Salafisme

Salafisme

Le salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l'islam des origines, fondé sur le Coran et la Sunna. Aujourd'hui, le terme désigne un mouvement composite[1] fondamentaliste, constitué en particulier d'une mouvance traditionaliste et d'une mouvance djihadiste. Toutes ces mouvances affirment constituer la continuation sans changement de l'islam des premiers siècles.

Étymologiquement, « salafisme » (en arabe : السلفية as-salafiyya) provient du mot salaf, « prédécesseur » ou « ancêtre », qui désigne les compagnons du prophète de l'islam Mahomet et les deux générations qui leur succèdent.

Sommaire

Les origines

La volonté de retrouver l'islam des salaf dans sa pureté n'est pas récente. Par le mot salaf, les théologiens musulmans désignent Mahomet et ses compagnons (en particulier les quatre premiers califes), ainsi que les deux générations qui les suivirent. L'expansion de l'islam est généralement attribuée à la pureté de leur foi. « Dès lors, à chaque fois que les sociétés musulmanes se retrouveront face à une crise économique, politique ou sociale, certains théologiens préconiseront un retour à l’islam des Salafs[1] ». On trouve chez Ibn Hanbal, au IXe siècle, la première interprétation littéraliste de l'islam, appuyée sur un appel aux ancêtres et une condamnation des innovations théologiques. Ibn Taymiyya y a également recours au XIVe siècle, alors que le Moyen Orient subit les invasions mongoles. Ibn Taymiyya et ses élèves (Ibn Al-Qayyim et Ibn Kathîr) sont ainsi une des principales références des mouvements salafistes contemporains.

Les mouvements salafistes contemporains prennent toutefois naissance dans la prédication d'Ibn Abdu-l-Wahhab, au XVIIIe siècle. Pour Ibn Abdu-l-Wahhab, le déclin des pays musulmans face à l'Occident résulte de l'oubli du message originel de l'Islam. Il prêche ainsi une lecture littéraliste et puritaine de l'islam, s'inscrivant dans la tradition hanbaliste et s'inspirant de Ibn Taymiyya. Dans sa prédication, il s'allie avec Ibn Saoud, fondateur de la dynastie qui dirige aujourd'hui l'Arabie saoudite. Le wahhabisme est ainsi jusqu'à aujourd'hui la doctrine religieuse officielle de l'Arabie saoudite[2]. « Dès lors, le salafisme devient une idéologie politico-religieuse dont la pensée sera largement diffusée successivement par les principaux prédicateurs de l’État saoudien moderne, en tête les oulémas Mohammad Ibrahim al-Sheikh, Abdel Aziz ben Baz et Mohammad ibn al-'Uthaymin[3]. »

Éléments théologiques communs aux courants salafistes

Les divers courants salafistes se perçoivent comme un mouvement de renaissance de l'islam, par un retour à la foi des origines, celle des « pieux prédécesseurs ». Ils rejettent tout ce qu'ils perçoivent comme des interprétations humaines postérieures à la révélation de Mahomet. Il s'agit donc d'un mouvement réformiste qui condamne à la fois les pratiques de l'islam populaire, accusées d'être des « superstitions », mais également une grande partie de la réflexion théologique musulmane, considérée comme porteuse d'« innovations », c'est-à-dire de créations de la raison humaine s'éloignant du message divin. Les salafistes refusent également toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité, qu'ils accusent de corrompre la foi musulmane.

Comme le souligne Bernard Rougier, « les salafistes s'émancipent de la tradition fondée par les écoles juridiques, et inventent un nouvel islam[4]. » Ils construisent, en effet, une nouvelle lecture de l'islam, littéraliste. Cette lecture n'affirme se fonder que sur le Coran, et la Sunna, c'est-à-dire l'ensemble des hadiths, les faits et paroles prêtés à Mahomet et à ses compagnons. Les salafistes prétendent ainsi imiter Mahomet en tout, y compris dans leur façon de s'habiller ou de manger.

A côté de cette dénonciation de tout ce qu'ils considèrent comme des « innovations » par rapport au Coran et à la Sunna, les divers courants salafistes insistent sur le principe de l'unicité divine, tawhid. Dieu est l'unique et seul créateur (Tawhid rububiya, unicité dans la seigneurie). Tout acte d'adoration ne doit aller qu'à lui (Tawhid uluhiya, unicité dans son adoration). Tous les noms et attributs divins qui apparaissent dans le Coran et la Sunna sont acceptés, mais ne sont pas traités de façon métaphorique ou anthropomorphique (Tawhid asma was sifat, unicité dans ses noms et attributs).

Les différentes tendances salafistes contemporaines

Le salafisme de prédication

Cette tendance salafiste, développée en particulier par des imams proches du régime saoudien, refuse la voie djihadiste qui cherche à imposer un régime musulman par l'action violente et révolutionnaire. Cette voie lui semble vouée à l'échec. Une des grandes figures de cette tendance, des années 1960 jusqu'à sa mort en 1999, le cheikh Muhammed Nacer ad-din al-Albani, déclarait ainsi qu'« Il fait partie de la [bonne] politique, aujourd'hui, de délaisser la politique ». Par là, il entendait que l'action politique la plus efficace passe davantage à travers la prédication d'une foi régénérée, de la ré-islamisation des sociétés musulmanes, plutôt que d'une action directement politique de prise de contrôle du pouvoir.

Pour al-Albani, il était donc nécessaire de poursuivre une stratégie du « at tasfiyatu wa tarbiyah » (la purification et l'éducation) : d'une part, régénérer la foi en la purifiant des "innovations" théologiques l'éloignant de la foi authentique, celle des origines, telle qu'il la définissait ; d'autre part, éduquer les musulmans à cette foi régénérée, de manière à ce qu'ils abandonnent toutes leurs pratiques religieuses antérieures, jugées corrompues. C'est de la diffusion générale dans la société de cette piété que doit naître le changement politique.

Cette tendance salafiste poursuit donc une stratégie de "ré-islamisation" des sociétés musulmanes à travers une prédication non violente et non directement politique. Elle entend transformer ces sociétés à travers la diffusion d'une foi littéraliste qui doit les régénérer et leur donner, ainsi, la prééminence dans le monde.

Ces salafistes, souvent proches du pouvoir saoudien, critiquent les salafistes djihadistes qui cherchent pour certains à renverser la famille royale saoudienne. Ils critiquent également les Frères musulmans, accusés de ne pas suivre une pratique rigoriste de l'Islam, d'oublier le principe du tawhid, et de chercher à obtenir le pouvoir plutôt que de sauver les âmes des musulmans en transformant leurs pratiques religieuses.

Le salafisme djihadiste

Cette mouvance du salafisme se refuse à limiter l'action religieuse à la prédication et fait du djihad le cœur de son activité[1]. Les salafistes de cette tendance sont ainsi favorables au combat armé, afin de libérer les pays musulmans de toute occupation étrangère mais également de renverser les régimes des pays musulmans qu'ils jugent impies pour instaurer un État authentiquement islamique.

Cette tendance salafiste est née, dans les années 1980, en Afghanistan, à l'occasion de la guerre contre l'occupation soviétique. Durant cette guerre, des salafistes venus d'Arabie saoudite ont rencontré des Frères musulmans. Cela les a conduit à intégrer au discours politique des Frères musulmans la prédication littéraliste traditionnelle des salafistes, centrée sur la piété et la moralité[5]. Pour ces salafistes, les salafistes traditionalistes, favorables à la seule prédication, en particulier les Cheikhs proches des autorité saoudiennes, comme Ibn Baz et Ibn 'Uthaymin, sont alors apparus comme des hypocrites, à la solde des États-Unis. D'autre part, ces salafistes critiquent plus encore les Frères musulmans qui sont condamnés en raison de leur foi jugée insuffisamment littéraliste et, pour les plus modérés des Frères, pour leur engagement dans le jeu politique d'État jugés impies et devant être éliminés par la force[6].

Cette tendance poursuit donc une stratégie révolutionnaire violente qui vise à renverser les États des pays musulmans pour instaurer un État islamique par la force. Cela les conduit également à entreprendre des actions violentes à l'encontre des pays occidentaux perçus comme les soutiens de ces États, en particulier les États-Unis. Ceux-là sont appelés par les Salafistes de prédication comme des "Takfiri" car ils les accusent de rendre mécréants les dirigeants arabes et les musulmans sans aucune preuve religieuse. Chacun de ces courants salafistes prétend incarner le vrai salafisme et se critiquent vivement et de manière virulente.

Critique du salafisme

Au sein du monde musulman, le mouvement salafiste contemporain est l'objet de vives critiques. On lui reproche, en particulier, d'avoir une compréhension étroite des différents textes religieux, notamment du Coran et de la Sunna, en privilégiant une approche littéraliste, et en négligeant le contexte d'écriture et l'esprit de ces textes[7].

L'une des autres critiques est le fait que ce mouvement essaye parfois de se faire passer pour le courant majoritaire de l'islam, à savoir le sunnisme. Leur puissance vient de leur influence sur le Web et le fait qu'ils sont aidés et soutenus par le gouvernement saoudien dont les affaires religieuses sont dirigées par des savants salafis, malgré le fait que la majorité des habitants d'Arabie Saoudite sont des musulmans sunnites de l'école hanbalite.

Notes et références

  1. a, b et c Samir Amghar, « Le salafisme en Europe : la mouvance polymorphe d’une radicalisation », Politique Étrangère, n°1, 2006.
  2. Olivier Da Lage, Géopolitique de l'Arabie Saoudite, Complexe, 2006, 143 p. (ISBN 2804801217) [lire en ligne], p. 138 
  3. Dominique Thomas, « Le Salafisme aujourd’hui : entre forme de revivalisme islamique moderne et mouvements de rupture », Texte de la 651e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 6 octobre 2007.
  4. Bernard Rougier, « Pourquoi l'islamisme salafiste, progresse, du Golfe à nos banlieues », L'Expansion, janvier 2009.
  5. Gilles Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2003, chapitre 9.
  6. Gilles Kepel, ibid.
  7. Tariq Ramadan, « L’islam au pied de la lettre », Le Monde diplomatique, juillet 2002.

Voir aussi

Bibliographie

  • (fr) - Cheikh Al Albani (dir.), Le Salafisme du mythe à la réalité, Edition Al-Hadith, 2008, 244 pages (ISBN 978-2-930395-22-7)
  • (en) Roel Meijer (dir.), Global Salafism : Islam's new religious movement, Hurst, Londres, 2009, 463 p. (ISBN 978-1-85065-980-8)
  • (fr) Bernard Rougier (dir.), Qu'est-ce que le salafisme ?, Presses Universitaires de France, Paris, 2008, 271 p. (ISBN 978-2-13-055798-2)

Filmographie

  • (fr) Salafismes au 20e siècle, conférence de Dominique Thomas dans le cadre de l'Université de tous les savoirs, Service du Film de Recherche Scientifique, Vanves ; CERIMES, 2008?, 88' (DVD)

Liens externes


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Salafisme de Wikipédia en français (auteurs)

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