennent à manquer, alors le limes s'effondre. Les raids affolent les provinces romaines dont les cités les plus prospères se mutilent en réduisant leur espace pour se fortifier. Aurélien entre 270 et 275 rétablit avec peine la situation, alternant victoire et concessions. Les unités d'auxiliaires de barbares - le terme barbari est désormais synonyme de militaires - possèdent désormais des chefs germains aux grades élevés, dont les enfants deviennent des hauts dignitaires de l'Empire. Le second Empire que met en place Dioclétien ne peut survivre que par cette barbarisation progressive qui est une germanisation. Et les crises du monde germanique deviennent celles de cet Empire romain.

Les vieux territoires suèves sont désormais sous contrôle directe ou indirect du monde germanique. Les Champs décumates passent sous hégémonie alémanique. Les Alamans sont ensuite fédérés dans les provinces romaines voisines. Ils s'y installent en toute désinvolture. L'Allemagne du Sud devient la terre des Alamans au moment où les cités bien vivantes se réinventent un passé suève ou celte pour affirmer une identité originale.

La prospérité des foedera et des terres germaniques contraste avec une grande partie des terres de Gaules, en proie à de profonds troubles sociaux et à des conflits dévastateurs entre cités maintenant détentrices de forces militaires, redevenues rivales au milieu du IVe siècle. Bagaudes, guerres civiles après 360 appelant une intervention régulatrice de l'Empire militaire en décomposition achèvent de faire fuir les populations surimposés vers le sud, qui grouillent de précaires refuges surpeuplés.

Migrations germaniques et royaume suève

Au début du Ve siècle, la puissance stabilisatrice des grandes confédérations germaniques, Francs et Alamans, qui gardent pourtant d'intenses liens avec le pouvoir impérial, s'effrite tout en gardant le contrôle de leur territoire. Un peuple structuré récemment, les Thuringiens, prend de l'ampleur au delà du limes. Des anciens peuples germains à l'ouest, Frisons, Varins, Saxons s'agitent et ressurgissent en groupes libres et désordonnés, à l'instar des peuples ostiques quelques décennies plus tôt surgissant de la steppe ou venus des confins nordiques, Goths, Vandales, Burgondes. Quittant piteusement en 376 la steppe du nord de la Mer noire, les Wisigoths, qui, initialement fuyards devant l'arrivée annoncée des Huns, sortent victorieux au terme d'incertitudes et de longues pérégrinations, s'imposent en modèle à suivre.

Sortent alors de Germanie romaine ou de ses confins libres une foule de petites groupes entreprenants qui découvrent souvent des terres du nord de l'Empire surprenamment vides d'hommes et nombre de cités en déshérence ou mutilées. L'espace est libre : des Suèbes s'y installent au terme de migrations aventureuses. Maints lieux de fixations sont connus en Flandre, en particulier à Courtrai, dans le nord de la France ou en Grande-Bretagne actuelles, dans le nord de l'Italie, en Vénétie et Frioul. Des Saxons et des Burgondes, des Varins, et plus particulièrement sur les côtes de la mer du Nord, des Angles et des Jutes commencent aussi à faire de même.

Même les armées fortes et les grands groupes mobiles, toutes organisations comportant hommes soldats, femmes et enfants, rêvent d'obtenir un foedus ou quelques responsabilités profitables au sein de l'Empire, à l'image des plus puissants qui fondent des royaumes barbares à face méditerranéenne.

Les Vandales agrégés aux Alains, peuple indo-iranien de la steppe norique, sont les premiers à exprimer un acrimonieux mécontentement d'avoir été exclus du partage méditerranéen sous hégémonie wisigothe. Un fort contingent de Suèves suit le parti politique des Vandales qui franchissent le Rhin gelé en 406 pour traverser la Gaule de part en part vers les terres méditerranéennes. Les armées itinérantes sont refoulés dans la péninsule ibérique. Elles se querellent pour la suprématie, le parti suève est écrasé par les Vandales à Mérida en 428-429.

Les Suèbes indésirables sont pourchassés et s'enfuient vers le nord-ouest de l'Espagne, trouvant des hôtes amicaux dans la forêt de Galice. Il semble que les Suèves pourtant germanisés n'aient pas perdus la langue et les rituels celtiques, facilitant leurs assimilations aux populations celtibères autochtones. Mieux, ils en deviennent indélogeables et lancent des expéditions guerrières réussies en Lusitanie et en Bétique. Le roi suève Réchiaire adopte la religion chrétienne du peuple galicien vers 448. Son royaume stable est toléré par les souverains wisigoths avant d'être annexé en 585. Il constitue le premier jalon lointain du royaume de Vieille-Galice, à l'origine du Portugal.

Article détaillé : Royaume suève.

À l'origine de la Souabe médiévale

La Souabe, en allemand Schwaben, désigne une région arrosée par le haut Danube et surtout un duché puis un cercle médiéval du Saint-Empire romain germanique ou Kreise, situés entre Thuringe au nord et Suisse alémanique au sud, entre Forêt-Noire à l'ouest et Bavière et à l'est. Le toponyme dérive du moyen haut allemand swãben, datif locatif pluriel du nom ethnique. Tacite, contemporain de l'empereur Domitien et écrivain pendant sa retraite, nomme Suēvia, la pays résiduel des Suãbii, ethnonyme d'origine grec simplifié en suebus ou suevus au singulier, suevi ou suebi au pluriel. La forme grecque que cite Strabon, écrivain qui a commenté sur le vif la fin du règne d'Auguste, s'écrit : suēbois. Elle est reprise par les écrivains gréco-romains Ptolémée et Plutarque.

Mare Suevorum en latin ou la mer des Suèves est une expression littéraire d'abord gréco-latine, puis humaniste pour qualifier la Mer Baltique. Même si des Suèves, grands voyageurs, connaissent les rivages baltes, source principale d'ambre depuis des temps immémoriaux, l'expression est peut-être le fruit d'une confusion ancienne avec l'ethnonyme Svear(orum) qui désigne les Suédois au sortir de l'Antiquité. Il est vrai que l'imprécision des savants écrivains géographes gréco-latins sur le monde nordique est remarquable, il se contente souvent de répéter littéralement les références antiques ou de les raccommoder avec ce qu'ils croient ou savent. Les Suèves repoussés par le premier César ne peuvent être qu'un grand peuple de l'ancienne Germanie. Influencés par ces écrits, les historiographes médiévaux puis les érudits humanistes ont repoussé vers le Nord antique méconnu érigé en môle germanique soi-disant résistant à la civilisation romaine, une hypothétique ethnogénèse de ce peuple, les plaçant parfois à l'est de l'Elbe, entre Havel et Spree, et les assimilant au groupe des Hermiiones, du rameau des Germains ostiques.

Le monde alémanique s'assimile au monde franc au début du VIe siècle. Pendant plus de deux siècle, le duché d'Alémanie mérovingien s'étend puis se divise et s'émancipe, il se place de l'Alsace aux confins de la Bavière naissante, contrée véritablement marginale touchée par un vigoureux processus de slavisation au VIIe siècle. Pendant ce temps naît une culture paysanne sédentaire au sein des petits pays souabes. Ces pagi (singulier pagus) en latin ou Gaue(n) (singulier Gau) en langue germanique sont localisés à l'aide les principaux noms de rivières et de relief accolés au génitif. En 746, Pépin reprend en main ferme l'Alémanie. Si quelques familles de dignitaires carolingiens exhument précocement le nom générique de Souabe, l'accolant à leur nom dynastique ou de responsable officiel de partie du duché, la Souabe n'émerge qu'au Xe siècle pour désigner une entité ducal quasi-autonome, au sein d'une Alémanie plus vaste, plus floue et surtout sans cohésion. La croissance démographique paysanne de l'ancienne Alémanie est vigoureuse. La mer souabe est synonyme dorénavant du lac de Constance.

Territoire originel et ethnogenèse selon les versions de la littérature antique

  • Dans La Germanie, Tacite place le territoire originel des Suèves entre Elbe et Oder : «... Les Suèves sont divisés en plusieurs nations dont chacune a conservé son nom, quoiqu'elles reçoivent toutes le nom commun de Suèves... Les Semnones se disent les plus anciens et les plus nobles... Les Lombards trouvent leur sûreté dans les combats et l'audace. Viennent ensuite les Reudignes, les Aviones, les Angles, les Marins, les Eudoses, les Suardones et les Nuithones, tous protégés par des fleuves ou des forêts. Leur usage commun à tous, c'est l'adoration d'Ertha, c'est-à-dire la Terre Mère...»
  • Pour Strabon[7]: « Il s'en faut bien pourtant que ces montagnes de la Germanie atteignent à l'immense altitude des Alpes. C'est dans cette partie de la Germanie que s'étend la forêt hercynienne, et que se trouve répandue la nation des Suèves...».
  • César décrit les Suèves comme un peuple de pasteurs guerriers se déplaçant dans de vastes forêts et possédant des forteresses, il écrit notamment que «...ce peuple se divisait en cent cantons dont chacun pouvait armer 40 000 combattants...».
  • Ptolémée ne regroupe sous la dénomination de Suèves que les Lombards, Semnones et Angles.

Différentes hypothèses ont été formulées pour tenter de concilier les informations collectées, telle que celle faisant porter l'ethnonyme sur l'ensemble des tribus germaniques non sédentarisées ou sur des Germains mêlés de Celtes et Slaves... Le texte de Strabon a proposé des rapprochements toponymiques faisant du Harz le territoire originel des Suèves.

Migrations antiques des Suèves selon deux modèles historiques

Poussés sans doute par d'autres peuples migrants, les Suèves quittent la rive orientale de l'Elbe au Ier siècle av. J.‑C. Menés par Arioviste, leur migration les conduit aux abords de la Gaule dont Jules César les éloigne en -58. Dès lors, c'est sur la rive orientale du Rhin qu'ils se fixent provisoirement, dans une région dont le toponyme est issu de leur ethnonyme, la Souabe.

Les Suèves participent aux grandes migrations européennes de 406. Après un périple en Gaule, les Suèves franchissent les Pyrénées en 409 et s'établissent dans l'actuelle Galice. Une fois sédentarisés et devenus Peuple fédéré, leur royaume est reconnu par Rome au travers d'un foedus. Après cette sédentarisation en Hispanie, les chroniques des annalistes latins ne parlent plus guère des Suèves, seul le Notitia Dignitatum mentionne la présence de lètes suèves en Gaule

  • Thèse « gauloise » :

Depuis le début du premier siècle avant J.-C., l'important peuple gaulois des Séquanes dont le territoire se situait sur l'actuelle Franche-Comté et le Sud de l'Alsace, s'opposait de plus en plus au peuple éduen. Ce peuple était devenu le plus puissant de Gaule grâce à son alliance avec Rome qu'il avait aidé à abaisser le peuple arverne. Les Éduens contrôlaient la navigation sur la Saône et imposaient aux autres Gaulois (dont les Séquanes) de lourds péages. Contraints par les Éduens à l'ouest, les Séquanes allaient l'être aussi par les Germains à l'est. Depuis l'an 72 avant J.-C. des Germains suèves (tribus triboques et némètes) avaient franchi le Rhin vers Mogontiacum (Mayence) et continuaient leur migration vers le nord de l'Alsace. Leur chef était le roi Arioviste. Dans un premier temps, les Séquanes imaginèrent utiliser ces guerriers germains pour mater leurs adversaires éduens. Pendant les années 65-61, cette coalition suève-séquane (soutenue par les Arvernes) infligea plusieurs défaites aux Éduens qui perdirent une grande partie de leur cavalerie. Mais comme prix de cette aide, les Suèves exigèrent d'abord le sud de l'Alsace puis un tiers du territoire séquane. Ils firent aussi venir d'autres Suèves en Gaule (tribu des Harudes…) et on estime à environ 120 000 le nombre des Germains installés dans l'Est de la Gaule en 60 avant J.-C. Devant les exigences de plus en plus oppressantes d'Arioviste, les Séquanes décidèrent de renverser leurs alliances et de s'unir aux Éduens pour contrer la poussée germaine. Mais l'armée coalisée gauloise fut écrasée à la bataille de Magetobriga. Après cette très nette victoire, Arioviste exigea un second tiers du pays séquane, la remise d'otages et le paiement de tributs importants. Il se considérait désormais comme le suzerain des peuples éduen et séquane. Désespérés, les Gaulois envoyèrent un émissaire à Rome, l'Éduen Diviciacos, pour implorer l'aide du Sénat romain. La réponse fut longue à venir.

Il faudra attendre la nomination de Jules César proconsul en Illyrie et en Gaule transalpine, en 58 avant J.-C., pour que six légions romaines (30 000 hommes) viennent repousser les Germains d'Arioviste. Ceux-ci seront finalement écrasés et rejetés outre Rhin à la bataille de l'Ochsenfeld à l'automne 58.

  • Thèse proposée par Raymond Schmittlein :

Les Suèves entreprennent leur migration vers le sud-ouest consécutivement à celle des Cimbres et Teutons dont la mise en mouvement a modifié la répartition territoriale des populations germaniques du bassin de l'Elbe. Devant la poussée des Suèves, les celtes Boïens, Rauraques, Usipètes, Tenctères et Helvètes n'ayant pas suivi les Cimbres dans leur migration se coalisent vers -72. Cette coalition s'interpose devant les Suèves menés par Arioviste à Magdebourg (Magetobriga), bataille au terme de laquelle les Celtes sont défaits.

À l'issue de leur défaite, les coalisés celtes se replient vers le sud et le sud-ouest : les Helvètes du Wurtemberg s'installent en Suisse vers -70, les Rauraques de la Ruhr dans le Sundgau… Les Suèves poursuivent leur avancée en Franconie puis en Souabe et atteignent le Rhin en Pays de Bade vers -67/-65. Vers le nord, ils atteignent la région de Cologne où ils soumettent les Ubiens. En Rhénanie-Palatinat, ils doivent faire face à la résistance des Usipètes et Tenctères qui vaincus vers -60, franchissent le Rhin dans les environs de Mayence. Vers -58, les Suèves sont solidement établis à l'ouest du Rhin. Dans le même temps se déroule en Gaule la guerre entre Éduens et Séquanes. Alliés aux Arvernes, les Séquanes pactisent avec Arioviste pendant que Rome doit mater la révolte des Allobroges en Narbonnaise.


Bibliographie

  • Revue archéologique de terrain : Archäologische Ausgrabungen in Baden-Württemberg

Notes et références

  1. Notons que le latin a esquivé le sobriquet dévalorisant : l'homme nature est fort, le cousin germain est le cousin naturel, Germanicus devient un prénom digne...
  2. Der Neue Herder. In 2 Bänden. Herder Verlag, Freiburg 1949 , Band 2, Spalte 4830, Artikel „welsch“
  3. Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache, welsch
  4. Dictionnaire Larousse, welche
  5. Les Séquanes ont bien été récemment spoliés de leurs terres, mais il semble que le droit germanique, naturel qu'invoque Arioviste, stipule qu'ils ont été autrefois des terribles agresseurs, probablement déplacés des sources et de la vallée de la Seine vers le Nord de la Franche-Comté actuelle
  6. qui avait participé à la révolte de 89.
  7. Strabon Géographie, VII, 1, 3, 5

Voir aussi

Sources

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