Reclus (moine)

Reclus (moine)

Un reclus (ou une recluse) est un moine (ou moniale) qui, adoptant une forme extrême de pénitence, s’enferme en solitaire dans un espace restreint (une ‘celle’ ou cellule ou bien un reclusoir), soit pour un temps, soit pour la vie. Sa cellule se trouve généralement près d’un monastère ou d’une église. Il n’est donc pas à confondre avec un ermite.

Sommaire

Origine et sens

Ce genre d’ascèse extrême est déjà présent dans le monachisme chrétien oriental du IVe siècle. Il aurait été inauguré en Syrie par Eusèbe de Télédan.

Spirituellement, la réclusion monastique est une symbolique mais radicale « mort au monde », par l’adoption volontaire de l’enfermement et le choix délibéré de la prison. En Occident, au Moyen Âge, le cérémonial d’entrée en réclusion comportait d’ailleurs le chant de funérailles In paradisum deducant te angeli. Le souhait du reclus est de trouver sa voie vers Dieu dans le « fuis, tais-toi, reste tranquille » de l’hésychasme.

Monachisme oriental

La tradition monastique orientale est plus longue et riche que celle de l’Occident dans ce choix de la réclusion comme forme de vie religieuse. Des auteurs tels que Rufin d'Aquilée (lui-même un reclus) et Théodoret mentionnent la présence de reclus (y compris des recluses) en Syrie où ils sont les plus nombreux. En Égypte sont célèbres Nillamos et Jean de Licopoli. Durant la période byzantine des colonies de reclus existent sur les îles de Paphos, Rhodes, Chypre. Le plus célèbre, à Chypre, est Néophyte le Reclus (1134-c.1214)

Étant donnée l’extravagance que prend parfois l’ascétisme des reclus - l’un s’enferme dans un tombeau, un autre se construit une celle où il ne peut se tenir ni debout ni couché - l’Église invite à la prudence et, à partir du VIIe siècle, commence à légiférer.

Ainsi Théodore Balsamon, interprétant un canon synodal, écrit vers 1170 : « C’est une chose grande et courageuse que quelqu’un se renferme dans une maisonnette toute sa vie, comme s’il était mort, mais les lois des Pères ordonnent que personne ne se fasse reclus sinon après une considération sérieuse » Il ajoute des conditions : « que celui qui voudrait se décider pour ce genre de vie demeure auparavant trois ans sous l’obéissance d’un supérieur de monastère ; ensuite il doit présenter une déclaration minutieuse sur la manière dont il pense pratiquer ce genre de vie ; cette déclaration sera examinée et approuvée par l’évêque ; et encore après cela il doit pratique la vie monastique en dehors de la réclusion »[1]

L'évêque orthodoxe russe, Théophane le Reclus

En Russie la réclusion comme forme de vie érémitique survit jusqu’au XIXe siècle. Certains des grands théologiens de l’époque sont des reclus : Séraphin de Sarov (mort en 1833), et surtout l’évêque démissionnaire Théophane. Ce dernier est reclus de 1866 à sa mort en 1894. Il a rassemblé de nombreux livres dans sa recluserie, est abonné à des revues théologiques et répond aux lettres de consultation spirituelle qu’il reçoit. Ces lettres sont de petits traités de théologie dogmatique ou spirituelle.

Monachisme occidental

En Occident, le phénomène de la réclusion monastique apparaît plus tard qu’en Orient. Un concile régional, à Orléans (en 533), mentionne la présence de reclus en Gaule mérovingienne. Grégoire de Tours, également, un peu plus tard. En Espagne l’Église commence à légiférer à partir de 648, indiquant ainsi de manière indirecte que cette forme de vie religieuse ascétique se répand.

C’est aux XIe et XIIe siècles - les grands siècles mystiques du Moyen Âge occidental - que les réclusions se multiplient. Nombreux sont les monastères qui aménagent des cellules spéciales près de leur église pour y recevoir ceux ou celles qui choisissent, après de nombreuses années en communauté, de devenir reclus. Les moniales recluses sont plus nombreuses, sans doute car la vie précisément érémitique, dans l’isolement d’un bois ou de la montagne, est considérée comme peu sur pour des femmes. Les réclusions ne sont pas nécessairement des choix pour la vie entière. Au XIIe siècle l'abbé Ælred de Rievaulx (1110-1167) du Yokshire écrit un texte tout d'abord destiné à sa sœur intitulé La Vie de recluse et qui va inspirer un mouvement de mortification qui s'étendra dans toute l'Europe, particulièrement en Grande-Bretagne, France, Belgique et Pays-Bas. Ce texte prendra valeur de règle. Des recluses vont ainsi vivre dans de petites cellules percées de ces petites ouvertures appelées hagioscopes qui leur permettent d'assister aux offices mais aussi de recevoir eau et nourriture des passants. Le cimetière des Saints Innocents de Paris abritait ainsi plusieurs reclusoirs tout au long du Moyen Âge accueillant reclus et recluses.

La plus célèbre des recluses en Allemagne est sainte Wiborada de Saint-Gall qui, après une préparation de quatre ans en communauté monastique fut enfermée en réclusion en 916 par l’abbé-évêque Salomon III, dans une cellule près de l’église de Saint-Magne. Elle mourut assassinée en 926 par des bandits hongrois. C’est la première recluse dont on ait des détails biographiques certains ; de même Wiborada est la première femme officiellement canonisée par l’Église (en 1047). D’autres célèbres recluses sont les saintes Julienne de Norwich (en Angleterre) et Ivette de Huy (aux Pays-Bas).

Saint Romuald qui fonde en 1012 l’ordre des camaldules - des bénédictins ermites - y encourage explicitement la réclusion. Jusque vers 1450 les camaldules connaissent même la ‘réclusion collective’ durant les périodes de carême et d’avent. Seuls en étaient dispensés les moines nécessaires au service de l’église et du monastère. L’ordre des camaldules est le seul qui, encore récemment - dans leurs constitutions de 1968 - prévoit encore la possibilité de vie en réclusion monastique.

Perceval à la recluserie (XVe siècle)

Aux XIIIe et XIVe siècles la situation change : alors que les reclus tendent à disparaître ou deviennent des ermites plus traditionnels, les recluses se multiplient, surtout dans les villes, et sous la protection des cathédrales et des autorités civiles. En 1320 à Rome il y a 230 recluses (au XVIe siècle, quatre recluses vivaient encore près de la basilique Saint-Pierre).

À Saint-Flour, en France, la municipalité fait construire une recluserie sur un des ponts d’accès à la ville (le ‘pont de la recluse’). La recluse est à charge de la ville et lui apporte en retour protection spirituelle. Près d'Amiens, vécut la recluse Colette de Corbie (1381-1447).

Au XVIIe siècle, le phénomène se ralentit comme tout autre forme de vie religieuse mais on note encore la présence de recluses à Paris, Lyon, Bruxelles, Louvain, Lille, Anvers. La plus célèbre est sans doute Jeanne de Cambry qui vit comme recluse à Lille de 1625 à sa mort en 1639[2] En 1695 Jeanne Le Ber se fait enfermer comme recluse à Ville-Marie, au Canada.

Le 6 février 1990 décédait à Rome après près de 44 années de réclusion à l'intérieur du monastère camaldule de l'Aventin, l'une des dernières recluses, sœur Nazarena.

Aujourd’hui

Comme pour beaucoup d’autres formes de vie religieuses, la Révolution française fut néfaste à cet idéal de ‘réclusion’ qui répondait de moins en moins à l’aspiration contemporain de vie donnée à Dieu. Comme écrit plus haut, seuls les camaldules prévoient encore – formellement – la possibilité de vie religieuse en réclusion monastique.

Recluses moins connues

Notes

  1. Cité d'après l'article 'Reclus' dans le Dictionnaire de spiritualité, vol. XIII, p.218
  2. H. de Boissieu, Une recluse au XVIIe siècle, Jeanne de Cambry, Paris, 1934.

Lien connexe

Lien externe

Bibliographie

  • La Vie de recluse. La prière pastorale Par Aelred de Rievaulx

Le roman de Carole Martinez, "Du Domaine des Murmures" publié en 2011 chez Gallimard et qui a obtenu en novembre 2011 le Prix Goncourt des Lycéens, raconte la vie d'une recluse au Moyen-Age.


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