Sequence de sainte Eulalie

Sequence de sainte Eulalie

Séquence de sainte Eulalie

Cantilène de sainte Eulalie, suivi du début du Ludwigslied pour mieux visualiser le texte Numérisation du parchemin (Réf. Bibliothèque municipale de Valenciennes 150 (olim 143) fol.141v)

La Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie est vraisemblablement le premier texte poétique écrit en langue d'oïl alors nommé roman (ancêtre de l'ancien français -et donc du français- et des autres langue d'oïl).

Cette séquence raconte le martyre de la sainte Eulalie de Mérida et se termine par une prière. Elle s'inspire d'une hymne du poète latin Prudence qu'on peut lire dans le Peristephanon. C'est un poème de 29 vers décasyllabes qui se terminent par une assonance, par exemple “inimi” et “seruir”.

Sommaire

Origine

Depuis la découverte du texte en 1837 par Hoffmann von Fallersleben, la Séquence a soulevé de nombreux débats, notamment sur le sens énigmatique de son quinzième vers. On s’accorde aujourd’hui à dater le codex du début du IXe siècle et à l’attribuer à un atelier lotharingien. Aucun élément, paléographique ou autre, ne permet toutefois de conforter cette conjecture.

On le date de 880 ou 881 et il est inclus dans une compilation de discours en latin de saint Grégoire, en plus de quatre autres poèmes, trois en latin et un en langue tudesque (langue germanique), le Ludwigslied. Une telle séquence, ou poésie rythmique, était chantée lors de la liturgie grégorienne ; celle-ci l'a vraisemblablement été à l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux (près de Valenciennes). Avale (voir bibliographie) confirme les travaux de Bischoff qui situe la rédaction de l'œuvre dans une « région vers Liège et Aix-la-Chapelle », ce qui amène les militants wallons comme par exemple l'historien Léopold Genicot à considérer que la littérature française a « poussé son premier cri en Wallonie ».[réf. nécessaire]. Au demeurant, ce « premier cri » -- ou ce premier « chant » -- aurait pu tout aussi bien être exhalé dans l'enceinte cultivée de l'abbaye d'Elnone (Saint-Amand), sous la gouverne du moine-musicien Hucbald (v. 850-930), écolâtre de son monastère.

Description du manuscrit

Le texte de la séquence occupe partiellement le verso du feuillet 141 du manuscrit 150 de la bibliothèque municipale de Valenciennes. Il a appartenu à l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux avant le XIIe siècle. Il n'avait au départ contenu qu'une copie de la traduction latine des œuvres de saint Grégoire de Nazianze fournie, écrit Maurice Delbouille, par Rufin (main A, datant du début du début de l'époque carolingienne et localisable sur la rive gauche du Rhin, en Basse Lorraine). C'est une main B qui, dès la fin du XIe siècle, a inscrit au recto du feuillet 141, d'abord resté vierge, une séquence latine dédiée au culte de Sainte-Eulalie de Mérida et inspirée de l'hymne consacrée dès le IVe siècle par le poète Prudence, à la mémoire de la sainte martyre. La structure de cette séquence est la même que celle de la séquence romane inscrite ensuite au verso du même feuillet par une main C. Ni dans le poème latin, ni dans le poème roman, cette structure n'est pourtant respectée parfaitement quant à la mesure des vers, à la suite de négligence de transcription. Les deux textes ont été construits pour être chantés sur une même mélodie qui nous est inconnue. [1] Le verso du f 141 porte, de la même main C (qui a copié la séquence romane) le début du Ludwigslied [2], chanté à l'occasion de la victoire du roi Louis sur les Normands à la Bataille de Saucourt-en-Vimeu (août 881). La langue de ce texte est le francique pratiqué dans le nord du domaine gallo-roman, bilingue chez les élites. Le texte roman semble avoir été construit pour un public plus populaire en vue de son édification. Le passage du latin au français écrit Delbouille implique une osmose entre langue savante et langue quotidienne à travers un bilinguisme individuel, par le fait d'une traduction interne et secrète qu'on pourrait dire latente.[3]. Pour Maurice Delbouille l'ensemble des traits de picard, wallon et champenois suppose l'existence à la fin du IXe siècle d'une Scripta poétique romane commune à ces trois domaines linguistiques en formation (les dialectes ne seront complètement formés qu'au XIIIe siècle), ce qui correspond à la vitalité intellectuelle de celles-ci à cette époque (voir Histoire des sciences en Wallonie (900-1800)

Étude du texte

La Séquence comporte vingt-neuf vers :

Texte en roman   Adaptation française
Buona pulcella fut Eulalia.   Bonne pucelle fut Eulalie.
Bel auret corps bellezour anima.   Beau avait le corps, belle l'âme.
Voldrent la ueintre li d[õ] inimi.   Voulurent la vaincre les ennemis de Dieu,
Voldrent la faire diaule seruir.   Voulurent la faire diable servir.
Elle nont eskoltet les mals conselliers.   Elle, n'écoute pas les mauvais conseillers :
Quelle d[õ] raneiet chi maent sus en ciel.   « Qu'elle renie Dieu qui demeure au ciel ! »
Ne por or ned argent ne paramenz.   Ni pour or, ni argent ni parure,
Por manatce regiel ne preiement.   Pour menace royale ni prière :
Niule cose non la pouret omq[ue] pleier.   Nulle chose ne la put jamais plier
  La polle sempre n[on] amast lo d[õ] menestier.     À ce la fille toujours n'aimât le ministère de Dieu.
E por[ ]o fut p[re]sentede maximiien.   Et pour cela fut présentée à Maximien,
Chi rex eret a cels dis soure pagiens.   Qui était en ces jours roi sur les païens.
Il[ ]li enortet dont lei nonq[ue] chielt.   Il l'exhorte, ce dont ne lui chaut,
Qued elle fuiet lo nom xp[ist]iien.   À ce qu'elle fuie le nom de chrétien.
Ellent adunet lo suon element   Qu'elle réunit son élément [sa force],
Melz sostendreiet les empedementz.   Mieux soutiendrait les chaînes
Quelle p[er]desse sa uirginitet.   Qu'elle perdît sa virginité.
Por[ ]os suret morte a grand honestet.   Pour cela fut morte en grande honnêteté.
Enz enl fou la getterent com arde tost.   En le feu la jetèrent, pour que brûle tôt :
Elle colpes n[on] auret por[ ]o nos coist.   Elle, coulpe n'avait : pour cela ne cuit pas.
A[ ]czo nos uoldret concreidre li rex pagiens.   Mais cela ne voulut pas croire le roi païen.
Ad une spede li roueret toilir lo chief.     Avec une épée il ordonna lui ôter le chef :
La domnizelle celle kose n[on] contredist.   La demoiselle cette chose ne contredit pas,
Volt lo seule lazsier si ruouet krist.   Veut le siècle laisser, si l'ordonne Christ.
In figure de colomb uolat a ciel.   En figure de colombe, vole au ciel.
Tuit oram que por[ ]nos degnet preier.   Tous implorons que pour nous daigne prier,
Qued auuisset de nos xr[istu]s mercit   Qu'ait de nous Christ merci
Post la mort & a[ ]lui nos laist uenir.   Après la mort, et qu'à lui nous laisse venir,
Par souue clementia.   Par sa clémence.

Notes :

  • les parties entre crochets droits sont, dans le texte original, indiquées par un tilde ou une autre marque d'abréviation. Ainsi, le mot dom est noté  ; Mireille Huchon, dans son Histoire de la langue française, transcrit par deo. C'est aussi une possibilité ; quelques mots contractés ont été séparés pour faciliter la lecture ; le texte original est tracé dans en minuscule caroline assez lisible. Le début de chaque vers est marqué par une lettre capitale en rustica ;
  • on note l'utilisation du digramme ancien cz pour /ts/ dans czo /tso/, forme pronominale, « cela », issue du latin ecc(e) hoc. Plus tard, le z du digramme donnera naissance à la cédille : on aurait donc alors ço (comparer avec le français moderne ça) ;
  • les vers sont écrits deux à deux par ligne ; pour des raisons de lisibilité, chacun est suivi d'un retour à la ligne ;
  • la traduction se veut littérale, afin de mieux montrer les liens historiques entre les mots romans et français ; il est donc normal qu'elle semble parfois difficile d'accès ; il suffit de prendre pour chaque mot son acception étymologique (coulpe : « péché », chef : « tête », siècle : « vie dans le monde », figure : « forme », ministère : « service », merci : « pitié », etc.), de se souvenir que le sujet peut ne pas être exprimé et que l'ordre des mots est plus souple (Veut le siècle laisser : « Elle veut laisser le siècle », etc.).

Le texte serait écrit en une forme de "proto-picard". Le mot diaule (diable) serait picard et wallon, la graphie contenant de nombreuses marques de prononciation picarde comme cose et kose car seul le picard et le normand ont aujourd'hui gardé cette prononciation, les autres langues d'oïl comme le francien et le wallon aurait peut être donné «chose». D'Arco Silvio Avalle y voit également des influences du lorrain et du champenois, langues qui avaient selon lui à cette époque une scripta (sorte d'orthographe), commune.

Il utilise les articles (li inimi : « les ennemis », lo nom : « le nom », enl : agglutination pour « en lo », la domnizelle : « la demoiselle », etc.), inconnus du latin, montre que certaines voyelles finales du latin sont maintenant caduques (utilisation de e ou a pour rendre [ǝ] : pulcella : « pucelle (jeune fille) », cose : « chose », arde : « arde (brûle) », etc.) et que certaines voyelles ont diphtongué (latin bona > roman buona : « bonne », latin toti > roman tuit, etc.). C'est aussi dans ce texte qu'est attesté le premier conditionnel de l'histoire de la langue française (sostendreiet : « soutiendrait »), mode inconnu du latin, formé à partir du thème morphologique du futur (un infinitif, en fait) et des désinences d'imparfait.

Lien externe

Bibliographie

  • D'Arco Silvio Avalle, Alle origini della letteratura francese: i Giuramenti di Strasburgo e la Sequenza di santa Eulalia, G.Giappichelli, Torino, 1966.
  • Marie-Pierre Dion La Cantilène de sainte Eulalie : actes du colloque de Valenciennes, 21 mars 1989, Bibliothèque municipale de Valenciennes, Lille, 1990.
  • Philippe Walter Naissances de la littérature française (IXe-XVe s.). Anthologie commentée, Grenoble, ELLUG, 1993.
  • Catalogue de l'exposition Rhin-Meuse, Cologne et Bruxelles, 1972

Notes

  1. Maurice Delbouille 'Romanité d'oïl Les origines : la langue - les plus anciens textes in La Wallonie, le pays et les hommes Tome I (Lettres, arts, culture), La Renaissance du Livre, Bruxelles,1977, pp.99-107.
  2. Catalogue de l'exposition Rhin-Meuse, Bruxelles, Cologne, 1972
  3. Maurice Deblouille, ibidem
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